éditorial Éditorial Les réseaux hépatite C : pourquoi ? comment ? D. Capron (Amiens) L e réseau est-il la solution miracle à tout problème rencontré dans le système de soins, et en particulier à ceux liés à l’hépatite C ? Certes non, mais comme l’expérience le prouve dans certains domaines, l’organisation en réseau peut faciliter la prise en charge de certains types de populations ou de certaines pathologies, sous réserve du respect de quelques conditions. En premier lieu, le problème doit être clairement posé et ses causes analysées. Les réseaux hépatite C, pourquoi ? Les tests permettant le diagnostic de l’hépatite C ont été disponibles en 1990, le traitement par interféron en 1992. Les estimations effectuées en 1994 montrent l’insuffisance de la prise en charge (15 000 des 500 000 à 600 000 porteurs d’anticorps anti-VHC), concentrée sur une trentaine de centres. Il apparaît alors évident que l’intensification du dépistage est indispensable, et qu’il en résultera une augmentation de la demande de prise en charge que les centres hospitaliers ne pourront pas assumer. Deux mesures sont alors appliquées : – l’élargissement de la prescription de l’interféron au secteur libéral, seule la prescription initiale restant hospitalière ; – la diffusion d’une circulaire ministérielle (1) prévoyant le développement dans chaque région d’un pôle de référence hospitalier, travaillant en réseau avec l’ensemble des acteurs concernés, dont les missions essentielles sont l’expertise-conseil et l’information des équipes médicales et paramédicales. Le but de cette organisation est, par l’instauration d’un partenariat entre les praticiens libéraux et hospitaliers, d’élargir le réseau de soins en le rendant plus proche des patients. Le dépistage Il est l’étape préalable indispensable à toute prise en charge. En 1999, de source ministérielle (2), le pourcentage de porteurs du VHC se sachant infectés par ce virus serait de 40 à 50 %, contre environ un tiers en 1994. Bien qu’en progrès, le dépistage reste donc insuffisant. Plusieurs explications peuvent être proposées. La stratégie de dépistage ciblé proposée par la conférence de consensus de 1997 (3), et dont la justification en termes d’économie de santé n’est pas discutable, écarte d’emblée du dépistage un tiers environ des patients porteurs d’anticorps anti-VHC, puisque, comme l’ont montré plusieurs études épidémiologiques, la transfusion et la toxicomanie sont à l’origine de la transmission du virus dans deux tiers des cas (4). Encore faut-il que l’antécédent transfusionnel soit connu du patient ou de son médecin (l’étude d’une petite série de 146 patients, hospitalisés au CHU d’Amiens et dont l’état nécessitait une transfusion sanguine, montrait que 21 % d’entre eux ignoraient tout de leurs antécédents transfusionnels), ou que la toxicomanie, ancienne ou actuelle, soit signalée par le patient. Pour le tiers restant, si la stratégie ciblée est strictement appliquée, le dépistage ne peut intervenir que fortuitement, lors d’événements tels qu’un don de sang, une consultation préanesthésique, un bilan prétransfusionnel, ou lors de l’évaluation initiale du patient source et de la victime d’un accident d’exposition au sang ou à un liquide biologique. En outre, une partie de la population a peu de contact avec le système de soins, comme par exemple les personnes en état de précarité et les toxicomanes actifs. Enfin, en présence de facteurs de risque connus, certains médecins peuvent omettre de demander une recherche d’anticorps anti-VHC, faute de temps ou d’information. Le nombre de patients échappant au dépistage pour cette raison semble faible : une étude récente (5), montrant que le pourcentage de médecins généralistes jugeant le dépistage de l’hépatite C souhaitable et le proposant à leur patient en cas d’antécédent de transfusion avant 1991 ou de toxicomanie, est de plus de 88 %. Certes, ces résultats Act. Méd. Int. - Gastroentérologie (14) n° 3, mars 2000 64 éditorial Éditorial peuvent être discutés du fait, d’une part, du faible taux de réponse (16 %) émanant probablement des médecins les plus concernés par le problème, d’autre part, parce que l’adéquation entre la déclaration d’intention exprimée dans le questionnaire et la réalité pratique n’est pas obligatoirement parfaite. On peut cependant se demander si le manque d’information des médecins, souvent mis en avant pour expliquer l’insuffisance du dépistage, en est réellement la cause principale. Le nombre de tests de dépistage demandés dans sept laboratoires libéraux et