A C T U A L I T É Les sinusites infectieuses de l’adulte ● M. François* ors du Rhinoforum qui s’est tenu les 22 et 23 novembre 1999 à Poitiers, le laboratoire Aventis (anciennement laboratoires Rhône-Poulenc Rorer) a organisé un symposium satellite sur la prise en charge thérapeutique des sinusites infectieuses de l’adulte, stratégies actuelles et futures. Ce symposium interactif était présidé par les Prs J.M. Klossek (Poitiers) et P. Géhanno (Paris). Après une introduction du Pr J.M. Klossek positionnant les problèmes soulevés par les sinusites infectieuses de l’adulte, les Drs P.A. Ferrand (Angers) et C.H. Mercier (Nantes), médecins généralistes, ont présenté les résultats d’une étude observationnelle menée auprès de 193 médecins généralistes, grâce au soutien du laboratoire Aventis. Puis, avant de passer la parole à la salle pour une discussion, le Pr R. Jankowski (Nancy) a fait une mise au point sur la position des experts français et étrangers sur le diagnostic, l’épidémiologie et la prise en charge thérapeutique des sinusites infectieuses de l’adulte. L Les sinusites infectieuses : un thème d’actualité (J.M. Klossek) L’évolution de l’épidémiologie bactérienne des sinusites aiguës et de l’antibiothérapie amène à une réévaluation périodique des stratégies thérapeutiques dans ces infections. Des recommandations ont été publiées dans la littérature internationale, mais elles doivent être appliquées à la pratique française, l’épidémiologie bactérienne et les pratiques pouvant varier d’un pays à l’autre. Au total, 755 patients ont été inclus. L’âge moyen était de 40 ans, avec une proportion identique d’hommes et de femmes. Un tabagisme a été retrouvé dans 35 % des cas, un terrain allergique dans un quart des cas, et un reflux gastro-œsophagien, une bronchite chronique ou un asthme dans près de 8 % des cas. Un tiers des patients consultaient tardivement, après cinq jours d’évolution, alors que 43 % consultaient avant le troisième jour. Trente-neuf pour cent des patients avaient déjà eu au moins un épisode analogue au cours de l’année précédente. La fréquence moyenne était de 1,7 épisode infectieux aigu par patient au cours de l’année précédente. Le nombre d’épisodes antérieurs augmentait avec l’âge des patients ; il était aussi significativement plus élevé chez les patients asthmatiques. Les symptômes conduisant, en médecine générale, au diagnostic de sinusite aiguë, sont dominés par les douleurs (98 % des patients), les signes rhinologiques, le contexte infectieux, et la toux (figure 1). En général, les patients avaient plusieurs symp- Douleur à localisation évocatrice 87 % Douleur faciale provoquée à la pression 80 % Céphalées 78 % Douleur exacerbée à la position penchée en avant 58 % Douleur avec horaire d’exacerbation 24 % Les sinusites infectieuses en pratique de ville Rhinorrhée purulente Les Drs P.A. Ferrand et C.H. Mercier ont présenté les résultats de l’étude SINAIR dont le laboratoire Aventis a été le promoteur. Il s’agit d’une étude observationnelle de la prise en charge diagnostique et thérapeutique des sinusites aiguës infectieuses de l’adulte en pratique médicale courante. Cette étude a été réalisée au cours des quatre premiers mois de l’année 1999. Chacun des 193 médecins généralistes, répartis sur tout le territoire français métropolitain, qui avaient accepté de participer à l’étude, devait remplir un questionnaire pour les quatre premiers patients venus le consulter au cours de cette période pour une sinusite aiguë infectieuse. * Service d’ORL pédiatrique, hôpital Robert-Debré, 48, boulevard Sérurier, 75019 Paris. 74 % Obstruction nasale 70 % Perte de l’odorat 35 % Contexte infectieux rhinopharyngé 66 % Fièvre 65 % Toux 50 % Œdème/Érythème localisé 13 % Mauvais état dentaire (%) 11 % 0 10 20 30 40 50 60 70 80 90 100 Figure 1. Symptomatologie des patients souffrant de sinusite infectieuse aiguë (n = 755). La Lettre d’Oto-rhino-laryngologie et de chirurgie cervico-faciale - n° 251 - mars 2000 7 A C T U A L I tômes associés. L’association la plus fréquente comportait douleur spontanée de localisation évocatrice, douleur à la pression d’un ou plusieurs sinus et rhinorrhée purulente. Elle a été signalée par 79 patients (10,5 %). L’étude fait apparaître une bonne congruence entre