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« En lisant Russell, j’ai ressenti beaucoup d’enthousiasme. Il
apporte un fondement logique très satisfaisant aux sciences
physiques. Mais à son contact, j’ai développé une insatiable
volonté de comprendre, qui a conditionné toute ma façon
d’être. Si je ne comprenais pas quelque chose, j’accusais mon
manque d’effort. Russell bâtit sa théorie des ensembles en
supprimant toute ambiguïté dans le langage. Il distingue le
langage du métalangage. Le second servant à parler du premier.
Cela lui permet d’éliminer des paradoxes jusque-là indé-
passables. J’appliquais la même méthode à tout. Confronté à
un paradoxe, je cherchais à ôter un des deux termes de la
contradiction. Mais la vie résiste à ces catégories. Je gommais
donc tout ce qui est énigmatique…
J’ai deux enfants. Je croyais en faire des adultes malheureux
si je ne leur donnais pas une vision rationnelle du monde. Ne
parvenant pas à tout expliquer, je culpabilisais et entrais dans
une spirale de dépréciation. Ce mal-être m’a mené à la psycha-
nalyse. J’ai lu Lacan, pour qui le langage et le langage qui parle
du langage sont les mêmes. Le paradoxe est inévitable. Plus
encore, il est créateur. C’est lui, la vie. Comprendre cela m’a
libéré. Je me demande si Russell a été dépressif… »
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« En lisant Bertrand Russell à la lumière
de sa vie et de ses engagements, on
trouve réponse à la question posée par
Philippe : l’homme était loin de l’image
habituelle du penseur rationaliste et
positiviste. La philosophie occidentale est
fondée sur le logos, c’est-à-dire la ratio-
nalité discursive. Mais dès le IVe siècle
avant J.-C., en Grèce, les mégariques en
découvrirent les limites : Chrysippe écri-
vit près de 28 livres sur les paradoxes.
Lorsqu’au printemps 1901 Russell
redécouvrit les paradoxes sous la forme
de sa célèbre antinomie des classes, son
projet de fonder les mathématiques et la
physique théorique sur la nouvelle logi-
que s’effondra d’un coup. Le suicide le
tenta et il mit sept ans à construire sa
théorie des types. La construction russel-
lienne subit une nouvelle atteinte en
1913 quand Wittgenstein formula des
critiques à l’encontre de sa théorie du
jugement. Le choc fut rude, Russell faillit
de nouveau se suicider. L’urgence de la
lutte pacifiste et l’amour d’0ttoline Mor-
rell l’en empêchèrent. Car en plus du
désir de comprendre, Russell était mû par
une insatiable soif d’amour. Le versant
moral et social de son œuvre – pour
lequel il reçut le Prix Nobel – trouve sa
source dans une expérience “mystique”
qui lui fournit le principe de bienveillance
universelle.
La rationalité formelle n’est pas la
seule source de connaissance. Si, pour
éviter les antinomies logico-mathémati-
ques, la distinction entre langage-objet
et métalangage s’impose, la langue de la
vie quotidienne se joue de ces distinc-
tions. Pour Russell
“la vie bonne est celle
qui est inspirée par l’amour et guidée par
la connaissance”
. »
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