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H A R M A C O L O G I E
Prise en charge pharmacologique de l’addiction :
pharmacothérapies actuelles et perspectives thérapeutiques
Pharmacological approaches to the management of alcoholism:
current and promising drugs
●
R. Bordet*, T. Danel**
RÉSUMÉ. Au-delà de la prise en charge psychosociale, du traitement de substitution ou des traitements du syndrome de sevrage, le véritable
enjeu de la prise en charge thérapeutique de l’addiction reste de pouvoir contrôler le processus addictif lui-même par des traitements étiopathogéniques. C’est en diminuant le pouvoir renforçant et/ou le craving induits par les différentes drogues, par la modulation des voies neurobiologiques qui les sous-tendent, qu’un véritable traitement physiopathologique permettrait de prévenir la rechute. L’implication d’une perturbation du circuit mésolimbique de récompense et des voies de neurotransmission (dopaminergiques, glutamatergiques, GABAergiques,
sérotoninergiques ou opioïdes) qui sont impliquées dans ce dysfonctionnement constituent autant de cibles des traitements physiopathologiques existants ou potentiels des différentes formes d’addiction.
Mots-clés : Addiction - Neurotransmission - Glutamate - Récepteurs opioïdes - Dopamine.
ABSTRACT. Beyond psychosocial approach, substitutive treatment or prevention of withdrawal, the main goal of addiction treatment remains
to control the process by itself using etiopathogenic pharmacological approaches. The decrease of drug-induced memory of reinforcing effect
or craving by modulating neurobiological pathways which underlie both phenomena could prevent the relapse. Current or promising pharmacological treatments are targeted to reward system dysfunction and to involved neurotransmitters (dopamine, opioids, glutamate, GABA or
serotonin)
Keywords: Addiction - Neurotransmission - Glutamate - Opioid - Dopamine
u-delà de la prise en charge psychosociale, du
traitement de substitution qui mime les effets de
la drogue dans des conditions socialement acceptables ou des traitements qui atténuent les symptômes physiques
du syndrome de sevrage, le véritable enjeu de la prise en charge
thérapeutique de l’addiction serait de pouvoir contrôler la
dépendance “psychique” et son corollaire, le craving, c’est-àdire le besoin impérieux de reprendre de la drogue, qui conduit
à l’usage irrépressible et compulsif, à la perte de contrôle visà-vis de la consommation de drogue, au rétrécissement progressif des conduites avec un intérêt centré sur la conduite
addictive et donc à la rechute, par échec des tentatives d’autoet d’hétérorégulation de la conduite addictive (1-3). C’est en
diminuant la mémoire des effets renforçants de la drogue ou le
craving en cas d’arrêt, par la modulation des voies neurobiologiques qui sous-tendent ces deux phénomènes, qu’un véritable traitement physiopathologique permettrait de prévenir la
rechute (4-6). Cette mémorisation du pouvoir renforçant et le
phénomène de craving qui entretient le processus addictif résultent d’une perturbation du circuit mésolimbique de récompense,
et les voies de neurotransmission (dopaminergiques, glutamatergiques, sérotoninergiques, opioïdes…) qui sont impliquées
A
dans ce dysfonctionnement constituent autant de cibles des traitements physiopathologiques existants ou potentiels de l’addiction à l’alcool, au tabac, aux opiacés ou à la cocaïne et autres
psychostimulants (figure 1) (7-9).
*EA1046 - Laboratoire de pharmacologie, faculté de médecine de Lille, 59000 Lille ;
**Clinique d’addictologie, CHRU de Lille, 59000 Lille.
Figure 1. Principales voies de neutrotransmission impliquées dans
la physiopathologie de l’addiction.
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La Lettre du Pharmacologue - Volume 18 - n° 1 - janvier-février-mars 2004
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Alors que les mécanismes physiopathologiques sont habituellement considérés comme communs aux différents types d’addiction, l’analyse de la littérature ou des autorisations de mise
sur le marché révèle que le développement d’une classe médicamenteuse ne concerne souvent qu’un ou deux types d’addiction et que, en dépit des nombreuses pistes pharmacologiques évoquées dans la prise en charge thérapeutique des
addictions, seules de rares classes médicamenteuses sont sur le
marché. Le développement de médicaments dans l’addiction
achoppe également sur des problèmes méthodologiques concernant les essais cliniques : choix d’un critère de jugement pertinent, difficulté de compliance des patients dans un essai en
raison de troubles de personnalité, extrapolation des résultats
des tests précliniques. Le but de cet article est de faire le point
sur les stratégies thérapeutiques validées et de tenter de faire
une synthèse des données de la littérature concernant les autres
pistes pharmacologiques (tableau I), en abordant successivement les principales voies de neurotransmission dont la modulation pharmacologique peut se révéler intéressante dans l’addiction (10, 11).
