S Contraception orale et cancer du sein Oral contraception and breast cancer

8 | La Lettre du Gynécologue 363 - juin 2011
DOSSIER Hormone et cancer du sein
Contraception orale
et cancer du sein
Oral contraception and breast cancer
M. Espié*, S. Frank*, A.S. Hamy*
S
elon la majorité des études publiées, la prise
de contraception orale (CO) n'augmente pas le
risque de cancer du sein chez la femme. Parmi
les travaux qui s'attachent plus particulièrement à
analyser ce risque avant l'âge de 45 ans, certains
retrouvent une légère élévation du risque avec une
durée plus longue de prise contraceptive, notam-
ment avant la première grossesse à terme. En ce qui
concerne les femmes plus âgées, aucune majoration
du risque liée à la CO n’a été retrouvée, certaines
études évoquant même une baisse possible du risque.
En 1996, une méta-analyse a regroupé les princi-
pales publications antérieures : Le Collaborative group
on hormonal factors in breast cancer (1) a colligé 54
études et a retrouvé un risque relatif (RR) global de
1,07 (± 0,017). Ce chiffre semblait majoré pour les
patientes ayant une contraception en cours (RR :
1,24 ; IC
95
: 1,15-1,33) et 10 ans après. Il n’y avait
plus d’élévation du risque après 10 ans d’arrêt. Cette
méta-analyse n’a pas pu estimer le risque lié à la durée
d’utilisation, au type ou au dosage de la pilule. Le
risque semblait plus important en cas de prise avant
l'âge de 20 ans (RR : 1,22 ± 0,04). Les tumeurs surve-
nant sous pilule ont été plus fréquemment localisées
(RR : 0,88 ; IC
95
: 0,81-0,95) et s’accompagnaient
moins souvent de métastases (RR : 0,70).
Cette méta-analyse suggérait un éventuel phéno-
mène promoteur de la CO sur des tumeurs déjà
initiées. Elle n’évitait pas les biais des études anté-
rieures, notamment celui d’une surveillance accrue
permettant un diagnostic plus précoce, qui pour-
rait également expliquer le stade plus précoce des
tumeurs survenant sous pilule. La CO pourrait cepen-
dant promouvoir des tumeurs moins agressives.
Cette méta-analyse évoquait également la possibilité
d’un rôle particulier des hormones exogènes pendant
l’adolescence, période où le sein est plus sensible à
l’action des carcinogènes, ou chez certaines femmes
jeunes plus susceptibles et donc éventuellement en
cas de mutation de type BRCA1 ou BRCA2.
Depuis cette méta-analyse de 1996, Newcomb et
al. (2) ont publié une étude cas-témoins regroupant
6 751 femmes atteintes d'un cancer du sein appariées
à 9 311 femmes témoins. Le RR observé était de 1,1
(IC
95
: 1,0-1,2) ; il n’a pas été noté d’augmentation du
risque en fonction de la durée de prise contraceptive,
mais le risque de cancer du sein était à nouveau
plus élevé chez les femmes de moins de 45 ans en
cas d’utilisation récente de la pilule (RR : 2 ; IC
95
:
1,1-3,9). En 1997, Brinton et al. (3) ont rapporté les
données d’une étude cas-témoins concernant les
cancers du sein survenus chez 1 647 femmes de
moins de 45 ans appariées à 1 501 femmes témoins.
En cas de prise de CO de plus de 6 mois, l’étude
retrouvait un RR de 1,3 (IC
95
: 1,1-1,5) et, pour les
cancers du sein survenus avant 35 ans, un RR de 1,8
(IC
95
: 1,2-2,7). Hankinson et al. (4) ont publié les
résultats de la Nurses’ Health Study avec 3 383 cas de
cancers du sein observés entre 1976 et 1992 (16 ans
de suivi). Les auteurs nont pas retrouvé d’élévation
du risque lié à la prise de pilule (RR : 1,11 ; IC
95
: 0,94-
1,32), y compris en cas de prise de plus de 10 ans.
Cette étude n’a montré aucune majoration du risque
chez les femmes de moins de 45 ans, y compris en
cas de contraception d’une durée supérieure à 10 ans
(RR : 1,07 ; IC95 : 0,7-1,65), ni même pour une utilisa-
tion de 5 ans ou plus avant une première grossesse
(RR : 0,57 ; IC95 : 0,24-1,31). Aucune différence n’a
été retrouvée en fonction de la parité. Une éléva-
tion jugée marginale a été notée dans les 5 années
suivant l’utilisation (RR : 1,20 ; IC95 : 1-1,44). Ursin et
al. (5) ont apparié 744 femmes de moins de 40 ans
atteintes d’un cancer du sein à des femmes témoins,
en tenant compte de l'âge, de la parité, du lieu de
résidence et de l'ethnie. Pour une durée de CO supé-
rieure ou égale à 12 ans, il n’y a pas d’augmentation
significative du risque de cancer du sein (RR : 1,4 ;
IC
95
: 0,8-2,4). Dans leur étude de 2002 incluant
4 575 femmes de 35 à 64 ans atteintes d'un cancer
du sein appariées à 4 682 femmes témoins, March-
* Centre des maladies du sein, onco-
logie médicale, hôpital Saint-Louis
AP-HP, 1, avenue Claude-Vellefaux
75475 Paris.
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La Lettre du Gynécologue 363 - juin 2011 | 9
Points forts
»Toutes femmes confondues la contraception orale n'augmente pas le risque de cancer du sein.
»La possibilité d'une action promotrice chez les femmes jeunes n'est cependant pas exclue.
»L'utilisation de la contraception orale est possible, y compris en cas de mutation BRCA.