hospitaliers de Picardie a été environ multiplié par 2, de 1994 à 1998, alors que pendant la même période, le pourcentage de résultats positifs diminuait de 6,7 à 4 % environ. Cette évolution peut être interprétée comme une modification de l’indication des tests s’adressant de plus en plus à des patients asymptomatiques, traduisant donc une nette augmentation du dépistage. La prise en charge Elle reste également insuffisante, sous deux aspects : Quantitativement, elle est bien entendu dépendante du dépistage, qui en est la condition nécessaire mais non suffisante. En effet, le passage du dépistage à la prise en charge peut ne pas avoir lieu, pour des raisons liées aux patients (peur de la biopsie, peur des effets du traitement, méconnaissance des possibilités de guérison, conditions de vie...) ou aux médecins, dont 50 % considèrent qu’il n’existe pas de traitement efficace de l’hépatite C (5). Qualitativement, elle reste encore très centrée sur les centres hospitaliers, et les médecins libéraux et généralistes y participent peu, certains parce qu’ils ne le souhaitent pas (manque de temps, manque d’expérience dans le maniement des traitements, motifs budgétaires...), d’autres en raison de la complexité de la prescription et de la délivrance des médicaments. L’absence de remboursement du génotypage et de l’évaluation de la virémie est un handicap supplémentaire. La prévention Les mesures de lutte contre le risque transfusionnel et nosocomial sont bien établies. En revanche, les précautions d’hygiène universelle sont loin d’être systématiquement respectées par le personnel médical ou paramédical, et les accidents d’exposition au sang restent sous-déclarés. Les entretiens avec les patients montrent à quel point les modes de transmission du virus et les mesures préventives qui s’y attachent sont mal connus. L’interrogatoire de 248 détenus à la maison d’arrêt d’Amiens a mis en évidence la mauvaise qualité de leur connaissance de l’hépatite C, puisque plus de 50 % croient qu’il existe un vaccin contre le VHC et méconnaissent le risque de transmission par le matériel “annexe” de toxicomanie intraveineuse et/ou la toxicomanie nasale. Du bilan de cet “état des lieux”, on peut conclure que de nombreux efforts restent à faire sur deux points, relevant tous deux de la mission des réseaux : l’information et l’organisation de la prise en charge. Les réseaux hépatite C, comment ? D’une façon certes caricaturale, on peut distinguer dans la population deux catégories. L’une, majoritaire, en relation régulière avec le système de soins, comporte des sujets dont les facteurs de risque de transmission du VHC sont la transfusion avant 1991, le risque nosocomial, une toxicomanie transitoire et ancienne. La pratique du dépistage y est relativement facile, mais la prévalence de l’infection par le VHC y est a priori faible, et les médecins qui la suivent ne se sentent pas obligatoirement très concernés par l’hépatite C, loin d’être au premier plan de leur pratique quotidienne. La maîtrise quasi totale à l’heure actuelle de la transmission transfusionnelle et nosocomiale du VHC doit aboutir à moyen 65 éditorial Éditorial terme, par épuisement naturel de la cohorte de sujets infectés par ces voies, à une diminution importante de la prévalence de l’infection virale C dans ce groupe. L’autre catégorie, numériquement minoritaire mais dont l’importance risque d’augmenter, est constituée par une population ayant peu de contact avec le système de soins, tels les sujets en état de précarité et les toxicomanes actifs. Cette population comporte un risque d’infection par le VHC beaucoup plus important que la première mais est peu accessible au dépistage et aux soins. C’est dans ce groupe que se situe le réservoir de virus, qui, en l’absence de mesures préventives efficaces, risque de se développer. Il est donc capital pour ces sujets de favoriser tous les moyens permettant le recours aux soins, et de mettre à profit tout contact pour l’information à visée préventive, le dépistage, et la prise en charge éventuelle. Les médecins ayant l’occasion de suivre ce type de patients, confrontés aux problèmes liés à l’hépatite C de façon régulière, se sont pour beaucoup rapidement impliqués dans la prise en charge de cette maladie et sont a priori réceptifs à une information dont l’utilité pratique leur est clairement visible. La répartition et l’importance relative de ces deux types de population varient d’une région à l’autre et à l’intérieur d’une même région, la première prédominant en zone rurale, alors que