MODULATION DU SYSTÈME OPIOÏDE
Le système opioïde endogène est impliqué dans le pouvoir renforçant de la prise de cocaïne ou d’alcool, par le biais d’une
augmentation de la libération de dopamine (2, 6). La dépendance aux substances opiacées pourrait également, au moins
en partie, s’expliquer par un effet direct sur la voie mésocorticolimbique dopaminergique, dont témoigne, par des expériences
de microdialyse, la mise en évidence d’une augmentation de la
libération de dopamine après administration de morphine chez
l’animal. Ces interactions entre systèmes opioïde et dopaminergique sous-tendent l’utilisation de la naltrexone, un antagoniste des récepteurs opioïdes, dans plusieurs formes de
dépendance.
Le traitement par naltrexone peut être utilisé dans le cas de
dépendance aux opiacés, afin d’antagoniser les effets renforçants de la prise de ce type de drogue ou du traitement substitutif. Contrairement à la méthadone, la naltrexone ne possède
pas d’effet agoniste et constitue un traitement plus étiopathogénique que les opiacés de substitution (9). Ce médicament a
Tableau I. Synopsis des principaux résultats cliniques d’efficacité de la modulation pharmacologique des différentes voies de neurotransmission. Les résultats sont présentés selon la classification suivante : niveau de preuve justifiant l’utilisation (AMM) ; niveau de preuve
n’ayant pas encore donné lieu à une AMM (grade II : au moins deux études contrôlées et randomisées positives ; grade III : résultats positifs mais issus d’études méthodologiquement critiquables ; grade IV : résultats positifs issus d’études non contrôlées) ; absence d’efficacité
démontrée (0) ; absence d’évaluation disponible (n.d.).
Système opioïde
✓ antagonistes
(naltrexone, naloxone)
✓ agonistes-antagonistes
(buprénorphine)
Système glutamatergique
✓ acamprosate
✓ autres antagonistes (mémantine,
amantadine)
Système dopaminergique
✓ inhibiteur de recapture
(bupropion, mazindol,
méthylphénidate)
✓ antagonistes
✓ agonistes
Alcool
Opiacés
Tabac
Psychostimulants
AMM
AMM
0
grade III
n.d.
grade III
n.d.
grade III
AMM
n.d.
n.d.
grade III
(mémantine, amantadine)
n.d.
n.d.
n.d.
0
(amantadine)
n.d.
n.d.
AMM
(bupropion)
0
(mazindol, méthylphénidate)
n.d.
grade III
n.d.
0
0
n.d.
(flupenthixol, tiapridal, halopéridol)
0
grade III (bromocriptine)
Système sérotoninergique
✓ inhibiteur spécifique
de la recapture
✓ antagonistes 5HT3
✓ agonistes 5HT1A
grade III (formes sévères)
0
n.d.
0
grade II (formes à début précoce)
grade III (effet anxiolytique)
n.d.
n.d.
n.d.
0
n.d.
n.d.
Système noradrénergique
✓ clonidine
✓ bêtabloquants
grade III (sevrage)
grade III (sevrage)
grade III (sevrage)
n.d.
grade III (sevrage)
grade III (sevrage)
n.d.
grade III (sevrage)
grade II (sevrage)
0
0
0
grade IV
n.d.
