Théorème des deux carrés Romain Giuge Le problème est de déterminer quels entiers n ∈ N sont sommes de deux carrés : n = a2 + b2 avec a, b ∈ N. On pose : Σ = {n ∈ N / ∃a, b ∈ N avec n = a2 + b2 }. On introduit Z[i] = {a + ib ∈ C / a, b ∈ Z} anneau euclidien, muni de la "norme" N (a + ib) = |z|2 = a2 + b2 , qui est clairement multiplicative. Théorème (Théorème des deux carrés, version faible). Soit p ∈ N un nombre premier. On a l'équivalence : p ∈ Σ ⇐⇒ p = 2 Démonstration. ou p ≡ 1 [4]. Nous allons pouvoir raisonner uniquement par équivalence. D'abord : p ∈ Σ ⇐⇒ p n'est pas irréductible dans Z[i]. En eet, si p ∈ Σ, p = a2 + b2 = (a + ib)(a − ib). Comme p est premier, on a nécessairement a 6= 0 et b 6= 0. Donc a + ib et a − ib ne sont pas dans Z[i]∗ = {1, −1, i, −i}. Donc p n'est pas irréductible dans Z[i]. Réciproquement, si p = zz 0 avec z, z 0 6∈ Z[i]∗ = {1, −1, i, −i}, on a N (p) = N (z)N (z 0 ) = p2 et comme N (z), N (z 0 ) 6= 1, on a p = N (z) = N (z 0 ). Donc en particulier, p = N (z) = N (a + ib) = a2 + b2 ∈ Σ. Ensuite, Z[i] est euclidien, donc principal, donc factoriel, et donc : p est réductible dans Z[i] ⇐⇒ (p) n'est pas premier ⇐⇒ Z[i]/(p) n'est pas intègre (par dénition). Par ailleurs, on a Z[i] ∼ = Z[X]/(X 2 + 1). Pour le voir, on dénit ϕ : Z[X] → Z[i] avec ϕ(X) = i. Alors ϕ est un morphisme d'anneaux surjectif. Si P ∈ Z[X] est tel que ϕ(P ) = 0, on eectue la division euclidienne de P par X 2 +1 : P = (X 2 +1)Q+R. Donc ϕ(P ) = 0 implique R(i) = 0, mais R est de degré 6 1 et la famille (1, i) est libre, donc R = 0. Finalement Ker(ϕ) = (X 2 + 1), et Z[X]/Ker(ϕ) ∼ = Z[i]. On obtient alors les isomorphismes suivants par le théorème d'isomorphisme : Z[i]/(p) ∼ = Z[X]/(X 2 + 1) /(p) ∼ = Z[X]/(X 2 + 1, p) ∼ = Z[X]/(p) /(X 2 + 1) ∼ = (Z/pZ)[X]/(X 2 + 1) = Fp [X]/(X 2 + 1). 1 On poursuit alors nos équivalences : Z[i]/(p) n'est pas intègre ⇐⇒ Fp [X]/(X 2 + 1) n'est pas intègre ⇐⇒ (X 2 + 1) n'est pas premier ⇐⇒ X 2 + 1 est réductible sur Fp , La dernière équivalence est justiée par le fait que Fp est factoriel (car c'est un corps), donc aussi Fp [X]. On poursuit encore : X 2 + 1 est réductible sur Fp ⇐⇒ X 2 + 1 admet une racine dans Fp ⇐⇒ −1 est un carré dans F∗p ⇐⇒ p = 2 ou p ≡ 1 [4]. Pour justier la dernière équivalence lorsque p 6= 2, on considère, pour q = p ou plus généralement q = pr avec r > 1, le morphisme de groupes (groupes multiplicatifs) ϕ : F∗q −→ F∗2 q 2 x 7−→ x 2 ∗ ∗ qui est surjectif (F∗2 q = {x ∈ Fq / ∃y ∈ Fq , x = y }). Son noyau vaut {−1, 1} car le polynôme X 2 − 1 admet au plus deux racines, ce sont donc −1 et 1. Donc q−1 ∗2 ∼ ∗ Im(ϕ) = F∗2 q = Fq /Ker(ϕ). En prenant les cardinaux, on obtient Card(Fq ) = 2 . On montre ensuite que n o q−1 2 F∗2 = x ∈ F / x = 1 . q q En eet, en notant X le deuxième ensemble, son cardinal est 6 q−1 (nombre de 2 q−1 ∗2 racines maximum du polynôme X 2 − 1). D'autre part si x ∈ Fq , alors x = y 2 , q−1 et donc x 2 = y q−1 = 1. Donc F∗2 q ⊂ X . Pour une raison de cardinal, on conclut l'égalité. A présent, on a : −1 ∈ F∗2 ⇔ (−1) p p−1 2 =1 ⇔ p−1 est pair ⇔ p ≡ 1 [4]. 2 (Théorème des deux carrés). Soit n ∈ N∗ , n 6= 1. Q vp (n) premiers : n = . Alors on a l'équivalence : p∈P p Théorème facteurs n ∈ Σ ⇐⇒ vp (n) Démonstration. est pair pour tout On décompose p ≡ 3 [4]. On traduit la propriété n ∈ Σ en termes d'entiers de Gauss : n ∈ Σ ⇐⇒ ∃z ∈ Z[i] tel que n = N (z). 