E_STUDIUM THOMAS D’AQUIN
GILLES PLANTE
QUESTIONS DE LOGIQUE
ILLUSTRATIONS
BERTRAND RUSSELL
“ON DENOTING”
ET LA SUPPLÉANCE
© Gilles Plante 2 mars 2005
Saint-Étienne-des-Grès, Québec
UNE “REAL LOGIC”
Giuseppe Peano1 projetait une axiomatisation des mathématiques, et ce, à l’aide d’un
langage symbolique dans lequel les énoncés seraient écrits. En 1892, Gottlob Frege,2 qui
s’intéressait aux travaux de G. Peano tout en nourrissant un projet d’idéographie, publie
l’article «Über Sinn und Bedeutung».
Une traduction anglaise de cet article fut réalisée par M. Black sous le titre : «On Sense
and Reference». Une traduction française en est aussi proposée par Claude Imbert :
«Sens et dénotation».3
En 1905, Bertrand Russell,4 très tôt séduit par les travaux de G. Peano et de G. Frege,
publie un article, dans Mind, où il critique l’enseignement de ce dernier : On Denoting.5
Claude Imbert soumet que cet article de Russell «fut déterminant pour la philosophie
analytique», qui prétend «défaire l’enseignement aristotélicien».6
B. Russell célèbre ce revirement en des termes non équivoques. Ashok K. Gangadean
écrit :
The first serious advance in real logic since the time of the Greeks was made
independently by Peano and Frege — both mathematicians. Traditional logic regarded the
two propositions ‘Socrates is mortal’ and ‘All men are mortal’ as being of the same form.
The philosophical importance of logic may be illustrated by the fact that this confusion —
which is still committed by most writers — obscured not only the whole study of the form of
judgment and inference, but also the relation of things to their qualities, of concrete
existence to abstract concepts, and to the world of platonic ideas... Peano and Frege, who
pointed out the error did so for technical reasons... but the philosophical advance which
they made possible is impossible to exaggerate. (Logic as the Essence of Philosophy, in
“Knowledge of the External World” [1944])
The Aristotelian system is “as definitely antiquated as the Ptolemaic astronomy”. “This
makes it difficult to do historical justice to Aristotle. His present-day influence is so inimical to
clear thinking that it is hard to remember how great an advance he made upon his
predecessors (including Plato), or how admirable his logical work would still seem if it had
been a stage in a continual progress, instead of being (as in fact is was) a dead end,
followed by over two thousand years of stagnation”. (“Aristotle’s Logic” — History of
Western Philosophy [1946])7
Voyons si la «traditional logic» est «aussi définitivement surannée que l’astronomie de
Ptolémée», si elle est «une impasse, [qui fut] suivie par plus de deux mille ans de
stagnation», comme l’écrit B. Russell, et ce, précisément en ce qui concerne le sujet de
«On Denoting».
1 Giuseppe Peano (1858-1932)
2 Gottlob Frege (1848-1925)
3 Gottlob Frege, Écrits logiques et philosophiques, traduction et introduction par Claude Imbert, Paris,
1971, Éditions du Seuil, pp. 102-126
4 Bertrand Russell (1872-1970)
5 On peut se procurer ce texte à : http://cscs.umich.edu/~crshalizi/Russell/denoting/
6 Gottlob Frege, Écrits logiques et philosophiques, p. 12 et 49
7 cités dans : Ashok K. Gangadean, Between Worlds The Emergence of Global Reason, New York, 1998,
Peter Lang, p. 276-277 1
“LOCUTIONS DÉNOTANTES”
B. Russell écrit :
Par une ‘locution dénotante’ je veux dire (mean) une locution telle que l’une des
suivantes : a man, some man, any man, every man, all men, the present King of England,
the presenting King of France, the center of mass of the solar system at the first instant of
the twentieth century, the revolution of the earth round the sun, the revolution of the sun
round the earth. Alors, la locution est dénotante seulement en vertu de sa forme. Nous
pouvons distinguer trois cas : (1) une locution peut être dénotante, encore qu’elle ne
dénote rien ; v.g., 'l’actuel Roi de France'. (2) une locution peut dénoter un objet
déterminé ; v.g., 'l’actuel Roi d’Angleterre' dénote un certain homme [en 1905, Édouard
VII]. (3) une locution peut dénoter de manière indéterminée ; v.g. 'un homme' ne dénote
pas plusieurs hommes, mais un homme indéterminé. L’interprétation de telles locution
présente une difficulté considérable ; en effet, il est très difficile de construire [to frame] une
théorie qui n’est pas susceptible d’une réfutation formelle. Toutes les difficultés que je
connais par expérience vécue (All the difficulties with which I am acquainted), à ce point de
mes découvertes (so far as I can discover), sont résolues par la théorie que je suis sur le
point d’exposer (are met ... by the theory which I am about to explain).
Dans la «Note de logique 4 La simple appréhension II (p. 23)», plusieurs divisions du
terme sont exposées, notamment celle du terme en : catégorématique et
syncatégorématique.
Le terme catégorématique, qui est significatif par lui-même, est celui qui signifie un
catégorème (ou prédicable) : genre, différence, espèce, accident propre, accident
commun. Par exemple, sont des catégorèmes : chien, bête, apte à l’émission vocale,
capable d’aboiement. Le terme syncatégorématique, qui est consignificatif, accompagne
un terme catégorématique ; par exemple : «tout animal» ; «aucun animal» ; «quelque
animal».
