neuro-frontières La neurologie et les autres spécialités : une approche transversale Neuro-Frontières Neuro-olfaction (IIe partie) C. Meyrignac*, G. Lelièvre** S ge antérieur de la base du crâne par tous les moyens i l’olfactologie fondamentale est entrée dans l’aire appropriés (scanner à de la neurobiologie moléculaire, l’approche fenêtre osseuse, IRM), si quotidienne des troubles de l’olfaction relève toujours le déficit olfactif reste Il n’existe pas de bilan du bon sens clinique. strictement isolé. Comme type d’un trouble de dans bien d’autres Ce n’est pas une raison pour s’en désintéresser. l’olfaction (1, 2) domaines, l’apparition des fibroscopes a “révoQuelle que soit la patholutionné” l’exploration du naso-pharynx, trouvent pas toujours à portée de main du logie, les tentatives d’élaboration de qu’il est désormais possible de réaliser, consultant, sauf péché de gourmandise ou bilan type conduisent à louvoyer dangede façon exhaustive, en consultation. Aucun période péri-prandiale immédiate. reusement entre deux écueils : la anosmique ne doit donc s’en priver ! recherche d’une vaine exhaustivité ou Il existe cependant un moyen facile de l’outrancière simplification. Celui que contourner ces petits problèmes méthodoRhinite atrophique et traumatisme nous proposons (Tableau I) ne saurait logiques souvent dissuasifs en dépit de crânien dominent les causes échapper à la règle. Il insiste sur la prileur trivialité lorsque le consultant est d’anosmie (Tableau II) mauté d’une clinique centrée sur l’interpressé : les kits scratch ‘n’ sniff (gratterLa fragilité de la muqueuse olfactive rogatoire et l’extrémité céphalique. En renifler). Dérivé du test référent (l’UPSIT, que sa fonction même expose à tout consultation, on ne dispose pas toujours voir encadré, p. 76), le pocket smell test vent, explique la large prédominance en temps réel de stimuli olfactifs normaconvient particulièrement, puisque, avec des causes loco-régionales relevant lisés qui permettent de confirmer sans trois arômes sur support papier, il contrid’agressions infectieuses ou toxiques, équivoque anosmie ou dysosmie. Le bue décisivement au diagnostic en moins au chapitre des anosmies. Les liens prirecours au flacon d’éther ou à l’éthanol de de 30 secondes… Seul problème, le prix : vilégiés du lobe olfactif avec le système désinfection n’est qu’un pis-aller. Ces 1,5 dollar (+ 20 % de frais de port !), avec olfactif rendent probablement compte molécules antiseptiques décapent les terla dégringolade de l’euro face au billet des perturbations précoces observées minaisons trigéminales plus qu’elles ne vert, cela mérite réflexion. L’étude des dans la maladie d’Alzheimer, voire dans titillent les délicats neurones olfactifs. potentiels évoqués olfactifs (PEO) permet d’autres maladies neurodégénératives. Il Elles ont au moins l’avantage de détecter théoriquement de compléter l’approche ne faut cependant pas perdre de vue simulateurs ou majorateurs fonctionnels. clinique par une démarche électrophysioqu’une analyse approfondie de l’olfacIls ne sont pas rares en pathologie postlogique, traçant la perméabilité des voies tion nécessite un minimum de fiabilité traumatique dès qu’il existe quelque olfactives, de l’odeur stimulante, à la cognitive chez le sujet examiné. Le diaenjeu médico-légal. Parfaitement “au parmodification d’activité cérébrale qu’elle gnostic éclair de la maladie fum” des subtilités de la physiologie induit. Une faible accessibilité réduit d’Alzheimer, par la seule étude de olfactive, ils auront propension à alléguer cependant l’intérêt direct de cet examen l’odorat, n’est donc pas pour demain. une anosmie totale, alors que la stimulalong et difficile. En guise de thérapeutique… tion est dissociée. Plus subtils et plus De même, une stratégie d’investigations adaptés à la détection des stimuli discrets, paracliniques uniques relèverait de Qualité reconnue du neurologue, le stoïcafé, peau d’orange ou chocolat ne se l’aberration : le bon sens et le civisme les cisme thérapeutique atteint son comble plus élémentaires invitent à ne pas soulors de la confrontation avec l’anosmettre à l’IRM toutes les rhino-pharynmique... Les plus audacieux instillent, avec un bonheur inégal, la