92 | La Lettre du Pharmacologue Vol. 24 - n° 3 - juillet-août-septembre 2010
PHARMACOLOGIE
RHUMATOLOGIE Certolizumab pégol
Certolizumab pégol : synthèse
des données animales
Certolizumab pegol: data from animal models
G. Falgarone*
* Service de rhumatologie, hôpital
Avicenne et université de Paris-13,
Bobigny.
Problématique des modèles
murins : exemple de la
polyarthrite rhumatoïde
Bien que de nombreux modèles expérimentaux
de polyarthrite rhumatoïde (PR) existent, très peu
sont utiles pour tester directement l’intérêt d’un
bio médicament, du fait des différences moléculaires
entre les espèces. L’arthrite à adjuvant (AA) du rat,
l’arthrite expérimentale au collagène de la souris
(AECs) ou du rat (AECr), qui sont les plus fréquem-
ment utilisées dans les études physiopathologiques,
sont en effet peu citées dans la littérature (1). LAA,
qui est un modèle d’arthrite reposant en grande
partie sur la mobilisation de l’immunité innée, est
le plus souvent utilisée pour tester les molécules
anti-inflammatoires, notamment les AINS (anti-
inflammatoires non stéroïdiens). L’arthrite au colla-
gène s’obtient par injection de collagène dans une
émulsion d’adjuvant (celui-là même qui est utilisé
seul dans l’AA du rat) avec un rappel à environ
3 semaines, en adjuvant incomplet. Chez la souris,
on obtient alors une authentique poussée d’arth-
rite et une réponse auto-immune proche de celle
observée dans la PR : réponses B et T auto-immunes,
ici vis-à-vis du collagène injecté (collagène de bœuf
et de poulet par exemple). Ces arthrites s’obser-
vent surtout dans certaines lignées de souris, chez
le mâle DBA-1 par exemple. Mais d’autres lignées
sont susceptibles à l’arthrite, ce qui permet alors de
croiser les lignées entre elles et d’obtenir des souris
mutées pour certains composants de l’immunité
(récepteur à portion constante des immunoglobu-
lines, complément par exemple) et de rechercher
alors les facteurs de susceptibilité nécessaires et/ou
indispensables à l’apparition des arthrites. Il existe
des différences notables entre ces modèles d’arthrite.
Dans l’AA, l’inflammation est diffuse à de nombreux
organes, dont l’œil, l’intestin, la peau et le rachis ;
pour certains il s’agit d’un modèle de spondylarth-
rite (2). Dans l’AECr, la maladie est dépendante des
lymphocytes B et du complément, évolue en une
poussée modérée, régressive, et uniquement chez la
femelle (3). LAECs est probablement la polyarthrite
la plus auto-immune des arthrites expérimentales
précédemment citées. Dépendante des antigènes
de classe II, il faut l’induire chez les mâles et elle
consiste en une polyarthrite très sévère et destruc-
trice. La difficulté pour faire la synthèse des données
publiées dans la littérature scientifique internatio-
nale est due au fait que, dans ce modèle, l’induction
des arthrites peut se faire selon différents protocoles,
correspondant tous à l’AECs. En effet, différents
collagènes (bœuf, poulet) et différents adjuvants
(mycobactéries, lipopolysaccharides) sont utilisés
selon des cinétiques qui peuvent varier sensiblement
dans le but d’obtenir une incidence la plus proche
possible de 100 % et des scores articulaires repro-
ductibles d’une expérience à l’autre.
Cependant, ces différences ne sont pas la source
unique des limites précédemment citées. C’est
l’absence d’inhibition des molécules murines par
les biomédicaments utilisés chez l’homme qui
rend l’utilisation de ces modèles difficile et pour
le moins limitée dans le champ expérimental de
la PR notamment (tableau). Dans certains cas, le
concept justifiant l’utilisation du biomédicament est
renforcé par l’utilisation d’une molécule similaire,
au même mécanisme d’action, mais spécifique de
la molécule murine visée.
