2 Espaces de Banach

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Espaces de Banach
Dans ce chapitre, nous étudions quelques théorèmes fondamentaux concernant
les espaces de Banach. Comme la notion d’un espace de Hilbert est un cas
particulier de celle d’un espace de Banach, tous les résultats établis ici restent
vrais pour les espaces de Hilbert.
2.1
Théorème de Baire
Soit X un espace vectoriel muni d’une norme k · k. Rappelons qu’une norme est
une fonction sur X à valeurs dans R+ qui vérifie les propriétés (1.3)–(1.5).
Définition 2.1. On dit que X est un espace de Banach si X est complet par
rapport à la norme k · k, c’est-à-dire, toute suite de Cauchy possède une limite.
Pour u 2 X et r > 0, on définit la boule ouverte
BX (u, r) = {v 2 X : kv
ukX < r}.
Un ensemble A ⇢ X est dit ouvert si pour tout point u 2 X il existe ru > 0 tel
que BX (u, ru ) ⇢ A. Un ensemble A ⇢ X est dit fermé si son complémentaire
est ouvert. Le résultat suivant n’utilise que la complétude d’un sous-ensemble
fermé dans un espace de Banach et reste vrai pour tout espace métrique complet
(voir § 4 pour lé définition d’un espace métrique).
Théorème 2.2. Soit X un espace de Banach et Y ⇢ X un fermé inclut dans la
réunion d’une suite de sous-ensembles Xn ⇢ X. Alors il existe un entier m 1
et une boule non dégénérée BY (u, r) qui est inclue dans l’adhérence de Xm .
Démonstration. Si la conclusion du théorème est fausse, alors on construit par
récurrence une suite décroissante de boules BY (un , rn ) telle que rn  2 n et
BY (un , rn ) \ Xn = ? pour tout n
1. La suite (un ) ⇢ X est de Cauchy
et converge donc vers une limite u 2 Y . D’autre part, le point u appartient à
toutes les boules BY (un , rn ) et ne peut pas appartenir à aucun des ensemble Xn .
Comme Y ⇢ [n Xn , on obtient une contradiction.
Il existe une formulation équivalente du théorème 2.2 en termes de sousensembles ouverts denses.
Corollaire 2.3. Dans un espace de Banach X, l’intersection d’une famille
dénombrable d’ouverts denses est dense.
Démonstration. Soit (Gn ) une famille dénombrable d’ouverts denses telle que
X \ (\n Gn ) contient une boule fermée non dégénérée B. Alors B ⇢ [n Fn , où
Fn = Gcn sont des fermés. D’après le théorème 2.2, il existe m 1 tel que Fm
est dense dans une boule B 0 ⇢ B. Comme Fm est fermé, on voit que B 0 ⇢ Fm
et donc Gm n’est pas dense.
13
Exemple 2.4. Soit P l’espace des polynômes d’une variable réelle. Montrons qu’il
n’existe pas de norme pour laquelle P est un espace de Banach. En e↵et, soit k·k
une telle norme et Pn l’espace des polynômes de degré  n. Alors P = [n Pn ,
et d’après le théorème 2.2, il existe m 1 et une boule non dégénérée B ⇢ P
tels que B ⇢ P m = Pm . Par symétrie, Pm contient aussi la boule B, et par
convexité, Pm doit contenir une boule de centre zéro. Comme Pm est un espace
vectoriel, il doit être confondu avec P. La contradiction obtenue montre qu’une
telle norme n’existe pas.
L’intérieur d’un ensemble A ⇢ X (noté Å) est défini comme l’ensemble
ouvert maximal inclut dans A.
Corollaire 2.5. Soit X un espace de Banach et {Fn } S
une suite de fermés de X
tels que F̊n = ? pour tout n 1. Alors l’intérieur de n Fn est vide.