grade IV
grade III
Système GABAergique
✓ agonistes GABA-A
(benzodiazépines)
✓ agonistes GABA-B
(baclofène)
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été commercialisé aux États-Unis en 1984 comme traitement
d’aide au maintien de l’abstinence chez des patients toxicomanes sevrés. Dans une méta-analyse des essais randomisés,
Kirchmayer et al. concluaient à une efficacité de la naltrexone,
mais avec un faible niveau de preuve, comme en attestent les
résultats contradictoires d’essais thérapeutiques menés depuis
(12). Le pré-requis constitué par le sevrage complet aux opiacés avant l’instauration du traitement et la concurrence des produits de substitution font que la naltrexone est rarement utilisée en pratique courante dans le traitement de la dépendance
aux opiacés (13). La buprénorphine, par ses propriétés d’agoniste-antagoniste opioïde, pourrait, au-delà de ses propriétés
substitutives, avoir également un effet préventif sur l’addiction,
en modulant les variations d’activité des voies de neurotransmission opioïdes. Des essais cliniques en cours suggèrent que
l’utilisation de la buprénorphine pourrait diminuer la dépendance aux opiacés, mais aussi à la cocaïne (14, 15). Peu de données permettent d’étayer l’intérêt des antagonistes des récepteurs opioïdes dans l’addiction au tabac (9).
tait entre les deux produits (19). Si le délai de première reprise
d’un verre d’alcool était de 40 jours dans les deux groupes, le
délai de rechute (≥ 5 verres en une journée) était significativement plus long chez les patients recevant la naltrexone
(63 jours) que chez ceux recevant l’acamprosate (42 jours). Le
pourcentage de rechute était également significativement plus
bas chez les patients traités par naltrexone (59 % versus 83 %
ceux recevant l’acamprosate). Des stratégies d’association thérapeutique de la naltrexone avec d’autres médicaments utilisés
ou pouvant l’être dans le traitement de la dépendance à l’alcool, comme l’acamprosate ou l’ondansétron, semblent prometteuses (20).
MODULATION PHARMACOLOGIQUE DES VOIES
GLUTAMATERGIQUES
Les acides aminés excitateurs, en particulier le glutamate, sont
impliqués dans la physiopathologie de l’addiction puisque cette
voie de transmission intervient dans l’induction et l’expression
du processus de sensibilisation (7). L’augmentation de la densité des récepteurs NMDA en cas d’usage répété de substances
toxiques, en particulier l’alcool, sous-tend en grande partie l’expression du syndrome de sevrage, qui entretient le phénomène
de craving (21). Ce rôle de la voie glutamatergique au cours de
l’addiction explique que sa modulation soit une des pistes pharmacologiques de sa prise en charge thérapeutique, en particulier grâce à l’utilisation d’antagonistes des récepteurs NMDA.
Si l’antagonisme des récepteurs aux opioïdes paraît logique
dans la dépendance aux opiacés, l’implication des voies
opioïdes dans la physiopathologie de la dépendance à l’alcool
explique également l’utilisation d’antagonistes des récepteurs
opioïdes dans cette forme d’addiction (8). L’efficacité de la naltrexone a été démontrée dans l’addiction à l’alcool et serait liée
à une diminution de l’appétence pour l’alcool, en présence ou
en l’absence de réalcoolisation. Dans deux méta-analyses, l’une
regroupant sept essais et l’autre dix-neuf essais contrôlés et randomisés, utilisant principalement la naltrexone mais aussi, dans
certains cas, le nalméfène, il a été démontré que la naltrexone
(50 mg/j) est efficace dans la prise en charge à court terme
(3 mois) de la dépendance à l’alcool (16, 17). La naltrexone
prévient le risque de rechute à 3 mois (61 % chez les patients
recevant la naltrexone versus 69 % ceux recevant le placebo),
avec un délai plus long avant la rechute traduisant une diminution de la “perte de contrôle”. Le nombre de jours avec prise
d’alcool est significativement plus bas chez les patients traités
par la naltrexone, avec un nombre de verres consommés moins
important. L’effet à long terme de la naltrexone reste plus discuté. Dans une étude menée pendant 12 mois chez 627 vétérans, trois groupes de patients étaient constitués : un premier
dans lequel les patients recevaient la naltrexone (50 mg/j) pendant 12 mois ; un deuxième dans lequel ils recevaient la naltrexone (50 mg/j) pendant 3 mois, puis le placebo jusqu’à la fin
de l’étude ; un troisième dans lequel les patients recevaient le
placebo pendant toute l’étude (18). À l’issue de la période de
3 mois, le pourcentage et le délai de rechute étaient significativement plus bas chez les patients ayant reçu la naltrexone. En
revanche, à 12 mois, il n’y avait pas de différence significative
entre les trois groupes concernant le pourcentage de jours avec
alcoolisation ou le nombre de verres consommés les jours d’alcoolisation. L’utilisation de formes à libération prolongée pourrait augmenter l’efficacité de la naltrexone, bien que le blocage
des récepteurs µ et δ dure plus de 24 heures. Même si une métaanalyse n’a pas montré de différence d’efficacité entre la naltrexone et l’acamprosate, dans une étude menée en double
aveugle chez 150 patients pendant 12 mois, une différence exis-
L’acamprosate possède une structure analogue à celle de la taurine et induit des effets modulateurs complexes des voies de
neurotransmission dépendantes des acides aminés. Il a été montré expérimentalement que l’acamprosate active les voies
GABAergiques inhibitrices et inactive les voies glutamatergiques activatrices, en antagonisant l’interaction entre le glutamate et son récepteur NMDA (22). L’acamprosate est un antagoniste faible du récepteur NMDA en comparaison de la
dizocilpine ou MK801, l’antagoniste NMDA de référence.
