info-patients Info-Patients L’éthique au quotidien Épilepsie et écrans de visualisation : quelles précautions pour les épileptiques ? P. Masnou* Historique D L’influence d’un programme télévisuel n’a été prouvée que quelques années plus tard : en Angleterre, dans les années 1980, un programme a induit des crises d’épilepsie chez quelques téléspectateurs. Il comportait des effets stroboscopiques. Des recommandations ont alors été faites aux sociétés de télévision anglaises pour éviter que les images comportant des effets stroboscopiques ne soient diffusées. À la même époque, le succès commercial des jeux vidéo, en particulier des consoles de jeux reliées à la télévision, a conduit à la description de nombreuses crises d’épilepsie survenues chez des utilisateurs. Dans la majorité des cas, les investigations ont révélé que les sujets étaient prédisposés : ils étaient photosensibles et souvent sensibles aux “patterns” (figures géométriques répétitives avec un haut contraste). Dans certaines observations, toutefois, il a été montré que les patients ne paraissaient pas prédisposés, car ils n’étaient ni photosensibles ni épileptiques. Les termes de video-game epilepsy, ou plus inquiétants, de space invader epilepsy sont ainsi apparus, laissant supposer que les jeux vidéo étaient dangereux : le stress et les images violentes pouvaient ainsi “exciter le cer- * Service de neurologie adulte, CHU du Kremlin-Bicêtre. consommateurs afin de faire une enquête sur les risques présentés par les consoles de jeux reliées à un écran vidéo. L’audition de plusieurs spécialistes et les divers témoignages ont pu montrer que les crises d’épilepsie déclenchées par les jeux vidéo survenaient principalement dans deux situations. La première concerne les crises induites par une photostimulation chez des sujets prédisposés photosensibles. Les crises apparaissent rapidement après le début de l’utilisation et peuvent être révélatrices d’une épilepsie photosensible non déclarée. La deuxième concerne les crises qui surviennent plus tardivement (éventuellement après plusieurs heures de jeu) et, dans ce cas, les mécanismes inducteurs des crises sont intriqués : seuil épileptogène bas, accentuation d’une photosensibilité sans épilepsie déclarée jusque-là, manque de sommeil, fatigue. La Commission de sécurité des consommateurs a émis un rapport publié au Journal officiel, et un avertissement sur les dangers de crises d’épilepsie a du être apposé sur les pochettes des jeux vidéo et dans les salles de jeux . À partir de 1994, plusieurs études multicentriques internationales sur les dangers des jeux vidéo ont été réalisées : en France, avec l’aide de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) et à la demande de la Commission de sécurité des consommateurs, mais aussi en Angleterre, aux Pays-Bas, en Italie et au Japon. La méthodologie a été différente ès l’avènement de la télévision dans les années 1950, les premiers cas de crise d’épilepsie survenant chez des téléspectateurs ont été rapidement observés. On a dit au début que les crises étaient favorisées par la mauvaise qualité des images, surtout lorsque le téléspectateur était trop près de l’écran. Plusieurs auteurs, en particulier anglais, ont avancé par la suite des hypothèses physiopathologiques plus précises selon lesquelles les crises seraient dues au fonctionnement des téléviseurs : la fréquence de balayage (ou de rafraîchissement) et l’entrelacement des lignes du spot lumineux qui parcourt l’écran. veau”. En 1992, les plus grands fabricants de jeux vidéo au Japon ont donc ajouté sur leurs notices d’utilisation un avertissement quant à la survenue possible de crises d’épilepsie. Des neurologues japonais avaient en effet remarqué que certaines séquences de jeux, en particulier celles comportant des patterns, pouvaient favoriser des crises. Fin 1992, un article dans un journal anglais à grande diffusion signale qu’un enfant est décédé d’une crise d’épilepsie, alors qu’il était devant sa console de jeux. À cette époque, les jeux vidéo font des records de vente. Les médias, notamment en France, s’interrogent sur l’innocuité de cette nouvelle pratique qui devient le sujet de conversation principal des jeunes dans les écoles. Les articles sont nombreux dans la presse. On associe rapidement l’épilepsie aux effets pervers des jeux vidéo sur le fonctionnement psychologique des enfants. Les jeux vidéo pourraient “rendre épileptique”. Début 1993, le secrétaire d’État chargé de la Consommation a, dans ces conditions, saisi la Commission de la sécurité des Act. Méd. Int. - Neurologie (2) n° 1-2, janvier/février 2001 26 info-patients Info-Patients dans chaque étude, mais les résultats principaux sont les suivants : – la majorité des sujets qui ont fait des crises d’épilepsie devant un jeu vidéo sont photosensibles. Il n’existe que quelques cas de sujet à épilepsie partielle sans photosensibilité retrouvée à l’EEG ; – l’incidence annuelle de survenue de crise d’épilepsie à l’occasion d’un jeu vidéo dans la tranche d’âge 7-19 ans est de 1,5 pour 