INTRODUCTION ETIOLOGIES DES HYPEREOSINOPHILIES Stricto sensu, « éosinophilie » signifie augmentation du nombre des polynucléaires éosinophiles, mais couramment on utilise le terme d'hyperéosinophilie. La découverte d'une hyperéosinophilie sanguine (HE) est une situation fréquente. Souvent, cette découverte est fortuite lors d'un "bilan de santé" chez un sujet sain. Moins fréquemment, il s'agit d'un élément entrant dans le cadre des explorations effectuées lors de maladies parasitaires ou allergiques. L'HE est définie par un nombre de polynucléaires éosinophiles sanguins supérieur à 500/mm3 soit 0,5 G/l, ce chiffre doit être estimé en nombre absolu et non en pourcentage et doit être relativisé en fonction du contexte personnel et géographique. Il existe des variations physiologiques de cette numération, soit en fonction de l’âge (valeurs plus élevées chez l’enfant), soit en fonction du nycthémère (valeur plus faible à midi). On parle d'hyperéosinophilie modérée pour une valeur inférieure à 1000 éléments/mm3, élevée pour une valeur comprise entre 1000 et 2500 éléments/mm3 et massive pour une valeur supérieure à 2500 éléments/mm3. Il est indispensable d'avoir recours à au moins deux hémogrammes successifs pour confirmer cette anomalie de la formule sanguine. L’hyperéosinophilie pose un problème de diagnostic étiologique car on décrit plus de 100 situations pathologiques comportant une hyperéosinophilie. Les étiologies les plus courantes sont : les parasitoses, les allergies, les maladies cutanées, les collagénoses et les affections malignes. Une hyperéosinophilie chronique ne doit jamais être ignorée et doit être explorée, car elle peut être le signe d’une affection grave comme une cardiomyopathie dans le cadre d'un syndrome hyperéosinophilique essentiel (SHE). PHYSIOLOGIE DU POLYNUCLEAIRE EOSINOPHILE Les polynucléaires éosinophiles (PNE) sont produits par la moelle osseuse. Ils effectuent un passage de quelques heures dans le sang, puis ils migrent vers les tissus (en particulier la peau, les poumons et le tube digestif). Ils ont une demi-vie d'une dizaine de jours et sont ensuite détruits par les macrophages, entraînant l'apparition de cristaux de Charcot Leyden que l'on pourra retrouver dans les selles, les crachats et au sein des granulomes à éosinophiles. Les PNE sont impliqués dans les mécanismes d’hypersensibilité immédiate (anaphylaxie) au cours desquels de nombreux facteurs chimiotactiques sont libérés. Une fois présents sur le site d’action, les PNE ont un rôle de phagocytose et ils libèrent alors des enzymes présentes dans leurs granulations. Ces enzymes limitent la réaction allergique en inhibant les facteurs d’origine mastocytaire responsables des manifestations pathologiques. Les PNE ont également une fonction effectrice cytotoxique dans la défense de l’organisme contre les parasites. Ils sont capables de lyser in vitro des larves d’helminthes selon un mécanisme de cytotoxicité cellulaire, avec libération de substances capables de dégrader la paroi du parasite. Le PNE peut présenter aussi un effet délétère sur les tissus car les substances qu’il libère n’ont pas de site d’action spécifique et peuvent entraîner des lésions cellulaires, en particulier au niveau bronchique et pulmonaire (dans l’asthme ou le poumon éosinophile), au niveau endothélial et cardiaque (dans le syndrome hyperéosinophilique essentiel). Ces notions sont importantes à connaître, car elles incitent à ne pas laisser persister longtemps une HE. ① HYPEREOSINOPHILIE D’ORIGINE PARASITAIRE Le rapport entre HE et étiologie parasitaire est une notion banale pour le médecin, peut-être d'ailleurs trop souvent absolue et dont l'interprétation donne lieu à des confusions et des malentendus. Remarques générales concernant l'hyperéosinophilie et les parasitoses: -Toutes les parasitoses ne sont pas à l'origine d'une hyperéosinophilie L’HE sanguine des maladies parasitaires est due essentiellement aux helminthes, en