Cette propriété pharmacologique pourrait permettre d’expliquer que la prise d’acamprosate diminue expérimentalement et
significativement la prise d’alcool par un effet anti-craving,
expliquant un effet potentiel dans la prévention de la rechute
chez le patient alcoolo-dépendant. Dans une méta-analyse de
14 essais cliniques randomisés contre placebo, regroupant près
de 3 000 patients, il a été montré que le pourcentage de patients
abstinents à 3 et 12 mois était significativement augmenté chez
les patients traités par rapport à ceux recevant le placebo (23).
La comparaison entre l’acamprosate et la naltrexone suggère
un avantage du second en termes d’efficacité. Néanmoins, un
travail récent, réalisé chez 160 patients alcoolo-dépendants et
abstinents, a montré qu’une association naltrexone-acamprosate était supérieure aux deux médicaments pris seuls, en termes
de taux de rechute (24). Cette supériorité de l’association pourrait s’expliquer par des effets pharmacodynamiques additifs
et/ou par des effets pharmacocinétiques, la naltrexone augmentant les taux plasmatiques d’acamprosate (25). Si des données expérimentales suggèrent que l’acamprosate pourrait être
efficace dans d’autres formes d’addiction, les preuves cliniques
restent à apporter.
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La mémantine et l’amantadine sont également des antagonistes
des récepteurs NMDA d’affinité faible, qui ont démontré une
efficacité dans des modèles expérimentaux de dépendance. Ces
effets pharmacologiques pourraient s’expliquer par d’autres
propriétés pharmacodynamiques, notamment dopaminergiques,
en ce qui concerne l’amantadine. Les données cliniques restent
quasi inexistantes ou n’apportent pas de preuve d’une efficacité clinique, comme dans le cas de l’amantadine, dans la prise
en charge de la dépendance à la cocaïne (26). La mémantine
pourrait atténuer l’expression des symptômes de dépendance
physique chez les sujets dépendants aux opiacés (27). Du fait
qu’ils modulent des voies glutamatergiques, tous ces antagonistes NMDA pourraient offrir des avantages supplémentaires
dans le traitement de l’addiction, que ce soit en termes de neuroprotection vis-à-vis des effets neurotoxiques des substances
utilisées ou vis-à-vis des désordres cognitifs souvent présents
chez les patients dépendants.
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plexes, puisque cet agent pharmacologique est un inhibiteur
mixte de la recapture de la dopamine et de la noradrénaline.
Les effets pharmacodynamiques antidépresseurs pourraient
également contribuer à l’efficacité du bupropion.
Si le pouvoir renforçant de la prise de drogue est lié à une augmentation de la libération de dopamine, la période de sevrage
s’accompagne d’une hypoactivité de la transmission dopaminergique, qui constitue le principal phénomène neurobiologique
sous-tendant le craving, conduisant à la reprise de la substance
addictive pour en reproduire les effets renforçants (8, 28). L’approche “dopaminergique” du traitement de l’addiction se heurte
à la difficulté de compenser la déplétion en dopamine sans provoquer de sensibilisation au pouvoir renforçant de la libération
de dopamine. Deux approches de modulation directe du système dopaminergique existent ou peuvent être envisagées : la
modulation du système de recapture de la dopamine, et l’utilisation d’agonistes ou d’antagonistes des récepteurs dopaminergiques.