la deuxième se rencontre essentiellement en milieu urbain. L’organisation d’un réseau doit tenir compte de cette diversité qui conditionne les besoins en information, tant au niveau du grand public que des professionnels de santé. Organiser l’information Dans le système commercial, l’équilibre entre l’offre et la demande est une nécessité. Un produit peut être mis sur le marché en réponse à une demande ressentie, l’offre s’adaptant alors à la demande. À l’inverse, les campagnes publicitaires sont censées créer un besoin pour adapter la demande à l’offre, l’une ou l’autre stratégie étant utilisée en fonction du public visé. Vis-à-vis des professionnels de santé, il paraît capital d’adapter l’offre d’information à la demande. L’hépatite C fait depuis plusieurs années l’objet d’innombrables publications, et inonder d’informations théoriques des médecins généralistes exerçant dans des zones de faible prévalence risque d’avoir un effet négatif, faisant de l’hépatite C une sorte de monstre du Loch Ness, dont on parle beaucoup mais qu’on ne voit jamais et qu’on finit par ne plus chercher. Ce n’est donc pas par une multiplication en quantité mais par une modification qualitative que l’efficacité de l’information doit être augmentée : rapidité d’accès à la réponse à une question pratique précise, présentation simple et schématique. Le réseau Internet est un outil bien adapté à cet objectif, mais les supports traditionnels (formation médicale continue, documents écrits, échanges téléphoniques...) gardent toute leur utilité, l’utilisation du multimédia étant loin d’être universellement répandue. Pour les médecins, spécialistes ou généralistes fortement impliqués dans la prise en charge de l’hépatite C, les besoins sont différents, portant surtout sur la discussion d’indications thérapeutiques ou de gestion des effets secondaires du traitement. Ce rôle d’expertise-conseil pour les cas difficiles est théoriquement dévolu au pôle de référence. En pratique, dans des régions étendues comme la Picardie, la dispersion géographique des centres de prise en charge, associée au manque de disponibilité des différents participants, rend difficile l’organisation de réunions régulières. Ici encore, le réseau Internet, sous réserve bien sûr d’une sécurité et d’une confidentialité absolues, semble être à terme l’outil idéal. L’expérience des réseaux bourguignon et franc-comtois est particulièrement intéressante dans ce sens. Pour le grand public, le besoin du dépistage de l’hépatite C n’existe pas à l’état naturel. Il est donc nécessaire dans ce cas de tenter de créer ce besoin, et donc de tenter d’adapter la demande à l’offre. L’information délivrée au grand public dans le but de l’inciter au Act. Méd. Int. - Gastroentérologie (14) n° 3, mars 2000 66 éditorial Éditorial dépistage se rapproche donc d’une démarche publicitaire. Il faut cependant éviter, en cherchant les formules percutantes, de tomber dans une dramatisation excessive qui peut, en particulier chez les sujets jeunes, provoquer des réactions négatives de fuite ou de refus. À côté de cette information directe, qui doit utiliser divers supports médiatiques de façon à toucher tous les publics, les professionnels de santé doivent jouer le rôle de relais, permettant, dans le cadre d’un contact direct et personnalisé, de répondre à des interrogations individuelles. Leur aptitude à remplir cette fonction dépend à l’évidence de la qualité de leur propre formation. Les médecins, le personnel soignant et les travailleurs sociaux peuvent jouer ce rôle particulièrement important auprès, par exemple, des personnes en situation de précarité ou des toxicomanes. Pour ces derniers, toute occasion, telle qu’un contact avec une structure de prise en charge de la toxicomanie, ou une incarcération, doit être exploitée pour l’information dans un but de prévention et d’orientation vers le système de soins. Organiser la prise en charge L’objectif des réseaux, défini depuis 1995 (1), est d’offrir à tout patient atteint d’hépatite C une prise en charge de proximité et de qualité. Parmi les difficultés rencontrées à ce niveau, certaines, telles que l’absence de remboursement des tests biologiques ou la disponibilité restreinte de certains traitements, ne sont pas du ressort des réseaux et devraient être rapidement résolues par les autorités compétentes, car elles sont, au moins en partie, responsables de la concentration de la prise en charge de l’hépatite C dans les centres hospitaliers. Il en est de même pour l’extension restreinte des essais