particulier ceux ayant un cycle biologique nécessitant un passage intra-tissulaire. Plus rarement sont en cause d’autres parasitoses comme les myiases ou la gale. Les protozoaires (hématozoaires du paludisme, trypanosome de la maladie du sommeil, amibes, flagellés intestinaux…) ne modifient généralement pas le taux de PNE. La toxoplasmose et la giardiose, irrégulièrement, peuvent s'accompagner d'une discrète HE. -L'hyperéosinophilie varie selon le type de parasite : moins le parasite est adapté à l'homme et plus l'hyperéosinophilie est élevée (ex.: Larva migrans, trichinose, hypodermose, filariose à Burgia malayi) -L'hyperéosinophilie varie selon la localisation du parasite L'HE est importante dans le cas des parasites à contact tissulaire étroit et prolongé comme dans le syndrome de Larva migrans viscérale (toxocarose). L'hyperéosinophilie est transitoire dans le cas de parasites à cycle "interstitiel" puis digestif (ascaris, trichine, ankylostome, schistosome). Le nombre de PNE décroît lors du passage du parasite dans le tube digestif. L’élimination des œufs dans les selles est retardée de plusieurs semaines par rapport au pic d’éosinophilie. L'hyperéosinophilie est modérée dans le cas des parasites endocavitaires comme l’oxyure, le taenia, le trichocéphale… -L'hyperéosinophilie est une donnée fluctuante qui se mesure par des dosages répétés et dont il est important de connaître l'évolution. L'aspect classique de la courbe de Lavier est retrouvé pour de nombreuses helminthiases (distomatose hépatique, ascaridiose, taeniasis, ankylostomiase, schistosomiase) : temps de latence qui suit l'introduction du parasite dans l'organisme, puis ascension vers un taux maximal (qui correspond à la maturation de la larve et à sa migration), puis décroissance plus ou moins rapide de l'HE avec ou sans normalisation. Une HE massive et persistante est retrouvée dans la trichinose et la toxocarose (contact tissulaire permanent). Une HE cyclique oscillante évoque une anguillulose (auto-infestation) ou la loase. La remontée de l’HE correspond au début d’un nouveau cycle interne de migration tissulaire. -Devant une hyperéosinophilie, l'orientation diagnostique se fait en fonction des signes d'accompagnement : -signes cutanés (prurit généralisé ou localisé, prurigo, larva migrans, œdème dur) : loase, onchocercose, filariose lymphatique, anguillulose. -signes pulmonaires : dyspnée asthmatiforme (phase invasive d'ascaridiose, de bilharziose, d'anguillulose) -signes musculaires : trichinose, toxocarose -signes hépatiques : bilharziose d'invasion, bilharziose intestinale à la phase d'état, fasciolase, hydatidose -signes digestifs : douleurs épigastriques (ankylostomiase, anguillulose, anisakiase), douleurs abdominales et ballonnements (taeniasis), diarrhées (bilharziose intestinale, distomatose intestinale, trichocéphalose, anguillulose maligne) -prurit anal (oxyurose) -signes urinaires : hématurie, dysurie, infection urinaire (bilharziose urinaire), chylurie (filariose lymphatique) -L'hyperéosinophilie et les traitements anti-parasitaires Un pic d’éosinophilie au décours d’un traitement anti-parasitaire est un signe d’efficacité, il y a alors libération de matériel antigénique par lyse du parasite. Remarques générales concernant les limites de la parasitologie des selles L'examen parasitologique des selles (EPS) n'est positif qu'après maturation des larves en adulte. L'hyperéosinophilie est la plus élevée pendant la phase d'infestation lorsque le parasite est sous forme larvaire. Il y a donc décalage entre HE et positivité de l’examen parasitologique des selles. La recherche d'œufs d'helminthes dans les selles est toujours négative lors de la phase d'infestation. Cet examen doit être répété à plusieurs mois d'intervalle avant de conclure à sa négativité. La production d'œufs est discontinue, elle se traduit par l'existence de périodes "d'expression muette" sans émission d'œufs, ce qui justifie de répéter les