É P I L E P S I E Bilan préchirurgical d’une épilepsie partielle ● A. Biraben* e bilan doit permettre de planifier une ablation de la région corticale où se situe l’origine des crises (zone épileptogène primaire ou ZE), tout en respectant au mieux les aires fonctionnelles. Il comporte donc deux étapes fondamentales : – localiser cette région ; – déterminer sa fonctionnalité, les possibilités de suppléance afin d’éviter autant que possible, lors de son ablation, un déficit. On comprend pourquoi cette chirurgie curative est d’autant plus indiquée que les crises ne se généralisent que rarement et est d’autant plus couronnée de succès que le patient souffre d’une maladie focalisée et non d’une encéphalopathie diffuse. En cela, il existe un paradoxe, puisque le traitement agressif ne s’adresse pas forcément au patient le plus handicapé en apparence. C SÉLECTION DES PATIENTS Elle se fait en consultation de ville. Le neurologue peut, au fil des consultations, aidé par les EEG et l’IRM, faire des hypothèses sur la ZE, apprécier la pharmacorésistance, apprécier le handicap ressenti par le patient et, surtout, les possibilités de coopération pour un protocole préchirurgical. Si, en théorie, le bilan préchirurgical s’adresse à tout patient épileptique pharmacorésistant, l’investissement n’est pleinement justifié que si les crises sont partielles, stéréotypées dans leur début, et s’il n’existe a priori qu’une ZE unique. L’interrogatoire du patient et de son entourage est une étape fondamentale devant cette maladie dont le médecin ne voit, en général, pas les signes en consultation. Cela permet le recueil le plus soigneux possible des antécédents étiologiques, mais aussi, et surtout, de l’historique des crises, en particulier des premières crises partielles ; les “auras disparues” ont une valeur localisatrice très importante. Si les crises sont toujours cliniquement les mêmes, l’uni- * Service de neurologie, hôpital Pontchaillou, CHU de Rennes. 16 cité de la ZE est très probable ; si les crises ne se déroulent pas toujours de la même façon, y a-t-il une bonne congruence des aspects initiaux cliniques des crises permettant de supposer une ZE initiale constante, puis une ou plusieurs ZE secondaires de propagation ? Cette congruence se retrouve-t-elle sur les différents EEG réalisés au fil du suivi ? Enfin, l’IRM permet-elle de trouver une lésion elle aussi en rapport ? Il est essentiel aussi de recueillir l’historique du traitement médicamenteux. La chirurgie reste réservée aux patients présentant une épilepsie résistante “aux traitements bien menés, suffisamment longtemps”. Tester toutes les monothérapies et bithérapies actuellement disponibles n’est plus logique avec la mise à disposition des nouvelles molécules. Cela pourrait prendre plus de 15 ans ; or, on sait que, si une première monothérapie est efficace dans environ 70 % des cas, la seconde ne l’est que dans environ 7 à 10 % des cas, et que les essais suivants ne permettent d’équilibrer de façon prolongée qu’un très faible pourcentage de patients. Habituellement, un délai de deux ans d’échecs thérapeutique paraît raisonnable avant de proposer un traitement chirurgical. Certains éléments pronostiques peuvent faire changer cette durée : existence sur l’IRM d’une lésion de type dysplasique, associée usuellement à un mauvais pronostic ; existence d’une sclérose de la corne d’Ammon, car moins de 10 % des patients parviendront, sous traitement, à demeurer sans crise pendant un an (1) ; chez les nourrissons, la sévérité intense de l’épilepsie sur un cerveau en maturation. Une étape essentielle avant d’entrer dans un protocole préchirurgical est d’apprécier le retentissement, la gravité de l’épilepsie. Ce sera toujours une appréciation individuelle à faire entre le patient et son neurologue. Cela dépend de la clinique, de la fréquence des crises, de leur horaire, des signes végétatifs associés, du retentissement psychologique de la maladie, de la nécessité de conduire, etc. Chaque facteur pris individuellement ne permet pas de quantifier la