Coarctation de l’aorte de découverte fortuite lors d’une grossesse C OBSERVATION

CAS CLINIQUE
La Lettre du Cardiologue - n° 347 - septembre 2001
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OBSERVATION
Nous rapportons un cas de coarctation de l’aorte découverte de
façon fortuite chez une patiente âgée de 23 ans, enceinte, hyper-
tendue connue et traitée depuis l’âge de 12 ans.
Un bilan étiologique à la recherche d’une cause curable s’était
révélé négatif il y a quelques années.
Un avis cardiologique est motivé par la constatation d’une hyper-
tension artérielle non équilibrée, malgré une bithérapie associant
clonidine et propranolol, chez cette patiente à 37 semaines et
demie d’aménorrhée.
Cette hypertension artérielle asymptomatique, sans signe clinique
de prééclampsie, est associée à un retard de croissance intra-uté-
rine détecté au troisième trimestre de la grossesse.
L’auscultation cardiaque retrouve un souffle systolique intense,
médio-thoracique, irradiant vers les creux sus-claviculaires et le
dos. Les pouls fémoraux sont perçus, leur amplitude est faible.
On note une asymétrie tensionnelle : 200/70 mmHg au bras droit,
160/70 mmHg au bras gauche, et la pression artérielle systolique
des membres inférieurs, mesurée à l’aide d’un doppler continu,
ne dépasse pas 130 mmHg.
L’ECG est sans particularité : on ne note, entre autres, pas d’hyper-
trophie ventriculaire gauche.
L’échocardiographie identifie un ventricule gauche modérément
dilaté (VGtd à 59 mm), peu hypertrophique avec une fonction
systolique conservée (FE à 60 %), une insuffisance mitrale de
grade 2 à jet excentré par prolapsus du feuillet antérieur mitral.
En outre, la valve aortique est bicuspide, sans sténose ni fuite.
L’arche aortique n’est pas identifiable par voie sus-sternale, mais
le doppler continu à l’aveugle avec la sonde Pedoff objective un
gradient présumé transisthmique calculé à 74 mmHg (figure 1).
Deux diagnostics sont alors évoqués : coarctation ou hypoplasie
de l’arche aortique.
Un accouchement par césarienne est décidé à 38 semaines, per-
mettant la naissance d’une petite fille de 2 250 g avec un score
d’APGAR à 10.
Secondairement, le bilan est complété par une échocardiographie
transœsophagienne (figure 2) et une angiographie par résonance
magnétique (figure 3, p. 19) qui confirmeront l’existence d’une
coarctation aortique extrêmement serrée, presque complètement
occlusive de l’aorte isthmique en aval immédiat du départ de la
sous-clavière gauche. On note par ailleurs un réseau de collaté-
rales très développé (intercostales, bronchiques et pariétales).
Coarctation de l’aorte
de découverte fortuite lors d’une grossesse
A. Aliouche*, C. Pop*, L. Chapoutot*, C. Metz**
* Centre hospitalier général de Saint-Dizier, service de cardiologie, 4, av.
Godard-Jeanson, 52100 Saint-Dizier.
** Centre hospitalier universitaire régional de Reims, service de cardio-
logie, av. du Général-Kœnig, 51092 Reims Cedex.
Figure 1. Enregistrement doppler continu par voie sus-sternale du flux
transisthmique : gradient de pression maximal estimé à 74 mmHg.
Figure 2. Échographie transœsophagienne de l’arche aortique : image
en “sablier” au niveau de l’isthme.
Une intervention chirurgicale avec mise en place d’un tube aorto-
aortique sera effectuée deux mois après l’accouchement, avec
des suites simples et une normalisation des valeurs tensionnelles
en l’absence de tout traitement médicamenteux.
DISCUSSION
Le diagnostic et le traitement chirurgical précoces ont considé-
rablement diminué la fréquence de la coarctation chez l’adulte
jeune ; ce diagnostic est porté actuellement de façon exception-
nelle chez les femmes enceintes et hypertendues.
La découverte d’une coarctation aortique est classiquement asso-
ciée à une mortalité maternelle élevée (3 à 10 % en fonction des
auteurs), avec un risque de rupture ou de dissection aortique, mais
également de rupture d’anévrisme du polygone de Willis, de
défaillance cardiaque et, plus rarement, d’endocardite infectieuse
(1, 2, 3). Ces complications sont d’autant plus fréquentes que les
chiffres tensionnels sont élevés (1, 2).