Démonstration. Soit Gn = T
Fnc . Alors Gn sont des ouverts denses, et d’après le
corollaire 2.3, l’intersection n Gn est dense. Il s’ensuit que son complémentaire
T
S
c
= n Fn n’a pas de points intérieurs.
n Gn
Le théorème de Baire permet d’établir plusieurs résultats remarquables sur
les espaces de Banach. Ils sont présentés dans les § 2.2–2.5.
2.2
Théorème de Banach–Schauder de l’application ouverte
Théorème 2.6. Soit X, Y deux espaces de Banach et L : X ! Y une application linéaire continue telle que L(X) = Y . Alors L(G) ⇢ Y est ouvert pour
tout ouvert G ⇢ X. En particulier, si L : X ! Y est une bijection continue,
alors L 1 : Y ! X est continue.
Démonstration. Soit B = BX (0, 1) la boule unité ouverte. Il suffit de montrer
que L(B) contient une boule de centre zéro. En e↵et, dans ce cas pour tout
ouvert G ⇢ X et tout u 2 G il existe une boule Br = BX (0, r) telle que
u + Br ⇢ G et donc Lu + L(Br ) contient une boule ouverte de centre Lu.
Étape 1. S
Montrons d’abord que L(B) contient une boule de centre zéro.
Comme Y = n 1 L(nB), d’après le théorème de Baire, il existem 1 tel que
mL(B) est dense dans une boule de Y . En utilisant la symétrie de L(B) par
rapport à zéro et la convexité, on montre que L(B) contient une boule Q⇢ ⇢ Y
de centre zéro et de rayon ⇢.
Étape 2. Montrons maintenant que L(B) Q⇢/2 ou, ce qui revient au même,
L(2B)
Q⇢ . Soit v 2 L(B). Alors il existe u1 2 B tel que v Lu1 2 Q⇢/2 .
Comme Q⇢/2 ⇢ 12 L(B), il existe u2 2 12 B tel que v L(u1 + u2 ) 2 Q⇢/4 . On
construit ainsi une suite uj 2 21 j B telle que
v
n
X
j=1
On pose maintenant u =
Luj 2 Q2
P
j
n⇢
pour tout n
1.
uj . Alors u 2 2B et Lu = v.
14
Le théorème 2.6 est évidemment faux pour les fonctions non linéaires, même
en dimension d = 1. Par exemple, soit f : R ! R une fonction continue
croissante telle que f ( 1) = 1, f (+1) = +1 et f (x) = 0 pour |x|  1.
Alors l’image de l’intervalle ] 1, 1 [ n’est pas ouverte.
2.3
Théorème du graphe fermé
Un corollaire utile du théorème de Banach–Schauder est le résultat ci-dessous
sur la continuité de toute application linéaire avec un graphe fermé. Soient X,
Y deux espace de Banach. Pour un opérateur linéaire A : X ! Y , on note (A)
son graphe:
(A) = {[u, f ] 2 X ⇥ Y : u 2 X, f = Au}.
Il est facile à vérifier que (A) est un sous-espace vectoriel de X ⇥ Y qui ne contient pas de vecteurs de la forme [0, f ] avec f 6= 0. Réciproquement, si ⇢ X ⇥Y
est un sous-espace vectoriel qui ne contient pas de vecteurs de la forme [0, f ]
avec f 6= 0, alors est le graphe d’un opérateur linéaire A défini sur ⇧X ( ),
où ⇧X désigne le projecteur naturel de X ⇥ Y sur X.
Théorème 2.7. Soit A : X ! Y un opérateur linéaire. Alors A est continu
si et seulement si (A) est un sous-espace fermé de X ⇥ Y muni de la norme
k[u, f ]k = kukX + kf kY .
Démonstration. Nous n’allons vérifier que si (A) est fermé, alors A est continu;
l’autre implication est évidente.
Considérons les projecteurs naturels ⇧X : (A) ! X et ⇧Y : (A) ! Y .
