DOSSIER THÉMATIQUE Les petits cancers du sein Pronostic des petites tumeurs du sein Prognosis of small breast carcinomas P.H. Cottu* D epuis la généralisation de la mammographie et la prise de conscience que les tumeurs T1 représentent la majorité des cancers infiltrants du sein, la question de leur pronostic fait l’objet d’une abondante littérature. On distingue 3 grandes périodes dans les publications qui ont permis de se faire une idée assez précise sur la question. Les premières séries historiques, synthétisées dans le tableau I, essentiellement monocentriques et rétrospectives, s’intéressent diversement aux tumeurs T1a-b ou à toutes les tumeurs T1. Ces séries ont tenté de déterminer, par des analyses presque toujours univariées, l’impact des variables pronostiques convention* Département d’oncologie médicale, nelles dans cette situation particulière. institut Curie, Paris. En dehors de la thèse originale de Tabar, l’un des inventeurs du dépistage Tableau I. Évaluation pronostique des cancers du sein T1 (séries mammographique, qui historiques). continue à intégrer les Auteur n Cofacteurs variables radiologiques dans principaux les paramètres pronosT1a-b 218 Grade Emboles vasculaires Lee (2) T1a-b 87 ER/PR Bcl2 Ki67 MVD* Joensuu (3) T1a-b 80 T1c 130 Stade ab versus c Index mitotique Grade 0,20 Mann (4) T1a 95 T1b 196 Statut ganglionnaire 0,10 Tabar (5) T1a-b 138 T1c 205** Microcalcifications de type 4-5 T1a 38 T1b 256 Stade a versus b T1a-b 430 Stade a versus b ER Grade Leitner (1) Ichizawa (6) Chia (7) * MVD : microvessel density (reflet de la néoangiogenèse). ** Uniquement les tumeurs de taille comprise entre 11 et 15 mm. tiques (5), la plupart des facteurs classiques jouent un rôle potentiel dans le pronostic des tumeurs de petite taille : grade, prolifération, expression des récepteurs hormonaux, statut ganglionnaire. L’âge n’est jamais identifié comme élément pronostique dans ces séries historiques. La taille a été diversement abordée. Toutes tumeurs confondues, le rôle pronostique majeur de la taille est reconnu, au moins pendant les 5 premières années qui suivent le diagnostic (figure 1) [8]. Il s’agit d’ailleurs d’un des paramètres principaux utilisés dans Adjuvant! Online. Dans ces séries, il existe une différence pronostique entre les tumeurs de moins de 10 mm et celles de plus de 10 mm, et vraisemblablement aussi entre les tumeurs de moins de 5 mm et celles de plus de 5 mm. Cette dernière différence est cependant plus difficile à affirmer compte tenu des effectifs souvent réduits de tumeurs T1a (toujours moins de 100 patientes par essai). Il est surtout impossible à Taux de rechute 0,30 ≤ 1 cm 1,1-3 cm > 3 cm 0 0 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 Années Figure 1. Courbe de Saphner démontrant la valeur pronostique de la taille tumorale, au moins pendant les 5 premières années après le diagnostic (d’après 8). 20 | La Lettre du Sénologue ̐ n° 53 - juillet-août-septembre 2011 Séno 53 sept 2011.indd 20 20/09/11 09:17 Points forts Mots-clés » Le pronostic des cancers du sein de moins de 1 cm est globalement excellent. » Les paramètres pronostiques conventionnels et moléculaires s'appliquent à cette population. » Il existe des sous-groupes (HER2, triple-négatif) de moins bon pronostic. Cancer du sein 1 cm HER2 Triple-négatif ce stade de dégager lequel ou lesquels des facteurs pronostiques classiques discriminent potentiellement T1a et T1b. La deuxième période (2006-2007) correspond aux publications des grandes séries épidémiologiques nord-américaines, issues de 3 sources majeures : la National Cancer Database (9) ; le SEER (10) et les données issues des essais du NSBAP (11). Ces dernières proviennent des études B6, B13, B14, B19, B20, B21 (détails accessibles sur http://www. nsabp.pitt.edu/NSABP_Protocols.asp) ayant inclus au total 11 195 patientes, toutes pN0. Parmi ces patientes, 1 259 avaient une tumeur T1ab (11,2 %). Les