Vents, tempête et parapluie
Les traitements anti-Alzheimer sont-ils efficaces et bien tolérés ?
Are antiAlzheimer treatment effective and well tolerated?
●F. P asquier*
I
l en est des idées comme des vents dominants, qui soufflent
plus ou moins fort, et dont l’orientation peut changer. Ces
derniers temps, un vent de suspicion a soufflé sur les traite-
ments de la maladie d’Alzheimer (MA).
TRAITEMENTS AYANT UNE INDICATION DANS LA MA :
LES INHIBITEURS D’ACÉTYLCHOLINESTÉRASE (IAChE)
Il est bon de se rappeler “la démence sénile” avant 1995, à l’époque
où les neurologues ne faisaient le diagnostic de MA que chez des
personnes jeunes, à des stades très tardifs, et n’avaient à proposer,
au mieux, que des paroles d’encouragement et de compassion
pour les proches. L’arrivée de la tacrine a été une vraie révolu-
tion : il était montré, pour la première fois, un effet symptoma-
tique, une amélioration des fonctions cognitives dans la MA, plus
ou moins notable selon les patients (entre ceux dits “répondeurs”
ou “non répondeurs” selon le seuil d’amélioration fixé). Ce trai-
tement avait l’inconvénient d’être toxique, donc de nécessiter des
contrôles biologiques réguliers, et d’entraîner souvent des troubles
digestifs obligeant un bon nombre de patients à l’interrompre. La
prescription de ce médicament était purement hospitalière, ce qui
n’a pas favorisé l’implication des médecins généralistes et des
neurologues libéraux dans la prise en charge de la maladie.
Cependant, le traitement a contribué à changer l’image de la MA,
trop souvent associée au vieillissement et à son corollaire: le fata-
lisme. Elle prenait le statut de “maladie”, traitable sinon curable.
Les IAChE de seconde génération (donépézil, rivastigmine,
galantamine), bien mieux tolérés et non toxiques, ont conduit au
retrait de la tacrine. Les trois IAChE disponibles ont des pro-
priétés pharmacologiques un peu différentes et, surtout, n’ont pas
d’intolérance croisée : si un patient ressent des effets indésirables
avec un produit (principalement des troubles digestifs, générale-
ment transitoires – nausées, diarrhées, etc. –, parfois bradycardie,
crampes ou rhinorrhée…), il est possible de lui en proposer un
autre, qui pourra être mieux toléré. L’efficacité de ces trois pro-
duits n’a pas été formellement comparée, mais elle semble être
globalement similaire. Pour être enregistrée, une molécule doit
montrer un effet favorable sur la cognition, le comportement,
l’autonomie dans les activités quotidiennes et l’impression glo-
bale de changement évalué par un observateur extérieur, pendant
une durée au moins égale à 6 mois contre placebo. Initialement,
des essais ont comparé le donépézil au placebo pendant un, voire
2ans, et ont montré la persistance de l’efficacité pendant cette
période. Les essais contre placebo d’une telle durée ne sont plus
considérés comme éthiques actuellement, puisque l’efficacité des
produits est établie. On compare donc, au-delà de ce terme, la
courbe d’évolution naturelle des patients sans traitement à celle
des patients traités, et l’on a montré la persistance de l’efficacité
de ces traitements au-delà de 5 ans. Certes, les patients continuent
à se dégrader, mais moins vite que ceux non traités. Les études
montrent un maintien des fonctions cognitives et de l’autonomie,
un allongement du délai d’apparition des troubles du comporte-
ment, une diminution de leur fréquence et de leur intensité, et une
entrée en institution plus tardive. Il existe une hétérogénéité de
progression de la maladie selon les patients et une variabilité des
réponses au traitement. Certains patients peuvent ne pas constater
d’amélioration spectaculaire au moment de l’instauration du trai-
tement (“non répondeurs”), qui peut pourtant ralentir le déclin et
prévenir l’apparition de troubles du comportement. Il a également
été montré que l’interruption, au-delà de 6 semaines, d’un traite-
ment par donépézil s’accompagne d’un déclin cognitif tel que le
patient retrouve l’état cognitif qu’il aurait eu s’il n’avait jamais
été traité (confirmant l’action essentiellement symptomatique du
produit), et qu’il ne retrouve pas, après reprise du traitement, l’état
cognitif antérieur à l’interruption. Ces produits sont indiqués dans
les formes légères à modérées de la MA (MMS compris entre 10
et 26). Le bénéfice n’a pas été montré dans les formes plus légères,
mais il se maintient même à des stades plus sévères. D’autres
molécules IAChE sont en cours d’évaluation, visant une meilleure
tolérance, une efficacité supérieure et plus prolongée. Les IAChE
ont montré leur efficacité dans d’autres démences s’accompa-
gnant d’un déficit cholinergique : les démences à corps de Lewy
et les démences parkinsoniennes, les démences vasculaires ou
mixtes.
Une étude commanditée par les financiers du système de
santé britannique (Lancet, juin 2004) a remis en cause l’intérêt
médico-économique des IAChE, que plusieurs études
concordantes tendaient à montrer. Cette étude, si elle avait
ÉDITORIAL
La Lettre du Neurologue - vol. IX - n° 7 - septembre 2005 219
* Centre mémoire de ressource et de recherche, Lille.