D’après l’hypothèse, (A) est un sous-espace fermé dans l’espace de Banach X ⇥
Y , et il est donc aussi un espace de Banach. De plus, ⇧X et ⇧Y sont des applications linéaires continues, et ⇧X est une bijection. Il s’ensuit du théorème 2.6
que ⇧X1 : X ! (A) continue. Comme A = ⇧Y ⇧X1 , on conclut que A est
continu.
si
Remarquons qu’une fonction F : X ! Y a un graphe fermé si et seulement
(un ) ⇢ X,
un ! u,
F (un ) ! f
=)
F (u) = f.
(2.1)
D’autre part, la continuité de f signifie que
(un ) ⇢ X,
un ! u
=)
F (un ) ! f = F (u).
Cette condition est clairement plus restrictive que (2.1). Par exemple, la fonction
F : R ! R définie par
8
< 1 pour x > 0,
F (x) = x
:
0 pour x  0
a un graphe fermé, mais elle n’est pas continue au point x = 0.
15
Corollaire 2.8. Soit X un espace de Banach et E, F ⇢ X des sous-espaces
fermés tels que X = E u F . Alors les projecteurs P, Q : X ! X associés à cette
somme directe sont continus.
Démonstration. Pour u 2 X, on écrit u = v + w, où v 2 E et w 2 F . Alors
P : X ! X est défini par P u = v. C’est opérateur linéaire défini sur X, et pour
montrer sa continuité, il suffit d’étalier que son graphe est fermé. Soit (un ) ⇢ X
une suite telle que un ! u et P un ! v 2 E. Soit un = vn + wn , où vn 2 E
et wn 2 F . Alors vn ! v et wn ! w 2 F . Il s’ensuit que u = v + w, et par
l’unicité de cette représentation, on conclut que P u = v.
2.4
Théorème de Banach–Steinhaus
Il est bien connu que la limite simple de fonctions continues n’est pas nécessairement une fonction continue. Le théorème que nous allons établir ci-dessous
implique, en particulier, que dans le cas des opérateurs linéaires la limite est
toujours continue.
Théorème 2.9. Soient X, Y deux espaces de Banach et {Aj , j 2 J} ⇢ L(X, Y )
une famille d’opérateurs telle que
sup kAj ukY < 1
j2J
pour tout u 2 X.
(2.2)
Alors
sup kAj kL(X,Y ) < 1.
(2.3)
j2J
Corollaire 2.10. Soit X, Y deux espaces de Banach et {An } ⇢ L(X, Y ) une
suite telle que {An u} converge dans Y pour tout u 2 X. Alors il existe un
opérateur A 2 L(X, Y ) tel que An u ! Au pour tout u 2 X.
Démonstration. On définit A par la formule
Au = lim An u,
n!1
u 2 X.
C’est une application linéaire définie sur X. De plus, supn 1 kAn ukY < 1 pour
tout u 2 X, et d’après le théorème 2.9, il existe C > 0 tel que kAn kL(X,Y )  C
pour tout n 1. Il s’ensuit que A est un opérateur borné.
Démonstration du théorème 2.9. Nous allons utiliser le théorème de Baire. Soit
Xn = {u 2 X : kAj ukY  n pour tout j 2 J}.
Alors (2.2) implique que X = [n Xn . D’après le théorème 2.2, il existe une
boule BX (u0 , r0 ) et un entier m
1 tels que Xm est dense dans BX (u0 , r0 ).
Comme Aj est continu, l’ensemble Xm est fermé, et on voit que
kAj ukY  m
pour u 2 BX (u0 , r0 ), j 2 J.
16
En utilisant la symétrie par rapport au point zéro et la convexité, on obtient
kAj ukY  m
pour u 2 BX (0, r0 ), j 2 J.
Cette inégalité est équivalente à (2.2) avec C = m/r0 .
Exemple 2.11. Pour une fonction f 2 L1 (S), on définit ses coefficients de Fourier
Z 2⇡
ck (f ) =
f (x)e ikx dx, k 2 Z.