examens de selles. Trois examens négatifs permettent d'écarter le diagnostic sans grand risque d'erreur. L'EPS est toujours négatif pour les parasites en impasse parasitaire (toxocarose, trichinose, anisakiase). Remarques générales concernant les limites de la sérologie parasitaire La synthèse sérique d'Ac est parallèle à la montée des éosinophiles sanguins. Les dosages sériques doivent être répétés pour mettre en évidence une ascension des Ac, seule véritablement significative. La fréquence des réactions croisées en cas d'helminthiases rend leur interprétation délicate. Les parasites strictement endocavitaires (oxyure, trichocéphale) n’induisent pas la synthèse d’Ac sériques. Le diagnostic repose sur la sérologie, confirmée par le Western-blot car il existe des réactions croisées avec certaines helminthiases (anguillulose, filariose, taenisasis). L'EPS sera toujours négatif. Les formes majeures sont rares. La symptomatologie associe une hépatomégalie importante, de la fièvre, des troubles respiratoires et une asthénie avec éventuellement manifestations neurologiques et oculaires. L'HE est massive et persistante > 20 x 109/l avec une augmentation franche de la VS, une hypergammaglobulinémie et souvent une anémie microcytaire hypochrome. Le diagnostic de certitude ne pourra être établi que sur des données anatomopathologiques (larves dans les coupes de ponction de foie). -la trichinose doit être évoquée chez les chasseurs (contamination par ingestion de viande de sanglier) ou lors d'épidémies urbaines (contamination par ingestion de viande de cheval et de porc). Les principaux signes cliniques sont les troubles digestifs (diarrhée, nausées, vomissements), la fièvre, l'œdème de la face ou des membres et les myalgies. L'HE est précoce, elle apparaît 2 semaines après la contamination avant même les signes cliniques, elle est maximale à la 5ème semaine et se normalise en 12 semaines. Les enzymes musculaires (CPK) sont élevées. Le diagnostic est confirmé par la sérologie qui se positive 20 jours après l'infestation et par la biopsie musculaire (si nécessaire). -l’ascaridiose se voit en zone rurale, elle est due à l’ingestion de végétaux souillés. Au stade larvaire, le diagnostic sera évoqué devant l'hyperleucocytose avec HE. L’'EPS demeure négatif jusqu'au 60ème jour après l'infestation quand l'HE est déjà en forte régression. Les réactions sérologiques sont difficiles à interpréter en raison des réactions croisées. Au stade adulte, l'HE est modérée voire absente. Le diagnostic repose sur l'EPS et la mise en évidence d'œufs d'ascaris. Rarement, on découvre un ver adulte dans les selles. -l’oxyurose est une parasitose principalement infantile. Les enfants se contaminent par géophagie ou par contact avec des objets souillés. On observe un prurit anal nocturne, voire un prurit vulvaire chez la fillette, et une irritabilité caractéristiques Le diagnostic peut être effectué par observation de vers adultes à la surface des selles. La recherche des œufs doit se faire par le test de Graham (scotch test) : le matin, avant la toilette et avant toute défécation, on applique un ruban de cellophane adhésive sur la peau déplissée de la marge anale. Ce test doit être répété s'il est négatif et prescrit à la famille et/ou la collectivité. parasitoses autochtones. -la trichocéphalose est une parasitose cosmopolite, le plus souvent asymptomatique, à transmission tellurique. L'HE augmente progressivement pendant l'incubation (un mois) mais régresse rapidement si bien qu'au moment où le malade est vu en consultation, en général pour des troubles digestifs mineurs, elle est normale ou subnormale et l'EPS met en évidence des œufs de trichocéphales. Le pouvoir pathogène est fonction du nombre de vers hébergés qui peuvent provoquer une anémie et une diarrhée sanglante si l'infestation est massive. -la distomatose hépatique à Fasciola hepatica est fréquente dans l’Aveyron et dans les régions d’élevage, la contamination