L’ Hormonothérapie des cancers du sein DOSSIER THÉMATIQUE

20 | La Lettre du Sénologue 57 - juillet-août-septembre 2012
DOSSIER THÉMATIQUE Hormones avant et après cancer du sein
* Département d’oncologie
médicale, Institut Curie, Paris.
Hormonothérapie
des cancers du sein
Hormonotherapy of breast cancer
Paul Cottu*
L’
épidémiologie a depuis longtemps lié l’expo-
sition estrogénique endogène et exogène au
risque de cancer du sein. La description des
récepteurs aux estrogènes (RE) et à la progestérone
(RP) est venue confirmer, sur le plan biologique, ce
lien organique entre estrogènes et cancer du sein.
Depuis la description initiale de Beatson à la fin du

e
siècle (1), et plus particulièrement depuis les
années 1970, les traitements hormonaux, c’est-à-dire
exerçant un effet antiestrogénique, sont devenus les
traitements majeurs des cancers du sein exprimant le
RE. Nous revoyons ici les indications et les modalités
de ces traitements. Les traitements néo-adjuvants
et les effets indésirables ne seront pas abordés dans
cette revue synthétique.
Cancer du sein avancé
Les diverses modalités thérapeutiques disponibles
sont résumées dans le tableau I, et leur niveau d’ac-
tion est illustré par la figure 1. Selon leur mode d’ac-
tion, ces traitements peuvent, ou pas, être utilisés
chez la femme ménopausée.
Femme ménopausée
En dehors de la suppression de la fonction ovarienne
(SFO), l’ensemble des modalités disponibles peut
être utilisé chez la femme ménopausée. Le taux de
réponse de l’ensemble des traitements en première
ligne métastatique est remarquablement homogène,
autour de 30 % (2) [tableau II]. Les nombreuses
études publiées ont été résumées sous la forme d’une
méta-analyse, comparant le tamoxifène aux moda-
lités historiques : progestatifs et inhibiteurs de l’aro-
matase (IA) de première génération (3) [tableau III].
Le hazard-ratio pour la survie globale est à 1,02 (IC
95
:
0,94-1,10), ce qui témoigne de l’équivalence de ces
traitements qui favorise le tamoxifène compte tenu
de sa bien meilleure tolérance. L’arrivée en force
des IA de première puis de deuxième génération a
conduit à réaliser une seconde méta-analyse, confir-
mant leur absence de supériorité sur les traitements
conventionnels, tamoxifène et progestatifs (2).
Ce n’est qu’avec la troisième génération comportant
2 inhibiteurs non stéroïdiens, anastrozole et létro-
zole, et 1 stéroïdien, l’exémestane, que les indications
thérapeutiques se modifient réellement, ce d’autant
qu’au moment de leur développement la plupart
des patientes auront reçu du tamoxifène au préa-
lable en situation adjuvante. Les études de référence
initiales avaient démontré la supériorité de ces IA
Figure 1. Mode d’action des agents antiestrogéniques.
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Points forts Mots-clés
Tamoxifène
Inhibiteurs de
l’aromatase
Fulvestrant
Ménopause
sur le tamoxifène en termes de taux de réponse et
surtout de bénéfice clinique. La méta-analyse de
Mauri et al. a réévalué 30 essais cliniques portant sur
les IA en situtation métastatique (4). Il est confirmé
que les IA de première et de deuxième génération
n’apportent rien, alors que l’analyse cumulée des
essais portant sur les IA de 3
e
génération démontre
un bénéfice en survie globale, avec un hazard-ratio
significatif de l’ordre de 0,8.
Le fulvestrant est un antagoniste du RE qui entraîne
sa dégradation. Ce composé a été testé face aux IA
(5), et après un ajustement de la dose à 500 mg
mensuelle, sa supériorité en survie sans progres-
sion a été démontrée (6). Son positionnement reste
cependant encore à définir compte tenu de son mode
d’administration (voie intramusculaire exclusive-
ment), mais la généralisation des IA en situation
adjuvante (voir infra) va certainement lui conférer
une place importante.
Le bénéfice réel des IA et du fulvestrant reste
cependant modeste, et un effort considérable a été
effectué pour décrypter les mécanismes de résis-
tance aux traitements hormonaux (7) [figure 2].