Les modèles demeurent très utiles pour tester les
concepts avant essai des molécules chez l’homme,
et pour tester la tolérance générale, fœtale, ainsi
que la tumorogenèse.
La Lettre du Pharmacologue Vol. 24 - n° 3 - juillet-août-septembre 2010 | 93
Résumé
Les modèles murins de maladies auto-immunes permettent de comprendre la physiopathologie des maladies
étudiées, mais leur utilisation directe pour tester l’efficacité des biomédicaments est limitée par les diffé-
rences moléculaires entre l’homme et la souris. Ces modèles ont une utilité dans l’étude de la diffusion des
produits, notamment dans le contexte des maladies inflammatoires. Cette revue reprend les informations
concernant le certolizumab pégol dans les modèles d’arthrite, notamment sur la diffusion dans les tissus
en situation inflammatoire, et les notions récentes sur la diffusion placentaire.
Mots-clés
Modèles d’arthrite
Polyarthrite
rhumatoïde
Certolizumab pégol
Diffusion placentaire
Summary
Experimental models of auto-
immune diseases are required
to make the proof of concept
for new treatments, among
them biologics. Direct use
of experimental models is
limited because biologics have
a human specificity and cannot
be active in many animal
models. At least, animal models
allow to assay for diffusion of
biologics in the context of
inflammation and to assay for
diffusion across the placenta
barrier.
Keywords
Experimental model
of arthritis
Rheumatoid arthritis
Certolizumab pegol
Placenta barrier
Pharmacodynamie d’un
médicament et intérêt des
modèles d’inflammation
Les modèles animaux gardent une utilité
primordiale pour vérifier les caractéristiques de
pharmaco dynamie dans le cadre de la pathologie
inflammatoire. Sans étudier dans le détail physio-
pathologique le mécanisme moléculaire, c’est-à-dire
l’efficacité du médicament sur les symptômes de
la maladie concernée, on peut malgré tout étudier
précisément la diffusion tissulaire dans le cadre
d’une poussée inflammatoire, par exemple dans les
arthrites expérimentales.
Diffusion du certolizumab pégol dans
l’arthrite expérimentale murine
Le certolizumab pégol est un Fab’ anti-TNFα, c’est-
à-dire une immunoglobuline, sans portion Fc. Cette
molécule est couplée à du polyéthylène glycol (PEG),
un agent couramment utilisé en biochimie pour
stabiliser ou lier des molécules entre elles.
La capacité du Fab’ à se lier à sa cible peut être testée
in vitro par différentes méthodes (ELISA, compétition
cellulaire), et l’on observe alors qu’une pégylation
au hasard peut diminuer par 2 la liaison du Fabà
sa cible. Des études préliminaires sur la pégylation
en général ont démontré qu’elle ne diminuait pas
l’affinité du Fab(8). En effet, la constante d’affinité
d’un Fab’ pégylé donné est du même ordre que celle
d’une immunoglobuline, qu’elle soit humaine ou
murine (dans l’étude référencée, 132 pmol/l). Les
études par cristallographie permettent de déduire
qu’un Fabpégylé est une molécule hautement
flexible et asymétrique (9, 10).
En rendant différentes molécules fluorescentes, par
couplage à un traceur (par exemple l’Alexa Fluor®
680), on peut suivre la diffusion d’une molécule
dans un organisme sain ou développant des zones
inflammatoires. Ainsi, en ce qui concerne l’arth-
rite au collagène, des anti-TNF ont été injectés
en intraveineux chez des souris saines témoins et
des souris immunisées développant une arthrite
expérimentale (11). Le modèle retenu était celui
de l’arthrite au collagène de poulet. Nécessi-
tant d’injecter chez des souris males de la lignée
DBA-1 du collagène issu du sternum de poulets,
c’est un modèle conventionnel et reconnu d’AECs.