0
Considérons l’application linéaire L : L1 (S) ! `1 qui associe à f la suite
(ck (f ), k 2 Z). Il est claire que kLk = 1. De plus, d’après le lemme de RiemannLebesgue, l’image de L est inclut dans c0 (l’espace des suites qui convergent vers
zéro). Montrons que L : L1 (S) ! c0 est injective. En e↵et, si Lf = 0, alors
Z
f (x)g(x) dx = 0
(2.4)
S
pour tout polynôme trigonométrique g. Le théorème de Weierstrass (voir § 3.2)
implique que (2.4) reste vrai pour toute fonction g 2 C(S). Soit maintenant
(gn ) ⇢ C(S) une suite bornée qui converge presque partout vers la fonction
sgn(f ) égale à 1 si f (x)
0 et à 1 si f (x) < 0. Alors la relation (2.4) et le
théorème de Lebesgue sur la convergence dominée impliquent que
Z
Z
0 = f (x)gn (x) dx ! |f (x)|dx = 0.
S
S
Il s’ensuit que f = 0 presque partout.
Montrons maintenant que L n’est pas surjective. Si L est surjective, alors
d’après le théorème de Banach–Schauder, l’application inverse est continue:
kL
1
ukL1 (S)  C kuk1 ,
u = (un ) 2 c0 .
(2.5)
Soit DN (x) le noyau de Dirichlet:
DN (x) =
N
sin(N + 12 )x
1 X ikx
e
=
.
2⇡
2⇡ sin x2
k= N
Alors kL(DN )k1 = 1 et kDN kL1 ! 1:
kDN kL1 (S) =
Z
⇡
0
| sin(N + 12 )x|
dx
⇡ sin x2
2
⇡
Z
(N + 12 )⇡
0
N
X1
| sin x|
dx ⇠
.
x
k
k=1
On obtient donc une contradiction avec (2.5).
Considérons maintenant l’opérateur SN qui associe à f 2 L1 (S) sa série de
Fourier tronquée au niveau N :
Z
N
1 X
ikx
(SN f )(x) =
ck (f )e
= DN (x
2⇡
S
k= N
17
y)f (y) dy,
x 2 S.
On peut montrer que
kSN kL(L1 (S)) = kSN kL(C(S)) = kDN kL1 ! +1.
Le théorème de Banach–Steinhaus implique qu’il existe des fonctions f 2 L1 (S)
et g 2 C(S) telle que
SN f 6! f
2.5
dans L1 (S),
SN g 6! g
dans C(S).
Théorème de Hahn–Banach
Soit X un espace vectoriel. On dit p : X ! R+ est une semi-norme si
p( x) = | |p(x),
p(x + y)  p(x) + p(y)
pour tous x, y 2 X,
2 C.
Théorème 2.12 (Hahn–Banach réel). Soit X un espace vectoriel réel muni
d’une semi-norme p : X ! R+ , E ⇢ X un sous-espace vectoriel et f : E ! R
une fonction linéaire telle que
|f (u)|  p(u)
pour u 2 E.
(2.6)
Alors il existe une fonction linéaire f˜ : X ! R telle que
f˜ E = f,
|f˜(u)|  p(u)
pour u 2 X.
(2.7)
Démonstration. Nous allons montrer ce résultat sous l’hypothèse supplémentaire d’existence d’une suite (un ) ⇢ X vérifiant la propriétés suivantes:
• Soit Yn = Vect{E, u1 , . . . , un }. Alors un+1 2
/ Yn pour tout n
0.
• Soit Y = [n Yn . Alors pour tout u 2 X il existe une suite (vk ) ⇢ Y telle
que p(vk u) ! 0 quand k ! 1.
Cette hypothèse nous permettra d’éviter l’utilisation du lemme de Zorn.