Lévérolimus est analogue de la rapamycine ciblant
spécifiquement mTORC1 et accessoirement mTORC2
24, et ayant démontré une efficacité préclinique
importante (8). En situation préopératoire, la combi-
naison létrozole-évérolimus augmente significative-
ment la réponse clinique, associée à une réduction
significative de la prolifération (9). Ce type d’asso-
ciation a été récemment validé en situation métas-
tatique (10), et permet d’obtenir un doublement,
voire un triplement, de la survie sans progression.
L’autorisation de mise sur le marché de l’évérolimus
(Afinitor®) en association avec l’exémestane dans
les cancers du sein avancés hormonorésistants est
attendue pour la fin 2012 en France.
Femme non ménopausée
Les données spécifiques concernant les femmes non
ménopausées sont plus parcellaires, et sont incluses
dans les études initiales portant sur les progesta-
tifs et le tamoxifène (11). Lapport de la suppression
de la fonction ovarienne a été testé dans 4 études
randomisées multicentriques, elles aussi synthéti-
Highlights
»
Endocrine treatment of breast
cancer may be summarized in
four settings. – Advanced breast
cancer, premenopausal women:
tamoxifen, more or less ovarian
suppression.Advanced breast
cancer, menopausal women:
according to individual situation,
tamoxifen, aromatase inhibitors,
fulvestrant. – Early breast cancer,
premenopausal women: tamox-
ifen; ovarian suppression is an
acceptable option. – Early breast
cancer, menopausal women:
aromatase inhibitors, for at least
2 to 3 years; extended treatment
beyond 5 years of tamoxifen may
be discussed.
Keywords
Tamoxifen
Aromatase inhibitors
Fulvestrant
Menopause
»Le traitement hormonal du cancer du sein peut se schématiser en 4 situations :
– sein avancé, femme non ménopausée : tamoxifène plus ou moins suppression de la fonction ovarienne ;
– sein avancé, femme ménopausée : selon les situations, tamoxifène, inhibiteurs de l’aromatase, fulves-
trant ;
– sein précoce, femme non ménopausée : tamoxifène ; la suppression de la fonction ovarienne est accep-
table ;
– sein précoce, femme ménopausée : inhibiteurs de l’aromatase pour au moins 2 à 3 ans ; discuter exten-
sion après 5 ans de tamoxifène.
sées dans une méta-analyse (12). Il est démontré
que l’association de la suppression de la fonction
ovarienne avec le tamoxifène est supérieure en survie
globale au tamoxifène seul, avec un hazard-ratio à
0,78 (p = 0,02). Cette option est rarement utilisée,
mais mériterait d’être considérée. Nous ne disposons
pas de données sur l’association de la suppression
de la fonction ovarienne avec les IA chez la femme
non ménopausée. Le fulvestrant n’a pas d’indication
chez la femme non ménopausée à ce jour, et les
études cliniques précoces sont curieusement peu
encourageantes (5).
Cancer du sein
à un stade précoce
Depuis les premiers essais du National Surgical Adju-
vant Breast and Bowel Project (NSABP), d’innom-
brables études ont évalué les traitements hormonaux
en situation adjuvante. Ces essais ont aussi fait
l’objet de méta-analyses multiples par le groupe
d’Oxford, dont nous résumons ici les messages
principaux.
Tableau I. Modalités des traitements hormonaux dans le cancer du sein.
Cible Ovaire Axe hypothalamo-
hypophysaire
Aromatase
périphérique
Récepteurs
hormonaux
Classes
thérapeutiques
Traitements
locaux (chirurgie,
radiothérapie)
Antagonistes
de la LH-RH
Hypophysectomie
Agonistes
de la LH-RH
Surrénalectomie
IA
Œstrogènes
Tamoxifène
Fulvestrant
Progestatifs
Androgènes
Tableau II. Taux de réponse des traitements hormonaux.
Traitements N Préménopause Ménopause Taux de réponse (%)
Tamoxifène 1 269 Oui Oui 32
Ovariectomie 3 380 Oui 33
Progestatifs 3 479 Oui Oui 31
Aminoglutéthimide 1 153 Oui 32
Analogues de la LH-RH 293 Oui 40
Estrogènes 1 683 Oui 26
Androgènes 2 250 Oui Oui 21
Surrénalectomie 3 739 Oui Oui 32
Hypophysectomie 1 174 Oui Oui 36
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DOSSIER THÉMATIQUE Hormones avant et après cancer du sein
Femme non ménopausée
Le statut ménopausique a été diversement défini
dans les études adjuvantes, et il a été convenu de
séparer les patientes en 2 classes, de plus ou moins
50 ans. Les conclusions ici résumées le sont dans
ce contexte.