L’autre stratégie pour contrôler l’activité de la transmission
dopaminergique est de moduler les récepteurs dopaminergiques, même si la situation est complexe en raison de la cinétique biphasique des modifications dopaminergiques. Cette
situation est d’autant plus complexe que si l’altération du fonctionnement de la voie mésolimbique dopaminergique est un
trait commun à l’ensemble des formes d’addiction, les mécanismes de cette altération peuvent être différents d’une forme
à l’autre (6, 10). Au cours du sevrage alcoolique, l’hyperactivation des récepteurs D2 pourrait expliquer que le tiapridal ou
l’halopéridol aient été utilisés chez le patient alcoolo-dépendant, même si le rapport bénéfice-risque n’est pas en faveur de
ces deux agents. Des études pilotes non contrôlées ont suggéré
que le flupenthixol, un antagoniste D1/D2 possédant des effets
thymiques, pouvait avoir un effet préventif de la rechute dans
la dépendance à l’alcool ou à la cocaïne, ce qu’une étude récente
contrôlée (30) n’a pas confirmé pour l’alcool. L’utilisation d’antagonistes dopaminergiques, en particulier ceux de la deuxième
génération (rispéridone, olanzapine) peut se justifier, sur le plan
neurobiologique, pour compenser l’effet renforçant de la stimulation des récepteurs dopaminergiques induite par les substances addictives, en particulier les agents psychostimulants.
Néanmoins, si quelques études ont été menées dans l’addiction
à la cocaïne, le niveau de preuve reste insuffisant, eu égard aux
risques non négligeables de ces produits. Leur utilisation chez
les patients schizophrènes et dépendants pourrait être l’indication de choix. Des antagonistes plus ciblés sur un sous-type de
récepteur dopaminergique, D1 ou D3, pourraient s’avérer plus
efficaces et mieux tolérés (6, 10, 31).
L’idée de moduler le système de recapture de la dopamine
résulte d’études expérimentales réalisées sur des souris dont le
gène du transporteur de la dopamine a été invalidé, chez lesquelles le pouvoir renforçant de la cocaïne est diminué (2). Ces
travaux ont conduit à considérer les inhibiteurs de la recapture
de la dopamine comme des agents anti-addictifs potentiels, en
particulier dans le traitement de la dépendance à la cocaïne ou
aux amphétamines. Le GBR 12909, le mazindol ou le méthylphénidate ont montré une efficacité dans des modèles précliniques, en raison de leur haute affinité pour le transporteur de
la dopamine et de leur durée de blocage plus prolongée que
l’effet de la cocaïne ou des amphétamines, conduisant à limiter les variations d’activité de la transmission dopaminergique
(4). Le mazindol et le méthylphénidate n’ont pas montré leur
efficacité dans la dépendance à la cocaïne. Ces deux agents
n’ont pas été testés dans la dépendance à l’alcool ou au tabac
(28). Actuellement, seule l’efficacité du bupropion dans l’addiction au tabac a permis d’apporter une validité à la stratégie
de modulation de la transmission dopaminergique via son système de recapture (29). Dans des essais thérapeutiques contrôlés, il a été montré que la prise de bupropion favorisait l’abstinence chez le fumeur. Cependant, les mécanismes d’action mis
en jeu dans les effets du bupropion sont probablement com-
Les agonistes dopaminergiques, directs ou indirects (comme
l’amantadine qui stimule la libération de dopamine ou la sélégiline qui inhibe la dégradation de la dopamine), s’ils n’induisent pas d’effet addictif par eux-mêmes, pourraient, du point
de vue théorique, permettre de compenser l’hypoactivité dopaminergique qui survient au sevrage (28, 32). La bromocriptine
et l’amantadine, dans des études pilotes, ont montré leur capacité à maintenir des patients dans des programmes de sevrage
aux opiacés. L’amantadine n’a pas prouvé son efficacité dans
le traitement de la dépendance à la cocaïne, et des essais restent à conduire pour évaluer celle de la sélégiline dans la dépendance à la cocaïne ou au tabac (26). Aucun agoniste direct (bromocriptine, pergolide ou lisuride) n’a montré son efficacité dans
la prévention de la rechute en cas de dépendance à l’alcool et/ou
à la cocaïne (2, 11, 21). Les agonistes directs testés étaient
cependant tous des agonistes D2, et des données expérimentales suggèrent que l’utilisation d’agonistes spécifiques d’autres
sous-types, D1 et surtout D3, pourrait être plus pertinente eu
égard à leur implication plus importante dans la physiopathologie de l’addiction (4). La modulation des récepteurs dopaminergiques, soit par des antagonistes, soit par des agonistes,
ne permet de moduler qu’une des deux phases (hyper- ou hypoactivité) de la modification de la transmission dopaminergique.
