
Croissance et déflation des actifs © BRI
D’une logique élémentaire ? Sans doute, mais comment se fait-il alors que l’on appelle à la rescousse de l’endettement
des politiques monétaires ayant pour objectif affiché de combattre la déflation sur les prix ?
Selon Borio et ses collègues, « l’analyse suggère effectivement un certain nombre de considérations d’actualité dans le
débat politique en cours. Premièrement, c’est une erreur de tirer des conclusions sur les coûts de la déflation à partir de
la Grande Dépression, comme s’il s’agissait d’un archétype. L’épisode fut en fait une aberration en ce qui concerne les
pertes de production ; en outre, la dimension de ces pertes peut être moins liée à la chute du niveau des prix en soi
qu’avec d’autres facteurs, y compris l’effondrement des prix des actifs et les crises bancaires qui en découlent ». En
second lieu, « quand on détermine une réponse politique à la déflation, il est essentiel d’en comprendre les moteurs et,
comme toujours, l’efficacité des outils dont les autorités disposent. Afin de mieux identifier les bénéfices et les risques ».
Enfin, « cela plaide en faveur d’une attention plus grande que ce ne fut le cas jusqu’ici portée par les responsables
politiques au cycle financier – c’est-à-dire les booms et krachs, spécialement dans l’immobilier, ainsi que l’évolution du
crédit au secteur privé ». On est ici dans la continuité des travaux de Borio (lire ici), un des très rares économistes (dans
la sphère officielle et en général) à avoir alerté dès 2004 sur les facteurs de risque qui s’accumulaient dans le système
financier international. Et si un effondrement se produit, la priorité, « après la stabilisation du système financier », doit
être « de s’attaquer frontalement au problème posé par la dette et la mauvaise qualité des actifs, plutôt que de s’en
remettre à un soutien macro-économique excessivement agressif et prolongé en usant des recettes traditionnelles ».
Par « recettes traditionnelles », il faut entendre les « relances keynésiennes » vers lesquelles le G20, encouragé par une
direction du FMI incohérente, s'est précipité en 2009. Et dont un pays comme la Chine, par exemple, paye aujourd’hui les
excès et les distorsions. En repoussant le problème de la dette (publique et privée) sous le tapis des politiques monétaires
dites « non conventionnelles ».
Mais cette étude aussi porte un réquisitoire, un de plus venant de la BRI, non seulement contre l’indifférence au cycle
financier et à ses excès dont les banquiers centraux ont fait preuve pendant la Grande Modération, ignorant, quand ils ne
l’encourageaient pas, la formation de bulles sur les actifs immobiliers et boursiers, occupés qu’ils étaient à se congratuler
à propos de la stabilité des prix des biens et services. Mais la critique vaut tout autant, et logiquement, pour leur
obsession à retrouver un rythme de hausse des prix et des services, « proche de mais inférieur à 2 % » dans le cas de la
BCE, conforme à leur objectif officiel d’avant la crise. Comme si le retour de la croissance en dépendait !
Ce contresens sur la nature et les effets des épisodes de déflation, que nous avions analysé dès 2001 sur le terrain
précurseur du Japon, a évidemment des conséquences désastreuses. Non seulement il ne permet pas de s’attaquer au
problème de la dette (bien au contraire), mais les mesures monétaires « non conventionnelles », de la ZIRP (zero interest
rates policy) au « QE » (assouplissement quantitatif), visant à manipuler cette référence centrale en économie de marché
qu’est le prix de l’argent, ont comme conséquence première d’encourager à nouveau un processus de gonflement des
actifs. Au bénéfice de ceux qui les détiennent, mais sans effet notable sur la croissance de l’économie dite réelle. Les
mêmes causes produisant les mêmes effets, comme en témoigne un niveau global d’endettement en ascension irrésistible
sept ans après le début de la crise (lire ici), on ne voit pas pourquoi l’issue serait différente. Un nouveau choc violent,
mais à partir d’une situation de départ encore plus dégradée.
Mais ces errements politiques se doublent sans doute d’un contresens historique majeur. L’économiste libéral Charles
Gave a le « sentiment depuis un moment (...) que le capitalisme retourne à ses racines déflationnistes du 19e siècle ».
Et de citer trois tendances majeures. D’abord, la chute des prix de l’énergie provoquée par la révolution technologique
permettant l’exploitation des huiles de roche et bouleversant l’équilibre des marchés pétrolier et gazier (lire ici). En second
DéflaƟon et croissance : la destrucƟon créatrice capitaliste au travail hƩp://www.mediapart.fr/print/515019
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