De Grothendieck à Naor : une promenade dans l’analyse métrique des espaces de Banach
Le corollaire ci-dessous utilise une probabilité
Þ
non triviale.
Corollaire 2.
Pour tout
×∈
(0
,
1) et tout
Ó∈
(0
,
+
∞
),
tout compact métrique
M
de dimension de Haus-
dorffsupérieure à
Ó
contient un sous-ensemble
fermé de dimension de Hausdorffsupérieure à
(1
−×
)
Ó
qui se plonge dans un espace ultramétrique
avec distorsion au plus (9/×).
Pour déduire ce corollaire du théorème 2, on
utilise une mesure de Frostman
Þ
sur
M
, c’est-à-
dire telle que
Þ
(
B
(
x,r
))
6CrÓ
pour tous les couples
(
x,r
), et un calcul facile montre que
S
convient. La
dimension de
S
est là encore optimale, même pour
les sous-ensembles approximativement euclidiens.
Une belle application de ce corollaire due à T. Keleti,
A. Mathe et O. Zindulka, est que si
K
est un compact
métrique de dimension de Hausdorffsupérieure à
n∈
, il existe une surjection lipschitzienne de
K
sur [0,1]n.
Le théorème 2 est lié au théorème des mesures
majorantes de Michel Talagrand [16]. Rappelons
que si
X
est un espace métrique et
PX
l’ensemble
des probabilités sur
X
, la fonctionnelle
Õ2
(
X
) de
Fernique-Talagrand est définie par la formule
Õ2(X) = inf
Þ∈PX
sup
x∈XZ+∞
0q−log(Þ(B(x,r)))dr.
Un point crucial de la démonstration est de
construire dans tout espace métrique fini
X
un sous-
ensemble
S
qui se plonge (avec une majoration
absolue de la distorsion) dans un espace ultramé-
trique et tel qu’on ait
Õ2
(
X
)
6CÕ2
(
S
). Il se trouve
ainsi que le théorème 2 permet de montrer le théo-
rème des mesures majorantes, en le faisant appa-
raître comme le résultat d’une intégration sur
r
d’es-
timations ponctuelles. On peut saisir le lien entre
les deux théorèmes par le rôle joué par les arbres à
branches orthogonales, qui représentent des pro-
cessus gaussiens à accroissements indépendants
et permettent aussi le plongement euclidien des
espaces ultramétriques.
Le corollaire 1 possède aussi des applications en
informatique théorique. C’est d’ailleurs bien natu-
rel, puisqu’un ensemble essentiellement euclidien
constitue un domaine où l’algèbre linéaire et les
nombreux algorithmes qu’elle recèle vont déployer
toute leur puissance. Rappelons d’ailleurs que Naor,
aujourd’hui au Département de mathématiques de
l’université de Princeton, était auparavant membre
de Microsoft Research. Donc, considérons le pro-
blème des distances approchées (approximate dis-
tance oracle). Un espace métrique à
n
points est
complètement déterminé par la donnée des dis-
tances entre points, donc par
n
(
n−
1)
/
2 données.
Mais l’inégalité triangulaire montre que ces don-
nées ne sont pas indépendantes. Il existe donc une
certaine redondance, qui invite à chercher un sous-
ensemble essentiel de distances qui permette d’es-
timer toutes les autres avec une précision donnée
à l’avance. Le corollaire 1 permet à M. Mendel et A.
Naor de montrer l’existence d’un « oracle à temps
constant » pour les distances approchées, comme
suit :
Corollaire 3.
Soit
D>
1. Tout espace métrique
M
à
n
points peut être préparé (preprocessed) en
temps
O
(
n2
), de façon à stocker des données en
nombre
O
(
n1+O(1/D)
)de telle sorte qu’étant don-
nés (
x,y
)
∈M2
, on obtient en temps uniformément
borné un nombre
E
(
x,y
)qui satisfait à
d
(
x,y
)
6
E(x,y)6Dd(x,y).
L’importance de ce résultat (quantitativement
amélioré en 2014 par S. Chechik par des méthodes
similaires) est que le temps de recherche (querry
time) est borné par une constante universelle et
ne dépend donc pas de
D
ni de
n
. Au prix d’une
certaine distorsion
D
, on peut donc contrôler à la
fois le temps de recherche et la taille du stock de
données.
3. L’inégalité de Grothendieck et
l’optimisation combinatoire
Dans l’article de 1953 qui fonde la théorie mé-
trique des produits tensoriels et la théorie moderne
des opérateurs linéaires continus entre espaces de
Banach [6], Alexandre Grothendieck a montré l’in-
égalité suivante : il existe une constante
KG
telle
que, si
SH
désigne la sphère unité de l’espace de
Hilbert (noté le plus souvent
H
), on a pour tous les
entiers net met toute matrice réelle (ai j )
sup{
m
¼
i=1
n
¼
j=1
ai j hxi,yji; (xi),(yj)⊂SH}
6KGsup{
m
¼
i=1
n
¼
j=1
ai j ×iÖj;×i=±1,Öj=±1}.(2)
En d’autres termes, lorsqu’on remplace dans le
membre de gauche l’espace de Hilbert par la droite
réelle, le supremum calculé est du même ordre de
grandeur. Il existe une version complexe de cette
inégalité, qui ne se distingue de la version réelle
que par la valeur de la constante KG.
SMF – GAZETTE – JANVIER 2017 – No151 17