»La mortalité par cancer du sein n'est pas accrue chez les femmes ayant utilisé la pilule.
banks et al. (6) ne retrouvent aucune élévation du
risque en cours d’utilisation (RR : 1 ; IC
95
: 0,8-1,3)
ou après arrêt de la CO (RR : 0,9 ; IC95 : 0,8-1). On
n’a observé aucun lien avec la durée d’utilisation ou
avec les doses d’estrogènes, ni aucun risque accru
en cas d’antécédent familial de cancer du sein ou
d’utilisation à un jeune âge.
Il existe cependant des résultats discordants. Il
faut noter le travail de Kumle et al. (7), également
publié en 2002. C’est une étude prospective menée
en Norvège et en Suède de 1991-1992 à 1999 sur
103 027 femmes qui avaient rempli un questionnaire
et avaient fait l'objet d'un suivi prospectif. Au cours de
ce suivi, 1 008 cancers infiltrants sont apparus, avec
un RR de 1,6 en cas de prise de pilule (IC95 : 1,2-2,1).
Les risques étaient identiques selon les différents
types de pilule. Le RR était de 1,5 (IC
95
: 1-2) pour
la CO estroprogestative et de 1,6 (IC95 : 1-2,4) pour
la CO progestative. Les auteurs ont mis en évidence
un effet durée (p = 0,005). En 2003, Dumeaux a lui
aussi retrouvé une petite élévation du risque (RR :
1,25 ; IC95 : 1,07-1,46).
Une nouvelle méta-analyse a été menée en 2006,
cette fois consacrée au risque de survenue de cancer
du sein avant la ménopause (8). Seules les études
cas-témoins publiées après 1980 ont été reprises. Sur
60 études recensées, 26 ont été exclues, de même que
toutes les études prospectives. Les auteurs ont choisi
de retenir des odds-ratios (OR) non ajustés. Ils ont
retrouvé une petite augmentation (OR = 1,19 ; IC95 :
1,09-1,29) du risque, surtout en cas de prise de CO
pendant plus de 4 ans avant une première grossesse
menée à terme (OR : 1,52 ; ; IC95 : 1,25-1,82). Cette
méta-analyse va donc dans le sens d’un effet promo-
teur de la CO sur les cancers préexistants.
Hunter et al. (9) ont repris l’étude des infirmières
nord-américaines et retrouvent à nouveau un risque
faiblement augmenté avec une CO en cours (RR :
1,33 ; IC
95
: 1,03-1,73), avec un risque estimé à 1,8 %
et qui disparaît après 4 ans d’arrêt.
En cas de mutation BRCA1/2, les études étaient
contradictoires. Une méta-analyse regroupant 18
études incluant 2 855 femmes atteintes de cancer du
sein ne retrouve pas d’augmentation significative du
risque (survie sans récidive [SRR] : 1,13 ; IC95 : 0,88-
1,45). Il n’existe pas non plus de différence en fonction
du gène muté : pour BRCA1, le RR significatif est de
1,09 (IC95 : 0,77-1,54), et pour BRCA2, la SSR est de
1,15 (IC
95
: 0,61-2,18). Il n’a pas été observé d’effet
durée, mais un surrisque a été noté pour les pilules
prescrites avant 1975 (effet dose ?) [10]. La pilule
n’est donc pas contre-indiquée en cas de mutation
BRCA, mais il est recommandé de l’utiliser à visée
uniquement contraceptive.
Deux articles britanniques récents concernant la
mortalité associée à la pilule ne montrent aucun
risque accru de mortalité par cancer. Létude du Royal
College of General Practitioners (11) montre une réduc-
tion de cette mortalité (RR : 0,85 ; IC95 : 0,78-0,93)
et pas d’élévation de la mortalité par cancer du sein
(RR : 0,90 ; IC95 : 0,74-1,08). Là encore, dans l’étude
de l'Oxford Family Planning Association [12], on ne
note pas d’augmentation de la mortalité tous cancers
confondus (HR : 0,9 ; IC95 : 0,8-1,0), ni par cancer du
sein (HR : 1,0 ; IC95 : 0,8-1,2). Ces données sont donc
globalement rassurantes.
Keywords
Oral contraception
Breast cancer
Epidemiology
BRCA1
BRCA2
Risk factor
Références bibliographiques
1. Collaborative Group on Hormonal Factors in Breast
Cancer. Breast cancer and hormonal contraceptives: further
results. Contraception 1996;54(Suppl.):1S-106S.
2. Newcomb PA, Longnecker MP, Storer BE et al. Recent oral
contraceptive use and risk of breast cancer (United States).
Cancer Causes Control 1996;7:525-32.
3. Brinton LA, Gammon MD, Malone KE, Schoenberg JB, Daling
JR, Coates RJ. Modification of oral contraceptive relationships on
breast cancer risk by selected factors among younger women.
Contraception 1997;55:197-203.
4. Hankinson SE, Colditz GA, Manson JE et al. A prospective
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(Nurses' Health Study, United States). Cancer Causes Control
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Lund E. Use of oral contraceptives and breast cancer risk: the
Norwegian-Swedish Women's Lifestyle and Health Cohort
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10. Iodice S, Barile M, Rotmensz N et al. Oral contraceptive
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11. Hannaford PC, Iversen L, Macfarlane TV, Elliott AM, Angus
V, Lee AJ. Mortality among contraceptive pill users: cohort
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Contraception Study. BMJ 2010;340:c927.
12. Vessey M, Yeates D, Flynn S. Factors affecting mortality
in a large cohort study with special reference to oral contra-
ceptive use. Contraception 2010;82:221-9.
Mots-clés
Contraception orale
Cancer du sein
Épidémiologie
BRCA1
BRCA2
Facteur de risque
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