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La Lettre de l’Hépato-Gastroentérologue - no3 - vol. III - juin 2000
par les plus fortes exigences. La question clé est le respect de
l’intégrité de la personne.
2. Quelle était la notion classique du consentement éclairé ?
La notion classique est de construction ancienne. Cette notion
juridiquement dépassée correspond aux conceptions sociolo-
giques dominantes, de telle sorte que les praticiens ont de la dif-
ficulté à considérer que cette règle ait pu changer.
Pendant très longtemps, la question du consentement éclairé
ne se posait pas réellement. C’était l’époque du paternalisme
médical. Le praticien était là pour décider, et il n’était pas rai-
sonnable de trop informer le malade. Progressivement s’est
développée une autre notion : le patient devait être informé,
mais seulement des risques courants, la limite reposant sur des
critères statistiques. Cette conception pragmatique a les faveurs
du corps médical : bien sûr, il faut informer le patient, mais à
trop l’informer on risque de le détourner de soins nécessaires.
Dans cette conception, la conscience du médecin l’emporte sur
la transparence de la relation citoyenne entre le médecin et le
patient.
Les procédures étaient rares, et quand il engageait une procédure,
le patient se voyait très rapidement opposer une règle difficile-
ment contournable : demandeur à la procédure, il lui revenait
d’apporter la preuve de ce qu’il n’avait pas été suffisamment
informé.
3. Quelle est la règle nouvelle ?
La règle nouvelle est en rupture : le patient doit être informé de
tous les risques graves, même s’ils sont exceptionnels, et la charge
de la preuve revient au médecin.
La règle n’est pas du fait de la loi, mais elle résulte d’une série
d’arrêts rendus par la Cour de cassation, puis par le Conseil d’État.
C’est la première constatation, mais elle est de taille : dans un
État de droit, la règle de droit est écrite et résulte des processus
démocratiques. La loi est l’acte du Parlement. Or, en l’occur-
rence, le Parlement ne s’est pas prononcé, et c’est le juge qui a
procédé à une relecture des principes pour édicter ce qui est bien
une règle nouvelle. Le juge, confronté aux situations les plus dou-
loureuses, tire les leçons de l’inadéquation de la règle existante.
Avec une conséquence décisive : la règle jurisprudentielle est
d’effet rétroactif.
La Cour de cassation, compétente pour le droit privé, a ouvert la
voie par trois arrêts rendus les 14 octobre 1997, 27 mai 1998 et
7 octobre 1998, en retenant les règles suivantes :
•il incombe au médecin de prouver qu’il a fourni une informa-
tion préalable et adaptée ;
•l’information doit porter sur tous les risques graves afférents
aux investigations et soins, même s’ils sont exceptionnels ;
•cette preuve peut être apportée par tous moyens, qu’il s’agisse
d’écrits, d’indices ou de témoignages.
Le Conseil d’État, compétent en droit public, s’est prononcé par
un arrêt rendu le 5 janvier 2000 avec une formulation très proche :
“Lorsque l’acte médical envisagé, même accompli conformé-
ment aux règles de l’art, comporte des risques connus de décès
ou d’invalidité, le patient doit en être informé dans des condi-
tions qui permettent de recueillir son consentement éclairé. Si
cette information n’est pas requise en cas d’urgence, d’impossi-
bilité, de refus du patient d’être informé, la seule circonstance
que les risques ne se réalisent qu’exceptionnellement ne dispense
pas les praticiens de leur obligation”.
L’information sur les risques graves, même s’ils sont exception-
nels, avec nécessité de conserver les éléments de preuve, est
désormais la règle en droit privé comme en droit public.
4. Cette règle est-elle sans limite ?
Le droit ne connaît pas d’exemple de règle qui ne soit assortie de
limites. Trois types de limites ont été retenus par la jurisprudence.
Tout d’abord l’obligation tombe devant l’urgence, ou l’impossi-
bilité de donner cette information. Le principe est constant :
lorsque la maison brûle, les pompiers ne frappent pas à la porte
avant d’entrer.
Ensuite, le patient peut refuser d’être informé. Le droit à l’infor-
mation est établi dans l’intérêt du patient et celui-ci peut renon-
cer à ce droit. L’hypothèse est très fréquente en pratique. Elle
suppose toutefois que la démarche du praticien et la réponse du
patient soient effectives. Le patient, sachant que tout acte médi-
cal comporte une part d’incertitude, souhaite être informé des
risques courants. Mais il préfère ne pas connaître les risques
exceptionnels et s’en remet à la compétence du praticien.
Enfin, si le médecin doit tout mettre en œuvre pour informer, il
ne peut lui être reproché de ne pas avoir convaincu de la gravité
du risque.
À ces trois limites, il conviendra peut-être d’en ajouter une qua-
trième : à côté du risque exceptionnel, on peut évoquer le risque
rarissime et improbable. La classification entre risques courants
et risques exceptionnels ne résume pas la question. La littérature
comme l’expérience établissent l’existence de complications
graves et inexpliquées. C’est le “cas d’école”. L’information doit
être exhaustive, mais doit-elle inclure des hypothèses qui ren-
voient aux interrogations de la recherche ? Le droit ne légitime
pas des interrogations déraisonnables.
5. Quelles sont les règles de preuve ?
Le médecin doit donner l’information, et il est cohérent qu’il soit
en mesure de prouver qu’il a bien donné cette information. La
règle ancienne, soit la preuve à la charge du patient, était injuste
et peu praticable. Le praticien doit désormais maîtriser une bonne
gestion de l’écrit.
La règle nouvelle renvoie à une double préoccupation. La pre-
mière est d’ordre médico-légal : le praticien doit être en mesure
de prouver. La seconde est d’ordre humaniste : c’est une forme
de respect du patient que d’assurer à celui-ci la possibilité de
retrouver dans son dossier les conditions de décision et de réali-
sation des actes de soins.
L’écrit est une nécessité. Pour autant, ni le droit ni les juges ne
se satisferont d’écrits qui ne seraient que des alibis formalistes,
visant moins à permettre une démarche positive d’information
du patient qu’à se garantir d’un recours en responsabilité. Ce
qui est demandé, c’est qu’apparaisse au cas par cas une
démarche attentive, adaptée à la personnalité du patient, témoi-
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