Des prescriptions de plus en plus fréquentes, mais peu

Des prescriptions de plus en
plus fréquentes, mais peu
d’études contrôlées
La prescription d’antidépresseurs et de
thymorégulateurs est de plus en plus fré-
quente chez l’adolescent, mais les
études contrôlées concernant des sujets
entre 11 et 18 ans sont encore relative-
ment rares. Les raisons de ce retard sont
d’ordre à la fois scientifique, éthique et
méthodologique (critères diagnostiques
non spécifiques de cette tranche d’âge,
petite taille des échantillons, etc.).
Michael et al. (1) proposent une revue de
la littérature entre 1980 et 1999, concer-
nant 38 études sur les traitements psycho-
sociaux et pharmacologiques de la
dépression de l’enfant et de l’adolescent.
Dans leur ensemble, les traitements
pharmacologiques n’ont pas démontré
leur efficacité sauf, récemment, les
ISRS. Ils constituent désormais le traite-
ment de première intention dans la
dépression de l’adolescent en raison de
leur efficacité, de leur meilleure tolérance
et du risque létal beaucoup plus faible en
cas de surdosage comparativement aux
TCA (2-4). Seul un antidépresseur tricy-
clique – l’amitriptyline – dispose en
France d’une autorisation de mise sur le
marché (AMM) pour les troubles
dépressifs de l’adolescent avant 15 ans,
mais d’autres TCA (imipramine, clomi-
pramine) ont l’AMM pour l’énurésie
nocturne à partir de 6 ans. Un seul ISRS
(la sertraline) est autorisé dans cette
tranche d’âge, mais l’indication concerne
le trouble obsessionnel compulsif (TOC)
et non la dépression. La plupart des
études contrôlées concernant l’action
des TCA, des inhibiteurs de la mono-
amine-oxydase (IMAO) ou des ISRS sur
la dépression utilisent les critères de
l’épisode dépressif majeur (EDM) du
DSM mais rarement ceux du trouble
dysthymique. De même, l’action des
thymorégulateurs dans les troubles bipo-
laires chez l’adolescent est encore assez
peu documentée.
Les antidépresseurs (ATD)
Les TCA
Une efficacité non démontrée chez
l’adolescent
Ces ATD inhibent la recapture de la
noradrénaline et/ou de la sérotonine. Ils
sont utilisés depuis les années 1950 dans
le traitement de la dépression chez
l’adulte, et leur efficacité est clairement
démontrée. Ils ont été, pendant long-
temps, les seuls prescrits chez l’adoles-
cent, mais leur utilisation est en diminu-
tion car leur efficacité n’est pas démon-
trée dans cette population. Les études
contrôlées en double aveugle versus pla-
cebo ne retrouvent pas de supériorité
significative des TCA dans la dépression
de l’adolescent. Outre les difficultés
méthodologiques rencontrées dans cette
population (petits effectifs, doses et
durée insuffisantes, etc.), plusieurs hypo-
thèses (5) sont actuellement avancées
pour expliquer ce manque d’efficacité :
l’élévation importante des hormones
sexuelles peut inhiber la neurotransmis-
sion des monoamines, la maturation du
système noradrénergique est incomplète
à cet âge, et la pharmacocinétique est
différente chez le sujet jeune (résorption
rapide, volume de distribution augmenté
et fixation protéique faible).
Les TCA en pratique chez l’adolescent (6)
Un bilan électrocardiographique (ECG)
préalable est nécessaire à la recherche de
troubles de la conduction auriculo-
ventriculaire. La risque de cardiotoxicité
est dose-dépendant (taux plasmatique
supérieur à 250 ng/ml), mais il y a d’im-
portantes variations individuelles. Quatre
cas de mort subite ont été décrits avec la
désipramine chez des adolescents pré-
pubères (6) ; on surveille donc le pouls,
la tension artérielle (l’hypotension
orthostatique est fréquente) et l’ECG.
Les TCA sont globalement moins bien
tolérés que chez l’adulte (effets anti-
cholinergiques et propriétés sédatives)
et, en cas de surdosage (tentative de sui-
cide), le risque létal existe. Chez l’adoles-
cent, il est conseillé d’augmenter progres-
sivement la dose de 1 à 4-5 mg/kg/jour
en deux prises (pharmacocinétique dif-
férente). Après sept jours de traitement,
un premier dosage plasmatique est effec-
tué pour adapter la posologie. Si le taux
est situé entre 130 et 250 ng/ml (imi-
pramine) ou 80 et 200 ng/ml (amitriptyline,
clomipramine), une réponse clinique
positive est probable, mais le rapport
entre la posologie et le taux plasmatique
varie plus chez le jeune que chez l’adulte.