se fait principalement par ingestion de cresson et de pissenlit. Lors de la phase d’invasion, l'examen clinique révèle une fièvre et une hépatomégalie douloureuse surtout à la palpation ; l'’HE est alors maximale et peut être considérable (10 à 30 x 109/l). Elle s'accompagne d'une hyperleucocytose. L'examen sérologique permet le diagnostic et la positivité de l'examen parasitologique des selles est retardée (3ème mois), la recherche des œufs dans le selles restant difficile. -le taeniasis est transmis par la viande de bœuf ou de porc contaminée, consommée crue ou peu cuite. C'est une des causes les plus fréquentes d'HE parasitaire. Les signes cliniques digestifs sont vagues. Le taux d'éosinophiles augmente pendant la phase de maturation du ver. Les examens sérologiques sont généralement non significatifs et leur valeur diagnostique est discutable. Le diagnostic sera confirmé avec l'élimination des anneaux, à partir de la 12ème semaine quand l'hyperéosinophilie est redevenue modérée. Le scotch test anal peut permettre la mise en évidence des œufs. -la toxocarose ou syndrome de Larva migrans viscérale est également très fréquente. Il existe une forme cutanée appelée « larbish ». Cette parasitose cosmopolite est endémique en France, en particulier dans la région MidiPyrénées. Il s'agit d'une zoonose parasitaire causée par l'errance, dans l'organisme humain de larves de Toxocara canis (ascaris du chien) ou Toxocara cati (ascaris du chat). La contamination s'effectue par géophagie (enfants) ou promiscuité avec les chiens. L'infestation se manifeste en général par une forme mineure qui associe asthénie, fébricule, myalgies (20% des cas), arthralgies au niveau de grosses ou moyennes articulations et parfois véritables arthrites. Les manifestations cutanées (prurit, urticaire, eczéma) ou pulmonaires (asthme) sont fréquentes. L'HE est modérée. Les IgE totales sont élevées et des IgE anti-toxocara sont décelées chez 75% des patients. Au début de la maladie on pourra noter une hépatite biologique qui involuera spontanément, ne laissant parfois persister qu'une élévation isolée de la GGT. -l'hydatidose : cette parasitose retrouvée dans les régions d’élevage est provoquée par les larves d'une cestode : Echinococcus granulosus. Cette affection cosmopolite se retrouve dans tous les pays où se pratique l'élevage de moutons. L'éosinophilie est le plus souvent normale, elle n'est élevée que dans le cas de fissuration du kyste. Plusieurs techniques sérologiques sont disponibles pour effectuer le diagnostic : 2 techniques sérologiques sont habituellement utilisées, l'une qualitative et l'autre quantitative. L'immunoélectrophorèse permet la mise en évidence de l'arc 5 caractéristique. Diagnostic clinico-biologique d'une HE d'origine parasitaire En pratique courante, il faut distinguer deux cas: le patient n’a jamais quitté la France : il faut alors penser aux -l’anisakiase ou granulome éosinophilique du tractus gastro-intestinal est due à la présence dans le tube digestif de l'homme d'une larve de nématode de la famille des Anisakidae, parasite de poisson au stade larvaire. L'homme s'infeste par consommation des poissons parasités. La diffusion de cette affection est due à l'accroissement de la consommation du poisson cru ou peu cuit (restaurants asiatiques). En outre, avec les nouvelles méthodes de pêche, les poissons sont stockés en chambre froide avant d'être éviscérés. L‘éviscération s'effectuant à l'arrivée au port, les larves ont ainsi eu le temps de quitter l'intestin pour gagner le muscle. Les symptômes de l'anisakiase sont essentiellement digestifs. A la phase d'invasion parasitaire (3 à 6 heures après le repas infestant), apparaissent des épigastralgies pseudo-ulcéreuses avec des vomissements, des nausées, de la diarrhée et des réactions allergiques. A la phase d'état, les troubles digestifs sont plus vagues, la larve se localise dans la muqueuse de l'estomac, du duodénum ou plus souvent du