Il suffit de construire une extension de f à l’espace vectoriel engendrée par E
et la suite {un }. En e↵et, si une telle extension g est déjà construite, alors pour
u 2 X on pose
f˜(u) = lim g(vk ),
(2.8)
k!1
où la suite (vk ) ⇢ Y est telle que p(vk u) ! 0. La limite (2.8) ne dépend pas
de la suite (vk ).
Pour construire une extension de f à l’espace Y , on construit par récurrence
des fonctions linéaires fn définies sur les sous-espaces Yn telles que, pour tout
entier n 0, on a
fn+1
Yn
= fn ,
|f˜n (u)|  p(u)
pour u 2 Yn ,
(2.9)
où f0 = f . Supposons que fn est déjà construite. Alors pour u 2 Yn et ↵ 2 R
on pose
fn+1 (u + ↵un+1 ) = fn (u) + ↵r,
18
où r 2 R sera choisi plus tard. On veut trouver r 2 R tel que
pour tout u 2 Yn , ↵ 2 R.
|fn (u) + ↵r|  p(u + ↵un+1 )
Il est facile à voir qu’il suffit que cette inégalité soit vraie pour ↵ > 0. Alors elle
est équivalente aux conditions suivantes :
p(u + ↵un+1 ) fn (u)
p(u + ↵un+1 ) + fn (u)
, r
,
↵
↵
où ↵ > 0 et u 2 Yn sont quelconques. Une telle constante existe si
r
p(u + ↵un+1 )
↵
fn (u)
p(v + un+1 ) + fn (v)
pour tous ↵,
> 0, u, v 2 Yn .
Cette condition est équivalente à l’inégalité
fn ( u
↵v)  p( u + ↵ un+1 ) + p(↵v + ↵un+1 ).
D’après l’hypothèse de récurrence, cette condition est vérifiée pour tous ↵,
et u, v 2 Yn .
>0
Théorème 2.13 (Hahn–Banach complexe). Soit X un espace vectoriel complexe muni d’une semi-norme p : X ! R+ , E ⇢ X un sous-espace vectoriel et
f : E ! R une fonction linéaire vérifiant (2.6). Alors il existe une fonction
linéaire f˜ : X ! R telle que (2.7) a lieu.
Démonstration. On note d’abord que si f est une fonction linéaire sur définie sur
un sous-espace F ⇢ X et représentée sous la forme f = f1 + if2 avec f1 = Re f
et f2 = Im f , alors
f1 (iu) =
pour tout u 2 F .
f2 (u)
Réciproquement, si g : F ! R est une fonction R-linéaire, alors la fonction
f (u) = g(u)
ig(iu)
(2.10)
est C-linéaire sur F .
Soit maintenant f : E ! C une fonction linéaire vérifiant (2.6). Alors sa
partie réelle g : E ! R vérifie aussi (2.6) et d’après le théorème 2.12 admet un
prolongement g̃ à l’espace X tel que |g̃(u)|  p(u) pour tout u 2 X. Alors la
fonction f˜ : X ! C définie par (2.10) vérifie toutes les propriétés requises.
Un cas particulier important des théorème 2.12 et 2.13 est celui où X est un
espace normé et p est la norme de X. Plus précisément, étant donné un espace
vectoriel normé X, réel ou ou complexe, on note X 0 son espace dual; c’est-à-dire,
l’espace de toutes les applications linéaires continues à valeurs dans R ou C. On
munit X 0 de la norme
kf kX 0 =
sup |f (u)|,
kukX 1
f 2 X 0.
On vérifie facilement que c’est un espace de Banach. Le résultat suivant est une
conséquence immédiate du théorème 2.13.
19
Corollaire 2.14. Soit X un espace vectoriel complexe normé, E ⇢ X un sousespace vectoriel, f : E ! C une fonction linéaire telle que
|f (u)|  Ckuk
pour tout u 2 E.
(2.11)
Alors il existe f˜ 2 X 0 vérifiant (2.7) avec p = C k · k.