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MODULATION DU SYSTÈME DOPAMINERGIQUE
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L’utilisation d’un agoniste partiel jouant le rôle d’antagoniste
en cas d’hyperactivité dopaminergique et celui d’agoniste en
cas d’hypoactivité pourrait constituer la meilleure approche
pour moduler la transmission dopaminergique, comme le suggèrent les résultats prometteurs obtenus avec le BP 897, un agoniste partiel D3 (33).
MODULATION DU SYSTÈME SÉROTONINERGIQUE
Si le rôle de la sérotonine dans le processus d’addiction est
moins bien étayé que celui de la dopamine ou des systèmes
opioïdes, il n’en demeure pas moins que la sérotonine peut
être impliquée dans le phénomène de craving, ainsi que dans
l’impulsivité corrélée à la perte de contrôle vis-à-vis de la
prise de drogue. La sérotonine semble particulièrement impliquée dans l’addiction à l’alcool (8). Comme pour la dopamine, la transmission sérotoninergique peut être modulée de
deux façons : soit en inhibant la recapture de la sérotonine
afin d’augmenter les taux synaptiques, soit en modulant certains sous-types de récepteurs sérotoninergiques (5-HT1A,
5HT3). Les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine, sélectifs ou non, ont été testés dans les différentes formes d’addiction, sans apporter des preuves sérieuses d’efficacité. Dans
un type d’addiction donné, l’efficacité pourrait ne concerner
que certaines formes pathologiques, comme le montre l’effet
différentiel de la sertraline dans les formes peu ou très sévères
de dépendance à l’alcool (34). L’analyse cochrane concernant
la dépendance à la cocaïne conclut cependant à une absence
d’effet (35). Ces inhibiteurs de la recapture de la sérotonine
sont habituellement utilisés comme antidépresseurs, et leurs
propriétés thymiques pourraient expliquer leur effet dans la
prise en charge de la dépendance chez des patients déprimés,
une relation ayant été établie entre ces deux processus psychopathologiques (34).
Les effets de la buspirone, un agoniste 5-HT1A, dans la dépendance à l’alcool ne s’expliquent pas par un effet direct sur le
processus addictif, mais par les propriétés anxiolytiques de ce
médicament. Il n’y a pas d’efficacité de la buspirone, ou son
effet n’a pas été testé dans les autres formes d’addiction (6).
L’implication du récepteur 5-HT3 dans les processus cognitifs et émotionnels a conduit à tester l’hypothèse selon laquelle
sa modulation, et plus particulièrement son blocage par des
antagonistes sélectifs, pouvait avoir un intérêt dans la prise en
charge de l’addiction. Des données expérimentales obtenues
dans des modèles de dépendance sont en faveur d’un effet
bénéfique. Deux études contrôlées ont été réalisées dans la
dépendance à l’alcool, en particulier dans les formes caractérisées par des troubles de la personnalité à type d’impulsivité,
cible potentielle de l’action des antagonistes 5-HT3 (36). Dans
la première, 321 patients, ayant un alcoolisme de début précoce, recevaient soit le placebo soit l’ondansétron à 1, 4 ou
16 µg/kg (deux fois par jour). Les patients recevant l’ondansétron, en particulier à la dose de 4 µg/kg deux fois par jour,
présentaient un nombre réduit de jours d’alcoolisation, avec
une quantité d’alcool consommée moindre. Les résultats d’une
deuxième étude sont en faveur d’un effet synergique de l’on14
dansétron et de la naltrexone, suggérant la nécessité d’une prise
en charge thérapeutique à l’aide d’associations médicamenteuses (20).
