Le ganglion sentinelle dans les cancers opérables du sein D

DOSSIER THÉMATIQUE
14
La Lettre du Sénologue - n° 4 - avril 1999
intérêt tant pronostique que thérapeutique du
curage axillaire dans le cancer du sein a été
souligné à travers les différents articles de ce
dossier thématique. Cependant, l’évolution du recrutement des
cancers du sein et le développement des campagnes de dépis-
tage conduisent à la prise en charge de tumeurs cliniques de
petite taille (T1) ou infracliniques (T0) à faible taux d’envahis-
sement ganglionnaire axillaire. L’apport de la lymphadénecto-
mie axillaire systématique, tant à la stadification qu’à la théra-
peutique, est de ce fait remis en cause (1, 2).
Plusieurs auteurs ont même évoqué l’abandon de cette procé-
dure chirurgicale dans les stades précoces, le traitement adju-
vant pouvant être décidé sur d’autres facteurs pronostiques tels
que le grade histologique et les récepteurs hormonaux (3, 4).
Si l’on attribue au curage axillaire une faible valeur thérapeu-
tique dans les petites tumeurs mammaires, les séquelles
deviennent beaucoup plus difficiles à accepter. Leur fréquence
a souvent été sous-estimée car il s’agit essentiellement de
troubles sensitifs, et d’une gêne difficilement quantifiable lors
d’une consultation. Cependant, lorsque cette morbidité est éva-
luée par questionnaire (5), on retrouve 81 % de troubles sensi-
tifs et 27 % de troubles moteurs, 10 % de lymphœdèmes et
39 % de gêne dans la vie quotidienne des malades.
Ces constatations ont amené l’équipe bordelaise à proposer un
essai randomisé chez des femmes ménopausées, présentant de
petites tumeurs (pT < 10 mm mesuré en analyse extempora-
née) (essai randomisé AXIL., A. Avril, Bordeaux).
Cependant, même pour ces petites tumeurs, le risque
d’envahissement ganglionnaire n’est pas nul. Il va croissant
avec la taille tumorale clinique : 18,2 % pour les T0, 21,7 %
pour les T1 et 36,5 % pour les T2 (série présentée à Strasbourg
par B. Cutuli et C. Martin, décembre 1998). Ces résultats sont
corroborés par les résultats des études de la littérature, et nous
citerons notamment celle de Barth (4) et celle de Chadha (6).
Par ailleurs, d’autres facteurs de risque interviennent, en dehors
de la taille tumorale. En fonction du sous-type histologique, il
est constaté un envahissement maximal pour les tumeurs de
grade SBR 3. Il est également établi actuellement que le
nombre de ganglions envahis varie avec le nombre de gan-
glions prélevés : 16,5 % d’envahissements ganglionnaires dans
un curage contenant moins de 7 ganglions, 23,3 % lorsqu’il y
en a entre 7 et 10 et 28 % lorsqu’il y en a 12 ou davantage. Les
facteurs de prédiction de l’envahissement ganglionnaire sont
constitués par la taille de la tumeur, le grade nucléaire, les
emboles et l’âge. Il ressort de ces études qu’il existe une
importante hétérogénéité pronostique pour ces petites tumeurs
réputées à faible risque d’envahissement ganglionnaire.
Compte tenu de ces éléments et pour garder l’information pro-
nostique ganglionnaire, au lieu de supprimer le curage, une évo-
lution s’est dessinée vers une diminution de la taille de l’évide-
ment, principal facteur de morbidité fonctionnelle postopératoire.
Cette désescalade de l’agressivité chirurgicale au niveau axillaire
repose sur le concept d’une lymphadénectomie plus conserva-
trice, car plus sélective et fondée sur l’individualisation d’un gan-
glion témoin désigné sous le terme de “ganglion sentinelle”.
Le ganglion sentinelle dans les cancers
opérables du sein
J.F. Rodier*, K.B. Clough**, H. Mignotte*** et les membres du groupe d’étude du ganglion sentinelle
de la FNCLCC, A. Lesur****
L’
* Centre Paul-Strauss, département de chirurgie oncologique, Strasbourg.
