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Médecine
& enfance
Sinusites aiguës bactériennes :
diagnostic et prise en charge
RECOMMANDATIONS
M. François
service ORL, hôpital Robert-Debré, Paris
L’American Academy of Pediatrics (AAP) a mis à jour ses recommandations
pour le diagnostic et la prise en charge des sinusites aiguës bactériennes
de l’enfant [1]. Le document complet est disponible sur internet (1). Cette révision a été faite à partir de l’analyse des études prospectives et randomisées,
ainsi que des méta-analyses parues sur le sujet en langue anglaise depuis la
dernière mise à jour, qui date de 2001 [2]. Ces recommandations ne concernent pas les nouveau-nés et les nourrissons de moins de un an, ni les adultes.
Elles se limitent aux sinusites bactériennes aiguës ; elles ne concernent pas les
sinusites allergiques, ni les sinusites subaiguës ou chroniques. Enfin, elles ne
concernent pas les enfants de un à dix-huit ans qui ont une malformation des
sinus, une immunodéficience, une mucoviscidose ou une dyskinésie ciliaire.
Rubrique dirigée par C. Copin
LE DIAGNOSTIC DE
SINUSITE BACTÉRIENNE
AIGUË EST CLINIQUE
pérature supérieure ou égale à 39 °C et
une rhinorrhée purulente depuis au
moins trois jours.
IMAGERIE
La distinction entre une rhinopharyngite et une sinusite bactérienne se fait sur
la durée ou l’intensité des symptômes.
L’examen clinique est peu informatif,
car la congestion des cornets et leur aspect inflammatoire ne sont pas spécifiques. La douleur à la pression ou à la
percussion des pommettes n’a pas de
valeur. La transillumination est abandonnée car non fiable. Les prélèvements microbiologiques au niveau du
nez ou du cavum ne peuvent pas prédire la nature bactérienne ou non d’une
sinusite, si sinusite il y a.
Le diagnostic de sinusite bactérienne
peut être porté devant l’un des trois tableaux cliniques suivants :
첸 infection des voies respiratoires supérieures avec persistance depuis au
moins dix jours, sans tendance à l’amélioration, d’une rhinorrhée ou d’une
toux diurne ;
첸 accentuation de la rhinorrhée ou de
la toux ou réapparition d’une fièvre
après un début d’amélioration, en général vers le sixième ou septième jour ;
첸 forme sévère d’emblée, avec une temoctobre 2013
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Les praticiens ne peuvent pas compter
sur l’imagerie pour différencier une infection bactérienne d’une infection virale. En effet, une opacité sinusienne, un
épaississement muqueux de plus de
4 mm et même un niveau liquide peuvent se voir chez des enfants qui ont
une rhinopharyngite virale.
Un examen tomodensitométrique
(TDM) avec injection de produit de
contraste doit être demandé dès que
l’on suspecte une complication endocrânienne ou intraorbitaire. Il sera éventuellement complété par une imagerie
par résonance magnétique nucléaire
(IRM) avec injection de produit de
contraste, surtout en cas de complication intracrânienne. Les complications
intraorbitaires surviennent essentiellement chez des enfants de moins de cinq
ans qui ont une ethmoïdite aiguë. Elles
doivent être évoquées en cas d’œdème
palpébral, surtout s’il y a un proptosis ou
une diminution de la mobilité oculaire.
(1) http://www2.aap.org/informatics/PPI.html.
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Les complications intracrâniennes surviennent chez les adolescents qui ont
une sinusite frontale aiguë. Elles sont
évoquées en cas de céphalées violentes,
de photophobie, de convulsions ou de
signe neurologique déficitaire. Il peut
s’agir d’un empyème sous-dural, ou épidural, d’une thrombose veineuse, d’un
abcès intracérébral ou d’une méningite.
ANTIBIOTHÉRAPIE
OU NON ?
L’antibiothérapie est préconisée dans
les formes sévères et dans les formes
avec aggravation secondaire. En cas
d’évolution prolongée sur plus de dix
jours d’une rhinopharyngite aiguë, le
praticien peut prescrire un antibiotique
ou attendre trois jours de plus sous traitement symptomatique.
Trois essais cliniques randomisés versus
placebo ont été publiés, en 1984, 1986
et 2009. Ils montrent une augmentation
du nombre d’enfants guéris ou améliorés dans le groupe traité par antibiotiques par rapport au groupe placebo.
Cependant, la solution d’attente est justifiée en cas de symptômes légers, peu
invalidants, par le fait que les chances
de guérison spontanée sont importantes
(de 60 à 80 %) et le risque de complication infectieuse extrêmement faible. Il
faut tenir compte, dans la discussion
avec les parents sur l’opportunité d’un
traitement antibiotique, du fait que celui-ci peut avoir des effets adverses, essentiellement diarrhée et rash cutané.
QUEL ANTIBIOTIQUE ?
L’antibiotique à prescrire de première
intention, dans les formes qui ne sont
pas les formes sévères, est l’amoxicilline, associée ou non à l’acide clavulanique.
