R U M E U R S Revue de presse grand public “La génétique arrivera un jour à clowner les gens.” J. Duhamel, Les perles de l’école. ● M. Escoute* l y a vraiment parfois du génie méconnu dans la tête de nos chérubins, et quelle intuition, palsambleu ! Quelle lucidité candide transfixiante ! Surtout quand on se penche avec intérêt sur ces orages magnétiques d’une extrême violence, secouant le ciel transatlantique, et dont la retransmission fait passer Georges Dabeliou Bouche Jr et sa traque contre Oussama (bon, allez, on leur dit enfin que sa cachette, c’est l’entrée 12, escalier D, caverne 4 ?) pour un vulgaire petit caporal d’opérette ! En effet, comme chacun sait, le terrorisme n’est pas toujours composé que de barbus hallucinés, coranisés jusqu’aux yeux et enturbannés, mais il peut fleurer bon l’after-shave en complet-anthracite-cravate-club-Church-rutilante et se domicilier au “Camp d’entraînement Myriad Genetics, Salt Lake City, Utah”. Car, quand on lit : “Tests génétiques : le diktat américain” (La Liberté de l’Est), “Une offensive contre Myriad Genetics” (L’usine nouvelle), “Cancer du sein : la guerre des tests” (L’Express), “Le brevet scandaleux” (Politis), “Les Américains vont-ils prendre les Français en otage ?” (Marianne), “Racket génétique” (Viva Magazine), “Europe’s patent rebellion” (Fortune), “Greenpeace Allemagne contre la directive” (La Croix), “L’institut Curie conteste un brevet de Myriad Genetics” (Les Échos, Le Monde) et j’en passe, on pourrait presque croire à une guerre sainte planétaire dont le premier croisé est l’Institut Curie. De toute évidence, ce problème d’ordre cosmique est infiniment plus complexe, même s’il est presque aussi religieux et épistémologique qu’une simple délivrance d’usurpation de pouvoir. (Pour ceux qui dormaient au fond près du radiateur, je rappellerai sommairement que la société Myriad Genetics détenant un brevet sur BRCA1 et BRCA2 exige que tout test de recherche de mutation soit réalisé dans leur laboratoire américain, en sachant, juste pour la petite histoire quand même, que 10 à 20 % de ces mutations ne sont pas détectées par leur système...) De quoi attraper un véritable casque à pointe si on tente d’y réfléchir ! Car un gène isolé fait-il partie d’un génome humain, c’est-à-dire d’un être humain normalement non brevetable et non commercialisable ? Quid de la nouveauté, de l’utilité et de la non-évidence d’un gène, base incontournable d’une brevetabilité légale ? Quid de la propriété intellectuelle ? Et quid des investissements vertigineux sans une vitale rentabilité ? Etc. Pour ma part, l’héroïsme n’étant pas ma vertu cardinale, je chuchoterai que Salt Lake City a été fondée par l’église de Jésus Christ des saints des derniers jours, autrement dit les mormons, et que, même si ces derniers ont fini par renoncer à la polygamie, ils ont certainement beaucoup plus de mal avec la théocratie (selon les mauvaises langues, ils étaient censés y renoncer aussi...) Alors si, en plus, ils sont investis du pouvoir divin, accompagnés de la plus grande flotte aérienne d’avions furtifs, renifleurs et autres bom- I * Clinique Sainte-Catherine, Avignon. La Lettre du Sénologue - no 15 - janvier/février/mars 2002 bardiers, agrémentés de porte-avions capables de dépasser la rade de Toulon sans se casser une hélice et de faire exploser votre coffrefort fermé devant vous sans abîmer votre brushing, il vaudrait peutêtre mieux essayer de discuter, non ? Ou alors on risque un remake de David et Goliath, mais pas version Ancien Testament dans le happy end si vous voyez ce que je veux dire... (Mais je suis vraisemblablement d’une ignorance et d’un pessimisme irrécupérables et, sans vouloir parodier nos petits anges blonds, je ne voudrais pas que mes propos soient taxés de cloneries...) Le 16 octobre 2001, la France s’est illuminée en rose et, si vous vous êtes dit, in petto, “Sacré (d)Jack Lang !” ou si vous avez cherché désespérément à quelle commémoration politique cela pouvait correspondre, vous avez tout faux ! Tous les quotidiens et hebdomadaires vous ont avertis que c’était “la Journée mondiale contre le cancer du sein” sous l’égide d’Estée Lauder. Et on peut se dire rétrospectivement avec bonheur qu’on a échappé au pire, quand on lit dans Télérama que, pour le sida, l’obélisque de la Concorde avait été