PHARMACOLOGIE RHUMATOLOGIE Certolizumab pégol Certolizumab pégol : synthèse des données animales Certolizumab pegol: data from animal models G. Falgarone* Problématique des modèles murins : exemple de la polyarthrite rhumatoïde * Service de rhumatologie, hôpital Avicenne et université de Paris-13, Bobigny. Bien que de nombreux modèles expérimentaux de polyarthrite rhumatoïde (PR) existent, très peu sont utiles pour tester directement l’intérêt d’un bio­médicament, du fait des différences moléculaires entre les espèces. L’arthrite à adjuvant (AA) du rat, l’arthrite expérimentale au collagène de la souris (AECs) ou du rat (AECr), qui sont les plus fréquemment utilisées dans les études physiopathologiques, sont en effet peu citées dans la littérature (1). L’AA, qui est un modèle d’arthrite reposant en grande partie sur la mobilisation de l’immunité innée, est le plus souvent utilisée pour tester les molécules anti-inflammatoires, notamment les AINS (antiinflammatoires non stéroïdiens). L’arthrite au collagène s’obtient par injection de collagène dans une émulsion d’adjuvant (celui-là même qui est utilisé seul dans l’AA du rat) avec un rappel à environ 3 semaines, en adjuvant incomplet. Chez la souris, on obtient alors une authentique poussée d’arthrite et une réponse auto-immune proche de celle observée dans la PR : réponses B et T auto-immunes, ici vis-à-vis du collagène injecté (collagène de bœuf et de poulet par exemple). Ces arthrites s’observent surtout dans certaines lignées de souris, chez le mâle DBA-1 par exemple. Mais d’autres lignées sont susceptibles à l’arthrite, ce qui permet alors de croiser les lignées entre elles et d’obtenir des souris mutées pour certains composants de l’immunité (récepteur à portion constante des immunoglobulines, complément par exemple) et de rechercher alors les facteurs de susceptibilité nécessaires et/ou indispensables à l’apparition des arthrites. Il existe des différences notables entre ces modèles d’arthrite. 92 | La Lettre du Pharmacologue • Vol. 24 - n° 3 - juillet-août-septembre 2010 Dans l’AA, l’inflammation est diffuse à de nombreux organes, dont l’œil, l’intestin, la peau et le rachis ; pour certains il s’agit d’un modèle de spondylarthrite (2). Dans l’AECr, la maladie est dépendante des lymphocytes B et du complément, évolue en une poussée modérée, régressive, et uniquement chez la femelle (3). L’AECs est probablement la polyarthrite la plus auto-immune des arthrites expérimentales précédemment citées. Dépendante des antigènes de classe II, il faut l’induire chez les mâles et elle consiste en une polyarthrite très sévère et destructrice. La difficulté pour faire la synthèse des données publiées dans la littérature scientifique internationale est due au fait que, dans ce modèle, l’induction des arthrites peut se faire selon différents protocoles, correspondant tous à l’AECs. En effet, différents collagènes (bœuf, poulet) et différents adjuvants (mycobactéries, lipopolysaccharides) sont utilisés selon des cinétiques qui peuvent varier sensiblement dans le but d’obtenir une incidence la plus proche possible de 100 % et des scores articulaires reproductibles d’une expérience à l’autre. Cependant, ces différences ne sont pas la source unique des limites précédemment citées. C’est l’absence d’inhibition des molécules murines par les biomédicaments utilisés chez l’homme qui rend l’utilisation de ces modèles difficile et pour le moins limitée dans le champ expérimental de la PR notamment (tableau). Dans certains cas, le concept justifiant l’utilisation du biomédicament est renforcé par l’utilisation d’une molécule similaire, au même mécanisme d’action, mais spécifique de la molécule murine visée. Les modèles demeurent très utiles pour tester les concepts avant essai des molécules chez l’homme, et pour tester la tolérance générale, fœtale, ainsi que la tumorogenèse. Résumé Les modèles murins de maladies auto-immunes permettent de comprendre la physiopathologie des maladies étudiées, mais leur utilisation directe pour tester l’efficacité des biomédicaments est limitée par les différences moléculaires entre l’homme et la souris. Ces modèles ont une utilité dans l’étude de la diffusion des produits, notamment dans le contexte des maladies inflammatoires. Cette revue reprend les informations concernant le certolizumab pégol dans les modèles d’arthrite, notamment sur la diffusion dans les tissus en situation inflammatoire, et les notions récentes sur la diffusion placentaire. Pharmacodynamie d’un médicament et intérêt des modèles d’inflammation Les modèles animaux gardent une utilité primordiale pour vérifier les caractéristiques de pharmaco­dynamie dans le cadre de la pathologie inflammatoire. Sans étudier dans le détail physiopathologique le mécanisme moléculaire, c’est-à-dire l’efficacité du médicament sur les symptômes de la maladie concernée, on peut malgré tout étudier précisément la diffusion tissulaire dans le cadre d’une poussée inflammatoire, par