DOSSIER THÉMATIQUE Hormones avant et après cancer du sein Contraception et cancer du sein Contraception and breast cancer Marc Espié*, Carole Nicolas*, Marjorie Lalloum*, Florence Coussy* Contraception orale Données épidémiologiques générales * Hôpital Saint-Louis, centre des maladies du sein, Paris. La majorité des études publiées n’ont pas retrouvé, toutes femmes confondues, d’élévation du risque de cancer du sein liée à la contraception orale (CO). Plusieurs études se sont particulièrement attachées à l’élévation du risque de cancer du sein avant 45 ans. Certaines ont montré une légère élévation du risque pour une durée globale de la prise plus longue, en particulier pour une longue durée avant la première grossesse à terme. Pour les femmes plus âgées, aucune élévation de ce risque liée à la CO n’a été évoquée, certaines études montrant même une possible réduction. C’est en 1996 qu’une méta-analyse regroupant les principales publications antérieures a été publiée. ➤➤ Le Collaborative group on hormonal factors in breast cancer (1) a donc repris 54 études et a retrouvé un risque relatif (RR) global de 1,07 (± 0,017). Le risque semblait majoré pour les utilisatrices en cours de contraception (RR : 1,24 ; IC95 : 1,15-1,33) et pour les 10 ans qui suivaient. Il n’y avait plus d’élévation du risque après 10 ans d’arrêt. Cette méta-analyse n’a pas permis de répondre au risque en fonction de la durée d’utilisation, du type ou de la dose de la pilule. Le risque semblait plus important en cas de prise avant 20 ans (RR : 1,22 ± 0,04). Les tumeurs survenant sous pilule ont été plus fréquemment localisées (RR : 0,88 ; IC95 : 0,81-0,95) et s’accompagnaient moins souvent de métastases (RR : 0,70). Cette méta-analyse suggérait un éventuel phénomène promoteur de la CO sur des tumeurs déjà présentes. Elle ne pouvait éliminer les biais des études antérieures, notamment celui d’une surveillance accrue permettant une avance au diagnostic qui pourrait également expliquer le stade plus précoce observé des tumeurs survenant sous pilule. La CO pourrait cependant promouvoir des tumeurs moins agressives. Elle évoquait égale- ment la possibilité d’un rôle particulier des hormones exogènes pendant l’adolescence, période où le sein est le plus sensible à l’action des carcinogènes, ou chez certaines femmes jeunes, plus susceptibles, et éventuellement en cas de mutation de type BRCA1 ou BRCA2. ➤➤ Depuis la méta-analyse de 1996 du Collaborative group, Newcomb et al. (2) ont publié une étude castémoins regroupant 6 751 femmes atteintes de cancer du sein appariées à 9 311 témoins. Le RR observé a été de 1,1 (1,0-1,2), il n’a pas été noté d’augmentation du risque en fonction de la durée, mais le risque de cancer du sein était à nouveau plus élevé chez les femmes de moins de 45 ans en cas d’utilisation récente de la pilule (RR : 2 ; IC95 : 1,1-3,9). En 1997, Brinton et al. (3) ont rapporté les données d’une étude cas-témoins concernant 1 647 femmes de moins de 45 ans atteintes d’un cancer du sein appariées à 1 501 témoins. En cas de prise de CO de plus de 6 mois, le RR est de 1,3 (IC95 : 1,1-1,5) et pour les cancers du sein survenus avant 35 ans, le RR est plus élevé de 1,8 (1,2-2,7). Hankinson et al. (4) ont publié les résultats de la Nurses’ Health Study. Sur 3 383 cas de cancers du sein observés de 1976 à 1992 (16 ans de suivi), aucune élévation du risque lié à la prise de la pilule n’a été retrouvée (RR : 1,11 ; IC95 : 0,94-1,32), y compris en cas de prise de plus de 10 ans. Cette étude n’a pas mis en évidence d’élévation du risque chez les femmes de moins de 45 ans, y compris en cas de contraception d’une durée supérieure à 10 ans (RR : 1,07 ; IC95 : 0,7-1,65), ni pour 5 ans ou plus d’utilisation avant une première grossesse (RR : 0,57 ; IC95 : 0,24-1,31). Aucune différence n’a été