Coarctation de l’aorte de découverte fortuite lors d’une grossesse C OBSERVATION

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Coarctation de l’aorte
de découverte fortuite lors d’une grossesse
● A. Aliouche*, C. Pop*, L. Chapoutot*, C. Metz**
OBSERVATION
Nous rapportons un cas de coarctation de l’aorte découverte de
façon fortuite chez une patiente âgée de 23 ans, enceinte, hypertendue connue et traitée depuis l’âge de 12 ans.
Un bilan étiologique à la recherche d’une cause curable s’était
révélé négatif il y a quelques années.
Un avis cardiologique est motivé par la constatation d’une hypertension artérielle non équilibrée, malgré une bithérapie associant
clonidine et propranolol, chez cette patiente à 37 semaines et
demie d’aménorrhée.
Cette hypertension artérielle asymptomatique, sans signe clinique
de prééclampsie, est associée à un retard de croissance intra-utérine détecté au troisième trimestre de la grossesse.
L’auscultation cardiaque retrouve un souffle systolique intense,
médio-thoracique, irradiant vers les creux sus-claviculaires et le
dos. Les pouls fémoraux sont perçus, leur amplitude est faible.
On note une asymétrie tensionnelle : 200/70 mmHg au bras droit,
160/70 mmHg au bras gauche, et la pression artérielle systolique
des membres inférieurs, mesurée à l’aide d’un doppler continu,
ne dépasse pas 130 mmHg.
L’ECG est sans particularité : on ne note, entre autres, pas d’hypertrophie ventriculaire gauche.
L’échocardiographie identifie un ventricule gauche modérément
dilaté (VGtd à 59 mm), peu hypertrophique avec une fonction
systolique conservée (FE à 60 %), une insuffisance mitrale de
grade 2 à jet excentré par prolapsus du feuillet antérieur mitral.
En outre, la valve aortique est bicuspide, sans sténose ni fuite.
L’arche aortique n’est pas identifiable par voie sus-sternale, mais
le doppler continu à l’aveugle avec la sonde Pedoff objective un
gradient présumé transisthmique calculé à 74 mmHg (figure 1).
Figure 1. Enregistrement doppler continu par voie sus-sternale du flux
transisthmique : gradient de pression maximal estimé à 74 mmHg.
Secondairement, le bilan est complété par une échocardiographie
transœsophagienne (figure 2) et une angiographie par résonance
magnétique (figure 3, p. 19) qui confirmeront l’existence d’une
coarctation aortique extrêmement serrée, presque complètement
occlusive de l’aorte isthmique en aval immédiat du départ de la
sous-clavière gauche. On note par ailleurs un réseau de collatérales très développé (intercostales, bronchiques et pariétales).
Deux diagnostics sont alors évoqués : coarctation ou hypoplasie
de l’arche aortique.
Un accouchement par césarienne est décidé à 38 semaines, permettant la naissance d’une petite fille de 2 250 g avec un score
d’APGAR à 10.
* Centre hospitalier général de Saint-Dizier, service de cardiologie, 4, av.
Godard-Jeanson, 52100 Saint-Dizier.
** Centre hospitalier universitaire régional de Reims, service de cardiologie, av. du Général-Kœnig, 51092 Reims Cedex.
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Figure 2. Échographie transœsophagienne de l’arche aortique : image
en “sablier” au niveau de l’isthme.
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Figure 3. Angiographie par résonance magnétique : reconstruction
tridimensionnelle, coarctation extrêmement serrée de l’aorte isthmique
en aval immédiat de l’origine de la sous-clavière gauche. Réseau collatéral très développé.
Une intervention chirurgicale avec mise en place d’un tube aortoaortique sera effectuée deux mois après l’accouchement, avec
des suites simples et une normalisation des valeurs tensionnelles
en l’absence de tout traitement médicamenteux.
DISCUSSION
Le diagnostic et le traitement chirurgical précoces ont considérablement diminué la fréquence de la coarctation chez l’adulte
jeune ; ce diagnostic est porté actuellement de façon exceptionnelle chez les femmes enceintes et hypertendues.