L’arrêt du traitement est progressif car,
comme chez l’adulte, il y a un risque de
“rebond cholinergique”. En raison de
leur manque de maniabilité, les TCA ne
sont plus le traitement de première
intention chez l’adolescent déprimé.
Cette classe d’antidépresseurs conserve
40
es études contrôlées concernant
l’utilisation des antidépresseurs et
des thymorégulateurs chez l’ado-
lescent sont encore relativement rares.
Pourtant, ces produits sont de plus en
plus prescrits dans cette tranche d’âge.
Chez l’adolescent déprimé, l’efficacité
des inhibiteurs sélectifs de la recapture
de la sérotonine (ISRS) a récemment été
démontrée, ce qui n’est pas le cas
des antidépresseurs tricycliques (TCA),
traditionnellement prescrits.
Actuellement, les ISRS constituent le trai-
tement de première intention dans cette
indication. En ce qui concerne les troubles
bipolaires, les thymorégulateurs anti-
convulsivants représentent une alternative
intéressante au lithium. Dans tous les cas,
des interventions psychologiques et
sociales doivent être associées au traite-
ment médicamenteux, et la décision de
prescrire un psychotrope réfléchie et
discutée avec l’adolescent et sa famille.
L
Mise au point
Antidépresseurs et thymo-
régulateurs chez l’adolescent
N. Giraudeau*, F. Thibaut*
* Service hospitalo-universitaire de
psychiatrie, unité INSERM 9906,
CHU C. Nicolle et CH du Rouvray, Rouen.
Mise au point
cependant un intérêt en cas de comor-
bidité de la dépression avec l’énurésie ou
les troubles anxieux.
Les molécules
Imipramine : Tofranil®
Actuellement, en France, ce produit est
autorisé dans l’énurésie à partir de 6 ans
mais ne l’est pas dans la dépression au-
dessous de 15 ans. Dans les deux études
en ouvert concernant l’utilisation de
l’imipramine dans la dépression de
l’adolescent, une amélioration n’est
retrouvée que dans 44 % des cas (n = 34)
avec 4,5 mg/kg/jour (Ryan et al., 1986
cité par [2]) et dans 26 % des cas (n = 35)
avec 5 mg/kg/jour (Strober et al., 1990
cité par [2]). Le seul essai clinique ran-
domisé disponible (n = 63, 12-18 ans) a
montré que l’imipramine (posologie non
spécifiée), associée à une thérapie
cognitivo-comportementale (TCC), est
plus efficace que le placebo associé à
une TCC dans le traitement (sur
8semaines) de la phobie scolaire chez
des adolescents présentant anxiété et
dépression (augmentation de la fréquen-
tation scolaire et diminution des symp-
tômes dépressifs). Le taux d’effets secon-
daires est significativement plus élevé
dans le groupe imipramine que dans le
groupe placebo. Cependant, la mauvaise
observance n’est pas associée aux effets
secondaires mais à d’autres facteurs
(comorbidité, famille) (7).
Clomipramine : Anafranil®
Bien qu’il n’y ait pas d’étude contrôlée
rigoureuse avec la clomipramine dans la
dépression de l’adolescent, cette molécule
a été et reste encore largement utilisée en
France dans cette indication (l’AMM pour
les moins de 15 ans concerne cependant
uniquement l’énurésie). L’étude de Sallee
et al. (1997), citée par Geller et al. (8)
(EDM, n = 16, 14-18 ans), montre cepen-
dant une différence significative entre la
clomipramine en intraveineux (200 mg en
une dose de charge) et le placebo vis-à-vis
des symptômes dépressifs (à 6 jours sur
l’échelle de Hamilton). Les essais cliniques
avec cette molécule sont plus nombreux en
ce qui concerne les TOC chez l’adolescent.
On a pu, dans ce cas, démontrer une
efficacité supérieure au placebo
(De Veaugh-Geiss et al., 1992 cité par
[8]) (n = 50, 10-17 ans, 25 à 200 mg/jour).
Amitriptyline : Laroxyl®
C’est le seul, en France, qui dispose
d’une AMM pour les troubles dépressifs
avant 15 ans. Quatre essais contrôlés
versus placebo ont été réalisés sur de
petits échantillons d’adolescents dépri-
més : les résultats sont contradictoires.