encapuchonné par un préservatif... (Des mamelles géantes sur la coupole de l’opéra Garnier ou du SacréCœur, vous imaginez ?) En fait, selon d’autres sources moins officielles, c’est pour qu’un certain Bernard K. ne fasse plus jamais de réponse idiote à la question stupide d’un journaliste effronté : “Monsieur le secrétaire d’État à la Santé, savez-vous à quoi correspond le ruban rose ?”, parce que ce genre de béotisme peut rendre les instituts de sondage très nerveux... D’autant que la plus grosse pile de coupures de presse des six derniers mois concerne la mise en route du dépistage organisé des cancers du sein annoncée à grand renfort d’olifant dans toute la PQR (presse quotidienne régionale) avec quelques effets de style : “Un sain dépistage” (Libération Champagne) ou “On dépiste gratis” (Le Progrès), mais aussi des débordements “Le mammobile protège (!) les seins” (Ouest France) (Aïe, aïe, aïe, combien de fois faudra-t-il répéter : ça dépiste mais ça ne prévient pas ?) ou “Dépistage : une question de vie ou de mort” (La Dépêche du Midi) : on adressera à M. Scossia, de La Dépêche du Midi, la patiente dépistée qui va décéder de toute façon de son cancer dépisté pour qu’il lui explique ce qu’il entendait exactement par le mot vie... Et puis des chiffres sont lâchés (Le Monde) : “Coût du dépistage financé par la CNAM en 2001 pour 32 départements : 410 millions de francs ; en 2005 : 157 millions d’euros” ou 213,5 millions selon La Croix (allez ! tous à vos calculettes... et sans être aucunement amoureuse du sémillant Ernest-Antoine Seillière, il va peut-être falloir repenser très sérieusement le financement des 35 heures dont le coût, rappelons-le, est supérieur au total du budget de la justice + police + gendarmerie). Et, enfin, c’est la valse hésitation des chiffres oscillant entre les 10-20 % de bénéfice avancés par la FNMR jusqu’aux 63 % de 37 R U M E U R S réduction de la mortalité (Le Progrès, France Dimanche) avec un arrière-goût de retransmission de manifs (suivant les organisateurs, suivant la police, etc.). Mais c’était sans compter, bien sûr, les éternels grincheux qui d’abord vilipendent le gouvernement et les radiologues avec “Le cancer du sein mal dépisté en France faute de moyens” (L’Union, Le Petit Bleu, La Marseillaise, Nord Éclair, etc.), “Les radiologues incités à dépister le cancer du sein” (La Croix), puis ressortent des placards danois (sacré Hamlet, toujours raison, hein ?) la grande polémique de l’utilité ou non du dépistage : “Mammographies : aucune certitude” (Le Télégramme), “Le dépistage systématique du cancer du sein est-il injustifié ?” (Presse Océan Dimanche, Média Pub, Libération Champagne), “Cancer screening faces rising scientific doubt” (International Herald Tribune), et, enfin, concluent de toute façon, God bless, que le dépistage est nécessaire. En fait, on pourrait clore ce dossier explosif par une nouvelle perle d’un adorable bambin : “Les examens sont utiles pour le dépistage de l’ignorance”. Mais c’est Nostradamus, ce gamin ! Quel fou frisson de bonheur quand nos Hermès Trismégiste se font vaticinateurs à grands coups de stylet aguicheurs : “Cancer : bientôt la fin du fléau” (Le Progrès), “Le cancer vaincu au XXIe siècle ?” (Nord Éclair), “Dans les années à venir, on pourra vaincre le cancer dans 80 % des cas” (France Dimanche), “Révolution dans le dépistage du cancer du sein” (L’Humanité, Nord Éclair), “Cancer du sein : une piste révolutionnaire” (La Dépêche du Midi) ! Et vous ne connaissiez pas la métrologie ? Eh bien, nous allons laver cet opprobre prestement : il s’agit simplement de l’étude des mesures, dont celles de l’infiniment petit est réalisée par nanotechnologie. Celle-ci a ainsi permis à une équipe de chercheurs de l’université de Lille de détecter des protéines sanguines ou urinaires spécifiques des cellules cancéreuses avec possibilité de déterminer aussi des “cartes d’identité tumorales protéiques” personnelles à visée thérapeutique. Et tout cela AVANT que la tumeur ne soit détectable par les moyens d’imagerie classique ! (Ô ! Toi, le Tout-Puissant, accède à ma prière : s’il Te plaît, fais qu’Élizabeth et Martine ne lisent jamais cela !) Sincèrement, croyez-vous que les radiologues et les chirurgiens pourront plaider le licenciement abusif devant les prud’hommes ? On pourrait