exemple dans les arthrites expérimentales. Diffusion du certolizumab pégol dans l’arthrite expérimentale murine Le certolizumab pégol est un Fab’ anti-TNFα, c’està-dire une immunoglobuline, sans portion Fc. Cette molécule est couplée à du polyéthylène glycol (PEG), un agent couramment utilisé en biochimie pour stabiliser ou lier des molécules entre elles. La capacité du Fab’ à se lier à sa cible peut être testée in vitro par différentes méthodes (ELISA, compétition cellulaire), et l’on observe alors qu’une pégylation au hasard peut diminuer par 2 la liaison du Fab’ à sa cible. Des études préliminaires sur la pégylation en général ont démontré qu’elle ne diminuait pas l’affinité du Fab’ (8). En effet, la constante d’affinité d’un Fab’ pégylé donné est du même ordre que celle d’une immunoglobuline, qu’elle soit humaine ou murine (dans l’étude référencée, 132 pmol/l). Les études par cristallographie permettent de déduire qu’un Fab’ pégylé est une molécule hautement flexible et asymétrique (9, 10). En rendant différentes molécules fluorescentes, par couplage à un traceur (par exemple l’Alexa Fluor® 680), on peut suivre la diffusion d’une molécule dans un organisme sain ou développant des zones inflammatoires. Ainsi, en ce qui concerne l’arthrite au collagène, des anti-TNF ont été injectés en intraveineux chez des souris saines témoins et des souris immunisées développant une arthrite expérimentale (11). Le modèle retenu était celui de l’arthrite au collagène de poulet. Nécessi- tant d’injecter chez des souris males de la lignée DBA-1 du collagène issu du sternum de poulets, c’est un modèle conventionnel et reconnu d’AECs. De jeunes souris mâles sont d’abord immunisées avec le collagène préparé dans de l’adjuvant, puis un rappel est effectué en adjuvant incomplet. Ce modèle permet d’obtenir des arthrites, dans un contexte immunitaire proche de celui de la PR, c’est-à-dire avec des réponses T et B spécifiques de l’antigène injecté très bien décrites. Dans ce modèle, on sait également étudier avec précision la réponse inflammatoire locale, à la fois cliniquement (score d’arthrites) et histologiquement lorsque cela est nécessaire. Dans l’étude citée, les auteurs ont pris soin de peser et de répartir précisément les animaux en fonction de leur poids, ce qui est un prérequis indispensable à toute étude de pharmacodynamie. Un autre prérequis est de répartir les animaux arthritiques dans des groupes séparés aux scores articulaires comparables avant l’injection de produits marqués. Une fois la répartition en termes de poids et de scores articulaires faite, les auteurs ont injecté des anti-TNF couplés à un fluorochrome de manière à observer la diffusion des produits, en l’occurrence 3 anticorps monoclonaux, dont un Mots-clés Modèles d’arthrite Polyarthrite rhumatoïde Certolizumab pégol Diffusion placentaire Summary Experimental models of autoimmune diseases are required to make the proof of concept for new treatments, among them biologics. Direct use of experimental models is limited because biologics have a human specificity and cannot be active in many animal models. At least, animal models allow to assay for diffusion of biologics in the context of inflammation and to assay for diffusion across the placenta barrier. Keywords Experimental model of arthritis Rheumatoid arthritis Certolizumab pegol Placenta barrier Tableau. Utilisations publiées dans les modèles animaux des biomédicaments autorisés dans la polyarthrite rhumatoïde. Cible Molécule Modèle Référence Récepteur de l’IL-6 Tocilizumab Arthrite au collagène du singe Kato et al., 2008 (4) TNF Étanercept AECr Wooley et al., 1992 (5) IL-1 Anakinra AECs Van den Berg, 2000 (6) CTLA-4 Abatacept AECr et AECs Kliwinski et al., 2005 (7) Seules sont citées les études ayant directement utilisé un biomédicament autorisé dans la PR ; les études reposant sur l’injection d’un anticorps murin visant une molécule murine à mécanisme d’action similaire (par exemple l’équivalent du tocilizumab dans l’AECs, ou encore un anticorps déplétant les lymphocytes B de la souris très proche du rituximab) ne sont pas rapportées, car elle ne reposent pas sur l’injection de la molécule utilisée chez l’homme. TNF : tumor necrosis factor ; CTLA-4 : cytotoxic lymphocyte T associated molecule-4. La Lettre du Pharmacologue • Vol. 24 - n° 3 - juillet-août-septembre 2010 | 93 PHARMACOLOGIE RHUMATOLOGIE Certolizumab pégol pégylé, le certolizumab pégol. La technique utilisée permettant de détecter à coup sûr la diffusion du produit marqué dans les organes superficiels et non pileux, la comparaison de la diffusion du certolizumab pégol a pu être faite entre des animaux arthritiques ou non. Cette diffusion, quand il existe une inflammation articulaire, est environ 4 fois supérieure à celle observée chez un témoin sans inflammation. Ce type de pénétration supérieure en tissu inflammatoire est également retrouvé avec les autres anticorps monoclonaux, mais semble davantage corrélé