principaux facteurs défavorables sur la survie à long terme ont été l’âge, le stade a-b versus c, l’absence de traitement adjuvant et la présence d’emboles lymphatiques. Les données du SEER (10) ont permis de décrire une cohorte de 51 246 patientes atteintes de tumeur T1a ou T1b, N0, M0. Le modèle de Cox a permis d’isoler comme facteurs pronostiques indépendants l’âge inférieur à 50 ans, le grade III, l’absence d’expression des récepteurs hormonaux et une sous-évaluation ganglionnaire conduisant vraisemblablement à un traitement adjuvant insuffisant. Alors que, curieusement, il semble exister des causes compétitives de décès différentes entre les populations T1a et T1b, il est impossible de mettre en évidence une différence de probabilité de décès spécifique (figure 2). Enfin, la série de la National Cancer Data Base (NCDB) a repris les données de 123 212 patientes atteintes d’une tumeur T1a ou T1b, N0, M0. Un tel effectif a permis de réaliser une analyse multivariée qui isole des facteurs pronostiques indépendants exactement superposables aux données du SEER : la taille (a versus b), l’âge (± de 50 ans), le grade (I-II versus III) et l’absence de traitement adjuvant adéquat. Plus précisément, la différence absolue de survie à 5 ans entre T1a et T1b est de 1,3 %, mais cette différence est significative avec un HR = 1,15 (1,051,26 ; p = 0,04) [figure 3]. L’ensemble de cette caractérisation pronostique peut être résumé sous la forme d’un nomogramme utilisable en pratique clinique pour la décision thérapeutique (10), au moins pour les patientes dont la tumeur ne surexprime pas HER2 (figure 4). Cas particuliers Keywords Tumeurs surexprimant HER2 Breast cancer 1 cm HER2 Triple negative La troisième période est celle de l’évaluation du rôle pronostique de la surexpression de HER2 dans les tumeurs T1N0. Elle vient en grande partie balayer et simplifier la vision du pronostic de ces petites tumeurs. Huit études rétrospectives et monocentriques ont été publiées sur cette question et sont résumées dans le tableau II. Le principe général de ces études a consisté à comparer le pronostic des tumeurs T1 surexprimant 0,4 Décès par autre cause, taille ≥ 6 mm 0,3 Décès par autre cause, taille ≤ 5 mm 0,2 0,1 0 Décès par cancer, taille ≥ 6 mm Décès par cancer, taille ≤ 5 mm 5 10 15 Temps écoulé depuis le diagnostic (années) Figure 2. Données de survies spécifique et globale en fonction de la taille tumorale (10). Survie cumulée Highlights 1,00 0,98 0,96 T1a 0,94 T1b – Prognosis of less than 1 cm breast cancer is excellent. – Conventional and molecular prognostic features do apply to small breast cancer. – HER2 positive and triple negative small breast cancer have also a poorer prognosis. 0,92 0,90 0 12 24 36 48 60 Temps écoulé depuis le diagnostic (mois) Figure 3. Survie à 5 ans des patientes ayant une tumeur T1a et T1b dans l’étude de la NCDB (d’après 9). La Lettre du Sénologue ̐ n° 53 - juillet-août-septembre 2011 | Séno 53 sept 2011.indd 21 21 20/09/11 09:17 DOSSIER THÉMATIQUE Les petits cancers du sein Tableau II. Pronostic des cancers du sein T1a-b surexprimant HER2. Auteur Joensuu (12) Colleoni (13) Chia (14) Tovey (15) Population n Facteurs principaux* Points T1a T1b T1c 49 264 539 HER2* Grade* Grade T1a T1b 76 325 HER2 KI67 élevé* RH– T1a-b T1c T2 T3-4 21 96 85 3 HER2* T1a-b-c T2 214 88 HER2* Âge* Grade* Taille* Chimiothérapie* 2 1 Négatif HER2 Grade Curigliano (17) T1a T1b 85 65 HER2* Gonzalez-Angulo (18) T1a T1b 43 55 HER2* RH–* Âge* T1a-b 370 HER2* Statut triple-négatif* * Facteur pronostique indépendant en analyse multivariée. 