La découverte d’une coarctation aortique est classiquement associée à une mortalité maternelle élevée (3 à 10 % en fonction des
auteurs), avec un risque de rupture ou de dissection aortique, mais
également de rupture d’anévrisme du polygone de Willis, de
défaillance cardiaque et, plus rarement, d’endocardite infectieuse
(1, 2, 3). Ces complications sont d’autant plus fréquentes que les
chiffres tensionnels sont élevés (1, 2).
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La prédisposition à la dissection est due à des altérations biochimiques du tissu conjonctif secondaires à une élévation du taux
d’estrogènes ou à une médianécrose kystique (2, 4). L’augmentation du volume sanguin et du débit cardiaque, surtout lors du
dernier trimestre, accroissent également le risque de rupture aortique (2). L’insuffisance cardiaque et l’œdème pulmonaire apparaissent classiquement au 4e-5e mois de la grossesse, mais sont
encore plus fréquents et plus sévères dans les derniers mois (1).
Leur apparition au cours du premier trimestre aggrave le pronostic.
La greffe bactérienne peut survenir après l’accouchement, surtout si une maladie aortique ou une insuffisance mitrale sont associées (1).
Pour ces raisons, dans les années 60, la plupart des auteurs proposaient la contraception, la stérilisation, la césarienne ou l’avortement thérapeutique (1, 5). Par la suite, d’autres ont proposé la
cure chirurgicale pendant la grossesse (2). Actuellement, on considère que la prise en charge doit être individualisée et dépend de
multiples paramètres : sévérité de la coarctation, fonction ventriculaire gauche, éventuels défects cardiaques associés et antécédents obstétricaux.
Les derniers cas décrits dans la littérature montrent une meilleure
tolérance et moins de complications qu’il y a vingt ans. La mortalité maternelle reste toutefois évaluée à 3 % (2).
L’incidence de la prééclampsie semble similaire à celle de la
population générale (6) et la coarctation ne prédisposerait pas
au retard de croissance intra-utérine (7). Le comportement de
l’hypertension artérielle pendant la grossesse est semblable à celui
de l’hypertension essentielle, avec une nette diminution des
valeurs tensionnelles durant les deux premiers trimestres et une
réascension lors du troisième (7).
On recommande actuellement un accouchement par voie naturelle avec utilisation des forceps pour diminuer le temps de travail, monitorage permanent de la pression artérielle au niveau des
membres supérieurs et inférieurs, et surveillance soigneuse du
remplissage vasculaire (8). Il est aussi conseillé une analgésie
systémique par analogues morphiniques, associée à un blocage
nerveux paracervical. L’anesthésie péridurale doit être évitée, car
la baisse des résistances systémiques peut diminuer le flux utérin. On considère qu’il n’est ni nécessaire ni rationnel de réparer la coarctation pendant la grossesse, en l’absence d’une
décompensation hémodynamique (5). La CEC pendant la grossesse est grevée d’une mortalité maternelle de 2-3 % et d’une
mortalité fœtale de 20-30 %. Les interventions réalisées pendant
le deuxième et le troisième trimestre sont associées à une
meilleure survie fœtale. Une élévation des malformations congénitales lors des CEC du premier trimestre de la grossesse est documentée (9).
L’angioplastie par ballonnet doit être évitée chez la femme
enceinte en raison de la fragilité des parois aortiques. À notre
connaissance, il n’y a d’ailleurs pas de cas décrits dans la littérature.
L’incidence des malformations cardiaques est de 3 à 5 % chez les
descendants ; une échocardiographie systématique de l’enfant est
donc logique.
L’examen de référence de la coarctation chez la femme enceinte
est l’IRM (10).
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CONCLUSION
3. Dessole S, D’Antona D, Ambrosini G, Fadda MC, Capobianco G. Pregnancy
Cette observation rappelle qu’une hypertension artérielle résistante chez l’enfant et l’adulte jeune justifie la recherche d’une
cause curable.
En ce qui concerne l’association grossesse et coarctation aortique,
la littérature, moins alarmante qu’il y a une vingtaine d’années,
incite à avoir une attitude attentiste et “armée” en privilégiant un
accouchement par voie naturelle.
■
Remerciements. Les auteurs remercient le Dr L. Hennequin (Centre d’imagerie
médicale Jacques-Callot, Nancy) pour son aimable contribution à l’iconographie.
Bibliographie
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