** Institut Curie, service de chirurgie générale et sénologique, Paris.
*** Centre Léon-Bérard, Lyon.
**** Centre Alexis-Vautrin, service de chirurgie (Pr Guillemin), Nancy.
Le concept du ganglion sentinelle repose sur l’individualisa-
tion du premier relais lymphatique drainant la tumeur mam-
maire primitive et susceptible d’être le siège d’un envahisse-
ment métastatique. Il permettrait d’accéder à la connaissance
du statut ganglionnaire, facteur pronostique déterminant grâce
à un prélèvement électif à faible morbidité chirurgicale suscep-
tible, de surcroît, de faire l’objet d’analyses histologiques
approfondies. Deux conditions sont nécessaires pour atteindre
cet objectif : d’une part, une haute prédictivité du ganglion
sentinelle sur le statut lymphatique axillaire et, d’autre part,
une faisabilité de la technique à l’échelon multicentrique.
Initialement décrite en 1977 par Cabanas dans le cancer de la
verge, la notion de ganglion sentinelle a été réactualisée en
1992 par Morton dans les mélanomes malins cutanés, et
reprise enfin en 1994 par Giuliano dans les cancers du sein (7).
Alors que la mise en évidence du ganglion sentinelle reposait,
pour Cabanas, sur des critères purement anatomiques, Morton
et Giuliano ont fait appel à l’utilisation d’injections de colo-
rants lymphotropes. Plusieurs substances à tropisme lympha-
tique (“bleu Isosulfan”, “bleu Patent”, bleu de méthylène, bleu
Evans, et bleu Ciel Pontamine) permettent sa visualisation.
Giuliano met l’accent sur l’existence d’une courbe d’apprentis-
sage (surgeon’s learning curve). Cette notion vient d’être
reprise par Cox (4th Annual Multidisciplinary Symposium on
Breast Disease, Amelia Island, Floride, février 1999), qui
annonce la nécessaire pratique d’une cinquantaine de cas. Le
taux d’opacification du ganglion sentinelle augmente progres-
sivement, avec l’expérience, de 58,6 % à 78 % dans les publi-
cations en 1994, pour atteindre 93,5 % dans une série de
110 cas publiée en 1997 (8).
Pour illustrer notre propos, nous rapportons ici trois expé-
riences :
– une première série réalisée par les chirurgiens des centres
anticancéreux de Strasbourg et de Lyon (J.F. Rodier et
H. Mignotte),
– la série de l’Institut Curie (C. Nos et K.B. Clough),
– enfin, une série de la Fédération nationale des centres de
lutte contre le cancer (investigateur principal : J.F. Rodier) uti-
lisant une technique combinée (figure 1).
Les études françaises ont pour but d’évaluer la fiabilité de la
méthode. Elles conduisent à identifier et à prélever le ou les
ganglions sentinelles. Cette étape est toujours suivie d’un
évidement axillaire classique.
SÉRIE DE STRASBOURG ET LYON
Il s’agit d’une série de 74 procédures d’individualisation du
ganglion sentinelle, effectuées pour des patientes porteuses de
tumeurs opérables d’emblée, sous forme de chirurgie conser-
vatrice (9). Cette série a été précédée d’une étude de faisabilité
portant sur 128 cas et réalisée par les centres anticancéreux
strasbourgeois et lyonnais. Celle-ci a été rapportée en mars
1998 à l’Académie nationale de chirurgie (10).