De jeunes souris mâles sont d’abord immunisées
avec le collagène préparé dans de l’adjuvant, puis
un rappel est effectué en adjuvant incomplet. Ce
modèle permet d’obtenir des arthrites, dans un
contexte immunitaire proche de celui de la PR,
c’est-à-dire avec des réponses T et B spécifiques
de l’antigène injecté très bien décrites. Dans ce
modèle, on sait également étudier avec précision la
réponse inflammatoire locale, à la fois cliniquement
(score d’arthrites) et histologiquement lorsque cela
est nécessaire. Dans l’étude citée, les auteurs ont
pris soin de peser et de répartir précisément les
animaux en fonction de leur poids, ce qui est un
prérequis indispensable à toute étude de pharma-
codynamie. Un autre prérequis est de répartir les
animaux arthritiques dans des groupes séparés aux
scores articulaires comparables avant l’injection de
produits marqués. Une fois la répartition en termes
de poids et de scores articulaires faite, les auteurs
ont injecté des anti-TNF couplés à un fluorochrome
de manière à observer la diffusion des produits, en
l’occurrence 3 anticorps monoclonaux, dont un
Tableau. Utilisations publiées dans les modèles animaux des biomédicaments autorisés dans
la polyarthrite rhumatoïde.
Cible Molécule Modèle Référence
Récepteur de l’IL-6 Tocilizumab Arthrite au collagène
du singe Kato et al., 2008
(4)
TNF Étanercept AECr Wooley et al., 1992
(5)
IL-1 Anakinra AECs Van den Berg, 2000
(6)
CTLA-4 Abatacept AECr et AECs Kliwinski et al., 2005
(7)
Seules sont citées les études ayant directement utilisé un biomédicament autorisé dans la PR ; les
études reposant sur l’injection d’un anticorps murin visant une molécule murine à mécanisme d’action
similaire (par exemple l’équivalent du tocilizumab dans l’AECs, ou encore un anticorps déplétant les
lymphocytes B de la souris très proche du rituximab) ne sont pas rapportées, car elle ne reposent pas
sur l’injection de la molécule utilisée chez l’homme.
TNF :
tumor necrosis factor
; CTLA-4 :
cytotoxic lymphocyte T associated molecule-4
.
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PHARMACOLOGIE
RHUMATOLOGIE Certolizumab pégol
pégylé, le certolizumab pégol. La technique utilisée
permettant de détecter à coup sûr la diffusion du
produit marqué dans les organes superficiels et
non pileux, la comparaison de la diffusion du certo-
lizumab pégol a pu être faite entre des animaux
arthritiques ou non. Cette diffusion, quand il existe
une inflammation articulaire, est environ 4 fois
supérieure à celle observée chez un témoin sans
inflammation. Ce type de pénétration supérieure
en tissu inflammatoire est également retrouvé avec
les autres anticorps monoclonaux, mais semble
davantage corrélé à la sévérité de l’inflammation
articulaire avec le certolizumab pégol. En ce qui
concerne cette molécule, le maximum de péné-
tration est observé à 3 heures (contre 1 heure avec
l’infliximab) et se maintient jusqu’à 24 heures. Pour
des doses équivalentes, la fluorescence observée
avec le certolizumab pégol est supérieure à celle
obtenue avec un comparateur (adalimumab ou
infliximab).
On observe alors que la pénétration des anti-TNF
est augmentée chez les souris arthritiques. De plus,
le certolizumab pégol pénètre davantage les pattes
avec inflammation, et reste plus longtemps sur le
site inflammatoire. Cette propriété peut être due à
la fois à la présence de la molécule PEG, qui limite-
rait la diffusion, mais aussi à l’absence de Fc, qui ne
permet pas les phénomènes de dégradation d’une
immunoglobuline standard liés aux récepteurs Fc.
Il a également été suggéré que certaines macromolé-
cules comme le PEG puissent permettre la diffusion
de molécules actives dans l’arthrite au collagène.
