C H R O N I Q U E D U D R O I T Le pneumologue et la garde à vue Pulmonologist and police custody ● G. Salerio*, E. Baccino* Résumé : La garde à vue est une mesure de privation temporaire de liberté ordonnée par les officiers de police judiciaire. Au cours de la garde à vue, l’individu a la possibilité d’être examiné par un médecin. Cet examen médical en garde à vue revêt des aspects particuliers dans la mesure où il se déroule dans des conditions matérielles et psychologiques bien différentes de la pratique médicale “normale”. Dans un souci d’harmonisation des pratiques, une conférence de consensus s’est tenue à Paris les 2 et 3 décembre 2004. Ces examens médicaux sont tellement fréquents (plus de 450 000 par an) qu’il nous semble nécessaire de présenter les thèmes essentiels de cette conférence afin qu’ils soient connus de tous les médecins, même s’ils ne sont pas directement appelés à intervenir dans ce cadre. Mots-clés : Garde à vue - Asthme. Summary: Police custody is a temporary detention decided by the police officers. When a medical examination is carried out during police custody, it occurs under material and psychological conditions which are very different from usual medical activity. In order to harmonize the medical practices in this specific field, a consensus conference took place in Paris on December 2nd and 3rd 2004. We present the main features of this conference as this type of medical activity is important enough (more than 450,000 exams/year) to be known by every physician, even those who are not directly involved. Keywords: Police custody - Asthma. a garde à vue (GAV) est une mesure de privation temporaire de liberté décidée par les officiers de police judiciaire (OPJ) qui a pour but de mettre à leur disposition une personne “à l’encontre de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction”. L La durée maximale de la garde à vue est de 24 heures, renouvelable une fois sur autorisation écrite du procureur de la République. Cependant, lorsqu’il s’agit d’infractions particulièrement graves (terrorisme, trafic de stupéfiants ou infractions à la législation des stupéfiants – communément appelées “ILS” – , criminalité organisée, etc.), la durée de la GAV peut être prolongée jusqu’à 4 jours. Le cadre juridique de la GAV est défini dans les articles 63 à 65 du Code de procédure pénale et sa réglementation dans l’article 706-73 du même code. En 2004, plus de 460 000 mesures de GAV ont été prononcées. * Service de médecine légale, hôpital Lapeyronie, Montpellier. La Lettre du Pneumologue - Volume IX - no 2 - mars-avril 2006 Dès sa mise en GAV, la personne concernée a le droit d’être informée : – de ses droits dans une langue qu’elle comprend, soit oralement (éventuellement par le truchement d’un interprète agréé), soit au moyen de formulaires écrits ; – des motifs de sa GAV ; – de la durée maximum de la GAV ; – du fait qu’elle peut faire avertir un proche à partir de la troisième heure, sauf refus du procureur ; – du fait qu’elle peut bénéficier de l’assistance d’un avocat et être examinée par un médecin. L’examen médical d’une personne gardée à vue est donc un examen fréquent. La plupart du temps (et en dehors de l’exception notable de Paris intramuros, où ils sont effectués aux urgences médico-judiciaires de l’Hôtel-Dieu), ces examens se déroulent dans les locaux de la police (secteur urbain) ou dans ceux de la Gendarmerie nationale (secteur rural). Bien que les pneumologues ne fassent pas partie des médecins susceptibles d’être requis pour ce type d’examen il semble toutefois utile qu’ils connaissent, comme tout médecin, le déroulement de ce type d’examen afin d’optimiser une éventuelle prise en charge d’un patient qui pourrait leur être adressé pour avis dans le cadre ou à l’issue d’une GAV. 77 C H R O N I Q U E MESSAGES CLÉS (CONFERENCE DE CONSENSUS ANAES 2 ET 3 DÉCEMBRE 2004) 1. La santé, l’intégrité et la dignité des personnes gardées à vue doivent être sauvegardées. 2. Il est recommandé à l’OPJ de réquisitionner, chaque fois que cela est possible, des médecins répondant à des critères d’indépendance et de compétence, inscrits à ce titre, sur une liste établie par le procureur de la République et requis à tour de rôle. 3. Il est recommandé au médecin de pratiquer l’examen médical dans les locaux de police ou de gendarmerie pour pouvoir apprécier les conditions de rétention. Si celles-ci sont jugées indignes par le médecin, ce dernier peut signaler ses observations sur le registre de GAV, refuser, sur son certificat médical, de se prononcer sur l’aptitude à la GAV, et/ou demander que la personne gardée soit examinée à l’hôpital, voire dénoncer par courrier au procureur de la République les situations constituant un délit ou portant atteinte à la dignité humaine. 