Act. Méd. Int. - Neurologie (1) n° 2, mai 2000 76
Applications
pratiques
Il n’existe pas de bilan
type d’un trouble de
l’olfaction (1, 2)
Quelle que soit la patho-
logie, les tentatives d’élaboration de
bilan type conduisent à louvoyer dange-
reusement entre deux écueils : la
recherche d’une vaine exhaustivité ou
l’outrancière simplification. Celui que
nous proposons (Tableau I) ne saurait
échapper à la règle. Il insiste sur la pri-
mauté d’une clinique centrée sur l’inter-
rogatoire et l’extrémité céphalique. En
consultation, on ne dispose pas toujours
en temps réel de stimuli olfactifs norma-
lisés qui permettent de confirmer sans
équivoque anosmie ou dysosmie. Le
recours au flacon d’éther ou à l’éthanol de
désinfection n’est qu’un pis-aller. Ces
molécules antiseptiques décapent les ter-
minaisons trigéminales plus qu’elles ne
titillent les délicats neurones olfactifs.
Elles ont au moins l’avantage de détecter
simulateurs ou majorateurs fonctionnels.
Ils ne sont pas rares en pathologie post-
traumatique dès qu’il existe quelque
enjeu médico-légal. Parfaitement “au par-
fum” des subtilités de la physiologie
olfactive, ils auront propension à alléguer
une anosmie totale, alors que la stimula-
tion est dissociée. Plus subtils et plus
adaptés à la détection des stimuli discrets,
café, peau d’orange ou chocolat ne se
trouvent pas toujours à portée de main du
consultant, sauf péché de gourmandise ou
période péri-prandiale immédiate.
Il existe cependant un moyen facile de
contourner ces petits problèmes méthodo-
logiques souvent dissuasifs en dépit de
leur trivialité lorsque le consultant est
pressé : les kits scratch ‘n’ sniff (gratter-
renifler). Dérivé du test référent (l’UPSIT,
voir encadré, p. 76), le pocket smell test
convient particulièrement, puisque, avec
trois arômes sur support papier, il contri-
bue décisivement au diagnostic en moins
de 30 secondes… Seul problème, le prix :
1,5 dollar (+ 20 % de frais de port !), avec
la dégringolade de l’euro face au billet
vert, cela mérite réflexion. L’étude des
potentiels évoqués olfactifs (PEO) permet
théoriquement de compléter l’approche
clinique par une démarche électrophysio-
logique, traçant la perméabilité des voies
olfactives, de l’odeur stimulante, à la
modification d’activité cérébrale qu’elle
induit. Une faible accessibilité réduit
cependant l’intérêt direct de cet examen
long et difficile.
De même, une stratégie d’investigations
paracliniques uniques relèverait de
l’aberration : le bon sens et le civisme les
plus élémentaires invitent à ne pas sou-
mettre à l’IRM toutes les rhino-pharyn-
gites dont le diagnostic clinique s’impo-
se par son évidence. Or, elles
représentent 30 à 40 % des causes
d’anosmie. En revanche, il n’est pas tota-
lement déraisonnable de visualiser l’éta-
ge antérieur de la base du
crâne par tous les moyens
appropriés (scanner à
fenêtre osseuse, IRM), si
le déficit olfactif reste
strictement isolé. Comme
dans bien d’autres
domaines, l’apparition
des fibroscopes a “révo-
lutionné” l’exploration du naso-pharynx,
qu’il est désormais possible de réaliser,
de façon exhaustive, en consultation. Aucun
anosmique ne doit donc s’en priver !
Rhinite atrophique et traumatisme
crânien dominent les causes
d’anosmie (Tableau II)
La fragilité de la muqueuse olfactive
que sa fonction même expose à tout
vent, explique la large prédominance
des causes loco-régionales relevant
d’agressions infectieuses ou toxiques,
au chapitre des anosmies. Les liens pri-
vilégiés du lobe olfactif avec le système
olfactif rendent probablement compte
des perturbations précoces observées
dans la maladie d’Alzheimer, voire dans
d’autres maladies neurodégénératives. Il
ne faut cependant pas perdre de vue
qu’une analyse approfondie de l’olfac-
tion nécessite un minimum de fiabilité
cognitive chez le sujet examiné. Le dia-
gnostic éclair de la maladie
d’Alzheimer, par la seule étude de
l’odorat, n’est donc pas pour demain.
En guise de thérapeutique…
Qualité reconnue du neurologue, le stoï-
cisme thérapeutique atteint son comble
lors de la confrontation avec l’anos-
mique... Les plus audacieux instillent,
avec un bonheur inégal, la muqueuse
olfactive des rhinites atrophiques de cor-
ticoïdes locaux. En inhibant la phospho-
diestérase, la théophylline modifie signi-
ficativement le contenu en second
neuro-frontières
* Service de neurologie,
hôpital intercommunal, Créteil.
** Service d’ORL,
hôpital intercommunal, Créteil.