thérapeutiques, le plus souvent accessibles aux seuls centres universitaires, alors qu’il est recommandé d’inclure le plus possible les patients “hors AMM” dans ces protocoles. Même si ces problèmes étaient résolus, l’intervention des établissements de soins reste incontournable pour la réalisation de la biopsie hépatique et l’initiation du traitement. Le contact établi à cette occasion entre le spécialiste et le généraliste doit être utilisé pour organiser la suite du suivi en tenant compte des souhaits du patient et de son médecin. Ce système “à la carte” peut s’organiser dans le cadre de réseaux “ville-hôpital” couvrant des secteurs géographiques restreints, de façon à permettre des contacts personnels entre les différents participants. Il semble souhaitable de laisser à chacun le choix du degré de participation à ces réseaux, permanente ou transitoire, complète ou partielle, active ou non. Si le respect d’un cahier des charges bien défini est parfaitement justifié pour l’obtention d’un financement d’État (6), il est sans doute préférable de ne pas s’enfermer dans un cadre institutionnel trop rigide. Un réseau trop bien défini, où le rôle et la place de chacun sont scrupuleusement établis, risque de se limiter à un nombre restreint d’acteurs très motivés et d’exclure les médecins moins investis, car moins souvent confrontés au problème, en même temps que leurs patients (le pourcentage de médecins généralistes participant actuellement à un réseau hépatite C est estimé à 6 %) (5). Ménager une zone de fonctionnement informel, dans laquelle “tout est proposé, mais rien n’est imposé”, semble donc capital. Le pôle de référence La création des réseaux hépatite C régionaux autour d’un pôle de référence hospitalier a produit une fausse image du réseau, proche de la toile d’araignée au centre de laquelle le pôle de référence, à l’affût, attend avidement la capture de patients et de moyens. Les missions du pôle de référence, récemment redéfinies (2), ne concernent pas la prise en charge des patients dont le soin appartient à l’ensemble des médecins hospitaliers et libéraux, spécialistes ou généralistes. Dans le schéma choisi en Picardie en 1995, compte tenu des caractéristiques géographiques et démographiques de la région, le pôle de référence s’est 67 éditorial Éditorial d’emblée associé aux autres centres hospitaliers régionaux ayant mission d’organiser localement la prise en charge des patients en collaboration avec le secteur libéral. Son rôle spécifique (information, harmonisation des pratiques…) est mené en concertation avec des représentants des secteurs public et libéral de l’ensemble de la région, réunis sur la base du volontariat en structure associative. Ce cadre, dans lequel bien entendu beaucoup d’efforts restent à faire, associé aux grandes qualités humaines et scientifiques des participants de la première heure, nous a permis, me semble-t-il, d’éviter de tomber de la toile d’araignée dans le panier de crabes. L’efficacité d’un réseau thématique, consacré en l’occurrence à l’hépatite C, dépend, au moins en partie, de la bonne compréhension du rôle et de la position de chaque acteur, et en particulier du pôle de référence auquel ne doit être attaché aucun aspect hiérarchique ou directif. Ce type de réseau ne répond pas au départ, à l’inverse des réseaux de proximité, à un besoin ressenti spontanément par la totalité des éventuels participants. Une condition indispensable au bon fonctionnement d’un réseau de ce type et à la participation du plus grand nombre est que l’ensemble de ses acteurs, et en premier lieu les membres du pôle de référence, soient convaincus que tout participant doit bénéficier du réseau et non le subir. Références 1. Circulaire n°95/44 du 9 mai 1995. Direction générale de la Santé. 2. Circulaire n° 99/2999 du 21 mai 1999. Direction générale de la Santé. 3. Conférence de consensus. Conclusions et recommandations du Jury. Texte court. Hépatite C : dépistage et traitement. Gastroenterol Clin Biol 1997 ; 21 : S213-S216. 4. Zarski J.P., Leroy V. Facteurs de risque de transmission du virus de l’hépatite C. Gastroenterol Clin Biol 1997 ; 21 : S4-S10. 5. Babany G., Bourlière M., Chevalier H. et coll. Les médecins généralistes souhaitent-ils prendre en charge l’hépatite chronique virale C et participer aux réseaux ville-hôpital ? Enquête auprès d’un échantillon national. Gastroenterol Clin Biol 1999 ; 23 : 1289-95. 6. Circulaire n° 99/648 du 25 novembre 1999. Direction générale de la Santé. Act. Méd. Int. - Gastroentérologie (14) n° 3, mars 2000 68