retrouvée en fonction de la parité. Une élévation, jugée marginale, a été notée dans les 5 années suivant l’utilisation (RR : 1,20 ; IC95 : 1-1,44). Ursin et al. (5) ont apparié 744 femmes de moins de 40 ans atteintes d’un cancer du sein à des témoins en tenant compte de leurs âge, parité, lieu de résidence et ethnie. Pour une durée de CO supérieure ou égale à 12 ans, il n’y a pas d’augmentation significative du risque de cancer 6 | La Lettre du Sénologue • n° 57 - juillet-août-septembre 2012 Séno 57sept.indd 6 10/10/12 09:48 Points forts Mots-clés »» La contraception orale, globalement, n’augmente pas le risque de développer un cancer du sein. »» Il n’y a pas de surrisque en cas d’antécédents familiaux. »» On observe parfois un surrisque chez les femmes jeunes, en cours utilisation. Contraception Cancer du sein Épidémiologie BRCA1 BRCA2 Facteurs de risque du sein (RR : 1,4 ; IC95 : 0,8-2,4). Marchbanks et al. (6), en 2002, ont rapporté une étude menée chez 4 575 femmes de 35 à 64 ans atteintes d’un cancer du sein appariées à 4 682 témoins. Aucune élévation du risque n’a été retrouvée en cours d’utilisation (RR : 1 ; IC95 : 0,8-1,3), ou après arrêt de la prise de CO (RR : 0,9 IC95 : 0,8-1). Il n’a pas été retrouvé de lien avec la durée d’utilisation ou les doses d’estrogènes, pas de risque accru en cas d’antécédent familial de cancer du sein, ni en cas d’utilisation à un jeune âge. ➤➤ Il existe cependant des résultats discordants. Il faut noter le travail de Kumle et al. (7) également publié en 2002. Il s’agit d’une étude prospective menée en Norvège et en Suède de 1991/1992 à 1999 sur 103 027 femmes. Elles ont rempli un questionnaire et ont été suivies en prospectif : 1 008 cancers infiltrants sont apparus au cours de ce suivi avec un RR en cas de prise de pilule de 1,6 (IC95 : 1,2-2,1). Les risques n’ont pas été différents en fonction des types de pilule : pour la CO estroprogestative le RR est de 1,5 (IC95 : 1-2), pour la CO progestative le RR est de 1,6 (IC95 : 1-2,4). Les auteurs ont mis en évidence un effet durée (p = 0,005). Dumeaux et al. (8), en 2003, ont retrouvé une petite élévation du risque avec un RR à 1,25 (1,07-1,46). ➤➤ Une nouvelle méta-analyse a été menée en 2006, cette fois consacrée au risque de survenue de cancers du sein avant la ménopause (9). Seules les études cas-témoins publiées après 1980 ont été reprises. Sur 60 études recensées, 26 ont été exclues ainsi que toutes les études prospectives. Les auteurs ont choisi de retenir des odds-ratio (OR) non ajustés ! Ils retrouvent une petite augmentation (OR : 1,19 ; IC95 : 1,09-1,29) du risque, surtout en cas de prise de CO pendant plus de 4 ans avant une première grossesse menée à terme (OR : 1,52 ; IC95 : 1,25-1,82). Cette méta-analyse va donc dans le sens d’un effet promoteur de la CO sur des cancers préexistants. ➤➤ Hunter et al. (10) ont repris l’étude des infirmières nord-américaines et retrouvent à nouveau un risque faiblement augmenté en cours d’utilisation (RR : 1,33 ; IC95 : 1,03-1,73) avec un risque attribuable estimé à 1,8 %, qui disparaît après 4 ans d’arrêt. Cas particuliers ◆◆ Antécédents familiaux de cancer du sein Silvera et al. (11) ont rapporté une étude prospective de cohorte canadienne portant sur 27 318 femmes ayant des antécédents familiaux de cancer du sein. Avec 16 ans de suivi, 1 707 cancers du sein sont apparus, dont 795 avec des antécédents au premier degré. Aucune augmentation du risque n’a été observée (hazard-ratio [HR] : 0,88 ; IC95 : 0,73-1,07), l’effet durée est significatif pour la réduction du risque (p = 0,03 ; HR : 1,03 ; IC95 : 0,78-1,38) en cas d’antécédent au premier degré. Gaffield et al. (12) ont colligé 10 études et 1 méta-analyse publiées sur le même sujet entre 1996 et 2008. Aucune augmentation du risque n’a été retrouvée dans les études