Neuro-olfaction
(IIe partie)
C. Meyrignac*, G. Lelièvre**
Neuro-Frontières
SSi l’olfactologie fondamentale est entrée dans l’aire
de la neurobiologie moléculaire, l’approche
quotidienne des troubles de l’olfaction relève toujours
du bon sens clinique.
Ce n’est pas une raison pour s’en désintéresser.
La neurologie
et les autres
spécialités :
une approche
transversale
77
ANOSMIES ET HYPOSMIES
"Lésions locales
rhinite, radiations, tumeurs muqueuses (esthésioneu-
roblastomes), absence congénitale des récepteurs
(syndrome de Kallman = anosmie + hypogonadisme
primaire).
"Lésions de la base du crâne
– tumeurs osseuses,
– traumatisme.
"Lésions intra-crâniennes
– tumeurs de l’étage antérieur de la base du crâne
(méningiome + syndrome de Foster Kennedy = atrophie
optique homolatérale, œdème papillaire controlatéral),
– méningo-encéphalocèle,
– hydrocéphalie,
maladies neurodégénératives (Alzheimer, Parkinson,
Huntington).
"Causes systémiques
– hypothyroïdie,
– alcoolisme et tabagisme,
– dénutrition, carence en zinc,
– médicaments : anti-amibiens (métronidazole), anti-
biotiques et antifongiques (amphotéricine B, ampicilli-
ne, lincomycine, éthambutol, tétracyclines), antimito-
tiques (méthotrexate, doxorubicine, vincristine),
allopurinol, colchicien, D-pénicillamine, 5-thiopri-
doxine (écéphabol), antithyroïdiens, sympathomimé-
tiques, opiacés (codéine, morphine), carbamazépine,
lithium, phénytoïne), baclofen,
– toxiques : benzène, hydrazine, formaldéhyde, men-
thol, CS2, solvants organiques, solvants, trichloréthy-
lène, cadmium, acrylate, nickel).
HYPEROSMIES
– susceptibilités individuelles (variations menstruelles),
– migraine.
DYSOSMIES
– traumatismes,
– “névralgie olfactive”.
HALLUCINATIONS OLFACTIVES
– crises comitiales temporales (hippocampes),
– psychoses (schizophrénie, dépressions endogènes).
PERTES DE DISCRIMINATION OLFACTIVE
– maladie d’Alzheimer et de Parkinson,
– syndrome de Korsakoff.
Tableau II. Principales étiologies des troubles olfactifs.
Tableau I. Bilan d’anosmie. Étiologies.
INTERROGATOIRE
"Modalités évolutives du trouble ?
– d’apparition de l’anosmie ?
– brutal ou progressif ?
– permanent ou intermittent ? (caractère
saisonnier?)
– performances olfactives antérieures ?
"Caractéristiques de l’anosmie
– totale ou partielle ?
– existe-t-il une dysosmie?
– bilatérale ou unilatérale ?
"Antécédents et manifestations
associées ?
– existe-t-il un trouble du goût associé ?
– traumatisme crânien ?
– rhinopharyngite ?
– rhinorrhée (ou toute forme d’écoule-
ment nasal) ?
– état grippal ?
– obstruction nasale ?
– signes d’appel neurologiques ?
– intervention neurochirurgicale ou sur le
massif maxillo-facial?
–profession ?
– prise de médicaments ?
L’EXAMEN CLINIQUE : LES POINTS IMPORTANTS
"Tête et cou :
– nez = rhinoscopie antérieure ou fibro-
scopie du naso-pharynx (état de la
muqueuse nasale ? recherche de polypes
ou de tumeurs ? de signes d’inflamma-
tion ?), recherche d’une rhinorrhée ?
–oreilles = recherche d’une otite séreuse
secondaire à une inflammation naso-
pharyngée,
– cavité buccale,
– cou = recherche d’adénopathies,
– état cutané = dermite radique ?
"Examen neurologique
– paires crâniennes (syndrome de
Garcin ?),
– champ visuel, FO (syndrome de Forster
Kennedy ?),
– mémoire et fonctions supérieures (syn-
drome frontal ? recherche de mala-
die d’Alzheimer ?),
– psychisme.
"Examen général
– signes endocriniens (hypothyroïdie ?
diabète ?),
– signes de malnutrition (alcoolisme ?
carence en zinc ?),
– signes d’intoxication tabagique ?
– fonctions gonadiques (syndrome de
Kallman).
ÉTUDE DE LOLFACTION
"Tests commercialisés
UPSIT (University of Pensylvania Smell
Identification Test) +++, microcapsules
aromatiques de 10 à 15 µ de diamètre
fixées sur un support papier à gratter
et à renifler et ses dérivés (Pocket smell
test).
"12 inches alccol test
Un flacon d’alcool isopropylique est
placé à 30 cm sous les narines du
patient.
"Stimuli odorants facilement
accessibles en consultation :
– peau d’orange +++,
chocolat,
– prévoir un stimulus notoire des termi-
naisons trigéminales pour détecter
majorations et/ou simulation (éther,
ammoniac).
