La Lettre du Pharmacologue - Volume 18 - n° 1 - janvier-février-mars 2004
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PHARMACOLOGIE
La mémantine et l’amantadine sont également des antagonistes
des récepteurs NMDA d’affinité faible, qui ont démontré une
efficacité dans des modèles expérimentaux de dépendance. Ces
effets pharmacologiques pourraient s’expliquer par d’autres
propriétés pharmacodynamiques, notamment dopaminergiques,
en ce qui concerne l’amantadine. Les données cliniques restent
quasi inexistantes ou n’apportent pas de preuve d’une effica-
cité clinique, comme dans le cas de l’amantadine, dans la prise
en charge de la dépendance à la cocaïne (26). La mémantine
pourrait atténuer l’expression des symptômes de dépendance
physique chez les sujets dépendants aux opiacés (27). Du fait
qu’ils modulent des voies glutamatergiques, tous ces antago-
nistes NMDA pourraient offrir des avantages supplémentaires
dans le traitement de l’addiction, que ce soit en termes de neu-
roprotection vis-à-vis des effets neurotoxiques des substances
utilisées ou vis-à-vis des désordres cognitifs souvent présents
chez les patients dépendants.
MODULATION DU SYSTÈME DOPAMINERGIQUE
Si le pouvoir renforçant de la prise de drogue est lié à une aug-
mentation de la libération de dopamine, la période de sevrage
s’accompagne d’une hypoactivité de la transmission dopami-
nergique, qui constitue le principal phénomène neurobiologique
sous-tendant le craving, conduisant à la reprise de la substance
addictive pour en reproduire les effets renforçants (8, 28). L’ap-
proche “dopaminergique” du traitement de l’addiction se heurte
à la difficulté de compenser la déplétion en dopamine sans pro-
voquer de sensibilisation au pouvoir renforçant de la libération
de dopamine. Deux approches de modulation directe du sys-
tème dopaminergique existent ou peuvent être envisagées : la
modulation du système de recapture de la dopamine, et l’utili-
sation d’agonistes ou d’antagonistes des récepteurs dopami-
nergiques.
L’idée de moduler le système de recapture de la dopamine
résulte d’études expérimentales réalisées sur des souris dont le
gène du transporteur de la dopamine a été invalidé, chez les-
quelles le pouvoir renforçant de la cocaïne est diminué (2). Ces
travaux ont conduit à considérer les inhibiteurs de la recapture
de la dopamine comme des agents anti-addictifs potentiels, en
particulier dans le traitement de la dépendance à la cocaïne ou
aux amphétamines. Le GBR 12909, le mazindol ou le méthyl-
phénidate ont montré une efficacité dans des modèles précli-
niques, en raison de leur haute affinité pour le transporteur de
la dopamine et de leur durée de blocage plus prolongée que
l’effet de la cocaïne ou des amphétamines, conduisant à limi-
ter les variations d’activité de la transmission dopaminergique
(4). Le mazindol et le méthylphénidate n’ont pas montré leur
efficacité dans la dépendance à la cocaïne. Ces deux agents
n’ont pas été testés dans la dépendance à l’alcool ou au tabac
(28). Actuellement, seule l’efficacité du bupropion dans l’ad-
diction au tabac a permis d’apporter une validité à la stratégie
de modulation de la transmission dopaminergique via son sys-
tème de recapture (29). Dans des essais thérapeutiques contrô-
lés, il a été montré que la prise de bupropion favorisait l’absti-
nence chez le fumeur. Cependant, les mécanismes d’action mis
en jeu dans les effets du bupropion sont probablement com-
plexes, puisque cet agent pharmacologique est un inhibiteur
mixte de la recapture de la dopamine et de la noradrénaline.
Les effets pharmacodynamiques antidépresseurs pourraient
également contribuer à l’efficacité du bupropion.
L’autre stratégie pour contrôler l’activité de la transmission
dopaminergique est de moduler les récepteurs dopaminer-
giques, même si la situation est complexe en raison de la ciné-
tique biphasique des modifications dopaminergiques. Cette
situation est d’autant plus complexe que si l’altération du fonc-
tionnement de la voie mésolimbique dopaminergique est un
trait commun à l’ensemble des formes d’addiction, les méca-
nismes de cette altération peuvent être différents d’une forme
à l’autre (6, 10). Au cours du sevrage alcoolique, l’hyperacti-
vation des récepteurs D2 pourrait expliquer que le tiapridal ou
l’halopéridol aient été utilisés chez le patient alcoolo-dépen-
dant, même si le rapport bénéfice-risque n’est pas en faveur de
ces deux agents. Des études pilotes non contrôlées ont suggéré
que le flupenthixol, un antagoniste D1/D2 possédant des effets
thymiques, pouvait avoir un effet préventif de la rechute dans
la dépendance à l’alcool ou à la cocaïne, ce qu’une étude récente
contrôlée (30) n’a pas confirmé pour l’alcool. L’utilisation d’an-
tagonistes dopaminergiques, en particulier ceux de la deuxième
génération (rispéridone, olanzapine) peut se justifier, sur le plan
neurobiologique, pour compenser l’effet renforçant de la sti-
mulation des récepteurs dopaminergiques induite par les sub-
stances addictives, en particulier les agents psychostimulants.
Néanmoins, si quelques études ont été menées dans l’addiction
à la cocaïne, le niveau de preuve reste insuffisant, eu égard aux
risques non négligeables de ces produits. Leur utilisation chez
les patients schizophrènes et dépendants pourrait être l’indica-
tion de choix. Des antagonistes plus ciblés sur un sous-type de
récepteur dopaminergique, D1 ou D3, pourraient s’avérer plus
efficaces et mieux tolérés (6, 10, 31).
Les agonistes dopaminergiques, directs ou indirects (comme
l’amantadine qui stimule la libération de dopamine ou la sélé-
giline qui inhibe la dégradation de la dopamine), s’ils n’indui-
sent pas d’effet addictif par eux-mêmes, pourraient, du point
de vue théorique, permettre de compenser l’hypoactivité dopa-
minergique qui survient au sevrage (28, 32). La bromocriptine
et l’amantadine, dans des études pilotes, ont montré leur capa-
cité à maintenir des patients dans des programmes de sevrage
aux opiacés. L’amantadine n’a pas prouvé son efficacité dans
le traitement de la dépendance à la cocaïne, et des essais res-
tent à conduire pour évaluer celle de la sélégiline dans la dépen-
dance à la cocaïne ou au tabac (26). Aucun agoniste direct (bro-
mocriptine, pergolide ou lisuride) n’a montré son efficacité dans
la prévention de la rechute en cas de dépendance à l’alcool et/ou
à la cocaïne (2, 11, 21). Les agonistes directs testés étaient
cependant tous des agonistes D2, et des données expérimen-
tales suggèrent que l’utilisation d’agonistes spécifiques d’autres
sous-types, D1 et surtout D3, pourrait être plus pertinente eu
égard à leur implication plus importante dans la physiopatho-
logie de l’addiction (4). La modulation des récepteurs dopa-
minergiques, soit par des antagonistes, soit par des agonistes,
ne permet de moduler qu’une des deux phases (hyper- ou hypo-
activité) de la modification de la transmission dopaminergique.