100 000 ; – les crises surviennent beaucoup plus souvent devant les consoles de jeu reliées à un téléviseur et les jeux arcades (jeux à grand écran dans les salles spécialisées) que devant les jeux d’ordinateur ou une console de jeu portable ; – plus le sujet est près de l’écran, plus le risque est grand ; – les écrans conventionnels à fréquence de balayage de 50 Hz (majoritaires sur le marché en Europe) sont plus dangereux que les écrans de nouvelle génération à fréquence de balayage de 100 Hz ; – certaines séquences de jeu paraissent plus épileptogènes que d’autres : celles qui comportent des “patterns” ou une forte luminosité sont incriminées. Ces résultats ont été expliqués dans les médias, le but étant de dédramatiser la situation, dans la mesure où les risques d’épilepsie étaient faibles et ne concernaient finalement qu’un nombre peu important d’utilisateurs. Alors que la population était rassurée, fin 1996 est survenu un incident grave au Japon : un dessin animé, Pocket Monster, diffusé simultanément à des millions de téléspectateurs, a conduit plusieurs centaines d’enfants à l’hôpital pour crise d’épilepsie. On a constaté plus tard que 1,4 % des enfants ayant regardé ce programme avaient eu une crise d’épilepsie. Dans ce dessin animé, il y avait des effets stroboscopiques répétés et prolongés intéressant la majorité de l’écran à une fréquence de 12 Hz, comportant les couleurs rouge et bleue en alternance, particulièrement sensibilisantes. À la suite de cet inci- dent, cette séquence de dessin animé a cessé d’être diffusée au Japon, et n’a pas été exportée à l’étranger. Les recommandations ont été renouvelées demandant aux diffuseurs de télévision d’éviter les effets stroboscopiques. Conseils pratiques D’abord reconnaître la photosensibilité Les symptômes cliniques relatifs à la photosensibilité peuvent avoir des aspects divers : il peut s’agir de crises convulsives, de myoclonies diffuses ou localisées à la musculature oculo-céphalique. Le patient peut ressentir des sursauts, des frissons, commettre des actes de maladresse. Parfois, les troubles sont plus légers mais ressentis comme désagréables : gêne visuelle avec sensation douloureuse rétroorbitaire, voire plus diffuse, ou absences pas toujours reconnues par le patient luimême. Connaître les facteurs pouvant déclencher des crises Effets lumineux Des lumières naturelles ou artificielles peuvent provoquer des crises. Le plus souvent, il s’agit de flashes clignotant à une certaine fréquence. Les fréquences (nombre d’éclairs par seconde) les plus dangereuses sont comprises entre 10 et 25 éclairs par seconde (10 à 25 Hz). En fait, la sensibilité dépend de chaque sujet. Pour certains, des fréquences plus basses (entre 3 et 10 Hz) ou plus élevées (entre 25 et 60 Hz) peuvent être aussi sensibilisantes. Ainsi, les stroboscopes des discothèques ou utilisés lors de travaux pratiques de physique au lycée peuvent induire des crises. L’intensité de la lumière peut aussi jouer un rôle par effet d’éblouissement : les crises peuvent survenir en regardant simplement le soleil ou lors de la réflexion de celui-ci 27 sur la neige, l’eau ou une surface métallique. Dans d’autres cas, une crise apparaît alors que le sujet se trouve en voiture ou dans un train et qu’il regarde défiler les arbres éclairés par le soleil. De façon plus exceptionnelle, des crises peuvent être déclenchées par un éclairage ressemblant à ceux des supermarchés ou lors du passage d’un endroit sombre à un lieu fortement éclairé. Télévision La télévision est particulièrement dangereuse chez les sujets photosensibles. Cela est dû aux caractéristiques techniques de composition de l’image télévisuelle : un point lumineux apparaît sur l’écran et se déplace rapidement en suivant des lignes horizontales, en commençant dans l’angle supérieur gauche pour se terminer dans l’angle inférieur droit. Une image comporte 625 lignes balayées l’une après l’autre à une certaine vitesse (fréquence de balayage). En réalité, l’image complète est formée de deux demi-images entrelacées : l’œil voit défiler une série de lignes, la conserve en mémoire, puis voit une autre série de lignes. Le cerveau recompose l’image entière en mêlant les 2 demi-images, ce qui donne l’illusion qu’il n’y a pas de déplacement de points ni de succession de lignes. Le clignotement de l’image télévisuelle peut ainsi être responsable de la stimulation de certaines zones cérébrales anormales et hyperexcitables. Les fréquences lumineuses les plus basses (aux alentours de 25 Hz) liées au scintillement des lignes sont visibles si on est près de l’écran (moins de 1 mètre). Les risques sont ainsi d’autant plus importants pour le sujet photosensible qu’il est près de l’écran, surtout si l’ambiance lumineuse de la pièce est sombre. Depuis 1992, il existe des téléviseurs à fréquence de balayage à 100 Hz. Au lieu que l’image soit constituée de 2 demi-images comme avec les écrans à balayage clas- info-patients Info-Patients sique à 50 Hz, un procédé électronique fait que la demi-image est affichée deux