4. Il est recommandé aux OPJ d’utiliser des réquisitions types. Ces réquisitions devraient comporter au minimum trois demandes : – une demande sur la compatibilité de l’état de santé de la personne avec le maintien en GAV dans les locaux de police ou de gendarmerie ; – une demande de constatation d’éventuelles lésions ou blessures ; – une demande d’indication sur la capacité de la personne à répondre aux interrogatoires. 5. Pour la compatibilité avec le maintien en GAV, le médecin a trois options principales, soit certifier que la garde à vue : – peut se poursuivre sur place et sans condition particulière ; – peut se poursuivre sur place à certaines conditions ; – ne peut se poursuivre sur place. Le jury souligne que le recours à la compatibilité conditionnelle (par exemple, heure limite de rétention, nécessité d’un nouvel examen, réalisation de soins sur place ou à l’hôpital, conditions particulières de GAV) est une option permettant souvent de concilier les impératifs médicaux et ceux de l’enquête. 6. Le médecin est soumis à une obligation de soin et de prévention, même s’il n’est pas médecin traitant. Il doit prescrire et faire procurer à la personne gardée à vue les traitements nécessaires en urgence ainsi que les traitements en cours. 7. Le médecin doit respecter son devoir d’information et de recueil de consentement. Le jury insiste sur la nécessité, pour le médecin, d’informer très précisément la personne gardée à vue du cadre de l’intervention médicale et de ses conséquences. Le médecin doit avertir la personne gardée à vue chaque fois que le secret médical ne peut être totalement respecté, notamment à l’occasion de la délivrance des médicaments. 78 D U D R O I T 8. Il est recommandé que l’examen soit pratiqué dans l’optique du repérage des principaux risques : suicide, pathologies mentales, conduites addictives, risques infectieux, pathologies à risque de décompensation (asthme, diabète, etc.). 9. Les gardiens peuvent jouer un rôle de surveillance et de délivrance des médicaments. Ce rôle ne peut aller au-delà de ce qui peut être demandé à l’entourage familial en milieu libre, et doit être précisé par écrit sur le certificat médical initial. 10. Il est recommandé que la réponse médicale (rapport d’examen de GAV) prenne la forme d’un document uniformisé à l’échelle nationale et comportant deux volets : – le premier volet constituant le certificat médical remis à l’autorité requérante ; – le second volet, non transmis à l’autorité requérante, constituant le dossier médical confidentiel, conservé par le médecin. 11. La plus grande prudence est recommandée pour ce qui est du recours aux expertises psychiatriques et pour les déterminations d’âge (mineur, immigrant illégal), ainsi que pour leur interprétation dans le contexte de la GAV. PARTICULARITÉS DE L’EXAMEN EN GARDE À VUE L’examen médical en GAV revêt un caractère particulier dans la mesure où il se déroule chez une personne privée de liberté, par un médecin la plupart du temps non choisi par le gardé à vue, et dans des conditions matérielles pouvant être difficiles (pas de salle d’examen, pas de matériel…). Il existe, dans ces conditions, un risque important (et particulier) de fausses allégations, de dissimulation et de décompensation de certaines pathologies. L’examen médical va s’attacher à : – rechercher les antécédents médicaux (pathologies à risque de décompensation, conduite addictive, trouble psychiatrique, etc.) ; – recueillir les doléances du patient ; – réaliser un examen clinique complet ; – faire pratiquer d’éventuels examens complémentaires en milieu spécialisé (service d’urgence) afin d’évaluer au mieux la situation clinique si cela s’avère nécessaire (radiographies en cas de suspicion de fracture, dosage de glycémie, dosage toxicologique en cas de suspicion d’intoxication aiguë, etc.), voire demander des avis spécialisés (avis psychiatrique…) ; – prescrire un traitement médical pour la durée de la GAV. Il n’est pas question pour le médecin intervenant de prescrire un traitement (sauf urgence médicale), mais de poursuivre un traitement en cours ne pouvant être interrompu sans risque (bêtabloquant, bronchodilatateur, antidiabétique, etc.) ; – établir un certificat médical mentionnant les conditions particulières éventuelles de poursuite de la GAV avec prescription et délivrance de médicament en indiquant les horaires et les modalités de prise, les conditions de surveillance de la personne ; La Lettre du Pneumologue - Volume IX - no 2 - mars-avril 2006 – s’assurer que ces médicaments sont disponibles : personne en GAV les ayant avec elle, appel de la famille, des