Le théorème de Hahn–Banach admet une interprétation géométrique. Pour
des sous-ensembles A, B de X et une fonctionnelle f 2 X 0 , on écrit f (A)  f (B)
(f (A) < f (B)) si f (a)  f (b) (f (a) < f (b)) pour tout a 2 A et b 2 B.
Théorème 2.15 (Hahn–Banach, forme géométrique). Soit X un espace de
vectoriel réel normé, K ⇢ X un sous-ensemble convexe et u0 2 K un point
interne. Alors pour tout point u 2 X \ K il existe une fonctionnelle f 2 X 0
non nulle telle que f (K)  f (u). De plus, si K est ouvert, alors on peut
choisir f 2 X 0 telle que f (K) < f (u).
Démonstration. Sans perte de généralité, on peut supposer que u0 = 0, et dans
ce cas, K est un ensemble absorbant; c’est-à-dire, pour tout u 2 X il existe
t = t(u) > 0 tel que u 2 tK. On définit la fonctionnelle de Minkowski pour K
par la formule
µK (u) = inf{t > 0 : t 1 u 2 K}, u 2 X.
(2.12)
Comme u 2
/ K, on a µK (u) 1. On définit une fonction linéaire g : Vect{u} !
R telle que g(u) = 1. Alors |g(tu)|  |t|g(u)  µK (tu) pour tout t 2 R.
D’après le théorème 2.12, il existe un prolongement f de g à l’espace X tel que
|f (v)|  µK (v) pour tout v 2 X. En particulier, f (v)  1 = f (u) pour tout
v 2 K. Comme K contient une boule ouverte de centre zéro, on conclut que f
est continue. Enfin, si K est ouvert, alors |f (v)|  µK (v) < 1 = f (u) pour tout
v 2 K.
Corollaire 2.16. (a) Soit X un espace vectoriel normé, E ⇢ X un sous-espace
vectoriel et u 2 X \ E. Alors il existe f 2 X 0 telle que f (v) = 0 pour tout v 2 E,
kf k = 1 et f (u) = dist(u, E).
(b) Soient A, B deux ensembles convexes dans un espace vectoriel normé X
tels que A \ B = ? et A est ouvert. Alors il existe f 2 X 0 tel que f (A) < f (B).
Démonstration. Pour démontrer (a), il suffit de définir une fonctionnelle continue g : Vect E, u ! C par la relation
pour tout ↵ 2 C et v 2 E,
g(↵u + v) = ↵ dist(u, E)
et de la prolonger à X en utilisant le théorème 2.13.
Pour établir (b), on choisit des points quelconques a0 2 A et b0 2 B. Soit
u = b0 a0 . Alors K = A B +u est un ouvert convexe contenant zéro et u 2
/ K.
Le théorème (2.15) implique qu’il existe f 2 X 0 telle que f (K) < f (u) = 1. Si
maintenant a 2 A et b 2 B, alors a b + u 2 K, d’où on conclut que
f (a)
f (b) = f (a
20
b + u)
1 < 0.
2.6
Dualité dans les espaces de Banach
Théorème 2.17. Soit X un espace de Banach dont le dual X 0 est un espace
séparable. Alors X est séparable.
Ce résultat implique, par exemple, que le dual de `1 ne peut pas être égale
à `1 . D’autre part, comme (`1 )0 = `1 , l’inverse du théorème 2.17 est fausse.
Démonstration. Soit {fn } ⇢ X 0 une suite dense de fonctionnelles non nulles et
un 2 X des vecteurs unités tels que fn (un ) kfn kX 0 n1 . Montrons que {un } est
dense. En e↵et, si ce n’est pas le cas, alors l’espace vectoriel E engendré par {un }
n’est pas dense dans X. D’après le corollaire 2.16, il existe une fonctionnelle
f 2 X 0 non nulle qui s’annule sur E. Soit {nk } une suite d’entiers telle que
fnk ! f . Alors
0 = f (unk )
fnk (unk )
kf
f n k kX 0
kfnk kX 0
1
nk
kf
fnk kX 0 ! kf kX 0 .