L’amoxicilline seule a un spectre relativement étroit, mais couvrant les germes
habituellement en cause : Haemophilus
influenzae non sécréteur de bêtalactamases et Streptococcus pneumoniae
sensible à la pénicilline. De fait, les essais cliniques montrent qu’elle est effi-
cace et a peu d’effets adverses, que les
présentations ont généralement un goût
accepté par les enfants et sont peu coûteuses. La posologie recommandée est
de 45 mg/kg/j en deux prises. Cependant, dans les régions où la prévalence
de S. pneumoniae résistant ou intermédiaire à la pénicilline dépasse 10 %, la
posologie recommandée est de 80 à
90 mg/kg/j en deux prises avec un
maximum de 2 g par prise.
Si l’enfant a moins de deux ans, ou est
gardé en crèche, ou a reçu un antibiotique dans le mois précédent, le risque
qu’il ait un germe sécréteur de bêtalactamase est plus élevé, et la recommandation américaine est de prescrire l’association amoxicilline-acide clavulanique (80-90 mg/kg/j d’amoxicilline,
6,4 mg/kg/j d’acide clavulanique en
deux prises).
Chez les enfants qui ont une intolérance
alimentaire absolue, il est possible d’utiliser une dose unique de ceftriaxone,
50 mg/kg en IM ou en IV, éventuellement renouvelée le lendemain, suivie
d’un relais per os s’il y a amélioration
clinique. En cas d’allergie à l’amoxicilline, le traitement peut être du cefdinir
(non commercialisé en France), du céfuroxime ou du cefpodoxime.
La situation doit être réévaluée en cas
d’aggravation ou d’apparition d’autres
symptômes, mais aussi s’il n’y a pas
d’amélioration au bout de trois jours.
Ce délai de trois jours vient du fait que,
dans les essais cliniques, pour 83 % des
enfants sous antibiotiques, l’amélioration était effective au bout de trois jours
et qu’aucune amélioration ne s’est produite entre le troisième et le dixième
jour. Après réexamen et vérification du
diagnostic de sinusite et de l’absence
d’autre foyer infectieux, un traitement
antibiotique est initié si l’enfant n’en
avait pas. Si l’enfant était sous amoxicilline, il faut passer à l’association amoxicilline-acide clavulanique ; si l’enfant
était sous fortes doses d’amoxicillineacide clavulanique, il faut passer à l’association clindamycine-céfixime ou linézolide-céfixime ou lévofloxacine.
La durée du traitement n’est pas encore
bien fixée. Il y a un consensus pour prooctobre 2013
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poser de traiter encore sept jours après
guérison clinique.
Dans les formes sévères, il est recommandé d’emblée une antibiothérapie
parentérale par céfotaxime ou ceftriaxone.
Dans les formes compliquées, le traitement peut être ambulatoire, avec de
fortes doses de l’association amoxicilline-acide clavulanique, si l’œil s’ouvre au
moins de moitié et que l’enfant peut être
revu tous les jours jusqu’à guérison clinique. Dans tous les autres cas, il est recommandé une hospitalisation pour antibiothérapie parentérale par vancomycine, ceftriaxone et métronidazole ou
ampicilline-sulbactam ou pipéracillinetazobactam.
LES TRAITEMENTS
ADJUVANTS
Il n’y a que deux essais cliniques chez
l’enfant qui ont étudié l’efficacité des
corticoïdes intranasaux. L’effet est modeste (Barlan 1997, Yilmaz 2000).
Une étude chez l’enfant a montré l’intérêt des lavages de nez (pas des simples
nébulisations) (Wang 2009).
Il n’y a aucune donnée sur les vasoconstricteurs oraux ou nasaux, les antihistaminiques, les mucolytiques.
SINUSITES RÉCIDIVANTES
Il y a un consensus pour parler de sinusite récidivante si l’enfant fait au moins
4 épisodes par an, chacun durant moins
de 30 jours, avec un intervalle libre d’au
moins 10 jours entre 2 épisodes. Il est
alors recommandé de rechercher une
cause favorisante sur laquelle on peut
agir médicalement (reflux gastro-œsophagien, allergie respiratoire) ou chirurgicalement, comme certaines anomalies anatomiques diagnostiquées sur
le TDM. En l’absence de cause favorisante, la recommandation est de vacciner ces enfants tous les ans contre la
grippe et de les vacciner contre le pneumocoque. Une antibiothérapie prophylactique prolongée peut être envisagée
pendant la saison hivernale.
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COMMENTAIRES
Ce qui est très nouveau par rapport aux
recommandations de l’AAP de 2001 et
par rapport aux recommandations de la
Société de pathologie infectieuse de
langue française et de la Société française d’ORL de 2011, c’est la prise en
compte pour le diagnostic de sinusite
d’une aggravation secondaire après un
début d’amélioration des symptômes
d’une rhinopharyngite aiguë. L’association fièvre et rhinorrhée est fréquente
chez l’enfant, et correspond le plus souvent à une rhinopharyngite aiguë virale.