Soixante-treize patientes porteuses d’un cancer mammaire
invasif (13 T0, 47 T1, 14 T2 < 3 cm) ont bénéficié, entre jan-
vier 1996 et juin 1997, d’une identification du ganglion axil-
laire sentinelle par colorant lymphotrope (bleu Patent). Une
malade présentait un cancer mammaire bilatéral. L’âge moyen
des patientes était de 59,5 ans (extrêmes de 39 à 80). Cin-
quante-cinq patientes (74,3 %) étaient ménopausées, 94,6 %
étaient indemnes d’atteinte clinique ganglionnaire axillaire
(N0). La tumeur mammaire primitive était située dans les qua-
drants externes dans 44 cas (59,45 %), de topographie centrale
ou rétro-aréolaire dans 14 cas et dans les quadrants internes
dans 17 cas. 81,1 % des patientes ont bénéficié d’une chirurgie
conservatrice, et 14 cas ont été traités par mastectomie radicale
modifiée. Le diamètre tumoral clinique moyen était de
1,45 cm, les variétés galactophoriques (83,8 %) et lobulaires
(16,2 %) infiltrantes étant prédominantes.
Parmi les quatre malades de statut ganglionnaire N1, trois pré-
sentaient une atteinte métastatique histologiquement vérifiée.
Dans l’effectif des 70 patientes sans ganglion cliniquement
palpable (N0), 24 (34 %) avaient un envahissement ganglion-
naire axillaire.
Technique
Une injection intradermique de 2 ml de bleu Patent (AMM
n° 312-3803, versant lymphatique) a été réalisée en péritumo-
ral, immédiatement avant l’induction anesthésique, au moyen
d’une aiguille 23 G.
En cas de lésion infraclinique, l’injection était effectuée en
projection de la zone repérée radiologiquement. Dix minutes
sont en général nécessaires pour la diffusion du colorant, avec
massage de la zone. L’exérèse de la tumeur primitive est alors
réalisée, suivie de la cellulolymphadénectomie axillaire. Les
canaux lymphatiques bleutés sont suivis jusqu’au ganglion
sentinelle, celui-ci étant adressé séparément pour examen his-
tologique. Une cellulolymphadénectomie axillaire des étages I
et II de Berg, voire de l’étage III, a été adjointe dans tous les
cas, adressée ensuite à l’anatomopathologiste. Il faut insister
sur le temps d’incision, qui ne doit être ni trop précoce
(absence de diffusion du colorant avec incision des canali-
cules), ni trop tardif (diffusion trop lointaine du colorant). Le
colorant peut entraîner une coloration bleutée de la peau ou
des urines de la patiente, jusqu’à 12 à 18 heures après l’injec-
tion. Une rémanence temporaire et parfois prolongée du colo-
rant au niveau du sein peut également être observée. Le traite-
15
La Lettre du Sénologue - n° 4 - avril 1999
Figure 1.
Individualisation
du ganglion
axillaire sentinelle
par injection de
colorant
lymphotrope (bleu
Patent) et sonde de
détection isotopique
peropératoire
(Navigator®).
Le succès de la technique est corrélé à plusieurs critères :
– modalités de l’injection péritumorale,
– respect d’un délai de 10 à 15 mn permettant la migration du colo-
rant dans les canalicules lymphatiques, facilitée par un massage
glandulaire doux,
– et, surtout, l’expérience de l’opérateur.
ment anatomopathologique du ganglion sentinelle et de la cel-
lulolymphadénectomie axillaire a été réalisé selon la technique
histologique standard. Les faux négatifs ont fait l’objet d’une
étude histologique en coupes sériées.
Résultats
Le ganglion sentinelle a été identifié dans 61 des 74 procé-
dures (82,4 %). Dans 7 cas (11,5 %), le ganglion axillaire sen-
tinelle était situé au niveau de l’étage II de Berg et dans un cas
au niveau de l’étage III. Le nombre moyen des ganglions axil-
laires sentinelles prélevés était de 1,41 (extrêmes de 1 à 5) ; le
nombre moyen de ganglions axillaires contenus dans la lym-
phadénectomie était de 13,8 (extrêmes de 4 à 28).
Le ganglion axillaire sentinelle s’est avéré prédictif du statut
ganglionnaire dans 96,7 % des cas (59 cas sur 61). Le taux de
faux négatifs était de 8 % (2 cas sur 25). L’envahissement his-
tologique du ganglion sentinelle était de 42,6 % (26 cas sur
61), observé de façon exclusive dans 30,4 % des cas (7 cas sur
23). La sensibilité de la procédure est de 92 % (IC 95 % = 74-
99 %) et la spécificité de 100 %.