Comme kf kX 0 > 0, on obtient une contradiction.
Théorème 2.18. Soit X un espace vectoriel normé et X 00 son deuxième espace
dual. Alors il existe une isométrie naturelle i : X ! X 00 .
On dit X est un espace réflexif si l’image de i est confondue avec X 00 . Par
exemple, l’espace `p est réflexif pour tout p 2 ]1, 1[, et les espaces `1 et `1 ne
le sont pas.
Démonstration. On définit i : X ! X 00 par la formule i(u)(f ) = f (u). Alors i
est une application linéaire telle que
ki(u)kX 00 =
sup
kf kX 0 1
|f (u)|  kuk
pour tout u 2 X.
D’autre part, d’après le corollaire 2.16 (a), il existe f 2 X 0 telle que f (u) = 1 et
kf kX 0 = 1. Il s’ensuite que i(u)(f ) = 1, et l’on conclut que ki(u)kX 00 = 1.
Corollaire 2.19. Un espace de Banach X est séparable et réflexif si et seulement si son dual X 0 est séparable et réflexif.
Une partie A d’un espace vectoriel normé X est appelé un ensemble total si
l’espace vectoriel engendré par A est dense dans X. Pour des sous-ensembles
A ⇢ X et F ⇢ X 0 , on définit les annulateurs par les formules
A = {f 2 X 0 : f (u) = 0 pour tout u 2 A},
F = {u 2 X : f (u) = 0 pour tout f 2 F }.
Il est clair que si A ⇢ B, alors B ⇢ A , et que A ⇢ A .
21
Théorème 2.20. Soit X un espace vectoriel normé et A ⇢ X. Alors
Vect(A) = A .
(2.13)
En particulier, A est un ensemble total si et seulement si A = {0}, et un
sous-espace E ⇢ X est fermé si et seulement si E = E.
Démonstration. Il est facile à vérifier que Vect(A) = A . Il suffit donc de
montrer que si E est un sous-espace fermé, alors E = E.
Soit u 2 E. Alors pour tout f 2 E , on a f (u) = 0, d’où on conclut que
E ⇢ E . Réciproquement, si u 2
/ E, alors d’après le corollaire 2.16, il existe
f 2 X 0 telle que f (v) = 0 pour tout v 2 E et f (u) = 1. Il s’ensuit que
u2
/E .
Étant donnés deux espaces de Banach X, Y et un opérateur A 2 L(X, Y ),
on définit son dual A⇤ : Y 0 ! X 0 par
(A⇤ f )(u) = f (Au),
f 2 Y 0,
u 2 X.
Théorème 2.21. Soient X, Y deux espaces vectoriels normés. Alors l’application F : L(X, Y ) ! L(Y 0 , X 0 ) qui associe à A son dual A⇤ est une isométrie
linéaire. De plus, pour tout A 2 L(X, Y ) on a
(Im A) = Ker A⇤ ,
Ker A⇤
= Im A,
(Im A⇤ ) = Ker A.
(2.14)
Démonstration. Le linéarité de F est évidente. Le théorème de Hahn–Banach
implique que
kAkL(X,Y ) =
sup
kuk1,kf kY 0 1
|f (Au)| =
sup
kuk1,kf kY 0 1
|(A⇤ f )(u)| = kA⇤ kL(Y 0 ,X 0 ) .
Cela signifie que F préserve la norme.
Le démonstration des relations (2.14) est facile, et nous nous contentons
d’établir la première. Soit f 2 (Im A) . Alors 0 = f (Au) = (A⇤ f )(u) pour tout
u 2 X, d’où on conclut que f 2 Ker A⇤ . Réciproquement, si f 2 Ker A⇤ , alors
A⇤ f = 0 et donc f (Au) = 0 pour tout u 2 X.
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