le diagnostic de sinusite aiguë porté par les médecins généralistes et la définition proposée par les experts, à savoir l’association d’une douleur, d’un symptôme nasal et d’un signe infectieux, avec moins de trois épisodes par an. Toutefois, la congruence est nettement moins bonne pour les récidives de sinusite (plus de trois épisodes dans l’année) ou les poussées aiguës sur fond chronique, ce qui reflète tout à fait le flou actuel des définitions de ces affections. Des examens complémentaires ont été prescrits chez 129 patients (17 %), ce pourcentage atteignant 30 % lorsqu’il s’agissait de récidives ou de poussées de réchauffement de sinusites chroniques. Dans 4 cas sur 5, il s’agissait d’une radiographie des sinus de la face. En ce qui concerne la stratégie thérapeutique, rappelons tout d’abord qu’il s’agissait d’une étude observationnelle et que les médecins étaient tout à fait libres de leur thérapeutique. Deux tiers des ordonnances comportaient 3 ou 4 médicaments. Pratiquement tous les patients (97 %) ont reçu un antibiotique, mais les antibiotiques ne représentent que 29 % des prescriptions. L’antibiotique le plus fréquemment prescrit était l’association amoxicilline-acide clavulanique (26,5 % des patients) suivi, par ordre de fréquence décroissante, par le céfuroxime, le céfixime, la pristinamycine (figure 2). Les autres médicaments prescrits étaient essentiellement des antitussifs ou des expectorants, et des corticoïdes (41 % des patients, 13 % des prescriptions) (figure 3). Les traitements par voie locale étaient dominés par les décongestionnants locaux sans corticoïdes (15 %) ou avec corticoïdes (9 %). Pratiquement, trois quarts des patients ont eu une pres- Amoxicilline/acide clavulanique 26,5 % Céfuroxime 14,1 % Céfixime 8% Pristinamycine 7,7 % Céfotiam 6,2 % Cefpodoxime 6,1 % Amoxicilline 4,6 % Clarithromycine 3,5 % Ofloxacine 3,1 % Céfatrizine 3,1 % (% prescriptions) 0 5 10 15 20 25 30 Figure 2. Antibiotiques (DCI) prescrits par ordre de fréquence décroissante. 8 T É Classes EPHEMRA Antibiotiques 29 % Antitussifs et expectorants 15 % Corticoïdes par voie générale 13% Analgésiques et antipyrétiques 11 % AINS Décongestionnants rhinopharyngés par voie générale Décongestionnants rhinopharyngés locaux sans corticoïdes Décongestionnants rhinopharyngés locaux avec corticoïdes (% prescriptions) 0 4% 2% 15 % 9% 5 10 15 20 25 30 Figure 3. Répartition des traitements par classe thérapeutique. cription associant des traitements par voie générale et par voie locale. Seuls 4 % des patients ont été adressés à un ORL, principalement du fait de la chronicisation des symptômes ou du caractère très récidivant des épisodes infectieux aigus. Un tiers des patients ont eu une deuxième consultation, soit à titre systématique (deux tiers des cas), soit à la demande du patient (un tiers des cas). Le traitement initial a été considéré comme un succès dans 79 % des cas. La persistance de symptômes, en particulier des douleurs, de l’obstruction nasale ou de la rhinorrhée constituait, pour les médecins généralistes, des signes d’échec. Cette communication a suscité quelques commentaires. Le recours à l’ORL, selon un sondage fait parmi les 150 participants à ce symposium, devrait être envisagé certes en cas de récidive fréquente, mais aussi dans deux tableaux cliniques qui ne sont pas apparus au cours de l’enquête SINAIR (ce qui montre qu’elles sont rares dans la pratique des médecins généralistes) : en cas de douleur intense, qui correspond en général à une sinusite bloquée pouvant nécessiter une ponction, et en cas de complication. Le traitement antibiotique des sinusites aiguës infectieuses de l’adulte doit tenir compte des antécédents d’épisodes analogues. En effet, la résistance aux antibiotiques des germes impliqués est plus fréquente en cas de récidive ou en cas de poussée de réchauffement d’une sinusite chronique qu’en cas d’épisode isolé. Les sinusites chroniques sont souvent secondaires à un foyer dentaire et peuvent alors être dues à un anaérobie. Les sinusites infectieuses : la position des experts (R. Jankowski) Il n’y a pas de consensus sur la définition et la prise en charge des sinusites de l’adulte. Récemment, deux groupes d’experts internationaux ont élaboré des recommandations [Report of