I
NVESTIR DANS L
’
HUMAIN
-
L
ES SALARIES BIENTOT COMPTABILISES A L
’
ACTIF DU BILAN SELON LES
IFRS
C’est une fiction, mais une fiction qui mérite toutefois que l’on s’y attarde un instant. Elle pourrait
être guidée par une certaine vision de l’homme et de sa place dans un monde financiarisé, mais elle
l’est simplement par le plaisir de pousser jusqu’au bout les principes financiers et comptables qui
définissent la valeur d’une entreprise et de voir comment leur interprétation peut aussi
transformer en profondeur notre environnement.
Si l’Humain ne peut se résumer à cela, un salarié peut tout à fait être assimilé à un moyen de
production comme un autre, comme une machine par exemple. Si on veut bien faire abstraction de
la froideur de la comparaison, on observera ainsi que les deux s’acquièrent, que les deux sont
capables de produire des biens ou des services, que les deux sont contrôlés par l’entreprise qui les
emploie et que les deux ont la création de valeur comme finalité. Dès lors on devrait s’étonner que
d’après les principes comptables la machine soit comptabilisée comme un actif et que le salarié ne
le soit jamais. L’évidence de cette discrimination est telle que la norme IFRS 16 sur la définition des
actifs immobilisés n’a pas estimée nécessaire d’exclure formellement les salariés de son champ
d’application alors qu’aucune des conditions de comptabilisation qu’elle demande ne s’y oppose
frontalement. Un des amusements de cet exercice de comptabilité fiction est d’en faire le constat :
Il y a bien un coût initial d’acquisition du salarié comprenant au moins les divers frais de
recrutement et le coût de l’espace professionnel. Par la suite les circonstances peuvent conduire à
une réévaluation du salarié selon sa valeur d’utilité, c'est-à-dire sa capacité à générer du cash-flow.
D’autres circonstances conduiront à son amortissement, voire à sa dépréciation, parce que lui
même a perdu progressivement sa force de travail, parce que l’entreprise est en sureffectif. Il sera
également difficile de nier que la notion de subordination qui caractérise le lien du salarié avec son
entreprise est une forme de contrôle par laquelle l’entreprise s’attend bien naturellement à
bénéficier des avantages économiques générés par celui-ci. On s’épargnera l’analyse par composant
et on repoussera à plus tard la réflexion sur une éventuelle dimension incorporelle de cet actif.
Mais si nous restons sur terre, une telle comptabilisation aurait bien des conséquences
systémiques. Les exemples sont nombreux et variés : L’inscription à l’actif des salariés conduirait à
une hausse des capitaux propres de l’entreprise, laquelle améliorerait alors sa capacité de
financement. L’entreprise soucieuse de maintenir et d’augmenter cette nouvelle valeur, regarderait
différemment ses besoins de formation et la nature de ses contrats de travail. Les actionnaires
seraient mieux et plus rapidement informés sur la réelle création de valeur ou non de telle décision
sociale. La coopération entre les services financiers et les fonctions RH au sein des entreprises en
sortiraient inévitablement renforcés. Ces quelques exemples donnent à penser que les
conséquences d’une telle comptabilisation ne dépareraient pas dans un vaste programme de
développement durable.
On pourrait aller plus loin dans les conséquences d’une telle idée mais cela reviendrait à choisir si
elle est effroyablement marxisante ou ignoblement libérale. Et si cette dualité lui retire tout avenir,
il n’en reste pas moins qu’assimiler un salarié à un moyen de production inscrit au patrimoine de
son entreprise n’est pas lui faire offense, ni lui retirer sa liberté fondamentale d’être humain. Au
contraire cela aurait donné corps aux discours généreux mais bien souvent sans conséquence sur
un nécessaire investissement des entreprises dans l’humain.
Edité par – La Phrase Déshabillée – janvier 2015.