21
La Lettre du Sénologue - n° 5 - septembre 1999
exérèse chirurgicale du tissu mammaire ou ova-
rien susceptible de se cancériser est, à ce jour, le
seul traitement préventif proposable avec une
efficacité reconnue pour tenter de réduire le risque de survenue
d’un cancer génétiquement programmé.
Pour la prévention d’un tel cancer mammaire, on retrouve le
rôle particulier du chirurgien qui dispose d’une arme lourde,
efficace, destructrice, mais qui a été modulée par la possibilité
de reconstruction. À ce prix, le risque théorique énoncé ci-des-
sus pousse à être protecteur, mais nous allons examiner les
conditions techniques et psychologiques de cette attitude et
nous exposerons les recommandations de l’expertise INSERM
et ce que l’on peut en tirer en pratique.
Pour être complètement efficace, une mammectomie prophy-
lactique doit enlever la totalité du tissu glandulaire mammaire.
Anatomiquement, ce tissu s’insinue dans le derme, dont il est
mal séparé, sans plan de clivage. Il faut donc emporter tout le
complexe aréolaire et réaliser un sacrifice cutané important,
avec un risque de nécrose pour la peau restante, qui doit être
très arasée dans le souci d’être le plus complet possible.
La glande s’étend du sternum jusqu’au-delà du bord externe du
grand pectoral, quelquefois jusqu’au contact du grand dorsal
sur la ligne axillaire postérieure. En haut, la glande confine à la
clavicule et loin en haut et en dehors au niveau du prolonge-
ment axillaire. Elle s’étend en bas jusqu’à la gaine du grand
droit.
Être sûr d’être radical expose donc à un délabrement impor-
tant. La mammectomie sous-cutanée stricto sensu est trop éco-
nome de peau et de mamelon pour pouvoir être proposée. La
raison oblige à faire une mammectomie la plus totale possible,
en admettant que l’on laisse ainsi 1 à 2 % du tissu glandulaire.
Chez une malade non traitée qui souhaiterait être protégée du
risque qu’elle connaît, il faut bien sûr que l’exérèse soit bilaté-
rale.
Toutefois, les procédés plastiques contemporains ont apporté
une possibilité de diminuer l’agressivité de ce geste. Quels
sont-ils ?
Soit mise en place de prothèse sous-musculaire et sous-cutanée
avec ou sans expansion préalable : les résultats sont loin d’être
parfaits, avec des risques de nécrose et d’infection, et des
aspects plastiques insuffisants compte tenu des résections cuta-
nées et sous-cutanées nécessaires ; soit des procédés plus
lourds, avec des lambeaux musculo-cutanés de grand dorsal ou
de grand droit. Le grand dorsal a pour lui sa fiabilité, mais son
volume est limité et implique parfois la mise en place de pro-
thèse. De plus, la rançon de la cicatrice dans le dos n’est pas
nulle. Le lambeau hypogastrique avec le grand droit doit être
bipédiculé pour faire une reconstruction bilatérale. C’est une
intervention dont les résultats plastiques sont meilleurs, mais
qui est lourde, avec des risques de retentissement sur la sangle
abdominale.
Au total, ces gestes sont importants et ne peuvent se justifier
que si un risque correctement documenté semble démontré.
Les séquelles algiques existent, et les retentissements psycho-
logiques et sexuels, malgré la reconstruction, doivent être pris
en compte.
Dans les meilleurs mains, le suivi des opérées montre que le
risque de survenue d’un cancer persiste, de l’ordre de 1 à 2% ;
il faut informer ces femmes et les surveiller ensuite, tout en
n’omettant pas le risque ovarien, qui n’est pas nul.
À l’inverse, chez des femmes à risque non opérées, il ne faut
pas omettre dans la réflexion le fait que la survenue d’un can-
cer ne veut pas obligatoirement dire décès par ce cancer, ni
même mammectomie obligée lors du traitement. Ces malades
sensibilisées seront bien dépistées et les cancers trouvés seront,
pour beaucoup, curables. La notion de “risque de survenue”
sous-entend aussi que le cancer peut ne pas apparaître, ou que
les aléas de la vie ne lui en laisseront pas le loisir.
Tout cela doit donc aboutir à une très grande prudence. Il faut
informer les malades de la totalité du problème, ne pas céder à
l’angoisse des patientes ou à la sienne propre.
Les Nord-Américains ont une plus longue expérience que nous
de ces questions, et depuis l’enquête de l’expertise INSERM
est paru un article faisant part de l’expérience acquise entre
1960 et 1993 à la Mayo Clinic, où 693 patientes ont été opé-
rées. L’enquête statistique, avec une cohorte appariée, est de
bonne qualité et montre une réduction de 90 % du risque de
survenue de cancer si la chirurgie prophylactique est réalisée,
DOSSIER
Chirurgie prophylactique du cancer du sein
ou de l’ovaire chez des patientes
dont le risque génétique peut être évoqué
●
Jean Cuisenier*
* Centre Georges-François-Leclerc, Dijon.
L’