ÉTUDE DE L’INSTITUT CURIE
(11)
Elle évalue également la technique colorimétrique par injec-
tion de colorant bleu. Elle est pratiquée à l’Institut Curie
depuis 1996. Elle a permis de réaliser une première série
(86 patientes), publiée dans La Presse Médicale en 1998 (12).
La deuxième série réalisée concerne des tumeurs de petite
taille opérées de décembre 1997 à août 1998 ; 122 patientes
ont fait l’objet d’une recherche de ganglion sentinelle. Les
tumeurs étaient traitées par chirurgie première. La répartition
se faisait ainsi : 11 % de T0, 38 % de T1, 50 % de T2 ; 84 %
étaient classées N0 et 16 % étaient classées N1a. La majorité
des patientes ont eu un traitement conservateur (88 %), 12 %
ont eu une mammectomie.
Les détails des caractéristiques histologiques figurent dans le
tableau I.
La technique d’identification était celle décrite précédemment.
L’injection a été pratiquée en péritumoral pour 57 patientes
chez lesquelles le diagnostic histologique était établi avant
l’intervention. Dans 37 % des cas, un examen extemporané a
fait le diagnostic et l’injection a alors été réalisée dans la
glande mammaire, au pourtour de la résection tumorale. Enfin,
16 % des patientes ont eu un geste secondaire, ayant déjà eu
leur tumorectomie, et l’injection a alors été réalisée dans le lit
tumoral à travers la cicatrice de tumorectomie. Après injection,
massage du sein, abord du creux axillaire, repérage des canaux
lymphatiques et du ou des ganglions sentinelles bleutés qui
sont prélevés, un curage axillaire complémentaire est réalisé,
permettant de comparer les résultats de l’analyse du ganglion
sentinelle et du curage et de calculer la valeur prédictive néga-
tive et le taux de faux négatifs, validant ainsi la méthode.
Résultats
En moyenne 13 ganglions ont été prélevés par curage, et il y
avait un envahissement ganglionnaire dans 29,5 % des cas.
Dans 87,7 % des cas, le ou les ganglions sentinelles ont été
identifiés (107 cas sur 122). Dans la majorité des cas, le gan-
glion sentinelle est retrouvé au premier niveau de Berg, et au
deuxième niveau dans 10 % des cas. Le taux d’identification
est meilleur lorsque l’injection est pratiquée en péritumoral, la
tumeur étant en place. Il est diminué si les seins sont volumi-
neux ou de consistance grasse. Toutefois, il n’est pas influencé
par la taille de la tumeur ou par sa localisation dans les qua-
drants internes ou externes (tableau II).
Dans 15 cas sur 122, le ganglion sentinelle n’a pas été retrouvé :
le curage axillaire était positif dans un seul de ces cas.
Valeur prédictive du ganglion sentinelle
Le ganglion sentinelle était métastatique dans 32 des 107 cas
où il a été identifié (29,9 %) ; dans 15 cas, soit 47 %, le gan-
glion sentinelle était le seul ganglion envahi du curage ; dans
les autres cas, d’autres ganglions étaient positifs (53 %).
Dans 75 cas, le ganglion sentinelle était indemne d’envahisse-
ment, correspondant à 72 curages axillaires classiques négatifs : il
existait donc, dans 3 cas, une discordance entre le ganglion senti-
nelle et le résultat du curage ; il s’agissait d’un ganglion positif
dans le curage sous forme de micrométastase (tableau III).
DOSSIER THÉMATIQUE
16
La Lettre du Sénologue - n° 4 - avril 1999
Tableau I. Caractéristiques de la tumeur (122 patientes).