AUTRES SYSTÈMES DE NEUROTRANSMISSION
La transmission cérébrale noradrénergique a également été
impliquée dans le processus addictif, avec une modification
inverse de celle de la dopamine : diminution de l’activité sous
l’effet de la substance toxique ; hyperactivité noradrénergique
lors du sevrage. Ce profil explique que des médicaments
capables de diminuer la transmission noradrénergique centrale,
comme la clonidine, un agoniste des récepteurs alpha2adrénergiques, aient été proposés dans le sevrage de différentes
formes d’addiction (opioïdes, nicotine). La clonidine favorise,
lors du sevrage en opiacés, l’instauration et les chances de succès de la naltrexone (3). Les bêtabloquants peuvent atténuer les
symptômes physiques et les manifestations anxieuses du
sevrage dans les addictions à la cocaïne, au tabac ou à l’alcool,
favorisant le maintien de l’abstinence, mais le niveau de preuve
reste faible et les bêtabloquants ne sont pas recommandés en
monothérapie (11).
Le GABA est aussi impliqué dans la régulation du système de
récompense, et sa modulation constitue une piste pour le traitement de l’addiction. La modulation des deux types de récepteurs GABA a été impliquée dans le traitement de la dépendance. Les benzodiazépines sont utilisées dans le sevrage de la
dépendance à l’alcool, essentiellement en raison de leurs propriétés anticonvulsivantes et anxiolytiques et de leur capacité
à contrebalancer l’excitotoxicité du sevrage à l’alcool (9). Les
preuves d’efficacité sont plus aléatoires concernant les autres
types d’addiction. L’utilisation d’agonistes des récepteurs
GABA-A se heurte au problème de pharmacodépendance à
laquelle exposent ces produits. Des données expérimentales et
cliniques sous-tendent l’intérêt potentiel des agonistes du récepteur GABA-B, de type baclofène, même si le niveau de preuve
reste faible dans l’addiction à la cocaïne et quasiment nul dans
les addictions au tabac et à l’alcool (37).
Les voies endocannabinoïdes, via le récepteur CB1, pourraient
également participer à la physiopathologie de l’addiction en
raison de leurs interactions avec les voies dopaminergiques ou
opioïdes. Ces données expliquent que des antagonistes du
récepteur CB1, comme le SR141716A, aient montré des effets
favorables dans des modèles expérimentaux d’addiction et que
des évaluations cliniques de ce type de produits soient en cours,
en particulier dans la dépendance à l’alcool (38). Certains antiépileptiques, comme la carbamazépine et la phénytoïne, ont été
proposés dans la dépendance à la cocaïne (30). Des dérivés de
l’ibogaïne, un alcaloïde extrait d’une plante d’Afrique équatoriale, pourraient également avoir des propriétés antiaddictives,
certaines données préliminaires suggérant que ces dérivés favorisent le maintien de l’abstinence dans la dépendance à la
cocaïne, à l’alcool ou au tabac (10). L’intérêt d’antagonistes
des récepteurs nicotiniques a été évoqué, en particulier pour
l’addiction au tabac (29). La modulation des récepteurs σ1
semble également une voie prometteuse (31).
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CONCLUSION
15. Gonzalez G, Oliveto A, Kosten TR. Treatment of heroin (diamorphine) addic-
Cette synthèse de la littérature révèle le contraste entre, d’une
part, la multiplicité des cibles pharmacologiques potentielles
explorées expérimentalement et, d’autre part, la relative pauvreté de l’arsenal thérapeutique dans les différentes formes
d’addiction (tableau I). Seule est validée par une AMM l’utilisation de la naltrexone dans l’addiction aux opiacés et à l’alcool, de l’acamprosate dans la dépendance à l’alcool et du
bupropion dans le sevrage tabagique. Ce contraste traduit,
comme dans d’autres domaines, les difficultés du transfert des
données expérimentales souvent prometteuses à l’homme. En
effet, nombre de pistes pharmacologiques semblant efficaces
dans les modèles expérimentaux n’atteignent pas un niveau de
preuve suffisant sur le plan de l’évaluation thérapeutique
humaine. Les difficultés méthodologiques d’évaluation sont en
partie en cause. Cette différence pourrait également s’expliquer
par la plus grande variabilité de réponse chez l’homme, pour
des raisons pharmacogénétiques ou selon les formes évolutives
des différentes addictions. Ce contraste révèle également le fait
que certaines cibles pharmacologiques ne sont étudiées que
dans un seul type d’addiction, alors qu’elles pourraient être validées dans d’autres formes d’addiction en raison de leurs traits
■
physiopathologiques communs.
16. Streeton C, Whelan G. Naltrexone, a relapse prevention maintenance of alco-
R
É F É R E N C E S
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