proches pour qu’ils les apportent ; mais, très souvent, ce sera au médecin de les fournir. La surveillance de la personne au cours de sa GAV sera effectuée par les services de police ou de gendarmerie. Généralement, en zone urbaine (secteur police), le gardé à vue est surveillé en permanence “à vue”, à la différence des secteurs ruraux (gendarmerie) dans lesquels, par manque d’effectifs, il arrive fréquemment que le gardé à vue se retrouve seul en geôle pour plusieurs heures, une patrouille pouvant passer régulièrement. Ces conditions, bien différentes l’une de l’autre, vont influencer le médecin sur la détermination des conditions d’aptitude à la GAV. En cas de situation médicale instable, il est évident que si une surveillance constante ne peut être réalisée, l’inaptitude dans les locaux sera prononcée. Les services de police et de gendarmerie se voient donc attribuer un rôle de surveillance paramédicale. Actuellement, aucune formation ne leur est dispensée pour réaliser cette surveillance et le médecin devra garder à l’esprit qu’elle ne peut se limiter qu’au contrôle simple de la personne tel que pourrait le réaliser une personne de l’entourage familial sans connaissance médicale particulière. De même, les policiers et les gendarmes auront la charge de délivrer le traitement médical. Le médecin devra donc fournir une ordonnance comportant les médicaments ainsi que les heures et les modalités d’administration. Sur cette ordonnance figureront également les consignes de surveillance (par exemple, à réveiller toutes les demi-heures, appel SAMU si difficultés respiratoires, etc). PATHOLOGIES PULMONAIRES ET GAV La pathologie pulmonaire la plus fréquemment rencontrée en GAV reste l’asthme, puisque approximativement 10 % des sujets placés en GAV en seraient atteints. Le rôle du médecin sera tout d’abord de s’assurer qu’il s’agit bien d’un asthme et non de fausses allégations ou d’une autre pathologie (spasmophilie, crise d’angoisse, etc.). Le diagnostic positif repose sur l’interrogatoire, qui devra faire préciser la clinique de la gêne respiratoire, l’ancienneté des symptômes, les circonstances de diagnostic, la fréquence des crises, la date de la dernière crise, les facteurs favorisants, l’efficacité des traitements, les antécédents d’hospitalisation en urgence et/ou en réanimation à la suite d’une crise. La Lettre du Pneumologue - Volume IX - no 2 - mars-avril 2006 Il repose aussi sur l’examen clinique et paraclinique, puisque la conférence de consensus des 2 et 3 décembre 2004 préconise l’utilisation systématique du débitmètre de pointe afin d’évaluer plus précisément l’état respiratoire du sujet. Trois mesures devront être effectuées, et la meilleure valeur sera retenue. Les valeurs normales du débit expiratoire de pointe varient d’un individu à l’autre en fonction du sexe, de la taille et du poids. Cependant, on peut retenir pour un homme d’âge moyen une valeur de 600 l/mn ± 100 et, pour une femme, 450 l/mn ± 85. Lorsque le résultat obtenu est supérieur à 80 % de la valeur normale, il n’y a pas d’inquiétude à avoir ; entre 60 et 80 % de la valeur normale, cela signe un état pathologique ; au-dessous de 60 %, l’état est inquiétant. Si les données sont rassurantes, le médecin proposera alors un traitement et une surveillance adaptés : – bronchodilatateurs d’action rapide mis à disposition du sujet ; – traitement de fond éventuel à poursuivre ; – surveillance régulière dont la fréquence est à déterminer en fonction du type d’asthme et de l’état clinique. Si l’examen clinique met en évidence une dyspnée (± sibilants), cédant mal sous traitement, l’hospitalisation s’impose. Dans le cas d’un asthme mal contrôlé ayant déjà imposé des hospitalisations en urgence et/ou en réanimation, si une surveillance régulière ne peut être effectuée, l’inaptitude à la GAV dans les locaux doit aussi être prononcée. CONCLUSION Cette médecine générale d’urgence ne présente aucune difficulté particulière… en théorie, et pour ce qui est des pathologies rencontrées. En pratique, les difficultés sont nombreuses et spécifiques : la personnalité des “patients/délinquants”, une arrestation récente, le non-libre choix du médecin, une majorité de toxicomanes (aux médicaments essentiellement), des conditions matérielles souvent “limites”, la tentation d’instrumentaliser le médecin, partagé entre obligations judiciaires et demandes de la personne en GAV… Une réunion de consensus était nécessaire. Sera-t-elle suffisante dans un contexte de difficultés budgétaires et d’hétérogénéité des ■ structures prenant en charge ces examens ? P O U R E N S A V O I R P L U S . . . ■ Code de procédure pénale. ■ Conférence de consensus ANAES des 2 et 3 décembre 2004. 79