Tumeur
Nombre de patientes Pourcentage
Histologie
canalaire 93 76,2
lobulaire 25 20,5
autres 4 3,3
Grade histopronostique
I5041
II 56 46
III 14 11,4
non évaluable 2 1,6
Récepteurs estrogènes
positif 97 79,5
négatif 16 13,1
ND* 9 7,4
Récepteurs progestérone
positif 78 64
négatif 34 28
ND* 10 8
* ND : non déterminé.
Tableau II. Facteurs influençant le taux d’identification du ganglion
sentinelle (GS) (122 patientes).
Variables Nombre de GS identifié p
patientes Nombre de Pourcentage
patientes
Méthode d’injection
Péritumorale 57 55 96
En post-extemporané 45 35 77 p = 0,01
À distance 20 17 85
TNM
T0 14 12 85,7
T1 47 40 85 NS
T2 61 55 90
Localisation tumorale
Externe ou centrale 78 68 87,1 NS
Interne 44 39 88,7
Taille du sein
Petit 29 26 89
Moyen 78 72 92 p = 0,006
Gros 13 8 61
Consistance
Normale 85 78 91 p = 0,02
Grasse 29 22 76
* NS : non significatif.
Ces faux négatifs ont été retrouvés chez des patientes non
ménopausées présentant des tumeurs de 15 à 20 mm situées
dans le quadrant inféro-externe (2 cas) ou central. L’analyse
complémentaire du ganglion sentinelle avec recoupe et immu-
nohistochimie n’a pas permis de retrouver de micrométastase
qui serait passée inaperçue lors de l’examen initial. Ainsi, le
taux de corrélation entre le résultat du ganglion sentinelle et
celui du curage est de 97,2 % (104 cas sur 107), la sensibilité
de la méthode est de 91,5 %, le taux de faux négatifs de 8,5 %
(3 cas sur 35) et la valeur prédictive négative de 96 % (72 cas
sur 75).
Identification du ganglion sentinelle
Deux techniques sont actuellement utilisées pour l’identifica-
tion du ganglion sentinelle, celles-ci pouvant être combinées
(voir plus loin l’expérience de la FNCLCC) : la méthode colo-
rimétrique et la lymphoscintigraphie.
La méthode colorimétrique est la plus simple. Elle permet
d’identifier le ganglion sentinelle dans 71 % à 93,5 % des cas
(13). Les résultats sont indéniablement fonction de l’expé-
rience du chirurgien, celle-ci s’améliorant au cours du temps,
comme l’a démontré Giuliano. Dans cette technique, l’injec-
tion péritumorale, tumeur en place, est un élément important
de succès ; dans les autres cas (injection après extemporané ou
à distance), ainsi que chez les patientes aux seins adipeux et de
volume important, le taux d’identification est moindre, la dif-
fusion du bleu étant souvent retardée et la zone de dissection
du curage plus difficile à explorer.
Par la méthode scintigraphique, l’identification du gan-
glion sentinelle est obtenue dans 71 % à 98 % des cas (14). Le
taux est, en moyenne, légèrement supérieur à celui de la
méthode colorimétrique. Le taux d’identification est fonction
de l’injection tumeur en place, avant tout geste chirurgical sur
la tumeur, et de la densité graisseuse du sein ; l’identification
est plus difficile pour les tumeurs du quadrant interne, mais il
existe aussi des variations en fonction du site d’injection et de
la taille du colloïde utilisé. Les meilleurs taux d’identification
ont été publiés par Veronesi, avec 98 % d’identification d’un
ganglion sentinelle dans l’aire du curage sur une série de
163 patientes. Un colloïde d’une taille supérieure à 200 nm
entraîne l’identification d’un seul ganglion sentinelle ; un col-
loïde de plus petite taille (inférieure à 80 nm, voire à 30 nm)
permet l’identification d’un nombre de ganglions sentinelles
plus élevé par patiente, parfois dans plusieurs aires ganglion-
naires différentes, mais augmente le risque de faux négatifs.