de cohorte ni dans les études cas-témoins, avec cependant un doute pour les pilules d’avant 1975. Pour l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), il n’y a pas de restriction à l’usage de la CO en cas d’antécédent familial. ◆◆ Mutations BRCA En cas de mutation BRCA1/2, les études étaient contradictoires, une méta-analyse a été effectuée regroupant 18 études et 2 855 femmes avec un cancer du sein. Elle ne retrouve pas d’augmentation significative du risque (standardized relative risk [SRR] : 1,13 ; IC95 : 0,88-1,45). Il n’ y a pas de différence en fonction du gène muté : pour BRCA1, le SRR est de 1,09 (IC95 : 0,77-1,54) et pour BRCA2, il est de 1,15 (IC95 : 0,61-2,18). Il n’a pas été observé d’effet durée, un surrisque a, en revanche, été noté pour les pilules prescrites avant 1975 (effet dose ?) [13]. La pilule n’est donc pas contre-indiquée en cas de mutation BRCA, mais il est recommandé de l’utiliser à visée contraceptive. Highlights » Overall, oral contraceptive does not increase the risk of developing breast cancer. » There is no over risk in case of family history. » We sometimes observe over risks among young women in course of treatment. Keywords Contraception Breast cancer Epidemiology BRCA1 BRCA2 Risk factors ◆◆ Le risque majoré concernerait-il certains types de cancers du sein ? Newcomer et al. (14) ont mené une étude castémoins aux États-Unis en comparant 493 patientes atteintes de cancers lobulaires à 5 510 patientes atteintes de cancers canalaires et à 9 311 témoins. Un risque accru pour les cancers lobulaires a été mis en évidence (RR : 2,6 ; IC95 1- 7,1), le risque semblant plus net en cas d’utilisation récente (p = 0,017). Il n’a pas été retrouvé d’association significative avec les cancers canalaires infiltrants (RR : 1,2 ; IC95 : 0,8-1,9). Cependant, Nyante et al. (15) n’ont pas retrouvé les mêmes résultats en comparant 100 patientes atteintes de cancers lobulaires, 1 164 patientes La Lettre du Sénologue • n° 57 - juillet-août-septembre 2012 | Séno 57sept.indd 7 7 10/10/12 09:48 DOSSIER THÉMATIQUE Références bibliographiques 1. Collaborative Group on Hormonal Factors in Breast Cancer. Breast cancer and hormonal contraceptives: further results. Contraception 1996;54 (Suppl.):1S-106S. 2. Newcomb PA, Longnecker MP, Storer BE et al. Recent oral contraceptive use and risk of breast cancer (United States). Cancer Causes Control 1996;7:525-32. 3. Brinton LA, Gammon MD, Malone KE, Schoenberg JB, Daling JR, Coates RJ. Modification of oral contraceptive relationships on breast cancer risk by selected factors among younger women. Contraception 1997;55:197-203. 4. Hankinson SE, Colditz GA, Manson JE et al. A prospective study of oral contraceptive use and risk of breast cancer (Nurses' Health Study, United States). Cancer Causes Control 1997;8:65-72. 5. Ursin G, Ross RK, SullivanHalley J, Hanisch R, Henderson B, Bernstein L. Use of oral contraceptives and risk of breast cancer in young women. Breast Cancer Res Treat 1998;50:175-84. 6. Marchbanks PA, McDonald JA, Wilson HG et al. Oral contraceptives and the risk of breast cancer. N Engl J Med 2002;346(26):2025-32. 7. Kumle M, Weiderpass E, Braaten T, Persson I, Adami HO, Lund E. Use of oral contraceptives and breast cancer risk: The Norwegian-Swedish Women's Lifestyle and Health Cohort Study. Cancer Epidemiol Biomarkers Prev 2002;11(11):1375-81. 8. Dumeaux V, Alsaker E, Lund E. Breast cancer and specific types of oral contraceptives: a large Norwegian cohort study. Int J Cancer 2003;105(6):844-50. 9. Kahlenborn C, Modugno F, Potter DM, Severs WB. Oral contraceptive use as a risk factor for premenopausal breast cancer: a meta-analysis. Mayo Clin Proc 2006;81(10):1290-302. 