gravité de la maladie ; le handicap ressenti est toujours individuel et doit être apprécié de façon personnalisée. Dans tous les cas, un ou plusieurs EEG et une IRM sont réalisables avant d’envoyer le patient dans un service spécialisé. Un La Lettre du Neurologue - Hors-série - avril 2002 Figure 1. Exemple de SEEG : les électrodes explorent les régions périsylvienne et temporale chez cette patiente ayant une épilepsie cryptogénique. Les crises partaient du cortex enfoui dans la lèvre supérieure de l’opercule central, électrode L. Figure 2. Image assez caractéristique d’une sclérose de la corne d’Ammon gauche chez un patient ayant des crises partielles d’origine temporale d’un côté (!). Aspect plus petit de la structure associé à un aspect plus blanc sur l’IRM T2. bilan “épileptologique” demande beaucoup de temps : les services sont encore très engorgés et les délais longs ; si cette IRM montre une lésion rapidement évolutive, un avis neurochirurgical doit être demandé, le pronostic oncologique l’emportant sur le pronostic épileptologique. Sinon, même si l’IRM montre une lésion, il faut prendre le temps de prouver les liens unissant cette lésion et l’épilepsie. Par principe, il faut se donner toutes les chances de guérir la lésion et l’épilepsie par un geste chirurgical unique. BILAN PRÉCHIRURGICAL Autrefois, il était classique d’opposer les moyens non invasifs aux moyens invasifs. Avec avec les progrès de l’imagerie, on peut maintenant ajouter à cette première distinction une seconde, La Lettre du Neurologue - Hors-série - avril 2002 entre les moyens “statiques” et les moyens “dynamiques”, c’està-dire entre les moyens permettant de découvrir les lésions figurées ou fonctionnelles cérébrales et les moyens permettant d’imager la crise elle-même dans toute sa dynamique temporelle et spatiale de début, de propagation et de terminaison. Outils non invasifs de localisation de la ZE Statiques, ils permettent de rechercher une lésion figurée ou fonctionnelle ; ils sont utilisés en dehors des crises. ● Examen clinique à la recherche d’un déficit focalisé. ● Examen neuropsychologique, très utile dans les épilepsies originaires du lobe temporal et intéressant les régions limbiques, car il existe des déficits assez spécifiques de la mémoire verbale 17 É P I L E P S I E dans les épilepsies du lobe temporal de l’hémisphère majeur et de la mémoire visuo-constructive dans les épilepsies du lobe temporal de l’hémisphère mineur. Dans les autres lobes, il n’existe pas de profil aussi marqué, mais ce bilan permet de révéler des déficits fonctionnels individuels. Dans tous les cas, ce bilan ne permet pas de porter l’indication opératoire : c’est une brique dans l’élaboration des hypothèses quant à la situation anatomique de la ZE. patients, en en faisant au moins deux ou trois par mois. Pour les favoriser, une baisse de traitement est souvent nécessaire ; cela se fera donc en hospitalisation. Il est nécessaire d’enregistrer tous les types de crises du patient, ce qui permet de décrire les signes des crises et de rechercher un déficit neurologique ou neuro-psychologique per- et post-critique. L’interprétation de l’EEG-vidéo doit permettre d’établir des corrélations anatomoélectro-cliniques. ● Des EEG répétés sont nécessaires pour apprécier la stabilité des anomalies et apprécier l’activité cérébrale dans des zones éloignées de la ZE supposée. ● TEMP ictale, si cela est possible : une injection de traceur est faite lors de la crise. Celui-ci se fixe presque instantanément et de façon irréversible en intracérébral, et une image du débit sanguin cérébral pendant la crise peut être obtenue en médecine nucléaire dans l’heure qui suit l’injection (4). Associé à l’EEGvidéo, cet examen renforce l’établissement des corrélations anatomo-électro-cliniques par sa dimension anatomique plus précise que celle de l’EEG. ● IRM et TDM. La TDM n’a plus maintenant que peu d’intérêt dans le bilan d’une épilepsie. Tout au plus permet-elle de préciser l’existence et la localisation de calcifications. L’IRM est, quant à elle, l’instrument clé de la recherche d’une lésion (2). Bien souvent plusieurs examens seront nécessaires pour localiser une lésion et tenter de préciser sa nature, son évolutivité. L’IRM fournit aussi des éléments pronostiques sur l’épilepsie (1). Les progrès techniques sont rapides (séquence FLAIR), et il ne faut pas hésiter à renouveler cet examen au bout de quelques années, d’autant plus si, connaissant mieux le patient, on a la conviction de crises partielles stéréotypées. Il n’est pas rare qu’une épilepsie considérée comme cryptogénique devienne symptomatique. Enfin, certains protocoles sont maintenant établis pour rechercher dans les meilleures conditions une pathologie donnée : par exemple, une sclérose de la corne d’Ammon peut n’être visible qu’en T2 dans un plan orthogonal au plan des lobes temporaux. La spectro-IRM est, quant à elle, toujours en cours d’évaluation et aurait un intérêt important en post-ictal précoce (elle serait alors un examen semi-dynamique). ● Tomographie par émission monophotonique (TEMP) interictale : reflet du débit sanguin cérébral au moment où le traceur est injecté, elle n’a qu’un intérêt limité dans l’exploration de patients épileptiques. Il est en effet exceptionnel qu’elle révèle une lésion non visible sur l’IRM. Son intérêt essentiel à ce stade sera de permettre la comparaison avec l’examen ictal. ● Tomographie par émission de positons (TEP) : elle permet l’étude du métabolisme cérébral, du débit sanguin, de la densité de certains récepteurs en fonction du ligand utilisé. Il est démontré que les épilepsies temporales sont associées à un hypométabolisme ipsilatéral à la ZE dans 70 à 90 % des cas : il s’agit même d’un élément de bon pronostic (3). Dans les autres localisations, elle peut permettre de découvrir des anomalies non vues ou douteuses sur l’IRM. Outils de localisation dynamiques non invasifs ● EEG-vidéo avec enregistrement des crises : cette étape est, pour tous les centres, nécessaire à la poursuite du bilan. Dans notre expérience, il est possible d’enregistrer des crises chez les 18 Les moyens non invasifs utilisés par chaque équipe dépendent des ressources locales, des habitudes et surtout de l’expérience acquise au cours des années. Il n’y a pas d’examen souverain, mais il n’y a pas, pour l’instant, d’examen inutile. Il existe peu de différences entre les diverses équipes rodées de chirurgie de l’épilepsie, tant en nombre de patients traités qu’en termes de résultats. La tendance, outre-Atlantique, est peut être d’accorder un poids un peu supérieur à l’imagerie “statique”, permettant la reproductibilité et un traitement statistique, alors qu’en Europe les examens dynamiques, toujours individuels, sont la base du raisonnement. Au terme de ce bilan, et si tout concorde, une intervention peut être proposée, pourvu que, fonctionnellement, elle soit “acceptable”. L’examen clinique et neuro-psychologique per- et postcritique est celui qui apporte le plus de renseignements. Toutefois, si la ZE paraît être en rapport avec des aires fonctionnelles, le recours à des techniques autres est utile. Là aussi, cela dépend des moyens locaux et des habitudes. ● IRM fonctionnelle ou magnéto-encéphalographie (MEG) : elles permettent la localisation précise des aires primaires et des aires du langage. ● Le test de Wada pour la latéralisation des centres du langage tend progressivement à être remplacé par ces dernières techniques. Il conserve toutefois des indications pour apprécier les performances mnésiques des patients “hémisphère par hémisphère” ainsi que la disparition d’anomalies EEG controlatérales au foyer lorsqu’on “éteint” par l’amytal sodique la région épileptogène. Inversement, le bilan non invasif peut déboucher sur une contreindication de chirurgie : c’est toujours une déception pour le patient, et il doit être averti que cet investissement peut se faire en pure perte. La Lettre du Neurologue - Hors-série - avril 2002 CONCLUSION La chirurgie de l’épilepsie est sortie du stade d’artisanat un peu expérimental dans lequel elle s’était