grêle, provoquant un tableau de tumeur clinique et radiologique, ou parfois un syndrome occlusif. L'EPS est toujours négatif. L'HE est normale dans les formes aiguës. Elle n'apparaît que 8 à 10 jours après l'infestation. La sérologie se positive dans les mêmes délais, elle est intéressante dans les formes chroniques mais présente de nombreuses réactions croisées. La fibroscopie permet de visualiser le parasite (ver de 2 à 3 cm) sur une muqueuse inflammatoire et permet son extraction. En cas de granulome à éosinophile, la larve est facilement identifiable en coupe, avec son tube digestif en "Y". -les myiases ou hypodermoses sont transmises par les mouches et les animaux. L'hypodermose n'est pas une helminthiase, elle est due à la présence dans l'organisme de larves de mouche du genre Hypoderma. L'HE est élevée sans relation avec l'intensité du parasitisme, elle peut exceptionnellement manquer. Le diagnostic est évident lorsque les larves, parvenues en quelques semaines au niveau du tissu sous-cutané, déterminent une myiase rampante ou furonculoïde. Parfois elles "s'égarent" dans le système nerveux ou l'œil, engendrant des troubles sévères. -la gale norvégienne : une HE modérée est souvent observée. -la toxoplasmose peut s’accompagner d’une HE surtout lorsqu’elle se manifeste par un syndrome mononucléosique. -la giardiase (ou lambliase) est très souvent méconnue car peu symptomatique donc non recherchée et non traitée. Elle s'accompagne d'une HE qui baisse après le traitement par FLAGYL. Le diagnostic repose sur la mise en évidence de formes kystiques dans les selles. le patient a voyagé en zone tropicale : On doit alors envisager d’autres parasitoses, spécifiques de ces pays. On évoquera seulement les plus fréquentes : -l’anguillulose est très répandue en climat tropical. La contamination est transcutanée avec processus d’auto-infestation. L’HE débute au bout de quelques semaines et elle est souvent élevée. Le diagnostic est difficile. Il faut utiliser des méthodes d'enrichissement des selles (Méthode de Baermann). Cette méthode n'est pas réalisée systématiquement lors de la réalisation d'un EPS et doit être demandée par le prescripteur lorsqu'un tel diagnostic est suspecté. -l’ankylostomiase est rencontrée dans les régions chaudes et humides (également en France dans les régions minières). Le mode de contamination est similaire à celui de l'anguillulose. Elle peut entraîner une anémie hypochrome hyposidérémique. L’éosinophilie est maximale au 3ème mois puis décroît. L'EPS peut mettre en évidence la présence d'œufs. -les filarioses lymphatiques : la loase, l’onchocerchose, la dracunculose Elles ont dues à des vers nématodes, les filaires. Les manifestation cliniques sont fonction de la localisation des vers adultes (macrofilaires), les embryons ou microfilaires se trouvant dans le sang circulant ou le suc dermique. L’HE est fréquente importante et prolongée, sans caractère particulier, exception faite de l'onchocercose où elle dépasse souvent 20%. La recherche de microfilaires sanguicoles nécessite de respecter les horaires de prélèvement en fonction de leur périodicité d'apparition : diurne vers 12h pour loa loa, nocturne vers minuit pour Wuchereria bancrofti. Le sérodiagnostic des filarioses est un complément utile à la recherche direct des microfilaires (seul diagnostic de certitude) dans le sang (loase, bancroft) ou le suc dermique (onchocercose). Toutefois l'importance des communautés antigéniques entre helminthes rend le diagnostic difficile. Pour pallier à ce défaut de spécificité, 2 techniques et deux antigènes au moins, sont nécessaires à la sérologie filarienne (IFI, immuno-précipitation). Les filarioses occultes (sans microfilarémie) sévissent en Asie. L’HE est très élevée et permanente avec un tableau clinique sévère : altération de l’état général, fièvre, foyers pulmonaires multiples. -les bilharzioses ou schistosomiases sont contractées lors des baignades en eau douce. L’éosinophilie