3 Positif Statut RP Ganglions lymphatiques prélevés Taille 35 87 Park (19) 0 10 20 30 40 50 60 70 80 90 100 Statut RE T1a-b T1c+ Ananthakrishnan (16) A Âge Négatif Positif 4-9 > 9 1-3 2468 13 579 70 80 60 40 0 90 100 30 110 20 Total des points 0 20 40 60 90100 140 180 200 280 Prévision de survie 0,95 0,9 0,95 0,9 0,75 sans maladie à 5 ans Prévision de survie 0,95 0,9 0,950,80,70,6 0,5 sans maladie à 10 ans B Âge 20 40 60 70 80 90100 Prévision de survie à 5 ans Prévision de survie à 10 ans 0,9 0,7 0,3 0,1 0,9 0,7 0,3 0,1 Figure 4. Nomogramme pronostique des tumeurs T1 N0, sans tenir compte de l’expression de HER2 (d’après 10). HER2 à celui des autres tumeurs T1. Pour 6 auteurs, la surexpression de HER2 est un facteur pronostique défavorable en analyse multivariée, le plus souvent au côté du grade et/ou de la prolifération, et parfois de l’âge et de l’absence d’expression des récepteurs hormonaux. Toutes ces études ont été menées chez des patientes n’ayant pas reçu de trastuzumab en situation adjuvante. Il est à noter que l’apport pronostique de HER2 ne peut pas être différencié en fonction de la taille tumorale, si bien que la question particulièrement épineuse du pronostic des tumeurs T1a surexprimant HER2 n’est pas spécifiquement abordée. Par ailleurs, l’énigmatique relation entre HER2 et le récepteur aux estrogènes ne semble pas davantage résolue : l’expression des récepteurs hormonaux joue un rôle pronostique protecteur uniquement dans l’étude du groupe canadien (14) et semble au mieux neutre dans les autres études où le facteur HER2 est le plus puissant. Ainsi, dans le travail de Joensuu (11), le pronostic des tumeurs pT1N0M0, bien défini par le grade histologique et la taille tumorale, est davantage influencé par le statut HER2 que par la réceptivité au récepteur estrogène (RE) [figure 5]. La figure 6 résume la vision pronostique défavorable des tumeurs T1 N0 surexprimant HER2. Cet aspect a également été souligné dans un éditorial du Journal of Clinical Oncology (20) qui accompagnait la publication des données de Milan (17) et du MDACC (18). Malheureusement, il n’existe actuellement aucun nomogramme intégrant HER2 dans l’évaluation pronostique. De même Adjuvant ! Online n’intègre pas HER2 dans sa version actuelle (V8). Tumeurs basales triple-négatives Ces grandes séries de données de la littérature ont été renouvelées depuis l’identification du soustype moléculaire dit “basal”, confondu de manière approximative mais pragmatique avec les cancers “triple-négatifs” (TN), qui n’expriment ni ER, ni PR, ni HER2. La représentation de ce sous-type ne semble pas moins fréquente pour les tumeurs T1, soit entre 10 et 15 % (21), à l’exception peut-être des tumeurs diagnostiquées grâce au dépistage mammographique (22). 22 | La Lettre du Sénologue ̐ n° 53 - juillet-août-septembre 2011 Séno 53 sept 2011.indd 22 20/09/11 09:17 DOSSIER THÉMATIQUE La série du MD Anderson (18) montrait déjà le mauvais pronostic des cancers TN T1a-b N0 (figure 6). Plusieurs autres séries rétrospectives décrivant le pronostic des tumeurs T1, soit de type basal, soit TN, ont été publiées récemment. À long terme, il a ainsi été montré que le pronostic des tumeurs basales de stade T1 est identique à celui des tumeurs de plus haut stade, malgré un peu moins de rechutes précoces (23, 24). En analysant plus spécifiquement les tumeurs T1 N0, un travail mené sur une série de 110 patientes (6 % T1a, 21 % T1b, et 73 % T1c) a montré que le risque de rechute était 6,57 fois plus élevé (IC95 : 2,3418,49) pour les tumeurs TN que pour les tumeurs ER+, quels que soient l’âge et les traitements adjuvants reçus (25). La série la plus importante est coréenne et relate 10 ans de suivi de 370 patientes atteintes d’un cancer du sein TN de stade T1a-b N0 (19). L’analyse multivariée par un modèle de Cox a révélé que le statut triple-négatif et la surexpression de HER2 étaient des facteurs pronostiques péjoratifs indépendants. Le risque relatif de rechute à distance est de 5,1 (p = 0,026) pour le groupe TN et de 8,8 (p = 0,003) pour le groupe HER2. La cohorte de patientes avec une tumeur T1a était trop limitée pour pouvoir tirer une conclusion spécifique. Avec les tumeurs TN, nous nous retrouvons actuellement dans la même situation