maintenue jusqu’à l’essor des techniques d’imagerie et la maîtrise des techniques d’anesthésie et de neurochirurgie. Dans certaines localisations telles que le lobe temporal, le taux de succès est maintenant de l’ordre de 80 % ; il est plutôt de 60 à 75 % dans le lobe frontal, les autres localisations étant beaucoup plus rarement rencontrées. À chaque étape de cette exploration, une contre-indication peut survenir : le patient doit en être averti. Sa participation active est nécessaire dès le début du bilan. ■ Souvent, au terme de ce bilan, un doute subsiste : quelles sont les limites exactes de la ZE, quels sont, anatomiquement, ses rapports avec les aires du langage, les aires motrices ou sensorielles primaires ? Y a-t-il une ou plusieurs ZE ? Quand la crise se propage, faut-il intervenir aussi sur la ZE secondaire ? Il est alors nécessaire d’avoir recours à des explorations invasives. Là aussi, c’est une question d’habitude, d’école et de moyens : soit électro-corticographie (EcoG), soit stéréo-électro-encéphalographie (SEEG). Outils invasifs de localisation et d’étude de la fonction ● SEEG et EcoG : ces deux techniques reposent sur des hypothèses solides faites lors du bilan non invasif. Dans le premier cas, des électrodes intracérébrales sont introduites sous anesthésie par de très petits trous de trépan, et traversent le cerveau ; dans l’autre cas, on a recours à des trous de trépan plus gros ou à un volet pour insérer, à la surface du cortex, des plaques ou des bandes d’électrodes. Le raisonnement est ensuite exactement le même : en enregistrant des crises, on établit des corrélations anatomo-électrocliniques permettant de déterminer la ZE et son extension ; on définit la fonctionnalité de cette région par des stimulations électriques appliquées par les électrodes. R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S 1. Semah F, Picot MC, Adam C et al. Is the underlying cause of epilepsy a major prognostic factor for recurrence ? Neurology 1998 ; 51 (5) : 1256-62. 2. Duncan JS. Imaging and epilepsy. Brain 1997 ; 120 : 339-77. 3. Theodore WH, Sato S, Kufta C et al. Temporal lobectomy for uncontrolled seizures : the role of positon emission tomography. Ann Neurol 1992 ; 32 : 789-94. 4. Duncan R, Patterson J, Roberts R et al. Ictal/post-ictal SPECT in the presurgical localisation of complex partial seizures. J Neurol Neurosurg Psychiatr 1993 ; 56 : 141-8. ✂ À découper ou à photocopier O UI, JE M’ABONNE AU MENSUEL Merci d’écrire nom et adresse en lettres majuscules ❏ Collectivité ................................................................................. La Lettre du Neurologue ABONNEMENT : 1 an ÉTRANGER (AUTRE FRANCE/DOM-TOM/EUROPE ❐ ❐ ❐ à l’attention de .............................................................................. 90 € collectivités 72 € particuliers 45 € étudiants* *joindre la photocopie de la carte ❏ Particulier ou étudiant *joindre la photocopie de la carte + M., Mme, Mlle ................................................................................ Prénom .......................................................................................... QU’EUROPE) 110 € collectivités 92 € particuliers 65 € étudiants* ❐ ❐ ❐ ET POUR 10 € DE PLUS ! 10 €, accès illimité aux 26 revues de notre groupe de presse disponibles sur notre site vivactis-media.com (adresse e-mail gratuite) Pratique : ❏ hospitalière ❏ libérale ❏ autre.......................... + RELIURE Adresse e-mail ............................................................................... ❐ 10 € avec un abonnement ou un réabonnement Adresse postale ............................................................................. Total à régler ...................................................................................................... MODE Code postal ........................Ville …………………………………… ❐ carte Visa, Eurocard Mastercard Pays................................................................................................ 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