est surtout importante pendant la phase d’invasion. Le diagnostic se fait par la découverte d'œufs dans les selles, au besoin par biopsie de la muqueuse rectale ou bien dans les urines (sédiment urinaire). Les test immunologiques en immunofluorescence sont d'une grande utilité. Remarque : le polyparasitisme étant fréquent en zone tropicale, il ne faut pas s'arrêter au premier EPS qui décèle un parasite, d'autres pouvant n'être mis en évidence qu'aux examens ultérieurs. ② HYPEREOSINOPHILIE D’ORIGINE ALLERGIQUE - Les maladies allergiques respiratoires : Dans l’asthme, l’éosinophilie est habituelle et modérée. Les rhino-pharyngites et le coryza saisonnier peuvent s’accompagner d’une HE modérée. -Les maladies allergiques cutanées (urticaire, eczéma) peuvent s’accompagner d’une HE. - Les maladies allergiques digestives sont des pathologies rares. On évoque une gastro-entérite à éosinophiles lorsque le déclenchement des troubles et la montée de l’éosinophilie ont lieu après ingestion de certains aliments. - Les allergies médicamenteuses : Les médicaments les plus fréquemment rencontrés dans ces troubles sont les antibiotiques (surtout pénicillines, céphalosporines, tétracyclines), les antituberculeux, les antifongiques, les psychotropes, les cytotoxiques, les sulfamides, les sels d’or, les dérivés iodés, les extraits hépatiques, la vitamine B12, l’allopurinol. Le diagnostic se fait par l’observation de la disparition des troubles cliniques et biologiques à l’arrêt du traitement. - Les réactions toxi-allergiques : pathologies professionnelles (nickel, benzol) ③ HYPEREOSINOPHILIE DES COLLAGENOSES Certaines collagénoses entraînent une HE importante : - Dans la périartérite noueuse, l’éosinophilie est surtout importante lorsque le patient souffre de lésions pleuro-pulmonaires. Les poussées d’HE semblent correspondre aux phases évolutives de la maladie. - Dans les formes graves de polyarthrite rhumatoïde avec lésions viscérales multiples, on peut noter également une HE. -Les autres collagénoses (dermatomyosite, sclérodermie, lupus érythémateux disséminé…) peuvent être associées à une HE modérée. ④ HYPEREOSINOPHILIE DES DERMATOSES En dehors des dermatoses allergiques et parasitaires dont on a déjà parlé plus haut, de nombreuses affections cutanées s’accompagnent d’une HE modérée. C’est le cas par exemple de la dermatite herpétiforme, du pemphigus, du psoriasis, de l’eczéma, de l’ichtyose, des maladies bulleuses auto-immunes, de la toxidermie... ⑤ HYPEREOSINOPHILIE ET HEMOPATHIES MALIGNES En hématologie, une hyperéosinophilie peut correspondre, soit à une prolifération clonale (hémopathie maligne à éosinophiles ou à composante éosinophile : LMC, LMMC t(5,12), LAM4, sarcome granulocytaire), soit n'être que réactionnelle à la présence d'une hémopathie maligne. Dans ce cas, les cellules malignes sécrètent des cytokines ou des facteurs recrutant ou faisant proliférer les éosinophiles (IL5, IL3, GM-CSF). Les hémopathies malignes pouvant s'accompagner d'une éosinophilie sont essentiellement les suivantes : -syndromes myéloprolifératifs (LMC, Polyglobulie de Vaquez) -syndromes myélodysplasiques et assimilés -certaines leucémies aiguës myéloïdes -certaines leucémies aiguës lymphoblastiques -syndromes lymphoprolifératifs : lymphomes malins non-Hodgkiniens T, maladie de Hodgkin, maladie de Sézary. ⑥ HYPEREOSINOPHILIE DES IRRADIATIONS La radiothérapie entraîne fréquemment une éosinophilie transitoire. L’exposition professionnelle aux radiations ionisantes peut entraîner une éosinophilie, qui représente un signe d’appel d’intolérance hématologique. ⑦ HYPEREOSINOPHILIE DES MALADIES INFECTIEUSES Certaines infections bactériennes s’accompagnent, au moment de la convalescence, d’une HE généralement modérée. C’est le cas de la scarlatine, des pneumonies à pneumocoque, de la salmonellose, de la tuberculose, de la brucellose, de la lèpre et de la syphilis. Il en est de même pour certaines infections virales (HIV, EBV) et certaines mycoses (seules l’aspergillose et la coccidiomycose entraînant une HE). ⑧ HYPEREOSINOPHILIE DE CAUSES DIVERSES De nombreuses pathologies, très diverses, peuvent entraîner des éosinophilies plus ou moins importantes : -certains déficits immunitaires congénitaux -certaines maladies digestives dysimmunitaires comme la rectocolite hémorragique, la maladie de Crohn, l’hépatite chronique active -certaines affections hématologiques constitutionnelles (maladie de Fanconi) -après splénectomie -après greffe de moelle osseuse allogénique -au cours de réaction du greffon contre l’hôte -au cours des pancréatites aiguës -au cours de la maladie d’Addison -au cours de l’infarctus du myocarde… ⑨ LE SYNDROME HYPEREOSINOPHILIQUE ESSENTIEL (SHE) La définition de ce syndrome (appelé encore syndrome d'hyperéosinophilie idiopathique) est la suivante : HE > 1 500/mm3 retrouvée pendant au moins 6 mois, sans cause décelable, s'accompagnant de lésions viscérales. Ce syndrome touche principalement les individus masculins. Cliniquement, on note une altération de l'état général comprenant asthénie, amaigrissement, anorexie voire fièvre. Les atteintes viscérales sont variées, en relation avec une infiltration des tissus par les éosinophiles. Les manifestations cardiaques sont les suivantes : souffle systolique, insuffisance cardiaque, embolies artérielles multiples, dyspnée. L'HTA est fréquente dans ces cas. L'ECG peut montrer des troubles de la conduction. L'échographie cardiaque permet d'objectiver les conséquences de la cardiopathie éosinophilique. L'évolution se fait vers la fibrose endomyocardique. Les manifestations neurologiques sont : -directement liées à l'éosinophilie, centrales (troubles de la conscience, ataxie) ou périphériques (mono ou multinévrites) -conséquentes à des embolies artérielles avec signes de focalisation Des manifestations cutanées (rashs, éruptions maculeuses, eczéma…), pulmonaires (épanchements pleuraux, embolies pulmonaires…), digestives (diarrhées, malabsorption et douleurs abdominales, atteinte hépatique avec cholestase et cytolyse modérée) sont souvent observées. L'évolution de ce syndrome est spontanément défavorable (hémopathie ou atteinte viscérale avec cardiopathie). CONDUITE DIAGNOSTIQUE DEVANT UNE HYPEREOSINOPHILIE Avant d'envisager toute démarche étiologique il est indispensable de réunir les critères définissant l'HE : - nombre absolu de polynucléaires éosinophiles > 500/mm3 - retrouvés à deux contrôles successifs (dans un délai de 2 à 3 semaines) Ainsi seront d'emblée écartées les pseudo-HE et les HE labiles (allergisation transitoire). Il faut aussi rechercher des numérations antérieures pour dater la découverte de l'HE et pour apprécier sa cinétique. Interrogatoire et examen clinique Le premier temps indispensable de la démarche diagnostique est le recueil d’informations sur le patient, qui permettra le plus souvent d’établir l’étiologie de l’HE et évitera des investigations longues et coûteuses. L’interrogatoire portera sur la profession, l’origine géographique et les voyages récents ou non (la strongyloïdose est une affection dont la longévité dépasse 40 ans), les habitudes alimentaires, les allergies connues, les contacts avec des animaux, la prise de médicaments (toutes substances peut a priori être suspectée). La singularité de certains signes cliniques pourra orienter vers une parasitose donnée (syndrome de Löffler…) Une radiographie pulmonaire pourra se révéler nécessaire en cas de symptomatologie pulmonaire (poumon éosinophile). On pourra ainsi éliminer une cause évidente telle qu'une maladie infectieuse (tuberculose, streptococcies, fièvre typhoïde…), une dermatose prurigineuse ou bulleuse, une allergie aiguë en particulier médicamenteuse. Examens biologiques L'hémogramme de contrôle doit être systématique. Une VS élevée permet d'orienter, en pathologie helminthique, vers certaines parasitoses en phase d'invasion (bilharziose, distomatose