Denis Vernant INTRODUCTION À LA LOGIQUE STANDARD Calcul des propositions, des prédicats & des relations GF Flammarion AVERTISSEMENT AVERTISSEMENT La création par Frege et Russell1 de la logique symbolique constitua sans aucun doute l’une des inventions majeures du XXe siècle. Même si le projet grandiose d’une réduction logiciste de toutes les mathématiques échoua 2, il apparut toutefois que la nouvelle logique fournissait un outil précieux d’analyse des concepts formels et de construction des preuves déductives. S’imposant définitivement dans les sciences logico-mathématiques, elle essaima jusque dans les sciences de l’Homme où la formalisation (souvent hâtive) valait garantie de scientificité. Mais c’est surtout à travers son utilisation en informatique que la nouvelle logique acquit un usage socialement déterminant. Si un calculateur (ou une simple calculette) n’opère que sur des nombres, un ordinateur calcule sur des signes qui peuvent recevoir de multiples interprétations. Le rêve de Leibniz se réalisait : si la logique est calcul, si le calcul est algorithme, procédure mécanique, on pouvait désormais apprendre la logique aux machines ! De là l’avènement de l’Intelligence Artificielle3. 1 . Cf. Frege, Idéographie, 1879 ; Russell, Principes des mathématiques, 1903 ; Russell & Whitehead, Principia Mathematica [PM], 1910-1913. 2 . Sur le projet russellien et ses limites, cf. notre Philosophie mathématique de Bertrand Russell, § 1-4, p. 20-29 et § 65-66, p. 442-452. 3 . Notée désormais IA, cf. infra, § 2.3.5.2. AVERTISSEMENT Le philosophe, le mathématicien, l’économiste, le juriste, le psychologue, l’ingénieur, l’informaticien, le médecin, etc. ne sauraient désormais négliger la logique. Cet ouvrage a pour objet non d’en faire des logiciens professionnels, mais de leur fournir le plus aisément possible une connaissance précise de la logique contemporaine. Depuis le début du siècle précédent, une surprenante efflorescence des recherches logiques s’est produite, donnant sans cesse naissance à de nouveaux calculs. Toutefois ceux-ci constituent soit des extensions de, soit des alternatives à la logique standard4. Il convient donc d’abord de faire ses gammes en maîtrisant les calculs des propositions, des prédicats et des relations dans leur version standard. Pour élémentaires qu’ils soient, ces systèmes ne sont cependant pas triviaux. Sous sa forme la plus rigoureuse, leur présentation semble totalement hermétique au profane. Pour s’en convaincre, il n’est que de jeter un œil sur une page des Principia Mathematica, bible de la nouvelle logique (cf. ici même, page 13). Par un souci pédagogique constant, nous avons résolu d’abandonner initialement la rigueur formelle au profit d’une compréhension graduelle du langage logique et de son fonctionnement calculatoire. En cela, nous ne faisons que suivre le conseil de Frege : « Un professeur avisé commencera par renoncer en grande partie à la rigueur, et ne cherchera qu’à en éveiller progressivement le besoin 5. » Nous privilégierons la simplicité en tout. Ainsi construirons-nous pas à pas la langue et le calcul de 4 . Pour un aperçu de ces logiques non standard, cf. M.-D Popelard & D.Vernant, Éléments de logique, p. 74-83. 5 . Cf. Écrits posthumes, p. 172. AVERTISSEMENT chaque système formel. Ainsi proposerons-nous un vocabulaire simplifié et le symbolisme le plus transparent possible. Nous recourrons souvent à une présentation graphique, « iconique », tant pour résumer les analyses que pour construire les formules et les évaluer 6. De même, chaque nouveau concept introduit sera défini et immédiatement mis en œuvre au moyen d’un exemple. Au terme, de nombreux exercices permettront de s’entraîner au calcul et viendront souvent illustrer tel point du développement. Si nous ne voulons pas d’emblée