Les études les plus anciennes (Lucas et
al., 1965 et Kramer et al., 1981) mon-
traient une efficacité supérieure ou égale
au placebo. Mais l’étude de Kye et al.
(1996), citée par Geller et al. (8) dans
l’EDM (n = 31, 12-17 ans, 5 mg/kg/jour,
10 semaines), et celle de Birmaher et al.
(1998), toujours citée par Geller et al.
(8) dans la dépression résistante à un
premier traitement antidépresseur par
TCA ou ISRS (EDM, n = 27, 12-18 ans,
maximum 5 mg/kg/jour, 10 semaines),
ne permettent pas de confirmer l’effica-
cité de l’amitriptyline chez l’adolescent.
Une amélioration est retrouvée sur certaines
échelles (CGI), mais la différence n’est
pas significative par rapport au placebo.
Désipramine : Pertofran®
Deux études citées par Geller et al. (8)
ont comparé la désipramine à un placebo
dans le traitement de la dépression de
l’adolescent : Kutcher et al. (1994),
(EDM, n = 60, 15-19 ans, 100-
200 mg/jour, 6 semaines) et Klein et al.
(1993), (EDM, n = 36, 225 mg/jour). Ils
ne retrouvent pas de différence significa-
tive sur le plan de l’efficacité. Dans les
dépressions atypiques, une étude récente
versus placebo n’a pas réussi à démontrer
l’intérêt de la désipramine dans cette
indication (9). Ce produit ne dispose pas
de l’AMM en France dans la dépression
de l’adolescent.
Maprotiline : Ludiomil®
Cet antidépresseur imipraminique est
une alternative possible dans le traite-
ment de la dépression chez l’adolescent.
Une seule étude en ouvert a été publiée
en 1983 (10), mais ses résultats n’ont pas
été confirmés par la suite par une étude
contrôlée. La forme galénique en sus-
pension buvable qui permettait d’ajuster
la posologie n’existe plus actuellement.
Aucune étude n’a été publiée concernant
les autres TCA (commercialisés en
France) chez l’adolescent.
Les IMAO
Les médicaments de cette classe sont très
peu prescrits en France (certains ne sont
plus commercialisés) en raison de leurs
effets secondaires, des interactions médi-
camenteuses nombreuses et des risques
vitaux en cas d’intoxication. Ces sub-
stances inhibent l’enzyme de dégradation
des monoamines et provoquent ainsi une
augmentation de concentration intra-
synaptique de l’ensemble des mono-
amines.
L’iproniazide (Marsilid®) est le seul
IMAO d’action irréversible encore com-
mercialisé. Il est prescrit en France dans
les épisodes dépressifs majeurs en
deuxième intention. Certaines règles
diététiques doivent être strictement res-
pectées avec ce produit (risque de crise
hypertensive avec les aliments riches en
tyramine). Il y a deux études non rando-
misées concernant l’utilisation de ces
IMAO dans la dépression de l’adoles-
cent. En 1988, Ryan, cité par Everett (4),
étudie 23 adolescents n’ayant pas répon-
du aux TCA et trouve une amélioration
dans 17 cas (mais pour 4 d’entre eux, les
règles diététiques n’ont pas été respec-
tées). Un patient a présenté une crise
hypertensive. Il conclut que les IMAO
peuvent être utiles dans cette indication,
mais que des études contrôlées sont
nécessaires (pour l’instant, aucune
publication n’en fait état). Il n’y a donc
pas d’argument pour prescrire ce type
d’antidépresseur chez l’adolescent.
Avec les IMAO sélectifs et réver-
sibles, la toloxatone (Humoryl®) et le
moclobémide (Moclamine®), aucun
régime spécifique n’est nécessaire. Les
deux disposent d’une AMM pour
l’EDM au-delà de 15 ans. Une étude
randomisée en double aveugle versus
placebo (11) a été réalisée sur un échan-
tillon de 20 adolescents de 9 à 15 ans
présentant un EDM. Le moclobémide
(sur 5 semaines de traitement) était
considéré comme efficace et bien toléré
chez l’adolescent. Par ailleurs, il pour-
rait avoir un intérêt dans les dépressions
atypiques de l’adolescent, mais aucune
étude contrôlée n’est disponible. Il
convient donc de rester prudent.