à F. hepatica, trichinose, Larva migrans viscérale massive) Le dosage des IgE totales est un examen "pivot". L'augmentation du titre des IgE totales est retrouvée dans la plupart des helminthiases (sauf le taeniasis). Elle peut manquer chez les individus non répondeurs ou porteurs d'une helminthiase ancienne. Les HE induites par les médicaments, ou non allergiques, ne s'accompagnent pas généralement d'une élévation du taux des IgE totales. Dosage des IgE spécifiques : La recherche d'une allergie chronique, orientée le plus souvent par l'interrogatoire (allergie ORL, respiratoire, cutanée) pourra nécessiter la recherche et le dosage des IgE spécifiques des principaux pneumallergènes. Une forte positivité pour Aspergillus fumigatus, jointe à une clinique et une radiologie évocatrices, orienteront alors vers une bronchopneumonie aspergillaire allergique. L'examen parasitologique des selles permettra un diagnostic de certitude mais les faux négatifs sont fréquents (faible charge parasitaire, helminthe peu prolifique ou immature) d'où la règle traditionnelle d'effectuer 3 examens séparés chacun de quelques jours. Devant une notion d'HE tropicale, il faudra ajouté les examens parasitologiques adaptés en fonction des renseignements épidémiologiques (voir § hyperéosinophilie parasitaire). Le sérodiagnostic des helminthiases sera effectué de façon groupée (ascaridiose, distomatose, hydatidose, strongyloïdose et toxocarose) car les signes cliniques d'accompagnement sont souvent peut spécifiques. En cas de notion d'HE tropicale, les sérodiagnostics de filarioses et de schistosomiases seront ajoutés. Une autre raison de grouper les immunodiagnostics des helminthiases mais aussi de doubler les techniques est l'existence de communautés antigéniques à l'origine de possibles réactions croisées souvent très informatives. Remarque : certains signes biologiques associés à l’HE peuvent aussi avoir une grande valeur indicative (anémie hypochrome dans l’ankylostomiase par exemple). Lorsque ces investigations s'avèrent sans résultat, la conduite ultérieure peut s'envisager de 2 façons : soit l’HE est > 1500/mm3 et/ou associée à des signes cliniques (altération de l'état général) ou biologiques (syndrome inflammatoire) : il est indispensable de poursuivre l'enquête étiologique. Deux grands types d'affections doivent alors être recherchés : les maladies inflammatoires et les néoplasies. soit HE est isolée et inférieure à 1500/mm3, il faut exercer une surveillance clinique et biologique mensuelle, 2 situations peuvent se présenter : -l'HE régresse spontanément -elle persiste voire s'aggrave. Dans ce dernier cas, il faut reprendre l'enquête parasitologique et éventuellement entreprendre un traitement d'épreuve réalisé sous surveillance clinique (utilisation d'un anti-helminthique à large spectre, type albendazole). Un contrôle de l'éosinophilie sanguine, pratiqué un mois plus tard, montre l'éventuelle efficacité du traitement. Ce n'est qu'en cas de persistance de l'HE au-dessus de 1500/mm3 pendant un délai supérieur à 6 mois sans aucune étiologie repérable que l'on pourra envisager le diagnostic de syndrome hyperéosinophilique essentiel. Cette affection peut engager le pronostic vital d'une part du fait de manifestations cardiaques ou neurologiques sévères et d'autre part du fait du risque de survenue d'une leucémie à éosinophiles. CONCLUSION En conclusion, dans plus de ¾ des cas le diagnostic étiologique d'une HE est révélé par un bon interrogatoire, un examen clinique complet et des examens complémentaires simples. Lorsque cette démarche initiale n'est pas concluante, on peut être amené, en particulier lorsque l'HE est nette et persistante, à réaliser des investigations plus lourdes afin de ne pas méconnaître une maladie telle qu'une collagénose ou une néoplasie. Sylvie EYRARD, Jean-Pierre BOUILLOUX Prochain sujet : choix et intérêts des paramètres biologiques d'évaluation de l'état nutritionnel du sujet agé.