presque écrire un hommage à ces adorables petits mammifères rongeurs qui nous sont tellement utiles dans notre lutte acharnée pour l’éternité, du style “Des souris et des hommes” (mais il me semble que le titre a déjà été pris...) quand on lit, dans Biotech info, Wall Street Journal, Le Parisien : “Un traitement personnalisé”, “New breast cancer drug may be a steep closer”, articles dans lesquels il est question de la résistance totale aux développements de cancers du sein chez des souris, dont la manipulation génétique supprimerait la codification par des proto-oncogènes de la cycline D1, responsable bien connu (n’est-ce pas ?) de la prolifération cellulaire. Il suffirait donc de mettre au point une anticycline D1 qui bouterait hors du champ de la cancérisation les oncogènes neu et ras ! Alors, messieurs les industriels, à vos crayons ! 38 Quelques perles Vu dans Elle : “82 % (!) des femmes satisfaites de leur poitrine... et plus elles sont diplômées, plus elles en sont contentes” ! Ah oui ? Passez Alerte à Malibu, Melrose Place, Friends, Miami Vice – où sévissent de véritables bombes atomiques aux seins bioniques – aux heures auxquelles ces executive women ne sont plus au bureau et vous verrez la morosité des statistiques ! (D’autant plus que, dans FHM, on lit : “59 % des Français regrettent que leur compagne ait de vilains seins” ! Ça prouve que les hommes sont des gentils puisque au moins 40 % des femmes ne le savent pas !) ● Retrouvé dans La Tribune, La Lettre du business, Caoutchoucs et plastiques (véridique !) : “J.C. Mas, sein patron”. Il s’agit du no 1 des implants français en passe de conquérir le marché américain avec des prothèses asymétriques ! Bravo, très bien... mais peut-être pourrait-on lui susurrer de modifier l’appellation de sa société, Poly Implant Prothese, parce que, avec les initiales, il risque d’avoir quelques soucis avec l’association Familles de France et le Vatican ! ● Dans Futurs : “La cellulite qui vous sauvera”. Adieu fesses oléagineuses, bouées ventrales, culottes équestres et autres disgrâces. Désormais, c’est le cœur vaillant et la tête haute que nous irons nous faire liposucer avec un sentiment profond d’accomplissement humanitaire ! En effet, des chercheurs de l’UCLA ont découvert qu’au sein des graisses humaines, tant haïes, se dissimulait un véritable pactole : des cellules souches immatures récupérées habituellement par ponction de moelle ou de cordon ombilical, d’où leur rareté. Ces cellules pouvant fournir n’importe quel type de cellule corvéable à l’infini pourraient recréer des tissus détruits quelle que soit leur origine, y compris, par exemple, la régénération d’un sein après ablation ! Alors pensez donc, un corps de rêve à la Naomi et en plus pour la bonne cause... On signe où ? ● Dans Le Canard Enchaîné et Le Monde : “Le soutien-gorge intelligent” (non, il ne dit pas “T’as pensé au pain ? Tourne à droite, À DROITE ! Mais freiiiine, bon sang !), mais il est tout simplement constitué de polymères modifiant sa structure en fonction des mouvements du sein. Donc plus d’excuse pour zapper la salle de sport ! Quoique, comme ce sont encore des chercheurs australiens qui nous ont déniché cela, méfiance ! Nous, on ne veut pas ressembler à Mad Max en plein effort ! ● Dans Presse Océan : “On soigne différemment un malade en janvier et en septembre en raison des contraintes budgétaires”. Il avait bien raison, notre grand Desproges, quand il disait : “Noël au scanner, Pâques au cimetière” ! ● Dans Divan : “Comment on allaite les bébés dans le monde”, on apprend que les mères dogons, au Mali, prennent bien garde de ne pas laisser tomber une goutte de lait sur le sexe de leur fils, sous peine de rendre celui-ci impuissant à l’âge adulte... Si jamais ça se sait, ce sont tous les psychanalystes qui vont faire la gueule ! Adieu la rente viagère ! ● Allez, pour se distraire, un peu de chirurgie esthétique masculine ! Dans Max, on apprend que la chirurgie d’accroissement pénien ne fait gagner que 2 à 3 cm, mais uniquement au repos ! (On arrête de rêver les filles ?). Cela a même été offert comme premier lot à une compétition de golf ! Ce n’est pas la peine de vous y inscrire, vu la vague de protestations, cela a été interdit de la liste des prix ! ■ ● La Lettre du Sénologue - no 15 - janvier/février/mars 2002