muqueuse gites dont le diagnostic clinique s’impo* Service de neurologie, olfactive des rhinites atrophiques de corse par son évidence. Or, elles hôpital intercommunal, Créteil. ticoïdes locaux. En inhibant la phosphoreprésentent 30 à 40 % des causes diestérase, la théophylline modifie signid’anosmie. En revanche, il n’est pas tota** Service d’ORL, ficativement le contenu en second lement déraisonnable de visualiser l’étahôpital intercommunal, Créteil. Applications pratiques Act. Méd. Int. - Neurologie (1) n° 2, mai 2000 76 Tableau I. Bilan d’anosmie. Étiologies. INTERROGATOIRE Modalités évolutives du trouble ? – d’apparition de l’anosmie ? – brutal ou progressif ? – permanent ou intermittent ? (caractère saisonnier?) – performances olfactives antérieures ? " Caractéristiques de l’anosmie – totale ou partielle ? – existe-t-il une dysosmie? – bilatérale ou unilatérale ? " Antécédents et manifestations associées ? – existe-t-il un trouble du goût associé ? – traumatisme crânien ? – rhinopharyngite ? – rhinorrhée (ou toute forme d’écoulement nasal) ? – état grippal ? – obstruction nasale ? – signes d’appel neurologiques ? – intervention neurochirurgicale ou sur le massif maxillo-facial? – profession ? – prise de médicaments ? " L’EXAMEN CLINIQUE : LES POINTS IMPORTANTS " Tête et cou : – nez = rhinoscopie antérieure ou fibroscopie du naso-pharynx (état de la muqueuse nasale ? recherche de polypes ou de tumeurs ? de signes d’inflammation ?), recherche d’une rhinorrhée ? – oreilles = recherche d’une otite séreuse secondaire à une inflammation nasopharyngée, – cavité buccale, – cou = recherche d’adénopathies, – état cutané = dermite radique ? " Examen neurologique – paires crâniennes (syndrome de Garcin ?), – champ visuel, FO (syndrome de Forster Kennedy ?), – mémoire et fonctions supérieures (syndrome frontal ? recherche de maladie d’Alzheimer ?), – psychisme. Tableau II. Principales étiologies des troubles olfactifs. " Examen général – signes endocriniens (hypothyroïdie ? diabète ?), – signes de malnutrition (alcoolisme ? carence en zinc ?), – signes d’intoxication tabagique ? – fonctions gonadiques (syndrome de Kallman). ÉTUDE DE L’OLFACTION " Tests commercialisés UPSIT (University of Pensylvania Smell Identification Test) +++, microcapsules aromatiques de 10 à 15 µ de diamètre fixées sur un support papier à gratter et à renifler et ses dérivés (Pocket smell test). " 12 inches alccol test Un flacon d’alcool isopropylique est placé à 30 cm sous les narines du patient. " Stimuli odorants facilement accessibles en consultation : – peau d’orange +++, – chocolat, – prévoir un stimulus notoire des terminaisons trigéminales pour détecter majorations et/ou simulation (éther, ammoniac). " Investigations paracliniques – gustométrie chimique ou électrique, – potentiels évoqués olfactifs = expérimentaux, – IRM fonctionnelle = très expérimentale. EXAMENS COMPLÉMENTAIRES En fonction des constatations cliniques : " Neuro-imagerie – scanner avec fenêtre osseuse (étude de la base du crâne), – IRM encéphalique. " Bilan biologique – bilan biologique standard, – bilan endocrinien, – dosage de zinc, – dosage de toxique. 77 ANOSMIES ET HYPOSMIES " Lésions locales rhinite, radiations, tumeurs muqueuses (esthésioneuroblastomes), absence congénitale des récepteurs (syndrome de Kallman = anosmie + hypogonadisme primaire). " Lésions de la base du crâne – tumeurs osseuses, – traumatisme. " Lésions intra-crâniennes – tumeurs de l’étage antérieur de la base du crâne (méningiome + syndrome de Foster Kennedy = atrophie optique homolatérale, œdème papillaire controlatéral), – méningo-encéphalocèle, – hydrocéphalie, – maladies neurodégénératives (Alzheimer, Parkinson, Huntington). " Causes systémiques – hypothyroïdie, – alcoolisme et tabagisme, – dénutrition, carence en zinc, – médicaments : anti-amibiens (métronidazole), antibiotiques et antifongiques (amphotéricine B, ampicilline, lincomycine, éthambutol, tétracyclines), antimitotiques (méthotrexate, doxorubicine, vincristine), allopurinol, colchicien, D-pénicillamine, 5-thiopridoxine (écéphabol), antithyroïdiens, sympathomimétiques, opiacés (codéine, morphine), carbamazépine, lithium, phénytoïne), baclofen, – toxiques : benzène, hydrazine, formaldéhyde, menthol, CS2, solvants organiques, solvants, trichloréthylène, cadmium, acrylate, nickel). HYPEROSMIES – susceptibilités individuelles (variations menstruelles), – migraine. DYSOSMIES – traumatismes, – “névralgie olfactive”. HALLUCINATIONS OLFACTIVES – crises comitiales temporales (hippocampes), – psychoses (schizophrénie, dépressions endogènes). PERTES DE DISCRIMINATION OLFACTIVE – maladie d’Alzheimer et de Parkinson, – syndrome de Korsakoff. ÉCHANGER neuro-frontières Neuro-Frontières neuro-frontières Neuro-Frontières messager (AMP cyclic) du neurone bipolaire. Avec toute la puissance objective de l’image, l’IRM fonctionnelle a apporté une présomption d’efficacité chez 3 patients sur 4, souffrant d’hyposmie par rhinite ou traumatisme frontal (3), dans le cadre d’une petite étude ouverte. Avant que des cohortes plus nombreuses ne viennent concrétiser cet espoir thérapeutique naissant, l’appel à la résignation reste l’ultime recours, même si un suivi longitudinal laisse espérer quelques récupérations tardives (6 mois à 3 ans) des anosmies du tout-venant (postinfectieuses et traumatiques). Quelques conseils pratiques doivent assortir ces bonnes paroles. Typiquement anglosaxons, dans l’évidence simpliste de leur énoncé, les conseils prodigués par Cullen et Leopold (2) montrent que dans nos jungles urbaines, l’odorat n’a pas perdu toute fonction de survie (Tableau III). Tableau III. Conseils de survie à l’anosmique. – optimaliser les systèmes de détection d’incendie ; – éviter le chauffage et les appareils ménagers fonctionnant au gaz ; – se méfier des aliments avariés ou susceptibles de l’être (dates de péremption) ; – renforcer les saveurs alimentaires en privilégiant la stimulation trigéminale (piment +++). Chaque fois qu’ils peuvent être compensés, les préjudices d’agrément ou d’aptitude professionnelle doivent l’être. Act. Méd. Int. - Neurologie (1) n° 2, mai 2000 Variable d’un individu à l’autre, la perte d’agrément ne doit pas être sous-estimée : le parfum subtil d’une rose, les arômes subtils d’un grand cru ne peuvent que manquer à ceux qui en sont privés... Tandis qu’une gastronomie limitée à la seule stimulation des bourgeons du goût, réduit à peu de choses le plaisir de chaque repas. Quant au retentissement professionnel, il peut être majeur : un sommelier ou un parfumeur risquent l’ANPE en cas d’anosmie ! Ne prenant en compte que l’incapacité fonctionnelle, le barème des déficits fonctionnels séquellaires en droit commun, proposé par la société de médecine légale (4), accorde une compensation raisonnable pour le commun des mortels, mais nettement insuffisante pour un grand nom de la cuisine française (Tableau IV) ! Tableau IV. Indemnisation des troubles olfactifs en droit commun. – perte totale de l’odorat = 5 % ; – perte partielle de l’odorat = 2 à 3 % ; – majoration en cas de parosmies désagréables = 1 à 2 %. Références 1. Doty R. A review of olfactory dysfunction in man. A M J of otolaryngology 1979 ; 1 : 57-79. 2. Cullen M.M. et Lepold D.A. Disorders of smell and taste-otolaryngology for the internist. Medical Clinics of North America 1999 ; 1 : 57-79. 78 3. Levy M.M. et coll. Fincreased brain activation in reponse to odors in patients with hyposmia after theophylline treatment demonstrated by FMRI. J of computer assisted tomography 1998 ; 83 : 57-74. 4. Barême indicatif des déficits fonctionnels séquellaires en droit commun. 2 e éd. Concours Médical Paris 1993 ; 11-12. Quelques adresses et sites Web utiles : # taste & smell center : www3.uchc.edu/~taste/index.html # taste and smell center MC 1718, University of Connecticut Health Center, 263 Farmington Ave., Farmington Connecticut 06030-1718. Tél.: (860) 679-2459, Fax : (860) 679-1382. E-mail : [email protected]. edu nss.univ-lyon1.fr/olfac/ # Laboratoire de neurosciences et olfaction, Université Claude Bernard, Lyon 1, bâtiment 404, 43, boulevard du 11-novembre-1918. F-69622 Villeurbanne Cedex. Tél.: +33 04.72.44.81.17, Fax : +33 04.78.94.95.85. # le pocket smell test est commercialisé par : Sensonics, Inc. P.O. Box 112, Haddon Heights, NJ 08035. Tél.: (856) 547-7702, Fax : (856) 547-5665, (800) 547-8838. E-Mail : www.smelltest.com publicité gratuite.