à la sévérité de l’inflammation articulaire avec le certolizumab pégol. En ce qui concerne cette molécule, le maximum de pénétration est observé à 3 heures (contre 1 heure avec l’infliximab) et se maintient jusqu’à 24 heures. Pour des doses équivalentes, la fluorescence observée avec le certolizumab pégol est supérieure à celle obtenue avec un comparateur (adalimumab ou infliximab). On observe alors que la pénétration des anti-TNF est augmentée chez les souris arthritiques. De plus, le certolizumab pégol pénètre davantage les pattes avec inflammation, et reste plus longtemps sur le site inflammatoire. Cette propriété peut être due à la fois à la présence de la molécule PEG, qui limiterait la diffusion, mais aussi à l’absence de Fc, qui ne permet pas les phénomènes de dégradation d’une immunoglobuline standard liés aux récepteurs Fc. Il a également été suggéré que certaines macromolécules comme le PEG puissent permettre la diffusion de molécules actives dans l’arthrite au collagène. Diffusion placentaire du certolizumab pégol Parce que le passage placentaire des immunoglobulines est un mécanisme actif dépendant des récepteurs à la portion Fc des immunoglobulines, on peut supposer que le passage placentaire du certolizumab pégol sera nul, ou très faible. C’est ce que suggèrent certaines communications, à ce jour non publiées, sur un équivalent murin, c’està-dire un Fab’ anti-TNF murin pégylé (12). L’administration de ce Fab’ a été faite chez des rates gestantes, puis celui-ci a été dosé dans le sérum, le sang de cordon et le lait, et en post-partum chez le souriceau. L’anticorps anti-TNF murin complet (le témoin) est retrouvé dans tous les fœtus (à une concentration correspondant à 15 % de la concentration sérique de la gestante), chez le souriceau nouveau-né (2 fois le taux sérique de la mère) et à 94 | La Lettre du Pharmacologue • Vol. 24 - n° 3 - juillet-août-septembre 2010 un quart du taux sérique maternel dans le lait. Le Fab’, lui, n’est retrouvé que chez 2 fœtus sur 5 (à moins de 0,5 % de la concentration de la mère) ; il n’est pas retrouvé chez le souriceau nouveau-né, et est retrouvé à seulement 5 % dans le lait de la rate gestante. Ce travail plaide en faveur d’un passage placentaire du Fab’, de même structure moléculaire que le certolizumab pégol, très réduit. Citons une communication à venir au cours du Digestive Diseases Week (DDW) 2010, à la Nouvelle-Orléans, sur l’utilisation d’un modèle de perfusion placentaire in vitro qui serait en faveur de l’absence de passage placentaire du certolizumab pégol. Ce modèle, où des placentas obtenus après délivrance sont montés sur un système de perfusion, est destiné à tester le passage placentaire et a été validé avec différentes préparations d’immunoglobulines intraveineuses ; il est régulièrement utilisé depuis 1999 à cet effet (13). Cette communication pourrait confirmer, à partir d’un modèle humain in vitro, l’éventuel intérêt du certolizumab pégol chez les femmes en âge de procréer. Des cas rapportés chez l’homme Très peu de données sont actuellement disponibles. Dans une étude citée en 2009 au congrès américain de gastro-entérologie (DDW 2009), à ce jour non publiée, Mahadevan et al. rapportaient que les concentrations de certolizumab pégol dans le sang de cordon étaient de 5 à 50 fois inférieures à celle de la mère, avec des concentrations résiduelles chez le fœtus de l’ordre de 1 mg/l. Dans cette communication, l’auteur rapportait les cas de 16 patientes enceintes suivies et traitées pour maladie de Crohn par du certolizumab pégol ; il a été dénombré 4 accouchements normaux, 9 interruptions de grossesse (dont une spontanée) et une naissance prématurée. Le seul cas détaillé et publié est celui d’une patiente souffrant d’une maladie de Crohn, enceinte et traitée jusqu’à la conception par du certolizumab pégol (14) ; ce traitement avait été interrompu au premier trimestre après une injection. Le certolizumab pégol a toutefois été requis au troisième trimestre du fait d’une poussée, alors que la patiente était réfractaire aux corticoïdes et donc sans solution thérapeutique simple hormis la reprise du biomédicament précédemment efficace. Le bébé est né normal, un saignement favorisé par la rétention de cotylédons placentaires a été rapporté. PHARMACOLOGIE Conclusion Le certolizumab pégol dépourvu de Fc est un nouvel anticorps monoclonal anti-TNF ayant donc une structure différente. Ce biomédicament pourrait avoir des capacités de diffusion spécifiques, dans les tissus inflammatoires et/ou à travers le placenta. Les résultats sur la tolérance et l’efficacité nous démontreront sur le long terme s’il a un profil d’utilisation particulier. ■ Références bibliographiques 1. Hegen M, Keith JC, Jr., Collins M, Nickerson-Nutter CL. Utility of animal models for identification of potential therapeutics for rheumatoid arthritis. Ann Rheum Dis 2008;67:1505-15. 2. Van Eden W, Waksman BH. 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