8 | La Lettre du Gynécologue • n° 353 - juin 2010
GYNÉCo Et SoCiÉtÉ
Cancer du sein et exposition
au diéthylstilboestrol
M. Tournaire*
O
n sait depuis une quinzaine d’années que le
nombre de cancers du sein chez les “mères
DES” (diéthylstilboestrol, commercialisé
sous le nom de Distilbène®) augmente, avec un
risque relatif (RR) de 1,35, qui n’augmente pas avec
l’âge (1).
Une étude américaine de 2006 (2) a montré que les
“filles DES” avaient un risque plus élevé de cancer du
sein à partir de 40 ans que les femmes non exposées
(RR : 1,91 ; IC
95
: 1,09-3,33). On n’observe pas de
risque accru pour les femmes de moins de 40 ans.
Concernant les femmes exposées de 50 ans et plus
(RR : 3 ; IC
95
: 1,01-8,98), le faible nombre de cas
rend ce RR imprécis. Plusieurs études avaient été
publiées sur ce sujet et les résultats ont évolué avec
les années. En 1998 (3), le taux de cancers du sein
n'était pas augmenté. En 2002 (4), le risque était
en légère augmentation, mais le nombre de cas de
cancers n’était pas suffisant pour conclure.
Il a fallu attendre 2006 (2) et l'élévation de l’âge des
“filles DES” américaines, qui sont en moyenne plus
âgées qu’en France, pour que ce risque soit confirmé.
Effet des doses de DES
En 2006, l’étude de Palmer (2) comparait le risque
selon la date de début de traitement en cours
de grossesse. Il n’y avait pas de différence entre
les groupes avec début de traitement avant la 9e
semaine d’aménorrhée (SA), de la 9
e
à la 12
e
SA,
ou après la 12e SA.
La comparaison entre les traitements selon les doses
reçues montrait un RR de 1,63 pour les doses faibles
(IC95 : 0,87-3,08) alors qu il était de 2,17 pour les
doses fortes (IC
95
: 1,18-3,08), le risque moyen pour
l’ensemble des traitements étant de 1,91. Dans cette
étude américaine, la majorité des traitements était
de type “forte dose”. On sait qu’en France, les trai-
tements étaient en majorité de type “faible dose”,
donc avec un risque moindre. Cependant, cette
information est rarement disponible en pratique.
Le traitement de type “forte dose” était de 5 mg au
début, avec une augmentation progressive : 25 mg à
14 SA, 50 mg à 20 SA, 100 mg à 30 SA et 125 mg à
34 SA. Pour les faibles doses, le début était identique
(5 mg), puis l’augmentation était plus lente jusqu’à
des doses environ deux fois inférieures.
Particularité de ces cancers
Le cancer du sein chez les “filles DES” n’est pas diffé-
rent de celui des femmes non exposées au DES en
ce qui concerne les récepteurs aux estrogènes et à
la progestérone ou le taux d’atteinte ganglionnaire.
Le RR est de 1,64 pour les tumeurs de moins de 2 cm
de diamètre (IC95 : 0,75-3,59) et de 3,25 pour les
tumeurs de 2 cm et plus (IC95 : 1,03-10,2).
Hypothèse pour expliquer
l’augmentation de ces cancers
Cette augmentation ne paraît pas corrélée à une
instabilité génomique (5). La survenue du cancer
du sein est liée, entre autres, à l’intensité et à la
durée d’exposition aux estrogènes et à certains
progestatifs. Il semble que l’exposition aux estro-
gènes pendant la vie intra-utérine ait un effet plus
marqué. Ainsi, on a observé une légère augmentation
du taux de cancers du sein chez les jumelles. Or, la
caractéristique des grossesses gémellaires est une
quantité d’estrogènes supérieure à celle des gros-
sesses avec singleton.
L’hypothèse évoquée pour cette association est une
augmentation du nombre des cellules souches de la
glande mammaire, ce qui conduirait plus tard à un
accroissement du risque de transformation maligne.
* Hôpital Saint- Vincent-de-Paul,
74, avenue Denfert-Rochereau, 75014
Paris.