2 n en Alors comme N est multiplicative, si n, n0 ∈ Σ, alors n = N (z) et n0 = N (z 0 ), et donc nn0 = N (zz 0 ) ∈ Σ. Le sens indirect de l'équivalence est donc immédiat grâce à la version faible du théorème des deux carrés : n est un produit de nombres premiers pi , avec pi ∈ Σ si pi = 2 ou pi ≡ 1 [4], et si pi ≡ 3 [4], on a p2i ∈ Σ car un carré un toujours dans Σ (en eet, p2i = p2i + 0). Montrons le sens direct. Soit p ≡ 3 [4]. On va montrer par récurrence sur vp (n) que vp (n) est pair. Si vp (n) = 0, c'est clair. Sinon, p divise n = a2 + b2 = (a + ib)(a − ib). D'après les résultats précédents, p 6∈ Σ (car p ≡ 3 [4]), et ceci est équivalent à p est irréductible dans Z[i]. Donc p divise (a + ib) ou (a − ib). Or p est entier, donc p divise a et b. On écrit a = pa0 et b = pb0 . Alors pn2 = a02 + b02 ∈ Σ. Mais vp pn2 = vp (n) − 2 est pair d'après l'hypothèse de récurrence, donc aussi vp (n). (Théorème d'isomorphisme). Soit f : A → B un homomorphisme d'anneaux. On note I = Ker(f ). Soient J ⊂ I un idéal de A et p : A → A/J la projection Théorème canonique. Alors : (i) Il existe un unique homomorphisme (ii) f est injectif si et seulement si (iii) f est surjectif si et seulement si En particulier, on a f : A/J → B tel que f = f ◦ p. J = I. f l'est. Im(f ) ∼ = A/Ker(f ). Justication de Fp est factoriel : Fp est un corps, donc Fp est engendré par 1 en tant qu'idéal. Tout idéal de Fp non réduit à {0} contient 1 (s'il contient x 6= 0, il contient x−1 x = 1), donc vaut Fp . Les idéaux de Fp sont {0} = (0) et Fp = (1) qui sont bien principaux. Donc Fp est principal, donc factoriel. Remarque. Proposition. On a Z[i]∗ = {−1, 1, −i, i}. Si z ∈ Z[i]∗ , il existe z 0 ∈ Z[i] tel que zz 0 = 1. Donc N (zz 0 ) = N (z)N (z 0 ) = N (1) = 1. Comme N (z), N (z 0 ) ∈ N, cela implique N (z) = N (z 0 ) = 1. En écrivant z = a + ib, on a donc a2 + b2 = 1, d'où le résultat. Démonstration. Proposition. L'anneau Z[i] est euclidien (relativement à N ), donc principal. Soient z, t ∈ Z[i]\{0}. Pour faire la division euclidienne de z par t, on commence par considérer zt ∈ C. On approxime zt par un entier de Gauss q : si z = x + iy , on prend q = a + ib où a et b sont les entiers les plus proches de x et y . t On a ainsi : s 2 √ 2 z p 1 1 2 2 2 + = < 1. − q = (x − a) + (y − b) 6 t 2 2 2 Démonstration. 3 On pose alors r = z − qt ∈ Z[i] est tel que |r| = |t| zt − q < |t|. On élevant au carré, on obtient N (r) < N (t). On a donc bien écrit z = qt + r avec N (r) < N (t). Remarque. On peut expliciter un isomorphisme d'anneaux pour montrer que Z[i]/(p) ∼ = (Z/pZ)[X]/(X 2 + 1). En eet, soit ϕ: Z[i] −→ (Z/pZ)[X]/(X 2 + 1) a + ib 7−→ a + bΠ(X) où Π : (Z/pZ)[X] → (Z/pZ)[X]/(X 2 + 1) est la surjection canonique. On vérie alors que ϕ est un morphisme d'anneau surjectif (facile), de noyau (p) = pZ[i] (facile aussi). Proposition. Soit (i) L'idéal (ii) Si A l'idéal (p) A un anneau intègre. On a : est premier implique p est irréductible. est factoriel, alors la réciproque est vraie : (p) p est irréductible implique est premier. (i) Soit (p) un idéal premier. Alors si p = ab, on a ab ∈ (p), et comme (p) est premier, cela implique a ∈ (p) ou b ∈ (p). Si par exemple a ∈ (p), alors p divise a : a = pc, c ∈ A. On a donc p = ab = pbc. Comme A est intègre, cela implique bc = 1, i .e. b ∈ A∗ . Donc p est irréductible. Démonstration. (ii) Soit p irréductible. Soit ab ∈ (p). Alors il existe k ∈ A tel que ab = kp. Comme A est factoriel, on peut décomposer a, b et k de façon unique en produit de facteurs irréductibles à une unité de l'anneau près. En comparant les décompositions de ab et kp, on obtient que p divise a ou b. Donc a ∈ (p) ou b ∈ (p), ce qui prouve que (p) est premier. Références : Perrin - Cours d'algèbre - Page 56. 4