que pour les tumeurs HER2+ avant l’ère du trastuzumab : pronostic défavorable quelle que soit la taille, avec un reste d’incertitude pour les tumeurs T1a N0 (26). Survie sans récidive 100 80 60 40 A Survie sans récidive 100 80 60 40 2 Survie sans récidive 100 80 60 40 p = 0,006 0 100 80 60 40 1-10 mm 20 0 100 80 60 40 p = 0,001 0 2 100 80 60 40 4 6 8 10 12 Années de suivi p = 0,01 2 4 6 8 10 12 Années de suivi p = 0,02 11-20 mm 20 0 4 6 8 10 12 Années de suivi 2 HER2 (IHC)– (n = 329) HER2 (IHC) + (n = 46) 0 HER2 (CISH)– (n = 167) HER2 (CISH) + (n = 17) p = 0,32 11-20 mm 20 0 2 4 6 8 10 12 Années de suivi 4 6 8 10 12 Années de suivi RE+ (n = 306) RE– (n = 105) 0 HER2 (IHC)– (n = 171) HER2 (IHC) + (n = 23) 2 11-20 mm 20 0 4 6 8 10 12 Années de suivi 1-10 mm 20 0 HER2 (CISH)– (n = 316) HER2 (CISH) + (n = 46) 0 2 4 6 8 10 12 Années de suivi Figure 5. Survie sans maladie par grade histologique, statut RE et statut HER2 (mesuré par immunohistochimie et FISH). Colonne de gauche : tumeurs de 1 à 10 mm. Colonne de droite : tumeurs de 11 à 20 mm. Tumeur B 1 négative 1 0,9 Tumeur positive 0,6 0,4 0,4 0,2 0,2 12 24 36 48 60 RH+ HER2+ Tumeur triple-négative 0,9 0,6 0 100 80 60 40 p = 0,44 p = 0,001 grade 1 (n = 125) grade 2-3 (n = 260) 0 RE+ (n = 143) RE– (n = 57) 2 11-20 mm 20 0 4 6 8 10 12 Années de suivi 1-10 mm 20 0 0 Survie sans récidive p = 0,04 grade 1 (n = 129) grade 2-3 (n = 110) 0 Apport des signatures moléculaires Les signatures moléculaires, qui ont permis l’identification des sous-types moléculaires de cancer du sein, ont également été utilisées dans un but d’évaluation pronostique. Une des signatures les mieux validées est la signature d’Amsterdam, dite “70 gènes” (27), dont la valeur pronostique a été testée sur une population de 964 patientes atteintes de tumeurs T1. Après un suivi médian de 7,1 ans, les auteurs montrent que la signature “70 gènes” est un facteur pronostique indépendant de 1-10 mm 20 0 100 80 60 40 0 12 24 36 48 60 Temps écoulé depuis le diagnostic (mois) Figure 6. Pronostic à long terme des tumeurs T1 N0 selon le sous-type moléculaire apprécié en immunohistochimie, avant le trastuzumab adjuvant (d’après 18). La Lettre du Sénologue ̐ n° 53 - juillet-août-septembre 2011 | Séno 53 sept 2011.indd 23 23 20/09/11 09:17 DOSSIER THÉMATIQUE Les petits cancers du sein Taux de survie sans récidive à distance (DDFS) 3 100 93 % 80 78 % survie spécifique et de survie sans métastases pour l’ensemble de la population T1. Surtout, la signature appliquée spécifiquement aux tumeurs T1a-b prédit de manière indépendante et puissante la survie sans métastases à 10 ans (HR = 3,45 ; IC95 : 1,04-11,50 ; p = 0,04) [28] (figure 7). 60 70 gènes de bon pronostic (n = 85) 70 gènes de mauvais pronostic (n = 55) 40 HR = 3,45 (1,04-11,5) p = 0,04 20 0 2 4 6 8 10 Années Figure 7. Apport de la signature d’Amsterdam dans l’évaluation pronostique des tumeurs T1ab N0 (d’après 28). Conclusion Le pronostic des petites tumeurs infiltrantes du sein, même s’il est globalement excellent, n’en est pas moins hétérogène, et mérite d’être attentivement évalué au cas par cas. Il est notable que les facteurs biologiques conventionnels et ceux plus récents, comme les signatures moléculaires, s’appliquent avec la même importance que pour les tumeurs de plus de 1 cm, et doivent être systématiquement ■ appréciés. Références bibliographiques 1. Leitner SP, Swern AS, Weinberger D, Duncan LJ, Hutter RV. Predictors of recurrence for patients with small (one centimeter or less) localized breast cancer (T1a,b N0 M0). Cancer 1995;76:2266-74. 2. Lee AK, Loda M, Mackarem G et al. Lymph node negative invasive breast carcinoma 1 centimeter or less in size (T1a,bNOMO): clinicopathologic features and outcome. Cancer 1997;79:761-71. 3. Joensuu H, Pylkkanen L, Toikkanen S. Late mortality from pT1N0M0 breast carcinoma. Cancer 1999;85:2183-9. 4. 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