10. Hunter DJ, Colditz GA, Hankinson SE et al. Oral contraceptive use and breast cancer: a prospective study of young women. Cancer Epidemiol Biomarkers Prev 2010;19(10):2496-502. Hormones avant et après cancer du sein atteintes de cancers canalaires et 1 501 témoins. Ils n’ont pas mis en évidence de risque plus important de survenue de cancer lobulaire (OR : 1,10 ; IC95 : 0,681,78) avec, pour les cancers canalaires infiltrants, un OR égal à 1,21 (IC95 : 1,01-1,45). Ils ont donc conclu qu’il n’y avait pas de différence notable liée à la CO. ◆◆ Y aurait-il un risque plus important pour les carcinomes in situ ? Cette question est d’importance, car elle pourrait faire évoquer un rôle précoce de la pilule dans la carcinogenèse et pas uniquement un éventuel rôle promoteur sur des cellules cancéreuses préexistantes. Claus et al. (16) ont mené une étude cas-témoins chez 875 femmes atteintes d’un carcinome canalaire in situ (CCIS) appariées à 999 témoins aux États-Unis. Ils ne retrouvent aucune élévation du risque (OR : 1 ; 0,8-1,2), ni d’effet durée ou dose, ni même de différence en fonction du type d’estrogène ou de progestatif. Il n’a pas non plus retrouvé de différence en fonction de l’âge à la première utilisation, ni en fonction des antécédents familiaux. Les études de Gil et de Nichols (17, 18) ne retrouvent pas non plus d’élévation significative de l’incidence des CCIS sous pilule. ◆◆ Qu’en est-il pour les cancers triple-négatifs ? Phipps et al. (19) ont mené une étude rétrospective dans le cadre de l’étude WHI. Parmi 155 723 femmes, 307 cancers du sein triple-négatifs ont été comparés à 2 610 cancers RH+. Aucune élévation du risque n’a été mise en évidence en association avec la pilule ni d’effet durée. ◆◆ La pilule augmente-t-elle le risque de survenue d’un cancer du sein controlatéral ? Figueiredo et al. (20) ont conduit une étude castémoins en Californie : 708 patientes avec un cancer du sein bilatéral asynchrone ont été comparées à 1 395 patientes avec un cancer du sein unilatéral. L’utilisation de la pilule avant le diagnostic n’a pas augmenté le risque (OR : 0,88 ; IC95 : 0,67-1,16). Ils n’ont pas mis en évidence d’effet durée, ni de risque majoré en cas d’utilisation à un jeune âge, ni de risque accru en cas d’utilisation après le diagnostic du premier cancer (OR : 1,56 ; IC95 : 0,71-3,45). Contraception progestative Skegg et al. (21) ont mené une étude cas-témoins chez des femmes atteintes de cancer du sein qui avaient pris une contraception par lévonorgestrel (LNG) [0,03 mg] ou par noréthistérone (0,35 mg) et ont retrouvé un RR non augmenté à 1,1 (IC95 : 0,73-1,5). Ils ont observé cependant un risque plus élevé en cas de contraception progestative prise avant 34 ans (RR : 2,3 ; IC95 : 1,2-4,3), le risque semblant lié à la durée (p = 0,06), et en cas d’utilisation dans les 10 années précédant le cancer (RR : 1,6 ; IC95 : 1-2,4). Le risque était en revanche diminué si les progestatifs avaient été utilisés plus de 10 ans auparavant (RR : 0,44 ; IC95 : 0,22-0,90). Il n’a pas été retrouvé d’effet protecteur lié à la durée d’utilisation. Des résultats similaires avaient été notés avec les progestatifs injectables (acétate de médroxyprogestérone en dépôt [DMPA]). En effet, Paul et al. (22) avaient retrouvé un risque de cancer du sein multiplié par 2 en cas d’utilisation avant l’âge de 34 ans et un RR de 1,7 si les progestatifs avaient été utilisés dans les 5 ans précédant l’apparition du cancer. La WHO (23, 24) avait noté un RR de 2 (IC95 : 1,5-2,8) en cas de prise avant 35 ans ou en cas d’utilisation dans les 5 dernières années. Là encore, ces études peuvent simplement refléter une surveillance accrue chez ces femmes ou un éventuel effet promoteur sur des cancers infracliniques. Shapiro et al. (25) ont rapporté une étude cas-témoins menée en Afrique du Sud sur 419 femmes atteintes d’un cancer du sein appariées à 1 625 témoins avec le DMPA en injectable. Les conclusions sont identiques : globalement pas d’élévation du risque (RR : 0,9 ; IC95 : 0,7-1,2), pas d’effet durée, ni d’effet en fonction du délai depuis la dernière utilisation. En revanche, il a observé en cours d’utilisation un risque majoré entre 35 et 44 ans (RR : 2,3 ; IC95 : 1,3-4,1). Strom et al. (26), en 2004, ont comparé 4 575 cas de cancer du sein diagnostiqués entre 1994 et 1998 appariés à 4 682 témoins en s’intéressant, là encore, à une contraception par DMPA mais aussi par Norplant®. Ils n’ont pas retrouvé d’élévation du risque (OR : 0,9 ; IC95 : 0,7-1,2), ni en cas d’utilisation en cours (OR : 0,7 ; IC95 : 0,4-1,3) ni dans les 5 ans après la prise (OR : 0,9 ; IC95 : 0,5-1,4). Il n’ont pas retrouvé de différence en fonction de l’âge. En cas de début de l’utilisation avant 35 ans, l’OR est de 0,9 (IC95 : 0,6-1,3). Aucun effet durée n’a été mis en évidence, ni augmentation du risque avec les progestatifs implantables. Quant aux micropilules progestatives, la méta-analyse de 1996 retrouvait 0,8 % d’utilisatrices et il était observé une tendance à une augmentation du risque non significative (RR : 1,17 ; p = 0,06). Dans la publication de Kumle et al. (27), le surrisque était identique entre estroprogestatifs et progestatifs, dans celle de Dumeaux et al. (8), aucun surrisque significatif n’a été mis en évidence. Il n’y a donc pas, semble-t-il, de risque accru lié à la contraception progestative, ni d’effet protecteur mis en évidence. Nous n’avons aucune donnée quant à 8 | La Lettre du Sénologue • n° 57 - juillet-août-septembre 2012 Séno 57sept.indd 8 10/10/12 09:48 DOSSIER THÉMATIQUE la contraception macroprogestative per os, souvent prescrite en France en préménopause. Système intra-utérin, dispositif intra-utérin et cancer du sein Qu’en est-il du système intra-utérin au LNG ? Backman et al. (28) ont rapporté une étude portant sur 17 360 femmes utilisatrices en Finlande, dont l’incidence de survenue de cancer du sein a été comparée à celle de ce même cancer dans la population finlandaise par tranche d’âge. Ce type d’étude est possible, notamment dans les pays scandinaves où il existe un registre national du cancer et des données détaillées sur les prescriptions médicales. Aucune augmentation significative du risque de développer un cancer du sein n’a été mise en évidence. Dinger et al. (29) ont mené une étude cas-témoins sur le dispositif intra-utérin (DIU) en Finlande et en Allemagne sur 5 113 patientes âgées de moins de 50 ans lors du diagnostic, avec un cancer du sein diagnostiqué entre 2000 et 2007. Elles ont été appariées avec 20 452 témoins. Il a été observé 1 085 utilisatrices parmi les cas (22 %) et 1 130 (21 %) parmi celles d’un DIU au cuivre (respectivement 4 261 et 4 298 chez les témoins). Il n’y a donc pas d’augmentation du risque par rapport aux utilisatrices d’un DIU au cuivre (OR : 0,99 ; IC95 : 0,88-1,12). DIU et cancer du sein Peu d’études se sont penchées sur un rôle éventuel, mais peu probable, de ce mode de contraception. Une étude sur la contraception a été menée à Shanghai sur 79 942 femmes incluses entre 1997 et 2000 (30). Sur les 2 250 cancers apparus, 558 étaient des cancers du sein. Une tendance à la diminution du risque de survenue d’un cancer du sein a été observée pour les longues utilisatrices (≥ 14 ans) [HR : 0,80 ; IC95 : 0,621,02] et chez celles qui avaient commencé à utiliser le DIU avant 30 ans (HR : 0,84 ; IC95 : 0,64 -1,09). Mortalité, pilule et cancer du sein En 2010, 2 articles britanniques ont paru sur la mortalité associée à la pilule. Il n’a pas été mis en évidence de risque accru de mortalité par cancer, mais dans l’étude du Royal College of General Practitioners (31), une réduction de celle-ci (RR : 0,85 ; IC95 : 0,78-0,93) et pas d’élévation de la mortalité par cancer du sein (RR : 0 ,90 ; IC95 : 0,74-1,08). Dans l’étude de l’Oxford Family Planning Association (32), là encore, on ne note pas d’augmentation de la mortalité tous cancers confondus (HR : 0,9 ; IC95 : 0,8-1,0) ni par cancer du sein (HR : 1,0 ; IC95 : 0,8-1,2). Contraception après cancer du sein La survenue d’une grossesse après cancer du sein ne modifie pas le pronostic de la maladie. La grossesse sera donc possible et la contraception doit être parfaitement réversible. Méthodes locales On dispose actuellement d’un vaste choix de crèmes et d’ovules spermicides, associés ou non à un diaphragme, ou d’éponges imprégnées de crème. S’y ajoutent les préservatifs masculins et même les préservatifs féminins. Ces méthodes sont théoriquement séduisantes chez les femmes atteintes d’un cancer du sein, car totalement inoffensives et sans aucune interaction avec la maladie ni avec le traitement. Leurs inconvénients sont réels : l’astreinte d’utilisation est parfois mal acceptée par les femmes ; l’efficacité n’est pas suffisante, en particulier dans ce contexte ; elles sont souvent onéreuses et non remboursées par la Sécurité sociale. On les choisira à condition de bien en expliquer l’utilisation (utilisation systématique, règles d’hygiène, etc.), si la femme les réclame, si ses rapports sexuels sont peu fréquents, si elle a plus de 40 ans et surtout si les autres méthodes sont contre-indiquées. DIU et SIU Les DIU au cuivre sont la contraception, en règle générale, la plus adaptée aux femmes atteintes d’un cancer du sein. Leur utilisation est en effet facile et généralement bien tolérée, sans répercussion sur le cycle hormonal et sans interaction avec les traitements proposés. La question de savoir si on peut utiliser un SIU-LNG après avoir eu un cancer du sein est souvent posée et s’il faut l’enlever chez une patiente en ayant un lors du diagnostic. Nous n’avons malheureusement qu’une étude (33) sur le sujet et méthodologique- Références bibliographiques (suite) 11. Silvera SA, Miller AB, Rohan TE. Oral contraceptive use and risk of breast cancer among women with a family history of breast cancer: a prospective cohort study. Cancer Causes Control 2005;16(9):1059-63. 12. Gaffield ME, Culwell KR, Ravi A. Oral contraceptives and family history of breast cancer. Contraception 2009;80(4):372-80. 13. Iodice S, Barile M, Rotmensz N et al. Oral contraceptive use and breast or ovarian cancer risk in BRCA1/2 carriers: a meta-analysis. Eur J Cancer;46(12):2275-84. 14. Newcomer LM, Newcomb PA , Tre n t h a m - D i e t z A , Longnecker MP, Greenberg ER. Oral contraceptive use and risk of breast cancer by histologic type. Int J Cancer 2003;106(6):961-4. 15. Nyante SJ, Gammon MD, Malone KE, Daling JR, Brinton LA. The association between oral contraceptive use and lobular and ductal breast cancer in young women. Int J Cancer 2008;122(4):936-41. 16. Claus EB, Stowe M, Carter D. Oral contraceptives and the risk of ductal breast carcinoma in situ. Breast Cancer Res Treat 2003;81(2):129-36. 17. Gill JK, Press MF, Patel AV, Bernstein L. Oral contraceptive use and risk of breast carcinoma in situ (United States). Cancer Causes Control 2006;17(9):1155-62. 18. Nichols HB, TrenthamDietz A , Egan KM, Titus Ernstoff L, Hampton JM, Newcomb PA. Oral contraceptive use and risk of breast carcinoma in situ. Cancer Epidemiol Biomarkers Prev 2007;16(11):2262-8. 19. Phipps AI, Chlebowski RT, Prentice Ret al. Reproductive history and oral contraceptive use in relation to risk of triplenegative breast cancer. J Natl Cancer Inst 2011;103(6):470-7. 20. Figueiredo JC, Bernstein L, Capanu M et al. Oral contraceptives , postmenopaus al hormones, and risk of asynchronous bilateral breast cancer: the WECARE Study Group. J Clin Oncol 2008;26(9):1411-8. 