É D I T O R I A L Faut-il proposer des mammectomies prophylactiques chez les femmes porteuses de mutations de BRCA1/BRCA2 ? ● J.P. Lefranc*, F. Eisinger** L a possibilité, depuis plusieurs années, de mettre en évidence une mutation des gènes BRCA1 ou BRCA2 a relancé le problème de la mammectomie prophylac- tique. Cette intervention, semble-t-il peu pratiquée en France, ne paraissait éventuellement envisageable que chez des patientes porteuses de lésions histologiques exposant à un risque nettement majoré de développer un cancer invasif, au premier rang desquelles le carcinome lobulaire in situ, le cancer canalaire in situ bénéficiant lui-même d’un traitement bien établi. En 1998, l’expertise collective INSERM-FNCLCC a v a i t donné un avis assez restrictif sur la pratique de la mammectomie prophylactique, cette intervention n’étant au maximum “envisageable”, sans jamais être “conseillée”. Les publications récentes de séries rétrospectives et prospectives de patientes “surveillées” ou ayant eu une mammectomie prophylactique, tant pour ce qui concerne les aspects cancérologique que psychologique, ont conduit un groupe d’experts à revoir cette position. Deux conclusions majeures se dégagent de ces études nord-américaines et hollandaises : – la mammectomie prophylactique réduit de plus de 90 % les risques de survenue et de décès par cancer du sein chez les femmes porteuses d’une mutation délétère de BRCA1 o u BRCA2 ; – le retentissement psychologique reste acceptable chez ces femmes qui, par définition, ont accepté l’intervention et surtout celles qui l’ont demandé, bien que le résultat de la reconstruction mammaire soit non exceptionnellement décevant : il apparaît très probable que la crainte du décès par cancer, mais également celle de traitements lourds, souvent à répéter du fait des cancers bilatéraux et des rechutes particulièrement métastatiques l’emportent. La mammectomie prophylactique avec reconstruction imméd i a t e , en règle générale par prothèse, reste la prophylaxie la plus efficace : elle dépasse largement le tamoxifène et l’ovariectomie qui atteint cependant 50 %. Mais l’ovariectomie évite – dans plus de 95 % des cas – la survenue d’un cancer de l’ovaire ou du péritoine, maladie toujours actuellement inaccessible à un dépistage précoce et à un traitement efficace. Le risque de cancer de l’ovaire et du péritoine concernant toutes les femmes porteuses d’une mutation considérée comme délétère, une ovariectomie prophylactique doit à toutes être proposées à partir de 40, voire 35 ans, si le projet parental est réalisé. Ainsi apparaît-il une véritable hiérarchie * Service de chirurgie gynécologique et mammaire, hôpital Pitié-Salpêtrière, 4783, bd de l’Hôpital, 75013 Paris. ** Département d’oncologie génétique, de prévention et dépistage, institut PaoliCalmettes, 232, bd Sainte-Marguerite, BP 156, 13273 Marseille Cedex 9. La Lettre du Gynécologue - n° 290 - mars 2004 dans l’efficacité des procédures à visée prophylactique vis-à-vis du cancer du sein : abstention, dépistage par imagerie dont le niveau d’efficacité peut être jugé insuffisant par les médecins et les patientes malgré l’IRM, le tamoxifène (autre SERM tel le raloxifène), ovario-annexectomie avec ou sans tamoxifène, et enfin, la mammectomie prophylactique. Dans ce choix, doivent bien évidemment intervenir le retentissement potentiel de ces procédures sur la qualité de vie et l’âge de la femme. Différentes études – et le bon sens – soulignent que la chirurgie prophylactique est, sur le plan de la prévention de la survenue d’une cancer, d’autant plus indiquée que le risque de survenue d’un cancer du sein et/ou de l’ovaire est élevé, et que – malheureusement – la femme est plus jeune. Mais la balance entre avantages et inconvénients reste pour les médecins et, a fortiori, pour les femmes, malgré l’élaboration d’outils tels des modèles mathématiques, particulièrement difficiles à appréhender, et ce d’autant que la perception du risque de survenue de la maladie est souvent surévaluée par les patientes. Si l’ovariectomie prophylactique est très souvent demandée par des femmes dont les parentes proches sont décédées de cancers ovariens, la demande et l’acceptation de mammectomie prophylactique reste beaucoup plus faible, sauf chez celles qui ont déjà été traitées pour cancer unilatéral par mammectomie totale. L’anticipation par les médecins d’un refus probable de la mammectomie prophylactique ne doit pas les conduire à priver ces patientes d’une information “claire, loyale et appropriée” comme l’exige le code de déontologie. Ce que nous devons chercher, c’est un consentement ou un refus éclairé. Le statut indemne de toute pathologie rend particulièrement délicat la décision de l’acte chirurgical. Les médecins doivent respecter autant le souhait d’une femme d’éviter une intervention prophylactique que le souhait d’une autre femme de bénéficier du niveau de protection induit par cette chirurgie. Les médecins doivent éviter de porter un jugement de valeur sur ce choix. La prise en charge des femmes porteuses d’une mutation délétère de BRCA1 ou BRCA2 constitue une pratique particulièrement lourde de conséquences. De par ses particularités, elle bénéficie de règles spécifiques liées à la prescription et à la réalisation de tests génétiques. La question se pose de savoir si la chirurgie prophylactique devrait également bénéficier de règles d’organisation précises et rigoureuses, voire de procédures de contrôle ? P O U R E N S A V O I R P L U S – Eisinger F, Bressac B, Castaigne D et al. Identification et prise en charge des prédispositions héréditaires aux cancers du sein et de l’ovaire (mise à jour 3