Le tamoxifène reste le traitement hormonal de choix
chez la femme de moins de 50 ans. Les IA n’ont pas
d’indication avant 50 ans. Les données répétées
des méta-analyses de 1998, 2005 et 2011 (13) ont
progressivement défini l’ampleur du bénéfice : chez
les patientes RE+, le gain net en survie sans réci-
dive à 15 ans est de 12 % (versus observation), et
en survie globale de 9 %. Ce gain est pratiquement
indépendant du statut RP, du statut ganglionnaire
et de l’association éventuelle à la chimiothérapie
(figure 3). Il est réservé strictement aux patientes
RE+.
Le bénéfice de la SFO a été évalué lors de l’analyse
de 2005 (14), en comparaison de la simple obser-
vation. Le bénéfice net à 15 ans est respectivement
de 4,3 % et 3,2 % pour la survie sans récidive et
la survie globale. Il n’est pas possible à partir des
données existantes de mettre en évidence un béné-
fice particulier pour des sous-groupes spécifiques,
par exemple à haut risque ou très jeunes. Il n’y a pas
de bénéfice en combinaison avec la chimiothérapie.
Les études testant la combinaison SFO-tamoxifène
sont en cours ou à peine terminée, et les résultats
seront disponibles dans 2 à 3 ans. Une étude récente
a suggéré l’équivalence entre tamoxifène, goséréline
et leur association (15).
Femme ménopausée
Le bénéfice apporté par le tamoxifène est aussi
important que pour la patiente non ménopausée,
voire plus. La méta-analyse de 2011 a apporté des
éléments d’interprétation supplémentaires qui
vont probablement modifier les indications dans
les années à venir. Depuis longtemps suspecté, il
est maintenant établi que le gain apporté par le
tamoxifène est d’autant plus important que le niveau
d’expression du RE, mesuré historiquement par des
méthodes biochimiques et radio-immunologiques
quantitatives, est élevé (13). Il n’y a malheureuse-
ment aujourd’hui aucun élément pour appliquer
cette interprétation aux résultats semi-quantita-
tifs, immunohistochimiques, dont nous disposons
en routine. Lextrapolation de données acquises en
situation métastatique (16) est trop hasardeuse et
n’a pas été reproduite. L’autre élément important
est la décroissance de l’ampleur du bénéfice à partir
de la 10
e
année. Les cancers du sein RE+ gardant un
risque de rechute quasi constant à très long terme,
ces résultats ont généré les études de prolongation
des traitements hormonaux (voir infra).
La modification récente majeure est l’introduction
en routine des IA. Pas moins de 12 études impor-
tantes ont contribué à définir leur positionnement.
Trois situations ont été envisagées : comparaison
directe avec le tamoxifène ; introduction retardée
à 2-3 ans, en gardant une durée cumulée de 5 ans ;
introduction après 5 ans de tamoxifène (tableau IV).
Les conclusions de l’ensemble de ces études sont
simples. Quelle que soit l’indication retenue, les IA
apportent à 8 ans un bénéfice en survie sans rechute
absolu de 3 à 4 % (17), avec une réduction relative
très constante de l’ordre de 50 % (18). Le niveau
de bénéfice est identique pour tous les IA de troi-
sième génération, les seuls testés en adjuvant (19).
Tableau III. Synthèse des différentes méta-analyses.
Auteur Indication Message principal
Gibson
(2)
Cancer du sein avancé Le tamoxifène est la molécule de
référence (avant les IA de 3e génération)
Klijn
(12)
Cancer du sein avancé
Femme non ménopausée
L’association SFO + tamoxifène
est la référence
Early Breast Cancer
Trialists Collaborative
Group
(14)
Cancer du sein précoce
Femme de plus et moins
de 50 ans
Le tamoxifène est la référence
La SFO est acceptable
avant la ménopause
Dowsett
(17)
Cancer du sein précoce
Femme ménopausée
Les IA sont bénéfiques
en survie sans rechute
Tableau IV. Synthèse des essais adjuvants avec les IA de 3
e
génération. Toutes les études citées
sont référencées dans l'étude de Dowsett (17).