imposer l’indigeste rigueur du formalisme le plus dur, nous ne souhaitons pas pour autant transformer la logique en divertissement de salon. Nous présenterons les trois calculs de la logique standard dans toute leur systématicité, examinant l’ensemble des fonctions de vérité, multipliant les méthodes de preuve7 et exposant ses trois principaux modes de présentation : axiomatique, inférentiel et dialogique. Il apparaîtra alors que, par delà les différences de présentation et de méthode, c’est un même système formel qui est en jeu. 6 . En logique, la présentation iconique a essentiellement une fonction de preuve : « Déduire, c’est construire une icône ou un diagramme dont les relations des parties présenteront une analogie complète avec celles des parties de l’objet du raisonnement, faire des expériences en imagination sur cette image, et observer le résultat de manière à découvrir des relations cachées et qui étaient passées inaperçues entre les parties », Peirce, « Sur l’algèbre de la logique », 1885, p. 154-155. C’est notamment le cas des tables et matrices de vérité, diagrammes d’évaluation, arbres syntaxiques et sémantiques, tableaux, etc. 7 . Nous insisterons en particulier sur la méthode de résolution de Herbrand qui n’est exposée que dans le bon manuel de Gochet & Gribomont, Logique, vol. 1. Cette méthode, simple et puissante, est utilisée en IA et, comme l’atteste notre expérience de vingt ans d’enseignement, peut parfaitement être pratiquée par des étudiants. AVERTISSEMENT Enfin, des notes substantielles permettront d’éclaircir certains points cruciaux, d’indiquer des approches non standard et surtout de resituer les analyses dans leur contexte historique8. Il convient en effet de ne pas oublier que, si un système formel, logico-mathématique, constitue en soi un objet anhistorique, il n’en résulte pas moins d’une lente élaboration qui relève d’une histoire datant d’au moins vingt-cinq siècles. La connaissance de cette histoire assigne sens et intérêt à ce qui pourrait à première vue paraître artificiel et gratuit. Nous la ferons d’ailleurs intervenir, à titre propédeutique, au début de la deuxième partie consacrée au calcul des prédicats. Ne présupposant aucun savoir particulier, cet ouvrage introductif n’a d’autre prétention que de donner le goût de la logique, d’en montrer l’intérêt et aussi d’en esquisser les limites. Si la logique contemporaine s’avère un outil puissant d’analyse, elle ne constitue en rien la panacée qu’ont cru y trouver les positivistes logiques9. Loin de résoudre tous les problèmes, elle en suscite toujours de nouveaux. Mais, chemin faisant, elle débrouille de multiples questions et apporte quelques précieuses solutions. 8 . Sur chaque point important, nous donnerons les références précises des textes fondateurs (en privilégiant si possible les traductions françaises) ainsi que des indications d’ouvrages où l’on peut poursuivre l’analyse. Pour une introduction historique générale, cf. R. Blanché : La Logique et son histoire ou encore W. & M. Kneale, The Development of Logic. 9 . Cf. par exemple, l’usage critique que Carnap fit en 1931 de la syntaxe logique : « Le dépassement de la métaphysique par l’analyse du langage », p. 155-179. AVERTISSEMENT DÉMONSTRATIONS DES PRINCIPES D’ IDENTITÉ, DU TIERS EXCLU ET DE LA DOUBLE NÉGATION DANS LES PRINCIPIA M ATHEMATICA *2.08. .p 2 p Dem. :: p v p. 2.p : 2 :.p .2.p v p :2.p 2p (1) *2.05 p v p, p q, r :pvp.2 .p [Taut] (2) [(1).(2).*1.11] (3) [*2.07] (4) [(3).(4).*1.11] *2.1. :. p . 2 .p v p : 2 .p 2p : p . 2.p v p .p.2 p . ~p v p [*2.08.(*1.01)] *2.11. . p v ~p Dem. Perm ~p ,p : ~p v p. 2.p v ~p (1) p, q [(1).*2.1.*1.11] This is the law of excluded middle. .p v~p *2.12. . p ~(~p ) Dem. . ~p v ~(~p ) (1) *2.11 ~p p [(1).(*1.01)] .p 2 ~(~p ) 10 10 . Cf. PM, *2, p. 101