"Investigations paracliniques
– gustométrie chimique ou électrique,
– potentiels évoqués olfactifs = expéri-
mentaux,
– IRM fonctionnelle = très expérimenta-
le.
EXAMENS COMPLÉMENTAIRES
En fonction des constatations cli-
niques :
"Neuro-imagerie
– scanner avec fenêtre osseuse (étude
de la base du crâne),
– IRM encéphalique.
"Bilan biologique
– bilan biologique standard,
– bilan endocrinien,
– dosage de zinc,
dosage de toxique.
ÉCHANGER
neuro-frontières
Neuro-Frontières
Act. Méd. Int. - Neurologie (1) n° 2, mai 2000 78
messager (AMP cyclic) du neurone bipo-
laire. Avec toute la puissance objective
de l’image, l’IRM fonctionnelle a appor-
té une présomption d’efficacité chez 3
patients sur 4, souffrant d’hyposmie par
rhinite ou traumatisme frontal (3), dans
le cadre d’une petite étude ouverte. Avant
que des cohortes plus nombreuses ne
viennent concrétiser cet espoir thérapeu-
tique naissant, l’appel à la résignation
reste l’ultime recours, même si un suivi
longitudinal laisse espérer quelques récu-
pérations tardives (6 mois à 3 ans) des
anosmies du tout-venant (postinfec-
tieuses et traumatiques). Quelques
conseils pratiques doivent assortir ces
bonnes paroles. Typiquement anglo-
saxons, dans l’évidence simpliste de leur
énoncé, les conseils prodigués par Cullen
et Leopold (2) montrent que dans nos
jungles urbaines, l’odorat n’a pas perdu
toute fonction de survie (Tableau III).
Chaque fois qu’ils peuvent être compen-
sés, les préjudices d’agrément ou d’apti-
tude professionnelle doivent l’être.
Variable d’un individu à l’autre, la perte
d’agrément ne doit pas être sous-esti-
mée : le parfum subtil d’une rose, les
arômes subtils d’un grand cru ne peuvent
que manquer à ceux qui en sont privés...
Tandis qu’une gastronomie limitée à la
seule stimulation des bourgeons du goût,
réduit à peu de choses le plaisir de
chaque repas. Quant au retentissement
professionnel, il peut être majeur : un
sommelier ou un parfumeur risquent
l’ANPE en cas d’anosmie ! Ne prenant
en compte que l’incapacité fonctionnelle,
le barème des déficits fonctionnels
séquellaires en droit commun, proposé
par la société de médecine légale (4),
accorde une compensation raisonnable
pour le commun des mortels, mais nette-
ment insuffisante pour un grand nom de
la cuisine française (Tableau IV) !
Références
1. Doty R. A review of olfactory dysfunction in
man. A M J of otolaryngology 1979 ; 1 : 57-79.
2. Cullen M.M. et Lepold D.A. Disorders of
smell and taste-otolaryngology for the inter-
nist. Medical Clinics of North America 1999 ;
1: 57-79.
3. Levy M.M. et coll. Fincreased brain activa-
tion in reponse to odors in patients with hypo-
smia after theophylline treatment demonstra-
ted by FMRI. J of computer assisted
tomography 1998 ; 83 : 57-74.
4. Barême indicatif des déficits fonctionnels
séquellaires en droit commun. 2eéd.
Concours Médical Paris 1993 ; 11-12.
– optimaliser les systèmes de détection
d’incendie ;
– éviter le chauffage et les appareils
ménagers fonctionnant au gaz ;
– se méfier des aliments avariés ou sus-
ceptibles de l’être (dates de péremp-
tion) ;
– renforcer les saveurs alimentaires en
privilégiant la stimulation trigéminale
(piment +++).
Tableau III. Conseils de survie à l’anosmique. – perte totale de l’odorat = 5 % ;
– perte partielle de l’odorat = 2 à 3 % ;
– majoration en cas de parosmies désa-
gréables = 1 à 2 %.
Tableau IV. Indemnisation des troubles olfac-
tifs en droit commun.
neuro-frontières
Neuro-Frontières
Quelques adresses
et sites Web utiles :
#taste & smell
center : www3.uchc.edu/~taste/index.html
#taste and smell center MC 1718,
University of Connecticut Health Center,
263 Farmington Ave., Farmington
Connecticut 06030-1718. Tél.: (860)
679-2459, Fax : (860) 679-1382.
edu nss.univ-lyon1.fr/olfac/
#Laboratoire de neurosciences et
olfaction, Université Claude Bernard,
Lyon 1, bâtiment 404, 43, boulevard
du 11-novembre-1918.
F-69622 Villeurbanne Cedex.
Tél.: +33 04.72.44.81.17,
Fax : +33 04.78.94.95.85.
#le pocket smell test est commercialisé
par : Sensonics, Inc. P.O. Box 112,
Haddon Heights, NJ 08035.
Tél.: (856) 547-7702,
Fax : (856) 547-5665, (800) 547-8838.
E-Mail : www.smelltest.com
publicité gratuite.
1 / 3 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !