Act. Méd. Int. - Neurologie (2) n° 1-2, janvier/février 2001
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Historique
L’influence d’un program-
me télévisuel n’a été prou-
vée que quelques années
plus tard : en Angleterre,
dans les années 1980, un
programme a induit des
crises d’épilepsie chez
quelques téléspectateurs.
Il comportait des effets
stroboscopiques. Des
recommandations ont
alors été faites aux socié-
tés de télévision anglaises
pour éviter que les images
comportant des effets
stroboscopiques ne soient diffusées.
À la même époque, le succès commercial
des jeux vidéo, en particulier des consoles
de jeux reliées à la télévision, a conduit à
la description de nombreuses crises d’épi-
lepsie survenues chez des utilisateurs.
Dans la majorité des cas, les investigations
ont révélé que les sujets étaient prédispo-
sés : ils étaient photosensibles et souvent
sensibles aux “patterns” (figures géomé-
triques répétitives avec un haut contraste).
Dans certaines observations, toutefois, il a
été montré que les patients ne paraissaient
pas prédisposés, car ils n’étaient ni photo-
sensibles ni épileptiques. Les termes de
video-game epilepsy, ou plus inquiétants,
de space invader epilepsy sont ainsi appa-
rus, laissant supposer que les jeux vidéo
étaient dangereux : le stress et les images
violentes pouvaient ainsi “exciter le cer-
veau”. En 1992, les plus grands fabricants
de jeux vidéo au Japon ont donc ajouté sur
leurs notices d’utilisation un avertisse-
ment quant à la survenue possible de crises
d’épilepsie. Des neurologues japonais
avaient en effet remarqué que certaines
séquences de jeux, en particulier celles
comportant des patterns, pouvaient favo-
riser des crises.
Fin 1992, un article dans un journal anglais
à grande diffusion signale qu’un enfant est
décédé d’une crise d’épilepsie, alors qu’il
était devant sa console de jeux. À cette
époque, les jeux vidéo font des records de
vente. Les médias, notamment en France,
s’interrogent sur l’innocuité de cette nou-
velle pratique qui devient le sujet de conver-
sation principal des jeunes dans les écoles.
Les articles sont nombreux dans la presse.
On associe rapidement l’épilepsie aux
effets pervers des jeux vidéo sur le fonc-
tionnement psychologique des enfants. Les
jeux vidéo pourraient “rendre épileptique”.
Début 1993, le secrétaire d’État chargé de
la Consommation a, dans ces conditions,
saisi la Commission de la sécurité des
consommateurs afin de
faire une enquête sur les
risques présentés par les
consoles de jeux reliées à
un écran vidéo. L’audition
de plusieurs spécialistes et
les divers témoignages ont
pu montrer que les crises
d’épilepsie déclenchées
par les jeux vidéo surve-
naient principalement dans
deux situations. La pre-
mière concerne les crises
induites par une photosti-
mulation chez des sujets
prédisposés photosensi-
bles. Les crises apparais-
sent rapidement après le
début de l’utilisation et peuvent être révé-
latrices d’une épilepsie photosensible non
déclarée. La deuxième concerne les crises
qui surviennent plus tardivement (éven-
tuellement après plusieurs heures de jeu)
et, dans ce cas, les mécanismes inducteurs
des crises sont intriqués : seuil épileptogè-
ne bas, accentuation d’une photosensibili-
té sans épilepsie déclarée jusque-là,
manque de sommeil, fatigue.
La Commission de sécurité des consom-
mateurs a émis un rapport publié au
Journal officiel, et un avertissement sur les
dangers de crises d’épilepsie a du être
apposé sur les pochettes des jeux vidéo et
dans les salles de jeux .