Les ISRS
Une efficacité démontrée chez
l’adolescent déprimé
Aux États-Unis, ces produits sont pres-
crits depuis le début des années 1990
41
Mise au point
Mise au point
Act. Méd. Int. - Psychiatrie (20), n° 2, mars 2003
dans la dépression de l’adolescent, car
de nombreuses études en ouvert suggè-
rent leur efficacité. La démonstration de
cette efficacité est cependant relative-
ment récente (publication d’une étude
contrôlée en double aveugle versus pla-
cebo concernant la fluoxétine en 1997).
Les ISRS sont, quant à eux, mieux tolérés,
et le risque létal en cas de surdosage est
moindre qu’avec les TCA. Aux États-
Unis, en dix ans, le nombre de prescrip-
tions a augmenté de façon significative.
En France, un seul ISRS (la sertraline)
dispose de l’AMM dans le TOC chez
l’enfant à partir de 6 ans depuis 2001.
Aucun n’a d’autorisation pour la dépres-
sion chez l’adolescent, mais la plupart des
ISRS sont prescrits dans cette tranche
d’âge.
En pratique
Un bilan préthérapeutique (poids, taille,
pouls, tension artérielle, bilan hépa-
tique) est conseillé. Un article récent
signale un risque de retard de croissance
sous ISRS. Le traitement doit être
institué à faibles doses et augmenté pro-
gressivement (le dosage plasmatique ne
se fait pas en pratique courante). Une
prise par jour est généralement possible,
ce qui améliore l’observance. La réponse
clinique est le plus souvent obtenue avec
la posologie minimale recommandée, et
il est conseillé d’attendre six semaines
pour conclure à l’inefficacité du produit
et en changer. Le risque principal est
celui d’un virage maniaque (surtout avec
la fluoxétine et la sertraline) ou d’un
syndrome sérotoninergique. Certains
effets secondaires sont retrouvés chez
10 à 20 % des adolescents : insomnie
initiale, symptômes gastro-intestinaux,
bouche sèche, prise de poids. Compte
tenu de l’inhibition du catabolisme
hépatique de certaines molécules par les
ISRS (interactions liées au cytochrome
P450) et de la forte liaison aux protéines
plasmatiques, il y a un risque d’augmen-
tation du taux sanguin de certains médi-
caments associés (benzodiazépines,
neuroleptiques, carbamazépine, etc.), ce
qui nécessite parfois de réduire leur
posologie. Bien que les effets de sevrage
soient rares à cet âge, il est conseillé
d’arrêter progressivement le traitement
par ISRS.
Les produits (tableau)
Fluoxétine : Prozac®
En France, la fluoxétine possède l’AMM
à partir de 15 ans pour l’EDM et le TOC.
Ce fut le premier ISRS étudié chez l’ado-
lescent. Depuis 1990, de nombreuses
études en ouvert suggèrent une efficacité
de ce produit dans l’EDM de l’adolescent
(5). En 1997, l’efficacité de la fluoxétine
est démontrée dans cette indication. La
différence est significative dès la
cinquième semaine du traitement, mais
les rémissions complètes restent rares
(31 %). Une étude multicentrique récente
(12) confirme ces résultats sur un large
échantillon de 219 patients (essai versus
placebo randomisé) à la même posologie.
La fluoxétine a fait l’objet d’essais cli-
niques dans d’autres indications chez
l’adolescent : le trouble dysthymique, le
TOC et l’association EDM et abus d’al-
cool.
Fluvoxamine : Floxyfral®
Seule l’indication EDM est actuellement
validée en France pour les plus de 15 ans
(posologie : 100 à 300 mg). Très peu
d’études concernent le traitement de la
dépression de l’adolescent avec ce pro-
duit. En 1994, une étude en ouvert sur un
petit échantillon suggérait que la flu-
voxamine était relativement bien tolérée
et diminuait significativement les symp-
tômes dépressifs, mais la plupart des
études réalisées avec la fluvoxamine
chez l’adolescent concernent les troubles
anxieux. Cheer et Figgitt (13) ont publié
une revue de la littérature à ce sujet : la
fluvoxamine est généralement bien tolé-
rée et a démontré à court terme une effi-
cacité comparée au placebo dans le trai-
tement du TOC, de la phobie sociale, de
l’angoisse de séparation ou de l’anxiété
généralisée. Sur le plan pharmacociné-
tique, l’absorption de la fluvoxamine est
identique chez l’adolescent et chez
l’adulte, ce qui suggère qu’entre 12 et
17 ans, on peut aller jusqu’à 300 mg/jour.
Chlorhydrate de paroxétine : Deroxat®
Ce médicament dispose de l’AMM chez
les plus de 15 ans pour l’EDM, les TOC,
la prévention des attaques de panique
avec ou sans agoraphobie, le trouble
d’anxiété sociale et le trouble anxieux
généralisé. Une étude récente randomi-
sée en double aveugle a permis de mon-
trer que la paroxétine est significative-
ment plus efficace que le placebo et
mieux tolérée que l’imipramine chez des
adolescents présentant une dépression
majeure. Bien que la clairance de la
paroxétine soit plus rapide chez l’ado-
lescent que chez l’adulte, l’administra-
tion en une prise quotidienne est suffi-
sante. Les posologies de 10 et 20 mg
sont généralement bien tolérées.
L’efficacité de la paroxétine dans le trai-
tement des TOC chez l’adolescent a été
rapportée dans une étude comparative
versus placebo, une étude ouverte non
comparative et dans plusieurs cas cli-
niques publiés. Les résultats sont égale-
ment encourageants chez l’adolescent
dans le trouble panique, la phobie sociale,
le trouble dysthymique et le syndrome
de Gilles de la Tourette.
Citalopram : Séropram®
C’est le plus récent des ISRS, dont
l’AMM en France concerne l’EDM et la
prévention des attaques de panique pour
les plus de 15 ans. L’analyse de la litté-
rature ne retrouve pas d’essai contrôlé
dans le trouble dépressif chez l’adoles-
cent. Une étude rétrospective suggère
une efficacité de la molécule sur les
symptômes dépressifs dans cette popu-
lation, mais un essai en ouvert chez des
patients présentant un syndrome de
stress post-traumatique n’a pas réussi à
montrer une amélioration des symp-
tômes dépressifs associés. Il semble
cependant que l’efficacité clinique et la
tolérance à long terme (1 à 2 ans) du
citalopram soient comparables aux
autres ISRS dans le TOC de l’adolescent.
Sertraline : Zoloft®
C’est actuellement en France le seul
ISRS qui possède une AMM entre 6 et
17 ans. Chez l’adulte, la sertraline est
indiquée dans l’EDM et le TOC, mais
chez l’enfant et l’adolescent, cette autori-
sation concerne uniquement le TOC.
Deux études randomisées en double
aveugle versus placebo ont montré son
efficacité dans cette indication à l’adoles-
cence. Dans l’épisode dépressif majeur et
les troubles dysthymiques, aucune étude
versus placebo n’a encore été publiée
mais deux études ouvertes suggèrent que
ce produit est efficace et bien toléré.
42
Mise au point
Mise au point
Les inhibiteurs non sélectifs de
la recapture de la sérotonine (INSRS)
Venlafaxine : Effexor®
La venlafaxine inhibe la recapture de la
sérotonine et de la noradrénaline, avec
peu ou pas d’affinité in vitro pour les
récepteurs muscariniques, histaminer-
giques ou α1 adrénergiques. Ses effets
secondaires dépendent des doses utilisées.
En France, l’AMM concerne l’EDM et
l’anxiété généralisée au-dessus de 18 ans.
La seule étude contrôlée disponible dans
l’EDM chez l’adolescent (14) ne montre
pas de différence d’efficacité significative
entre le placebo et la molécule (n = 33,
8-17 ans, 25 à 75 mg/jour sur 6 semaines,
CDI, CBCL, HAM-D, CDRS). Par
ailleurs, la venlafaxine a fait l’objet d’es-
sais cliniques dans le déficit de l’attention
avec hyperactivité, l’autisme ou les
troubles des conduites.
Milnacipran : Ixel®
Aucune étude n’a été publiée chez l’ado-
lescent pour ce produit, dont l’indication
concerne l’épisode dépressif majeur au-
delà de 15 ans.
Antidépresseur noradrénergique
et spécifique sérotoninergique (NaSSA)
Mirtazapine : Norset®
La notice officielle est moins explicite
que pour certains ISRS : il n’y a pas de
contre-indication chez les moins de
15 ans, mais comme la tolérance et l’ef-
ficacité n’ont pas été établies chez l’en-
fant et l’adolescent, la mirtazapine n’est
pas recommandée à cet âge. Grau
Martinez a réalisé une étude ouverte
(EDM, n = 20, 12-18 ans, 3 mois) qui a
été présentée à Glasgow en 1998. Il rap-
porte une amélioration significative des
symptômes dépressifs mais des effets
secondaires dans 50 % des cas (tremble-
ments, bouche sèche, constipation,
troubles du sommeil). Marcia L. Buck
suggère, dans un article récent (15),
d’utiliser la mirtazapine dans les dépres-
sions de l’adolescent associées à cer-
taines maladies chroniques, comme la
maladie de Crohn, en raison de la stimu-
lation de l’appétit. D’autres auteurs
(Posey et al. 2001 et Nguyen et Murphy
2001) ont tenté de prescrire la mirtaza-
pine pour améliorer les symptômes
associés aux troubles autistiques, mais
les résultats sont peu concluants.