La prédisposition à la dissection est due à des altérations biochi-
miques du tissu conjonctif secondaires à une élévation du taux
d’estrogènes ou à une médianécrose kystique (2, 4). L’augmen-
tation du volume sanguin et du débit cardiaque, surtout lors du
dernier trimestre, accroissent également le risque de rupture aor-
tique (2). L’insuffisance cardiaque et l’œdème pulmonaire appa-
raissent classiquement au 4e-5emois de la grossesse, mais sont
encore plus fréquents et plus sévères dans les derniers mois (1).
Leur apparition au cours du premier trimestre aggrave le pro-
nostic.
La greffe bactérienne peut survenir après l’accouchement, sur-
tout si une maladie aortique ou une insuffisance mitrale sont asso-
ciées (1).
Pour ces raisons, dans les années 60, la plupart des auteurs pro-
posaient la contraception, la stérilisation, la césarienne ou l’avor-
tement thérapeutique (1, 5). Par la suite, d’autres ont proposé la
cure chirurgicale pendant la grossesse (2).Actuellement, on consi-
dère que la prise en charge doit être individualisée et dépend de
multiples paramètres : sévérité de la coarctation, fonction ven-
triculaire gauche, éventuels défects cardiaques associés et anté-
cédents obstétricaux.
Les derniers cas décrits dans la littérature montrent une meilleure
tolérance et moins de complications qu’il y a vingt ans. La mor-
talité maternelle reste toutefois évaluée à 3 % (2).
L’incidence de la prééclampsie semble similaire à celle de la
population générale (6) et la coarctation ne prédisposerait pas
au retard de croissance intra-utérine (7). Le comportement de
l’hypertension artérielle pendant la grossesse est semblable à celui
de l’hypertension essentielle, avec une nette diminution des
valeurs tensionnelles durant les deux premiers trimestres et une
réascension lors du troisième (7).
On recommande actuellement un accouchement par voie natu-
relle avec utilisation des forceps pour diminuer le temps de tra-
vail, monitorage permanent de la pression artérielle au niveau des
membres supérieurs et inférieurs, et surveillance soigneuse du
remplissage vasculaire (8). Il est aussi conseillé une analgésie
systémique par analogues morphiniques, associée à un blocage
nerveux paracervical. L’anesthésie péridurale doit être évitée, car
la baisse des résistances systémiques peut diminuer le flux uté-
rin. On considère qu’il n’est ni nécessaire ni rationnel de répa-
rer la coarctation pendant la grossesse, en l’absence d’une
décompensation hémodynamique (5). La CEC pendant la gros-
sesse est grevée d’une mortalité maternelle de 2-3 % et d’une
mortalité fœtale de 20-30 %. Les interventions réalisées pendant
le deuxième et le troisième trimestre sont associées à une
meilleure survie fœtale. Une élévation des malformations congé-
nitales lors des CEC du premier trimestre de la grossesse est docu-
mentée (9).
L’angioplastie par ballonnet doit être évitée chez la femme
enceinte en raison de la fragilité des parois aortiques. À notre
connaissance, il n’y a d’ailleurs pas de cas décrits dans la litté-
rature.
L’incidence des malformations cardiaques est de 3 à 5 % chez les
descendants ; une échocardiographie systématique de l’enfant est
donc logique.
L’examen de référence de la coarctation chez la femme enceinte
est l’IRM (10).
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AS CLINIQUE
Figure 3. Angiographie par résonance magnétique : reconstruction
tridimensionnelle, coarctation extrêmement serrée de l’aorte isthmique
en aval immédiat de l’origine de la sous-clavière gauche. Réseau colla-
téral très développé.
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CONCLUSION
Cette observation rappelle qu’une hypertension artérielle résis-
tante chez l’enfant et l’adulte jeune justifie la recherche d’une
cause curable.
En ce qui concerne l’association grossesse et coarctation aortique,
la littérature, moins alarmante qu’il y a une vingtaine d’années,
incite à avoir une attitude attentiste et “armée” en privilégiant un
accouchement par voie naturelle.
Remerciements. Les auteurs remercient le Dr L. Hennequin (Centre d’imagerie
médicale Jacques-Callot, Nancy) pour son aimable contribution à l’iconographie.
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