Diffusion placentaire du certolizumab
pégol
Parce que le passage placentaire des immuno-
globulines est un mécanisme actif dépendant des
récepteurs à la portion Fc des immunoglobulines,
on peut supposer que le passage placentaire du
certolizumab pégol sera nul, ou très faible. C’est
ce que suggèrent certaines communications, à ce
jour non publiées, sur un équivalent murin, c’est-
à-dire un Fab’ anti-TNF murin pégylé (12). L’ad-
ministration de ce Fab’ a été faite chez des rates
gestantes, puis celui-ci a été dosé dans le sérum,
le sang de cordon et le lait, et en post-partum chez
le souriceau. L’anticorps anti-TNF murin complet
(le témoin) est retrouvé dans tous les fœtus une
concentration correspondant à 15 % de la concen-
tration sérique de la gestante), chez le souriceau
nouveau-né (2 fois le taux sérique de la mère) et à
un quart du taux sérique maternel dans le lait. Le
Fab, lui, n’est retrouvé que chez 2 fœtus sur 5
moins de 0,5 % de la concentration de la mère) ; il
n’est pas retrouvé chez le souriceau nouveau-né, et
est retrouvé à seulement 5 % dans le lait de la rate
gestante. Ce travail plaide en faveur d’un passage
placentaire du Fab, de même structure moléculaire
que le certolizumab pégol, très réduit.
Citons une communication à venir au cours
du Digestive Diseases Week (DDW) 2010, à la
Nouvelle-Orléans, sur l’utilisation d’un modèle de
perfusion placentaire in vitro qui serait en faveur
de l’absence de passage placentaire du certoli-
zumab pégol. Ce modèle, des placentas obtenus
après délivrance sont montés sur un système de
perfusion, est destiné à tester le passage placen-
taire et a été validé avec différentes préparations
d’immunoglobulines intraveineuses ; il est réguliè-
rement utilisé depuis 1999 à cet effet (13). Cette
communication pourrait confirmer, à partir d’un
modèle humain in vitro, l’éventuel intérêt du
certolizumab pégol chez les femmes en âge de
procréer.
Des cas rapportés chez l’homme
Très peu de données sont actuellement disponibles.
Dans une étude citée en 2009 au congrès améri-
cain de gastro-entérologie (DDW 2009), à ce jour
non publiée, Mahadevan et al. rapportaient que
les concentrations de certolizumab pégol dans le
sang de cordon étaient de 5 à 50 fois inférieures
à celle de la mère, avec des concentrations rési-
duelles chez le fœtus de l’ordre de 1 mg/l. Dans
cette communication, l’auteur rapportait les cas
de 16 patientes enceintes suivies et traitées pour
maladie de Crohn par du certolizumab pégol ; il a
été dénombré 4 accouchements normaux, 9 inter-
ruptions de grossesse (dont une spontanée) et une
naissance prématurée.
Le seul cas détaillé et publié est celui d’une patiente
souffrant d’une maladie de Crohn, enceinte et traitée
jusqu’à la conception par du certolizumab pégol
(14) ; ce traitement avait été interrompu au premier
trimestre après une injection. Le certolizumab pégol
a toutefois été requis au troisième trimestre du fait
d’une poussée, alors que la patiente était réfractaire
aux corticoïdes et donc sans solution thérapeu-
tique simple hormis la reprise du biomédicament
précédemment efficace. Le bébé est né normal, un
saignement favorisé par la rétention de cotylédons
placentaires a été rapporté.
La Lettre du Pharmacologue Vol. 24 - n° 3 - juillet-août-septembre 2010 | 95
PHARMACOLOGIE
Conclusion
Le certolizumab pégol dépourvu de Fc est un nouvel
anticorps monoclonal anti-TNF ayant donc une
structure différente. Ce biomédicament pourrait
avoir des capacités de diffusion spécifiques, dans les
tissus inflammatoires et/ou à travers le placenta. Les
résultats sur la tolérance et l’efficacité nous démon-
treront sur le long terme s’il a un profil d’utilisation
particulier.
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Références bibliographiques
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