Le principal intérêt de la technique isotopique est de permettre
l’abord chirurgical électif du ganglion sentinelle individualisé
et la mise en évidence de voies de drainage extra-axillaire
(sous-claviculaire, mammaire interne, controlatérale).
La principale différence entre les deux méthodes est la non-
détection des drainages lymphatiques en dehors de l’aisselle
par la méthode colorimétrique. La lymphoscintigraphie permet
d’obtenir une cartographie du drainage lymphatique. Cepen-
dant, il semble que le drainage atypique isolé soit exceptionnel
et que la visualisation d’un ganglion sentinelle en position aty-
pique soit quasiment toujours associée à un ganglion sentinelle
visible dans l’aire du curage.
L’association des deux méthodes permet en théorie d’augmen-
ter les possibilités d’identification du ganglion sentinelle.
Cependant, les premières équipes à utiliser les deux techniques
combinées n’ont pas toujours obtenu des taux d’identification
meilleurs (15).
ANALYSE PRÉLIMINAIRE DE L’ÉTUDE COOPÉRATIVE
MULTICENTRIQUE (FNCLCC)
Matériel et méthodes
De septembre 1997 à septembre 1998, 74 patientes porteuses
de cancers invasifs du sein (20 T0, 45 T1, 9 T2 3 cm) sans
atteinte ganglionnaire axillaire clinique ont bénéficié d’une
détection du ganglion sentinelle, suivie d’une lymphadénecto-
mie axillaire classique (16). Un colorant lymphotrope (bleu
Patent) et une lymphoscintigraphie préopératoire (sulfure de
rhénium marqué au technétium 99m) avec une sonde de détec-
tion isotopique peropératoire ont été utilisés pour la mise en
évidence de ce ganglion sentinelle (figure 1). Les critères
d’exclusion ont été les suivants : grossesse, carcinome intraca-
nalaire, geste chirurgical antérieur tant mammaire qu’axillaire,
traitement néoadjuvant, notion de terrain atopique ou d’aller-
gie au bleu Patent. Toutes les patientes étaient soumises à une
recherche de ganglion sentinelle puis, dans la même procé-
dure, au curage axillaire.
Le statut histopathologique du ganglion axillaire sentinelle a
été corrélé à celui des ganglions axillaires non sentinelles
contenus dans la lymphadénectomie standard associée. L’âge
moyen des malades était de 59 ans (extrêmes : 35-77). La
tumeur mammaire était située dans les quadrants externes dans
50 % des cas, dans les quadrants internes dans 20 % des cas, et
était de topographie centrale ou rétromamelonnaire dans 30 %
des cas. Le diamètre tumoral moyen était de 1,5 cm, avec des
extrêmes de 0,4 à 3 cm. Toutes les patientes ont été traitées par
chirurgie mammaire conservatrice.
Résultats
Le nombre moyen de ganglions sentinelles et non sentinelles
prélevés était respectivement de 2,1 et de 14,5. Le ganglion
sentinelle a été identifié, dans 85 % des cas (63 cas sur 74) par
le bleu Patent, dans 77 % des cas (57 cas sur 74) par la sonde
de détection isotopique et dans 91 % des cas (67 cas sur 74)
par la combinaison des deux techniques.
Le ganglion axillaire sentinelle était histologiquement envahi
dans 15 cas (22,7 %) et de façon exclusive dans 8 cas (53,5 %),
le taux de faux négatifs était de 12 % (2 cas sur 17). La sensibi-
lité de la procédure était de 88 % et sa spécificité de 100 %. La
valeur prédictive négative de la procédure était de 96 %. Cet
essai est à présent clos, après l’inclusion de 200 malades.
17
La Lettre du Sénologue - n° 4 - avril 1999
Tableau III. Corrélation entre l’état du ganglion sentinelle et les résul-
tats du curage (107 patientes).
Curage axillaire Ganglion sentinelle Ganglion sentinelle
négatif positif
Négatif 72 15**
Positif 3* 17
75 32
* Une micrométastase en dehors du ganglion sentinelle.