fois sur l’écran au lieu d’une dans le même temps. Les fréquences ainsi émises par l’écran sont plus élevées et donc moins dangereuses (50 et 100 Hz). “Patterns” Certains sujets peuvent avoir des crises d’épilepsie en regardant des motifs géométriques linéaires ou en damiers (“patterns”). Dans la vie courante, il peut s’agir de stores vénitiens, d’escalators, de papiers peints, d’habits comportant des rayures. Jeux vidéo Ce sont surtout ceux reliés à un écran de télévision (consoles de jeux) qui peuvent induire des crises d’épilepsie chez des enfants prédisposés. En réalité, la très grande majorité des enfants épileptiques n’ont pas de crises en utilisant un jeu vidéo. Les jeux comportant des figures géométriques ou des éclairs lumineux violents peuvent causer la survenue de crises chez certains enfants seulement. Il peut s’agir d’une crise accidentelle et isolée chez un enfant fatigué et qui a joué trop longtemps ou d’un enfant photosensible, et le jeu vidéo a révélé cette particularité préexistante. Écrans d’ordinateur et écrans à cristaux liquides (autres procédés que la télévision) Ces écrans n’occasionnent que très rarement des crises d’épilepsie chez un sujet photosensible. Le principe de formation des images sur les écrans d’ordinateur est différent de celui de la télévision : les images ne sont pas entrelacées, et les fréquences sont plus élevées (souvent au-dessus de 70 Hz). Traitement Il faut distinguer le traitement médicamenteux des moyens non pharmacologiques. Les choix thérapeutiques Tableau. Recommandations médicales. Si le patient ressent une gêne lors d’une stimulation visuelle, il peut se masquer un œil à l’aide de la paume de la main pour éviter une crise. Si le sujet est photosensible ◆ Port de lunettes teintées dans les situations à risque, notamment à la mer ou près de l’eau et en montagne. ◆ Se tenir à au moins 3 à 4 mètres des écrans de télévision, la pièce étant bien éclairée. Utiliser les télécommandes lors des changements de programme pour éviter de s’approcher de l’écran. Se méfier du chargement d’une cassette dans un magnétoscope qui oblige, le plus souvent, à être très près de l’écran. Si le sujet est très sensible aux écrans de télévision, utiliser de préférence les écrans 100 Hz. ◆ Éviter les stroboscopes des discothèques ◆ Jeux vidéo : se tenir le plus loin possible de l’écran de télévision en utilisant toute la longueur du cordon des manettes de jeux. Si l’enfant est très sensible aux écrans de télévision, utiliser de préférence les écrans d’ordinateur ou les écrans 100 Hz. Faire des pauses toutes les trente minutes et ne pas jouer plus de 2 heures consécutives ou en état de fatigue. Si le sujet n’est pas photosensible Un épileptique non photosensible n’a pas de raison d’avoir de crise, sauf exception, en regardant la télévision, en utilisant un ordinateur ou en jouant à un jeu vidéo. Il lui suffit de suivre les recommandations que l’on donne à la population générale : ne pas regarder la télévision trop près ni dans une pièce sombre, ne pas jouer trop longtemps avec les jeux vidéo, surtout en état de fatigue. Si une gêne survient, s’arrêter et demander l’avis de son médecin. dépendent de l’évaluation au cas par son médecin, le patient trouve les meilleures solutions en apprenant à cas des risques de crises spontanées connaître ses réactions propres dans associées aux crises photo-induites certaines situations de la vie courante. selon des données cliniques et EEG et Le degré de photosensibilité peut le degré de photosensibilité du sujet. varier d’un jour à l’autre, peut aussi Un compromis est à trouver entre des varier à cause de facteurs médicamenrègles simples et acceptables d’hygiène teux et s’exagérer à la fatigue de vie et le recours à des médicaments (tableau). antiépileptiques. En fait, les meilleurs résultats dépendent de la coopération du sujet ✑ La télévision, les jeux vidéo et les écrans d’ordinateur et de son entourage et sont le plus souvent sans danger chez les épileptiques. de l’analyse précise du ✑ La photosensibilité et la sensibilité aux “patterns” sont : degré de photosensibili– un phénomène rare : 2 à 5 % des épilepsies ; té du sujet. Le valproate – les principaux facteurs de risque de survenue de phénode sodium est le plus mènes épileptiques devant un écran de visualisation ; – suspectés par l’interrogatoire et confirmés par l’électroactif, mais les benzoencéphalogramme lors de la stimulation lumineuse intermitdiazépines et la lamotritente réalisée avec une technique rigoureuse ; gine ont aussi une – reconnus habituellement dès l’enfance ou l’adolescence acion. et le plus souvent faciles à traiter. Recommandations médicales Elles sont adaptées en fonction de chaque sujet : avec l’aide de Act. Méd. Int. - Neurologie (2) n° 1-2, janvier/février 2001 28 POINTS FORTS ✑ Les recommandations médicales (traitement pharmacologique et/ou non pharmacologique) sont à adapter en fonction de chaque sujet, car la photosensibilité n’a pas la même signification ni les mêmes conséquences cliniques d’un individu à l’autre.