Dans ce cas, la rhinorrhée est au départ
claire et fluide, puis devient plus visqueuse et éventuellement purulente
(épaisse, colorée et opaque). Elle redevient ensuite claire avant de disparaître,
le tout sur quelques jours. La rhinorrhée
s’accompagne d’obstruction nasale et de
toux. La fièvre est présente au début,
avec des signes d’accompagnement tels
que céphalées et myalgies et ne dure
qu’un à deux jours. La durée totale
d’évolution d’une rhinopharyngite non
compliquée est de cinq à sept jours. La
réapparition de la fièvre au quatrième
ou cinquième jour ou l’exacerbation de
la toux dans ce délai doivent faire envisager le diagnostic de sinusite, sans attendre dix jours comme le préconisaient
les recommandations précédentes de
l’AAP et les recommandations françaises actuelles.
Par ailleurs, les Américains introduisent
un délai de trois jours pour le diagnostic
des formes sévères, pour différencier les
formes sévères de rhinosinusite des
formes sévères de rhinopharyngite type
« grippe » (sans test rapide pour prouver
la responsabilité de tel ou tel virus), où
la fièvre ne dure en principe que deux
jours et où la rhinorrhée purulente si elle existe n’apparaît pas d’emblée mais
au bout de quelques jours. Cela n’est
pas valable pour les formes extériorisées avec œdème périorbitaire, ni pour
les formes avec complications endocrâniennes, où on ne saurait attendre trois
jours avant d’initier le traitement antibiotique idoine !
Ces recommandations insistent sur l’inutilité de l’imagerie pour identifier les enfants qui relèvent d’une antibiothérapie.
Elles recommandent en première intention un TDM pour la recherche de complications intraorbitaires ou intracrâniennes suspectées à l’examen clinique.
Et, nouveauté par rapport aux recommandations de l’AAP de 2001 [2] et de la
Société française de radiologie de 2009
[3], elles actent le fait que le TDM peut
être pris en défaut et qu’en cas de discordance entre la clinique et le TDM, il faut
compléter par une IRM avec injection de
produit de contraste.
En ce qui concerne le traitement, on note un petit recul de l’antibiothérapie,
puisqu’il est envisageable, lorsque les
symptômes sont légers, de se donner un
délai d’observation de trois jours. Les
doses d’amoxicilline recommandées
(45 mg/kg/j) sont inférieures à celles
des recommandations françaises (8090 mg/kg/j) [4] , mais avec de nombreuses exceptions. Par ailleurs, il est
clairement dit qu’il est licite de traiter
en ambulatoire une ethmoïdite aiguë
extériorisée si l’œdème n’empêche pas
l’enfant d’ouvrir son œil à moitié et si
les parents peuvent ramener l’enfant le
lendemain.
Le vrai problème est qu’il n’existe aucune
étude épidémiologique récente sur la
bactériologie des sinusites aiguës de l’enfant. Les deux études citées sont celles
d’Ellen Wald et al. de 1981 et 1984. Cela
tient au fait que les ponctions de sinus
sont très rares, car elles nécessitent une
anesthésie générale chez l’enfant. Les indications des ponctions de sinus sont actuellement réservées aux formes les plus
graves, dont la bactériologie est probablement différente de celle des formes
légères. Il est montré que le prélèvement
endonasal et le prélèvement dans le pharynx ne préjugent en rien de ce qui se
passe dans les sinus. Par ailleurs, le prélèvement au méat moyen est en pratique
impossible chez le jeune enfant du fait
de l’étroitesse de ses fosses nasales.
En conclusion, une meilleure analyse des
données cliniques, la prise en compte
non pas seulement de l’existence d’un
symptôme mais aussi de son intensité, et
le dialogue avec la famille permettent
d’optimiser la prise en charge des enfants
qui ont une sinusite bactérienne aiguë,
de cibler les indications de l’antibiothérapie, de réduire les demandes d’examens
첸
inutiles et les séjours hospitaliers.
Références
[1] WALD E.R., APPLEGATE K.E., BORDLEY C., DARROW D.H.,
GLODE M.P. et al. : « Clinical practice guideline for the diagnosis
and management of acute bacterial sinusitis in children aged 1
to 18 years », Pediatrics, 2013 ; 132 : e262-80.
[2] AMERICAN ACADEMY OF PEDIATRICS, SUBCOMMITTEE
ON MANAGEMENT OF SINUSITIS AND COMMITTEE ON
QUALITY IMPROVEMENT : « Clinical practice guideline : management of sinusitis », Pediatrics, 2001 ; 108 : 798-808.
[3] SOCIÉTÉ FRANÇAISE DE RADIOLOGIE, SOCIÉTÉ FRANÇAISE DE BIOPHYSIQUE ET DE MÉDECINE NUCLÉAIRE : « Guide
du bon usage des examens d’imagerie médicale », 2009,
www.sfrnet.org.
[4] SFORL : « Recommandations pour la pratique clinique. Antibiothérapie des infections des voies aériennes supérieures de
l’adulte et de l’enfant », www.orlfrance.org.
medecine-et-enfance.net
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octobre 2013
page 278
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