** Seul ganglion envahi.
COMMENTAIRES
Presque toutes les études utilisant la colorimétrie ou la lym-
phoscintigraphie comportent un taux de faux négatifs pouvant
atteindre jusqu’à 12 %, et il faut rappeler combien le résultat
est opérateur-dépendant. Dans les expériences rapportées ici,
la diminution du taux de faux négatifs a été obtenue en amélio-
rant la technique. L’association des deux méthodes permet
d’espérer obtenir de meilleurs résultats.
Récemment, une première synthèse de séries publiées a
retrouvé 6,2 % de faux négatifs sur un total de 1 198 patientes
(17). Il semble que ce taux de faux négatifs soit difficilement
compressible, et que, même avec une amélioration des tech-
niques, il se maintiendra aux alentours de 5 %.
Il est rappelé que la méthode est optimale pour des petites
tumeurs, sans aucun traitement préalable (ni chimiothérapie
néoadjuvante, ni biopsie-exérèse antérieure).
Par ailleurs, la biopsie du ganglion sentinelle permet de mettre
en évidence davantage de métastases ganglionnaires que le
curage classique, à volume tumoral égal, cela pouvant s’expli-
quer par des différences dans les méthodologies utilisées pour
l’analyse histopathologique du curage axillaire. Cette diffé-
rence prend probablement en compte la détection de micromé-
tastases qui passent parfois inaperçues lors d’une analyse stan-
dard. Cependant, la valeur pronostique des micrométastases est
encore controversée...
CONCLUSION
Si les résultats rapportés confirment la faisabilité de la tech-
nique à l’échelon multicentrique, il n’en demeure pas moins
que l’individualisation du ganglion sentinelle constitue une
voie de recherche. Cette méthode justifie une évaluation pros-
pective réalisée au sein d’équipes multidisciplinaires dans le
cadre d’essais cliniques contrôlés. En l’état actuel des données
de la littérature, il serait prématuré, voire délétère pour cer-
taines patientes, d’ériger cette technique au rang de nouveau
standard thérapeutique, en particulier en la réalisant isolément,
sans adjonction d’une lymphadénectomie axillaire classique
(étages I et II de Berg). Il convient enfin de rester très critique
à l’égard d’une littérature florissante et passionnée sur le sujet.
Concernant l’interprétation des résultats (sensibilité, valeur
prédictive négative), une attention particulière devra être por-
tée au mode de calcul des faux négatifs [à effectuer sur l’effec-
tif des patientes présentant un envahissement ganglionnaire
histologique et non sur celui des malades à ganglion(s) senti-
nelle(s) identifié(s)], potentiellement susceptibles d’être sous-
traités. Certains critères restent à déterminer pour que la tech-
nique soit optimale et reproductible :
– choix de la technique (colorant lymphotrope et/ou technique
isotopique),
– procédé d’injection dans les lésions infracliniques (T0),
– fiabilité de la procédure après chirurgie d’exérèse antérieure,
– intervalle entre la lymphoscintigraphie et la chirurgie radio-
guidée,
– nature du colloïde marqué optimal,
– définition des critères d’individualisation peropératoire du
ganglion sentinelle,
– techniques d’analyse histopathologique, place de l’examen
extemporané,
– conduite à tenir vis-à-vis des ganglions mammaires internes
visualisés.
Il est à présent indispensable d’œuvrer pour une standar-
disation des méthodes d’individualisation (chirurgicale et
isotopique) et d’étude anatomopathologique du ganglion sen-
tinelle dans les cancers du sein. Le développement de cette
technique est également subordonné à des critères de qualité
portant sur l’enseignement, la formation et l’évaluation des
équipes participantes, garantissant ainsi un apprentissage et
une pratique encadrée. Rien ne serait plus préjudiciable au
devenir de cette technique prometteuse que sa pratique mal
raisonnée et sa généralisation hâtive.
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
1. Copeland E.M. Is axillary dissection necessary for T1 carcinoma of the
breast ? J Am Coll Surg 1997 ; 184 : 397-8.