À partir de 1994, plusieurs études multi-
centriques internationales sur les dangers
des jeux vidéo ont été réalisées : en France,
avec l’aide de la Direction générale de la
concurrence, de la consommation et de la
répression des fraudes (DGCCRF) et à la
demande de la Commission de sécurité des
consommateurs, mais aussi en
Angleterre, aux Pays-Bas, en Italie et au
Japon. La méthodologie a été différente
Dès l’avènement de la télévision dans les années
1950, les premiers cas de crise d’épilepsie
survenant chez des téléspectateurs ont été rapidement
observés. On a dit au début que les crises étaient favori-
sées par la mauvaise qualité des images, surtout lorsque
le téléspectateur était trop près de l’écran. Plusieurs
auteurs, en particulier anglais, ont avancé par la suite
des hypothèses physiopathologiques plus précises selon
lesquelles les crises seraient dues au fonctionnement des
téléviseurs : la fréquence de balayage (ou de
rafraîchissement) et l’entrelacement des lignes du spot
lumineux qui parcourt l’écran.
* Service de neurologie adulte,
CHU du Kremlin-Bicêtre.
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Info-Patients
L’éthique
au quotidien
Épilepsie et écrans de visualisation :
quelles précautions pour les épileptiques ?
P. Masnou*
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dans chaque étude, mais les résultats prin-
cipaux sont les suivants :
– la majorité des sujets qui ont fait des cri-
ses d’épilepsie devant un jeu vidéo sont
photosensibles. Il n’existe que quelques
cas de sujet à épilepsie partielle sans
photosensibilité retrouvée à l’EEG ;
– l’incidence annuelle de survenue de crise
d’épilepsie à l’occasion d’un jeu vidéo
dans la tranche d’âge 7-19 ans est de 1,5
pour 100 000 ;
– les crises surviennent beaucoup plus
souvent devant les consoles de jeu reliées
à un téléviseur et les jeux arcades (jeux à
grand écran dans les salles spécialisées)
que devant les jeux d’ordinateur ou une
console de jeu portable ;
– plus le sujet est près de l’écran, plus le
risque est grand ;
– les écrans conventionnels à fréquence de
balayage de 50 Hz (majoritaires sur le
marché en Europe) sont plus dangereux
que les écrans de nouvelle génération à
fréquence de balayage de 100 Hz ;
– certaines séquences de jeu paraissent
plus épileptogènes que d’autres : celles qui
comportent des “patterns” ou une forte
luminosité sont incriminées.
Ces résultats ont été expliqués dans les
médias, le but étant de dédramatiser la
situation, dans la mesure où les risques
d’épilepsie étaient faibles et ne concer-
naient finalement qu’un nombre peu
important d’utilisateurs.
Alors que la population était rassurée, fin
1996 est survenu un incident grave au
Japon : un dessin animé, Pocket Monster,
diffusé simultanément à des millions de
téléspectateurs, a conduit plusieurs centai-
nes d’enfants à l’hôpital pour crise d’épi-
lepsie. On a constaté plus tard que 1,4 %
des enfants ayant regardé ce programme
avaient eu une crise d’épilepsie. Dans ce
dessin animé, il y avait des effets strobos-
copiques répétés et prolongés intéressant
la majorité de l’écran à une fréquence de
12 Hz, comportant les couleurs rouge et
bleue en alternance, particulièrement
sensibilisantes. À la suite de cet inci-
dent, cette séquence de dessin animé a
cessé d’être diffusée au Japon, et n’a pas
été exportée à l’étranger. Les recomman-
dations ont été renouvelées demandant
aux diffuseurs de télévision d’éviter les
effets stroboscopiques.
Conseils pratiques
D’abord reconnaître
la photosensibilité
Les symptômes cliniques relatifs à la
photosensibilité peuvent avoir des aspects
divers : il peut s’agir de crises convulsives,
de myoclonies diffuses ou localisées à la
musculature oculo-céphalique. Le patient
peut ressentir des sursauts, des frissons,
commettre des actes de maladresse.
Parfois, les troubles sont plus légers mais
ressentis comme désagréables : gêne
visuelle avec sensation douloureuse rétro-
orbitaire, voire plus diffuse, ou absences
pas toujours reconnues par le patient lui-
même.
