La règle nouvelle renvoie à une double
préoccupation. La première est d’ordre
médico-légal : le praticien doit être en
mesure de prouver. La seconde est d’ordre
humaniste :c’est une forme de respect du
patient que d’assurer à celui-ci la possibi-
lité de retrouver dans son dossier les
conditions de décision et de réalisation des
actes de soins.
L’écrit est une nécessité. Pour autant, ni
le droit ni les juges ne se satisferont
d’écrits qui ne seraient que des alibis for-
malistes, visant moins à permettre une
démarche positive d’information du
patient qu’à se garantir d’un recours en
responsabilité. Ce qui est demandé, c’est
qu’apparaisse au cas par cas une
démarche attentive, adaptée à la person-
nalité du patient, témoignant du souci de
convaincre de l’utilité des soins et de leurs
risques éventuels.
Dans la dernière période, on a vu fleurir
un ensemble d’écrits détaillés, circons-
tanciés et exhaustifs, accompagnés d’une
formule de connaissance des risques, si ce
n’est d’acceptation des risques ou de
décharge de responsabilité. Ces écrits sont
d’une valeur extrêmement relative. Ils ne
témoignent pas de la démarche positive
qu’attend le juge. Ces écrits peuvent au
contraire être appréciés de manière fort
négative, dès lors que le souci de protec-
tion du praticien l’emporte sur le devoir
d’information du patient. Que signifie la
signature d’un tel document alors que le
patient ne dispose peut-être que d’une
faible connaissance de l’écrit, ou se situe
dans un contexte psychologique le rendant
incapable d’analyser ce qu’il signe ? Que
signifie la signature d’un formulaire alors
que ce que demande le droit, c’est une
démarche humaine et attentive ?
Le juge prendra en compte les protocoles
établis, les documents remis au patient, les
notes dans le dossier médical, et l’écrit que
l’on aura demandé au patient de rédiger.
La rédaction par le patient, sur papier libre,
d’un texte peut-être maladroit mais sincère
aura plus de signification que la signature
apposée au bas d’un document rédigé par
une société savante. Et à côté de l’écrit,
reste la conviction du juge, qui se forge à
partir de tous les indices, loin du forma-
lisme…
)Cette responsabilité nouvelle
n’est-elle pas excessive ?
Sauf à ne rien comprendre, il faut soi-
gneusement distinguer les divers régimes
de responsabilité. Si la règle fixée par les
tribunaux peut paraître excessive, elle
n’est pas démesurée. Ce sont des analyses
un peu fantasmatiques qui ont pu faire
croire à un risque judiciaire insupportable
pour le praticien.
L’implication personnelle du médecin
n’est effective que dans le cadre pénal. Il
ne s’agit pas alors de responsabilité, mais
de culpabilité. Le Code pénal n’établit de
culpabilité que si la faute a causé un dom-
mage. Or, des circonstances dans les-
quelles le défaut d’information serait
directement la cause du dommage ren-
voient aux hypothèses d’école. Le défaut
d’information a pu modifier le consente-
ment. Le patient n’a pas été pleinement
informé. Le praticien ne lui a pas donné
toutes les chances d’une décision éclairée.
La perte de chance s’analyse comme un
aléa, une absence de certitude, et le droit
pénal ne peut entrer en œuvre. C’est l’ap-
plication du principe constant selon lequel
le doute bénéficie à l’accusé.
L’hypothèse selon laquelle un défaut
d’information pourrait conduire à la cul-
pabilité du médecin n’est pas impossible.
Mais il faudrait un défaut d’information
sur des risques graves et courants, qui
s’apprécierait comme une faute grave
dans la pratique médicale. La jurispru-
dence nouvelle n’a pas d’effet significa-
tif en droit pénal.
*Qu’en est-il donc
en matière indemnitaire ?
Si la règle nouvelle est préoccupante, elle
l’est essentiellement sur le registre de l’in-
demnisation. Les effets de la règle nou-
velle sont “amortis” par le jeu des assu-
rances. La faute d’un praticien hospitalier
engage la responsabilité de l’hôpital, qui
est assuré pour ce risque. La faute du pra-
ticien exerçant en libéral engage sa res-
ponsabilité personnelle, mais le praticien
est assuré, de telle sorte qu’hormis la
charge morale que représente la procé-
dure, la condamnation effective est sup-
portée par l’assureur.
On retrouve la logique de la règle nou-
velle. Dans le cadre d’un contentieux
indemnitaire, le juge songe à l’intérêt du
patient, devenu victime, et il est d’autant
plus tenté de faire évoluer la règle que la
sanction pèsera moins sur l’auteur des faits
que sur son assureur. En un mot, bien-
veillante pour la victime, la règle est rela-
tivement indolore pour le praticien.
+Comment évaluer le dommage ?
Là encore, le droit est moins sévère qu’il
n’y paraît à première lecture. Il faut ici
revenir aux fondamentaux de l’analyse. Ce
qui est en cause, c’est la sanction d’un
consentement vicié par le silence sur un
risque exceptionnel. Ainsi, la responsabi-
lité indemnitaire du praticien n’est enga-
gée que dans la mesure où le défaut d’in-
formation a effectivement modifié le
consentement. Le patient doit prouver que
s’il avait été informé du risque exception-
nel, il aurait refusé l’acte médical. Pour le
patient il ne s’agit pas d’affirmer ; à son
tour, il doit prouver. Et cette preuve est
particulièrement délicate.
Le paradoxe de la règle nouvelle est que
le praticien qui n’informe pas sur les
risques courants mais bénins n’engage pas
sa responsabilité indemnitaire, car un tel
défaut d’information n’est pas susceptible
de modifier le consentement du patient. Le
patient a droit à l’indemnisation de la perte
de chance qu’il a subie d’avoir pu refuser
les soins au regard d’un risque exception-
nel, pas d’un risque bénin. La perte de
chance, qui n’est pas sanctionnable sur le
plan pénal, l’est sur le plan indemnitaire
par le versement de dommages et intérêts,
et les tribunaux apprécient au cas par cas
la réalité de cette “perte de chance”. Si un
acte médical non fautif a causé un dom-
mage, le recours fondé sur le défaut d’in-
formation ne conduira pas à l’indemnisa-
tion de la totalité du dommage corporel.
L’indemnisation sera appréciée en fonc-
tion de ce que le défaut d’information a
vicié le consentement. En un mot, l’in-
demnisation sera souvent fort limitée.
,La règle nouvelle ne pèsera-t-elle
pas sur les pratiques professionnelles ?
Les instances professionnelles doivent se
préoccuper de la question. Elles ne peu-
vent en rester à l’état actuel du droit tel
La Lettre du Pharmacologue - Volume 14 - n
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9-10 - novembre-décembre 2000
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DROIT EN MÉDECINE