2. Chontos A.J., Maher D.P., Ratzer E.R. Axillary lymph node dissection : is it
required in a T1 breast cancer ? J Am Coll Surg 1997 ; 184 : 493-8.
3. Cady B. Use of primary breast carcinoma characteristics to predict lymph
node metastases. Cancer 1997 ; 10 : 1856-61.
4. Barth A., Craig P.H., Silverstein M.J. Predictors of axillary lymph node
metastase in patients with T1 breast carcinoma. Cancer 1997 ; 10 : 1918-22.
5. Ivens D., Hoe A.L., Podd T.J., Hamilton C.R. et coll. Assessment of morbidity
from complete axillary dissection. Br J Surg 1992 ; 66 : 136-8.
6. Chadha M., Chabon A.B., Friedmann P., Vikran B. Predictors of axillary
lymph node metastases in patients with T1 breast cancer. A multivariate analysis.
Cancer 1994 ; 73 : 350-3.
7. Giuliano A.E., Kirgan D.M., Guenther M. et coll. Lymphatic mapping and
sentinel lymphadenectomy for breast cancer. Ann Surg 1994 ; 3 : 391-401.
8. Giuliano A.E., Jones R.C., Brennan M. et coll. Sentinel lymphadenectomy in
breast cancer. J Clin Oncol 1997 ; 6 : 2345-50.
9. Rodier J.F., Routiot T., Mignotte H., Bremond A., Janser J.C., Barlier C.,
Ghnassia J.P., Treilleux I., Chassagne C., Velten M. Le ganglion axillaire senti-
nelle dans les cancers du sein. Sem Hop Paris 1998 ; 74 (31-32) : 1189-90.
10. Rodier J.F., Routiot T., Mignotte H., Bremond A., Janser J.C., Barlier C.,
Ghnassia J.P., Treilleux I., Chassagne C., Velten M. Individualisation du gan-
glion axillaire sentinelle par colorant lymphotrope dans les cancers du sein.
Étude de faisabilité à propos de 128 cas. Chirurgie 1998 ; 123 : 239-46.
11. Nos C., Bourgeois D., Zafrani B., Salmon R.J., Sastre X., Clough K.B. Indi-
vidualisation du ganglion sentinelle en cas de cancer du sein. Expérience de
l’Institut Curie. Bull Cancer : sous presse.
12. Salmon R.J., Fried D. Mise en évidence du ganglion sentinelle dans le
curage axillaire pour cancer du sein. Press Med 1998 ; 27 : 509-12.
13. Bobin J.Y., Zinzindohoue C., Roy P. Étude du ganglion sentinelle ; à propos
de 100 cas. Bull Cancer 1998 ; 85 : 418.
14. Krag D.N., Weaver D.L., Ashikaga T. et coll. The sentinel node in breast
cancer. A multicenter validation study. N Engl J Med 1998 ; 339 : 941-6.
15. Cox C.E., Pendas S., Cox J.M. et coll. Guidelines for sentinel node biopsy and
lymphatic mapping of patients with breast cancer. Ann Surg 1998 ; 227 : 645-53.
16. Rodier J.F., Mignotte H., Janser J.C. et coll. Ganglion sentinelle dans les
cancers invasifs opérables du sein. Analyse préliminaire de l’étude coopérative
multicentrique (FNCLCC). Présentation au Congrès de Vichy, mars 1999.
17. McMasters K.M., Giuliano A.E., Ross M.I. et coll. Sentinel lymph node
biopsy for breast cancer : not yet the standard of care. N Engl J Med 1998 ;
339 : 990-5.
DOSSIER THÉMATIQUE
18
La Lettre du Sénologue - n° 4 - avril 1999
Le but de la technique du ganglion sentinelle est d’éviter un évide-
ment axillaire aux patientes dont le ganglion sentinelle n’est pas
envahi. Elle ne pourra être fiable et utilisable en routine que lorsque
le taux des faux négatifs sera réduit au minimum (idéalement nul).
1 / 5 100%