Connaître les facteurs pouvant
déclencher des crises
Effets lumineux
Des lumières naturelles ou artificielles
peuvent provoquer des crises. Le plus sou-
vent, il s’agit de flashes clignotant à une
certaine fréquence. Les fréquences (nom-
bre d’éclairs par seconde) les plus dange-
reuses sont comprises entre 10 et
25 éclairs par seconde (10 à 25 Hz). En
fait, la sensibilité dépend de chaque
sujet. Pour certains, des fréquences plus
basses (entre 3 et 10 Hz) ou plus élevées
(entre 25 et 60 Hz) peuvent être aussi
sensibilisantes. Ainsi, les stroboscopes
des discothèques ou utilisés lors de tra-
vaux pratiques de physique au lycée peu-
vent induire des crises.
L’intensité de la lumière peut aussi jouer un
rôle par effet d’éblouissement : les crises
peuvent survenir en regardant simplement
le soleil ou lors de la réflexion de celui-ci
sur la neige, l’eau ou une surface métal-
lique. Dans d’autres cas, une crise apparaît
alors que le sujet se trouve en voiture ou
dans un train et qu’il regarde défiler les
arbres éclairés par le soleil. De façon plus
exceptionnelle, des crises peuvent être
déclenchées par un éclairage ressemblant à
ceux des supermarchés ou lors du passage
d’un endroit sombre à un lieu fortement
éclairé.
Télévision
La télévision est particulièrement dange-
reuse chez les sujets photosensibles.
Cela est dû aux caractéristiques tech-
niques de composition de l’image télévi-
suelle : un point lumineux apparaît sur l’é-
cran et se déplace rapidement en suivant
des lignes horizontales, en commençant
dans l’angle supérieur gauche pour se ter-
miner dans l’angle inférieur droit. Une
image comporte 625 lignes balayées l’une
après l’autre à une certaine vitesse (fré-
quence de balayage). En réalité, l’image
complète est formée de deux demi-ima-
ges entrelacées : l’œil voit défiler une
série de lignes, la conserve en mémoire,
puis voit une autre série de lignes. Le
cerveau recompose l’image entière en
mêlant les 2 demi-images, ce qui donne
l’illusion qu’il n’y a pas de déplacement
de points ni de succession de lignes.
Le clignotement de l’image télévisuelle
peut ainsi être responsable de la stimula-
tion de certaines zones cérébrales anor-
males et hyperexcitables.
Les fréquences lumineuses les plus bas-
ses (aux alentours de 25 Hz) liées au scin-
tillement des lignes sont visibles si on est
près de l’écran (moins de 1 mètre). Les
risques sont ainsi d’autant plus impor-
tants pour le sujet photosensible qu’il est
près de l’écran, surtout si l’ambiance lumi-
neuse de la pièce est sombre.
Depuis 1992, il existe des téléviseurs à fré-
quence de balayage à 100 Hz. Au lieu que
l’image soit constituée de 2 demi-images
comme avec les écrans à balayage clas-
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Info-Patients
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sique à 50 Hz, un procédé électronique
fait que la demi-image est affichée deux
fois sur l’écran au lieu d’une dans le
même temps. Les fréquences ainsi émi-
ses par l’écran sont plus élevées et donc
moins dangereuses (50 et 100 Hz).
“Patterns”
Certains sujets peuvent avoir des crises
d’épilepsie en regardant des motifs géomé-
triques linéaires ou en damiers (“pat-
terns”). Dans la vie courante, il peut s’agir
de stores vénitiens, d’escalators, de papiers
peints, d’habits comportant des rayures.
Jeux vidéo
Ce sont surtout ceux reliés à un écran de
télévision (consoles de jeux) qui peuvent
induire des crises d’épilepsie chez des
enfants prédisposés.
En réalité, la très grande majorité des
enfants épileptiques n’ont pas de crises en
utilisant un jeu vidéo.
Les jeux comportant des figures géomé-
triques ou des éclairs lumineux violents
peuvent causer la survenue de crises chez
certains enfants seulement. Il peut s’agir
d’une crise accidentelle et isolée chez un
enfant fatigué et qui a joué trop longtemps
ou d’un enfant photosensible, et le jeu
vidéo a révélé cette particularité préexis-
tante.