Étude Tamoxifène préalable Durée de l’IA
ATAC Non Anastrozole : 5 ans
BIG 1-98 Non* Létrozole : 5 ans
Létrozole : 2 ans après ou avant tamoxifène
ABCSG-12 Non Anastrozole : 5 ans
ABCSG-8 Non* Anastrozole : 2 ans (après tamoxifène)
TEAM Non* Exémestane : 2 à 3 ans
ITA 2-3 ans Anastrozole : 2 à 3 ans
IES 2-3 ans Exémestane : 2 à 3 ans
NSAS-BC03 1-4 ans Anastrozole : 1 à 4 ans
ARNO 95 2-3 ans Anastrozole : 2 à 3 ans
MA-17 5 ans Létrozole : 5 ans
ABCSG-6a 5 ans Anastrozole : 5 ans
NSABP-B33 5 ans Exémestane : 5 ans
* Randomisation initiale et non après traitement par tamoxifène.
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La Lettre du Sénologue 57 - juillet-août-septembre 2012 | 23
DOSSIER THÉMATIQUE
En revanche, aucun bénéfice en survie globale n’a pu
être obtenu à présent (17), ce qui reste très domma-
geable en situation adjuvante où la “guérison” doit
être l’objectif premier. Aucune de ces études n’avait
retenu cet objectif comme principal. La question
essentielle est donc stratégique : quand introduire
Figure 2. Schématisation de
la résistance aux traitements
hormonaux. 1. Le RE peut
varier. 2. Interaction avec les
corégulateurs. 3. Interactions
avec les récepteurs de facteurs
de croissance. 4. Modifications
de la transduction du signal. 5.
Interactions avec les facteurs
de transcription. 6-7. Interac-
tions avec les gènes cibles. 8.
Résistance pharmacologique.
50
40
30
20
10
0
5
10
15 ans
50
40
30
20
10
0
5 10 15 ans
Contrôle
≈ 5 ans de tamoxifène
25,3 %
35,9 %
21 %
28 %
13,4 %
10,3 %
RE+ seulement < 45 ans
2 614 femmes
(44 % de tumeurs positives, 79 % de chimiothérapie)
RR : 0,71 (IC95 : 0,61-0,83)
Log-rank 2 ; p = 0,00002
Bénéce à 15 ans : 10,6 % (SE : 2,2)
26,4 %
16,4 %
12,6 %
RE+ seulement entre 55 et 69 ans
4 373 femmes
(27 % de tumeurs positives, 24 % de chimiothérapie)
Contrôle
≈ 5 ans de tamoxifène
34,9 %
23,2 %
RR : 0,63 (IC95 : 0,56-0,71)
Log-rank 2 ; p = 0,00001
Bénéce à 15 ans : 11,7 % (SE : 1,5)
Mortalité du cancer du sein ( % ; +1 SE)
Mortalité du cancer du sein ( % ; +1 SE)
Figure 2. Bénéfice en survie globale sous tamoxifène adjuvant.
Tableau V. Principaux effets indésirables respectifs du tamoxifène et des IA.
Tamoxifène IA
Événements thromboemboliques
Métrorragies
Pathologie endométriale
Bouffées vasomotrices
Ostéoporose et fractures
Douleurs articulaires
Hypercholestérolémie
Accidents cardiovasculaires
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24 | La Lettre du Sénologue 57 - juillet-août-septembre 2012
DOSSIER THÉMATIQUE Hormones avant et après cancer du sein
les IA ? Quelles patientes en bénéficient vraiment ?
Les analyses de sous-groupes menées dans les prin-
cipales études n’ont pas pu en isoler de manière
fiable (20, 21). Les recommandations des sociétés
savantes mentionnent prudemment l’introduction
des IA, à un moment ou à un autre, dans la prise
en charge (22). Il est en effet vraisemblable que les
IA sont bénéfiques, ce qui est aussi confirmé par la
dernière analyse de l’étude BIG-1-98 (23). La décision
doit se prendre en concertation avec la patiente en
fonction des différents effets secondaires et éven-
tuelles contre-indications (tableau V).
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Références bibliographiques
Conclusion
Les traitements hormonaux sont la pierre angu-
laire de la prise en charge médicale des cancers
du sein RE+. Le panorama est maintenant stabilisé
aussi bien à la phase avancée que précoce, et les
nouvelles indications, soutenues par la biologie,
se profilent. Le choix entre IA et tamoxifène chez
la femme ménopausée est guidée par les recom-
mandations internationales et le profil clinique
individuel, dans l’attente d’éventuels paramètres
biologiques.
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