the Rhinosinusitis Task Force Committee Meeting. Otolaryngol Head Neck Surg 1997 ; 117 : S1-S68 ; International Rhinosinusitis La Lettre d’Oto-rhino-laryngologie et de chirurgie cervico-faciale - n° 251 - mars 2000 Advisory Board. Infectious rhinosinusitis in adults : classification, etiology and management. Ear Nose Throat J 1997 ; 76 (12) : 3-22]. Ces experts ont confirmé que la prise en charge des sinusites de l’adulte était assurée, dans la majorité des cas, par les généralistes. Dans la mesure où ceux-ci ne pratiquent pas l’endoscopie endonasale, le diagnostic doit reposer sur des critères cliniques simples. Les radiographies ne sont pas indispensables au diagnostic, tout au moins dans les formes simples. Le diagnostic repose sur l’interrogatoire et l’examen clinique. L’interrogatoire fera préciser les symptômes, leur ancienneté, leur évolution, l’existence d’épisodes antérieurs, et recherchera des facteurs favorisants tels que asthme, tabagisme et reflux gastro-œsophagien. L’examen clinique recherchera l’obstruction nasale et précisera la nature des sécrétions nasales. Le diagnostic de rhinosinusite est porté surtout sur l’existence de signes majeurs comme la douleur faciale, la congestion nasale, la rhinorrhée et la fièvre (tableau I). Leur association avec des critères mineurs n’est pas totalement validée. Symptômes aigus !Obstruction/congestion nasale !Rhinorrhée !Douleur faciale à la pression Durée ≥ 12 semaines Durée < 12 semaines non Rhinosinusite virale probable !Fièvre ? !Douleur dentaire ? !Douleur faciale ? !Érythème ? !Œdème ? Rhinosinusites chroniques Aggravation des symptômes ± fièvre ou douleur faciale oui Durée > 8-10 j Exacerbation de rhinosinusites chroniques Rhinosinusites aiguës bactériennes oui > 4 épisodes/an oui Tableau I. Critères mineurs et majeurs de diagnostic d’une rhinosinusite de l’adulte (selon le Rhinosinusitis Task Force Committee). Majeurs Mineurs Douleurs faciales Céphalées Congestion/obstruction nasale Halitose Rhinorrhée antérieure ou postérieure purulente Douleur dentaire Toux Fièvre > 38 °C Otalgie La distinction entre rhinosinusite aiguë et poussée de réchauffement d’une rhinosinusite chronique est fondée sur l’existence de signes intercritiques (figure 4). La rhinosinusite est dite récidivante s’il y a plus de quatre épisodes aigus par an, séparés par des périodes asymptomatiques. Le traitement des rhinosinusites a pour but de soulager les symptômes, de prévenir les complications et d’éradiquer les bactéries présentes dans les cavités sinusiennes. En l’absence habituelle de prélèvement (les indications des ponctions de sinus sont limitées), l’antibiothérapie est probabiliste et s’appuie sur les études épidémiologiques les plus récentes possible et faites dans le pays où habite le patient. Les tableaux II et III donnent les résultats de deux enquêtes épidémiologiques françaises, l’une dans les sinusites aiguës, l’autre dans les sécrétions purulentes de sinusite chronique, chez l’adulte. Dans les sinusites aiguës, le traitement antibiotique doit être actif sur Haemophilus, Streptococcus pneumoniae et Moraxella catarrhalis, sachant qu’un nombre important de souches sont résistantes et qu’il faut en tenir compte pour le choix de l’antibiothérapie. Les anaérobies peuvent être isolés dans les sinusites aiguës d’origine dentaire. Dans les poussées de réchauffement des Rhinosinusites aiguës récidivantes Figure 4. Algorithme de diagnostic des rhinosinusites bactériennes de l’adulte selon les recommandations internationales. Tableau II. Épidémiologie bactérienne des sinusites maxillaires aiguës de l’adulte (Géhanno P. et coll. Médecine Thérapeutique 1997 ; 3 : S108-112). Germes Fréquence (%) Aucun 20-30 Haemophilus influenzae 30-40 Streptococcus pneumoniae 20-25 Moraxella catarrhalis 10-15 Staphylococcus aureus < 5 par ponction 10-20 par prélèvement au méat moyen Anaérobies 5-10 par ponction 1-2 par prélèvement au méat moyen Prélèvements plurimicrobiens 10 rhinosinusites chroniques, il faut que l’antibiotique soit aussi actif sur les staphylocoques et les anaérobies, ces derniers étant présents dans plus du tiers des prélèvements rapportés dans l’étude de Klossek et coll. (tableau III). La durée de traitement préconisée pour les rhinosinusites aiguës est