Remarquons bien que le terme se divise en catégorématique et syncatégorématique
selon qu’il est soit significatif par lui-même (catégorématique) à titre de genre, différence,
espèce, accident propre, accident commun, soit consignificatif (syncatégorématique) ; par
exemple, «tout animal» signifie «tout le genre “animal”» ; «aucun animal», «rien du genre
“animal”» ; «quelque animal», «une partie du genre “animal”».
Les quatre premiers exemples de «locution dénotante» que donne Russell sont des
expressions où nous trouvons un catégorème (une espèce) et un syncatégorème ; et le
cinquième signifie une pluralité de singuliers.
Les cinq autres exemples commence par l’article «the». B. Russell écrira plus loin : «Now
the, when it is strictly used, involves uniqueness». Autrement dit, la «locution dénotante»
accompagnée où «the» intervient dénote une unicité. «Un» se prend en plusieurs
acceptions.8 B. Russell ne considère que l’Un singulier ; nous verrons pourquoi.
À la «Note de logique 5 La simple appréhension III (p. 19 et 25)», nous trouvons des
exemples semblables à ceux de B. Russell, alors que nous traitons de la suppléance (en
latin, suppositio), entre autres, singulière.
8 Aristote, Métaphysique, , 6 2
Un verbe à l’infinitif se prend en tant que nom, et il jouit alors d’une signification : par
exemple, «marcher» ; «être». Lorsque le verbe est conjugué, à sa signification comme
nom, s’ajoute une consignification du temps ; c’est cette consignification du temps qui
détermine la valeur de suppléance du nom (Note de logique 5 La simple appréhension III,
pp. 11-14). La valeur de suppléance d’un nom est déterminée par le verbe conjugué qui
l’accompagne dans une énonciation. Du point de vue de la suppléance, le temps se
divise en : temps passé, présent, futur, possible, ou imaginable (Note de logique 6, Le
jugement I, p. 10).
À propos du verbe «être», lorsqu’il est conjugué, Jacques Maritain distingue le verbe-
copule «est» et le verbe-prédicat «est» :
Dans une proposition telle que “Je suis.”, (...) que nous appellerons “à verbe-prédicat”, et
qui équivaut à “Je suis existant [étant].”, le verbe être exerce la fonction de copule (en tant
qu’il unit sujet ou prédicat) et celle de prédicat (en tant qu’il signifie l’existence [l’esse]
attribuée [unie ou jointe] à un sujet), en ne manifestant directement (in actu signato) que
cette dernière fonction. Dans une proposition telle que “Pierre est homme.”, proposition
que nous appellerons “à verbe-copule”, et dans laquelle le verbe être est suivi d’un
prédicat qu’il applique au sujet, il ne manifeste directement que sa fonction de copule. (...)
Le sens premier du verbe être est celui où la fonction copulative est, comme dans les
autres verbes, exercée sans être manifestée directement, et où l’existence [l’esse] est
attribuée [unie ou jointe] comme Prédicat au Sujet : “Je suis.”, “Hector n’est plus.”
(propositions à verbe-prédicat). De ce sens premier dérive le second sens du verbe être,
celui où il manifeste directement la fonction copulative : “Je suis malade.”, “Achille n’est pas
insensible.”, (propositions à verbe-copule).9
Remarquons bien ce qu’écrit J. Maritain :
a) «Dans une proposition telle que “Je suis.”, (...) que nous appellerons “à verbe-
prédicat”, (...) le verbe être exerce la fonction de copule (en tant qu’il unit sujet ou prédicat)
et celle de prédicat (en tant qu’il signifie l’existence [l’esse] attribuée [unie ou jointe] à un
sujet), en ne manifestant directement (in actu signato) que cette dernière fonction» ;
b) cependant, «dans une proposition telle que “Pierre est homme.”, proposition que nous
appellerons “à verbe-copule”, et dans laquelle le verbe être est suivi d’un prédicat qu’il
applique au sujet, il ne manifeste directement [in actu signato] que sa fonction de copule» ;
c) mais, du «sens premier», celui de «la fonction (...) de prédicat», «dérive le second»,
celui de «la fonction de copule», et ces deux «sens» sont présents en chaque occurrence
du verbe conjugué «est».
Dans ses Réfutations sophistiques, Aristote distingue la signicatio et la suppositio :
Le syllogisme est un raisonnement dans lequel, certaines prémisses étant posées, une
conclusion autre que ce qui a été posé en découle nécessairement, par le moyen des
prémisses posées ; la réfutation est un raisonnement avec contradiction de la conclusion.
Or cela, les Sophistes ne le font pas, mais ils paraissent seulement le faire, pour plusieurs
raisons : l’une de ces raisons, qui est la plus naturelle et la plus courante, est celle qui tient
aux noms donnés aux choses. En effet, puisqu’il n’est pas possible d’apporter dans la
discussion les choses elles-mêmes, mais qu’au lieu des choses nous devons nous servir de
9 Jacques Maritain, Éléments de philosophie II, L’ordre des concepts, Paris, 1966, Librairie P. Tequi, p. 65-
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