21. Skegg DCG, Paul C, Spears GFS, Williams SM. Progestogen-only oral contraceptives and risk of breast cancer in New Zealand. Cancer Causes Control 1996;7:513-5. La Lettre du Sénologue • n° 57 - juillet-août-septembre 2012 | Séno 57sept.indd 9 9 10/10/12 09:48 DOSSIER THÉMATIQUE Hormones avant et après cancer du sein ment très limitée. Il s’agit d’une étude rétrospective menée en Belgique comparant 79 patientes utilisant un SIU-LNG avec 120 non utilisatrices. Deux sous-groupes ont été étudiés : les patientes qui ont continué à l’utiliser après le diagnostic (groupe 1) et celles qui ont commencé l’utilisation après le diagnostic (groupe 2). La moyenne de suivi a été de 2,8 ans. Globalement, il a été observé 17 rechutes parmi les 79 utilisatrices et 20 rechutes parmi les 120 non utilisatrices (HR : 1,86 ; IC95 : 0,86-4,00) [non significatif] (HR : 1,47 ; IC95 : 0,77-2,80 en données brutes). L’analyse des sous-groupes a été effectuée a posteriori : pour le groupe 1 (38 patientes, utilisatrices au moment du diagnostic et ayant poursuivi l’utilisation), on retrouve un risque augmenté (HR : 3,39 ; IC95 : 1,01-11,35). Il n’y a pas d’élévation significative dans le groupe 2 (41 patientes, utilisatrices après le diagnostic) [HR : 1,48 ; IC95 : 0,62-3,49]. Il est donc impossible d’avoir des certitudes en se fondant sur cette étude (nombre trop limité de patientes, intervalle de confiance très large, etc.). Quoi qu’il en soit, le principe de précaution a inspiré les autorités de santé et l’utilisation d’un SIU-LNG est contre-indiqué tant pour l’OMS que pour les autorités françaises. Il ne faut pas se précipiter pour retirer un SIU-LNG à une patiente, en cours par exemple de chimiothérapie pour un cancer du sein, une contraception efficace étant indispensable. Il sera toujours temps de discuter avec elle de son retrait une fois la chimiothérapie terminée. Contraception hormonale Elle reste contre-indiquée après cancer du sein, même si la preuve de sa nocivité n’a jamais été démontrée. Le GERM (Groupe d'étude de réflexion sur les mastopathies), la Société française de gynécologie et la Fédération nationale des collèges de gynécologie médicale ont mené une enquête de pratique en France, qui n’a pas retrouvé d’élévation du risque en cas d’utilisation de macroprogestatifs, mais les données sont numériquement limitées (34). Stérilisation, encore appelée contraception définitive La contraception définitive peut être envisagée chez une patiente ayant eu un cancer du sein, comme chez les autres femmes. Une période de réflexion est conseillée, comme chez toutes les femmes, et on choisira actuellement de manière préférentielle la méthode Essure®. Conclusion Ces données sont donc globalement rassurantes, mais il existe cependant des sous-groupes pour lesquels des données supplémentaires sont nécessaires, plus particulièrement chez les femmes jeunes. La petite élévation du risque parfois observée est peut-être uniquement liée à un biais de dépistage, mais on ne peut éliminer un effet promoteur sur d’éventuelles cellules précancéreuses préexistantes ou un surrisque chez certaines jeunes femmes, par exemple en cas de polymorphismes génétiques (NADPH quinone oxoréductase NQO1) orientant l’éthynilestradiol vers des dérivés quinones (35), comme cela a pu être mis en évidence après la ménopause (36). ■ Références bibliographiques (suite) 22. Paul C, Skegg DCG, Spears GFS. Depot medroxyprogesterone (Depo-Provera) and risk of breast cancer. Br Med J 1989;299:759-62. 23. The WHO collaborative study of neoplasia and steroid contraceptives. Breast cancer and combined oral contraceptives: results from a multinational study. Br J Cancer 1990;61:110-9. 24. WHO collaborative study of neoplasia and steroid contraceptives. Breast cancer and depot-medroxyprogesterone acetate: a multinational study. Lancet 1993;338:833-8. 25. 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