de 10 à 14 jours. Elle n’est pas définie pour les rhinosinusites chroniques bactériennes. La Lettre d’Oto-rhino-laryngologie et de chirurgie cervico-faciale - n° 251 - mars 2000 9 A C T U A L Tableau III. Épidémiologie des sécrétions purulentes chroniques (> 3 mois) (Klossek J.M. et coll. J Laryngol Otol 1998 ; 112 : 1162-6). Germes Staphylococcus aureus Streptococcus viridans Haemophilus influenzae Streptococcus pneumoniae Prevotella sp. Fusobacterium sp. Rhinosinusite chronique Témoin Aérobies (n = 482) Aérobies (n = 60) 90 (18,6 %) 48 (10 %) 43 (8,9 %) 38 (7,9 %) 19 (11,9 %) 6 (3,7 %) 2 (1,2 %) 2 (1,2 %) Anaérobies (n = 159) Anaérobies (n = 29) 29 (18,2 %) 14 (8,8 %) 0 0 P 0,003 0,01 0,001 0,003 0,002 0,03 Il n’y a pas de recommandations précises pour la corticothérapie, qu’elle soit locale ou systémique, les décongestionnants, les mucolytiques, les antihistaminiques. Des études complémentaires sont nécessaires pour évaluer leur apport dans le traitement des rhinosinusites tant aiguës que chroniques. Questions diverses ● Sinusites uni- et bilatérales : même prise en charge ? Dans la stratégie diagnostique et thérapeutique, l’évolution des symptômes est importante, mais aussi leur caractère uni- ou bilatéral. Si la sinusite récidive et est bilatérale, il s’agit d’une maladie d’organisme. En revanche, si elle récidive et est unilatérale, il s’agit d’une maladie d’organe qui peut nécessiter un geste chirurgical (P. Dessi, Marseille), d’où l’importance, à ce momentlà, d’une imagerie. ● Informations apportées par l’aspect du mouchage Il importe surtout de distinguer le mucus collant d’une franche purulence. Seule cette dernière est évocatrice d’une rhinosinusite aiguë. Il ne faut pas attacher trop d’importance à la coloration du mouchage. Le mouchage jaune est lié à la présence dans les sécrétions nasales de lysats de polynucléaires et ne correspond pas à un germe particulier (R. Jankowski). 10 I T É ● Comment faire la différence entre rhinosinusites bactériennes et virales ? La seule façon pratique pour affirmer qu’une rhinosinusite est d’origine bactérienne est de faire un prélèvement, de rechercher des polynucléaires altérés et de compter les germes quand on en trouve (P. Géhanno). On considère qu’une bactérie est pathogène s’il y a plus de 104 UFC/ml (UFC = unités formant colonie). L’intensité de la fièvre n’est pas discriminante. ● Quel antibiotique prescrire ? La plupart des antibiotiques couramment utilisés (pristinamycine, amoxicilline + acide clavulanique, céphalosporines orales de deuxième ou de troisième génération) sont efficaces dans la majorité des cas. Mais l’émergence de pneumocoques de sensibilité diminuée à la pénicilline peut conduire à optimiser la stratégie thérapeutique (P. Dellamonica, Nice). Les streptogramines (pristinamycine), du fait de leur activité conservée sur les pneumocoques de sensibilité diminuée à la pénicilline, peuvent constituer une bonne alternative en situation probabiliste. Quant aux nouvelles fluoroquinolones, P. Géhanno a insisté sur le fait qu’elles devraient être réservées aux sinusites compliquées ou à risque de complication comme les sinusites fronto-ethmoïdales et les sinusites sphénoïdales. ● Quelle est la place des traitements non antibiotiques ? Antipyrétiques et antalgiques sont prescrits systématiquement. Il ne faudrait pas prescrire d’emblée une corticothérapie. L’intérêt des vasoconstricteurs (souvent prescrits, aussi bien par les médecins généralistes que par les ORL) demanderait à être confirmé par des études versus placebo bien difficiles à mettre en place (ne serait-ce pas le rôle des autorités de santé ?) (J.M. Klossek). Conclusion La majorité des sinusites sont diagnostiquées et prises en charge par des médecins généralistes, sur la base de critères cliniques. La radiographie n’est demandée que dans les formes inhabituelles. Elle est moins performante que l’examen endoscopique des fosses nasales tel que peut le réaliser l’ORL. Le traitement repose sur l’antibiothérapie adaptée aux germes les plus fréquemment rencontrés dans ces infections. Les formes compliquées, mais aussi les formes traînantes ou récidivantes devraient être adressées à l’ORL. ■ La Lettre d’Oto-rhino-laryngologie et de chirurgie cervico-faciale - n° 251 - mars 2000