Revue Médicale Suisse
–
www.revmed.ch
–
8 octobre 2014 1857
partition normale. De telles «ondulations» de la courbe des
éosinophiles sont évocatrices de cette infection.8 C’est cer-
tainement ce qui s’est passé pour la patiente décrite dans
cet article mais le traitement stéroïde a également pu jouer
un rôle. Ce cycle de réinfestation permet, en l’absence de
traitement, la persistance d’une infection fruste ou asymp-
tomatique pendant des années.
Anguillulose et immunosuppression : syndrome
d’hyperinfection
L’anguillulose est le plus souvent peu symptomatique
ou asymptomatique et c’est l’éosinophilie qui fait recher-
cher cette infection chez des personnes vivant ou ayant sé-
journé dans des zones endémiques. Les formes graves sont
rares en l’absence d’immunosuppression. Par contre, toute
atteinte de l’immunité, en particulier cellulaire, prédispose
à une accélération majeure du cycle d’auto-infestation se
traduisant par une augmentation massive des larves en cir-
culation (hyperinfection) puis une dissémination dans tout
l’organisme y compris le cerveau habituellement épargné.
Cette hyperinfection s’accompagne souvent de bactériémie
à bacilles Gram négatif qui contribue au sombre pronostic
de cette complication (jusqu’à plus de 80% de mortalité).
L’hyperéosinophilie est généralement absente dans ces
situations.9 Chez un patient ayant séjourné dans une zone
où l’anguillulose est endémique, il est important de recher-
cher systématiquement une infection à
S. stercoralis
avant
de débuter un traitement immunosuppresseur.8,10 Le diag-
nostic n’est cependant pas toujours facile comme nous
l’avons vu avec le cas décrit.
Diagnostic de l’anguillulose
Le diagnostic repose sur la mise en évidence, dans les
selles, de larves de
S. stercoralis
ou d’anticorps par la séro-
logie. La PCR, encore peu utilisée, pourrait certainement
s’avérer utile dans certaines situations.11
Détection des larves dans les selles
La mise en évidence de larves dans les selles affirme le
diagnostic mais la sensibilité, même avec les méthodes de
concentration, n’est pas optimale pour différentes raisons.
D’une part, le nombre de larves de
S. stercoralis
dans les
selles est très inférieur à celui d’autres parasites. Surtout
l’excrétion de larves est intermittente.8 Elles apparaissent
à partir de quatre semaines après la pénétration cutanée
(tableau 3). C’est l’explication vraisemblable des multiples
recherches négatives chez la patiente dont le voyage en
zone endémique était récent. Enfin, ces larves ne sont pas
excrétées continuellement pendant le cycle de réinfesta-
tion qui peut durer près de trois mois. Il faut donc effectuer
plusieurs examens et les répéter à distance en se souve-
nant que même trois ou quatre résultats négatifs ne per-
mettent pas d’exclure une anguillulose.12,13
Sérologie
La sérologie est très utile pour le diagnostic de l’infec-
tion à
S. stercoralis
. La sensibilité des tests ELISA commer-
ciaux est de 80 à 90% pour des infections symptomatiques
ou non et la spécificité est de 97%.14 Les anticorps ne sont
détectables que deux à quatre semaines après l’infesta-
tion. Selon l’anamnèse et la clinique, le test doit donc être
répété afin de mettre en évidence, comme dans le cas dis-
cuté, une séroconversion qui confirme l’infection récente. La
sérologie peut être faussement négative chez les patients
immunosupprimés. Les faux positifs sont dus en général à
des infections à d’autres helminthes.
Autres moyens diagnostiques
Aux examens endoscopiques, les plus souvent effectués
dans le cadre d’investigations pour des troubles digestifs,
des lésions non spécifiques sont observées sur tout le tractus
digestif. Les larves peuvent être souvent visualisées dans
les biopsies de la muqueuse atteinte.15
La PCR est peu utilisée pour ce diagnostic. Dans une
évaluation sur une population de migrants ou de voyageurs
au retour d’une région endémique, la PCR a permis de dé-
tecter la présence de
S. stercoralis
chez 0,8% des voyageurs
ou migrants contre 0,1% pour la microscopie.11
conclusion
Bien que les causes d’éosinophilie sévère ne soient pas
très nombreuses, le diagnostic étiologique n’est pas tou-
jours facile comme l’illustre bien le cas présenté dans cet
Eosinophilie maximum Durée de l’éosinophilie Diagnostic direct (œuf)
Ascaridiose 8-16 semaines Mois 9-11 semaines
Ankylostomose 3 mois Années 6-8 semaines
Anguillulose 1-2 mois Permanente 4-6 semaines
Bilharzioses 3-4 mois Années 2-3 mois
Loase Précoce Années 3-12 mois
Onchocercose Précoce Années 3-12 mois
Filarioses lymphatiques Précoce Années 3-12 mois
Distomatoses 8-16 semaines Années 3-4 mois
Taeniasis 4-8 semaines 3-4 mois 10-13 semaines
Tableau 3. Evolution de l’éosinophilie selon l’helminthiase et moment d’apparition des œufs dans les selles
05_10_38140.indd 4 02.10.14 09:43