Écrans d’ordinateur et écrans à cristaux
liquides (autres procédés que la
télévision)
Ces écrans n’occasionnent que très rare-
ment des crises d’épilepsie chez un sujet
photosensible. Le principe de formation
des images sur les écrans d’ordinateur est
différent de celui de la télévision : les ima-
ges ne sont pas entrelacées, et les fréquen-
ces sont plus élevées (souvent au-dessus de
70 Hz).
Traitement
Il faut distinguer le traitement médica-
menteux des moyens non pharmacolo-
giques. Les choix thérapeutiques
dépendent de l’évaluation au cas par
cas des risques de crises spontanées
associées aux crises photo-induites
selon des données cliniques et EEG et
le degré de photosensibilité du sujet.
Un compromis est à trouver entre des
règles simples et acceptables d’hygiène
de vie et le recours à des médicaments
antiépileptiques. En fait, les meilleurs
résultats dépendent de
la coopération du sujet
et de son entourage et
de l’analyse précise du
degré de photosensibili-
té du sujet. Le valproate
de sodium est le plus
actif, mais les benzo-
diazépines et la lamotri-
gine ont aussi une
acion.
Recommandations
médicales
Elles sont adaptées en
fonction de chaque
sujet : avec l’aide de
son médecin, le patient trouve les
meilleures solutions en apprenant à
connaître ses réactions propres dans
certaines situations de la vie courante.
Le degré de photosensibilité peut
varier d’un jour à l’autre, peut aussi
varier à cause de facteurs médicamen-
teux et s’exagérer à la fatigue
(tableau).
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Info-Patients
Si le patient ressent une gêne lors d’une
stimulation visuelle, il peut se masquer
un œil à l’aide de la paume de la main
pour éviter une crise.
Si le sujet est photosensible
Port de lunettes teintées dans les situa-
tions à risque, notamment à la mer ou
près de l’eau et en montagne.
Se tenir à au moins 3 à 4 mètres des
écrans de télévision, la pièce étant bien
éclairée. Utiliser les télécommandes lors
des changements de programme pour
éviter de s’approcher de l’écran. Se
méfier du chargement d’une cassette
dans un magnétoscope qui oblige, le plus
souvent, à être très près de l’écran. Si le
sujet est très sensible aux écrans de télé-
vision, utiliser de préférence les écrans
100 Hz.
Éviter les stroboscopes des disco-
thèques
Jeux vidéo : se tenir le plus loin possible
de l’écran de télévision en utilisant toute la
longueur du cordon des manettes de jeux.
Si l’enfant est très sensible aux écrans de
télévision, utiliser de préférence les écrans
d’ordinateur ou les écrans 100 Hz. Faire
des pauses toutes les trente minutes et ne
pas jouer plus de 2 heures consécutives
ou en état de fatigue.
Si le sujet n’est pas photosensible
Un épileptique non photosensible n’a pas
de raison d’avoir de crise, sauf exception,
en regardant la télévision, en utilisant un
ordinateur ou en jouant à un jeu vidéo.
Il lui suffit de suivre les recommandations
que l’on donne à la population générale :
ne pas regarder la télévision trop près ni
dans une pièce sombre, ne pas jouer trop
longtemps avec les jeux vidéo, surtout en
état de fatigue. Si une gêne survient, s’ar-
rêter et demander l’avis de son médecin.
Tableau. Recommandations médicales.
POINTS
FORTS
La télévision, les jeux vidéo et les écrans d’ordinateur
sont le plus souvent sans danger chez les épileptiques.
La photosensibilité et la sensibilité aux “patterns” sont :
– un phénomène rare : 2 à 5 % des épilepsies ;
– les principaux facteurs de risque de survenue de phéno-
mènes épileptiques devant un écran de visualisation ;
– suspectés par l’interrogatoire et confirmés par l’électro-
encéphalogramme lors de la stimulation lumineuse intermit-
tente réalisée avec une technique rigoureuse ;
– reconnus habituellement dès l’enfance ou l’adolescence
et le plus souvent faciles à traiter.
Les recommandations médicales (traitement pharmacolo-
gique et/ou non pharmacologique) sont à adapter en fonc-
tion de chaque sujet, car la photosensibilité n’a pas la
même signification ni les mêmes conséquences cliniques
d’un individu à l’autre.
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