Copyright 2014 © Implications philosophiques – ISSN 2105-0864
Présentation du dossier
Bergson ou la science ? Telle est la question qui, eu égard à la tendance ordinaire à
opposer l’investigation scientifique à la réflexion philosophique, eu égard aussi au discrédit1
dans lequel a tout particulièrement été tenu la philosophie de Bergson, méritait d’être reposée.
Depuis quelques années en effet, cette grande figure de la philosophie française, prix Nobel
de littérature, connue pour sa mise en avant de l’intuition comme méthode et pour cela même
souvent taxée d’antirationalisme, suscite pourtant l’intérêt des épistémologues et de la
communauté scientifique. L’épistémologie des sciences contemporaines, comme le montre
chacune des contributions rassemblées ici, invite en effet à reconnaître l’originalité et l’intérêt
de l’approche bergsonienne pour comprendre la diversité du vivant et les multiples
dimensions de son expérience du monde.
Dans les Deux sources de la morale et de la religion, Bergson soutenait que « si l’on veut
savoir le fond de ce qu’un homme pense, il faut s’en rapporter à ce qu’il fait et non pas à ce
qu’il dit2. » Compte tenu de l’évolution de la recherche scientifique et des résultats dont il
avait pu prendre connaissance au début du XXe siècle, compte tenu aussi des acquis de
l’édition critique, c’est également, dans une certaine mesure, une maxime que l’on pourrait
appliquer à notre auteur lui-même. Ainsi, c’est plus précisément la méthode employée par
Bergson qui résonne aujourd’hui avec celle employée dans différents champs disciplinaires.
L’intuition exige en effet une « longue camaraderie3 » avec les faits, elle implique le
« recoupement de lignes de faits4 » qui sont autant de points de vue pris sur un même
phénomène et qui tiennent en échec toute forme de réductionnisme.
Non pas cependant qu’un tel regain d’intérêt pour le philosophe de la durée aille de paire avec
le spiritualisme d’antan5, mais qu’en suivant une telle méthode, qui parte des faits, non des
idées, épistémologie et métaphysique se rejoignent et redonnent à l’expérience sa profondeur.
Comme le montre chacun des auteurs de ce dossier, les résultats de la recherche révèlent
1 Sur ce point voir Henri Ey, Des idées de Jackson à un modèle organo-dynamique en psychiatrie, Paris,
L’harmattan, 1997, p.229, note 2.
2 Henri Bergson, Les deux sources de la morale et de la religion, Paris, Puf, 2005, p.149.
3 Henri Bergson, « Introduction à la métaphysique », in La pensée et le mouvant, Paris, Puf, 1999, p.226.
4 Henri Bergson, Les deux sources de la morale et de la religion, op. cit. p.263.
5 Sur ce point on pourra se référer à la préface de Vincent Peillon dans le tome V des Annales bergsoniennes :
« Si par spiritualisme on entend un dualisme radical de l'esprit et de la matière, alors il est en rupture avec le
spiritualisme. Mais c'est précisément toute l'œuvre du nouveau spiritualisme issu de Biran, et finalement le
motif dominant de cette pensée jusqu'à Merleau-Ponty, de penser au contraire l'union des deux. », Frédéric
Worms (éd.), Annales bergsoniennes, Tome V, Paris, Puf, 2013, p.19.