Autres
Mianserine : Athymil®
Deux études en ouvert (Mouren et al. 1983
et Dugas et al. 1985 cités par [6]) ont sug-
géré l’efficacité de cette molécule dans les
états dépressifs de l’enfant et de l’adoles-
cent (152 sujets de 8 à 19 ans) et confirmé
sa bonne tolérance dans cette population
(absence d’effets anticholinergiques et
d’effets cardiotropes). Les rares effets
secondaires sont la somnolence (la pres-
cription vespérale paraît la plus appro-
priée) et la prise de poids. Il n’y a pas eu
pour l’instant d’étude en double aveugle
chez l’adolescent pour confirmer ces don-
nées. En ce qui concerne la posologie, elle
est comparable à celle de l’adulte (50 à
60 mg/jour), mais rappelons qu’en France,
l’âge inférieur à 15 ans reste une contre-
indication relative pour cette molécule.
Tianeptine : Stablon®
La totalité des études cliniques avec la
tianeptine ont été conduites chez des
patients de plus de 18 ans, et l’AMM en
France concerne les épisodes dépressifs
majeurs chez les plus de 15 ans.
Les thymorégulateurs
Il y a encore peu d’essais contrôlés avec
les thymorégulateurs chez l’adolescent.
En effet, la reconnaissance des troubles
bipolaires dans cette population est rela-
tivement récente. Par ailleurs, la déci-
sion d’un tel traitement (dont la prise
doit être régulière et à long terme) est
parfois difficile pour l’adolescent si un
de ses parents est lui-même traité par
lithium. On connaît les critères en faveur
d’un trouble bipolaire chez l’adolescent
lors d’un premier épisode dépressif (pré-
sence d’éléments psychotiques, antécé-
dents familiaux de troubles bipolaires,
virage de l’humeur sous traitement anti-
dépresseur). Pourtant, ce trouble
serait sous-diagnostiqué dans la popu-
lation adolescente et donc insuffisam-
ment traité (16). Par ailleurs, les indica-
tions des thymorégulateurs s’élargissent
actuellement aux troubles caractériels,
aux troubles des conduites avec agressi-
vité et à l’hyperactivité avec troubles de
l’attention.
Le lithium peut être utile chez
l’adolescent
Le lithium reste actuellement le traite-
ment de premier choix dans la préven-
tion des troubles maniaco-dépressifs
chez l’adulte. En outre, prescrit seul, il a
un effet antimaniaque et, en copres-
cription, il potentialise l’effet d’un trai-
tement par TCA dans les dépressions
résistantes. En France, le lithium n’a pas
d’AMM avant l’âge de 16 ans, mais aux
États-Unis, il est utilisé chez l’adoles-
cent avec des posologies adaptées. La
lithiémie recommandée est cependant
souvent plus élevée aux États-Unis
qu’en France. Chez l’adolescent bipolaire,
les données, issues d’études ouvertes et
d’une étude contrôlée (à court terme) en
double aveugle versus placebo (Geller et
al. 1998 cités par [3]) vont dans le sens
d’une efficacité du lithium sur les symp-
tômes maniaques et sur la prévention
des troubles bipolaires. L’étude de Geller
portait sur l’effet du lithium (0,9 mEq/l
sur 6 semaines) chez 25 adolescents
(12-18 ans) présentant un trouble bipo-
laire associé à un abus de substance. Le
lithium est significativement plus efficace
que le placebo sur les deux troubles
(CGAS). L’efficacité antiagressive du
lithium est connue chez l’adulte (17).
Une étude contrôlée récente chez
40 adolescents (10-17 ans) montre que
le lithium est plus efficace (à court
terme) que le placebo dans cette indica-
tion (Overt Aggression Scale) (18).
Les aspects pratiques du traitement
par lithium chez l’adolescent
Un bilan préalable est nécessaire (comme
chez l’adulte), et les bilans de surveillance
(fonction rénale, fonction thyroïdienne,
croissance) doivent être réalisés réguliè-
rement. Pour obtenir une lithiémie entre
0,5 meq/l et 0,7 meq/l, les posologies du
carbonate de lithium (Teralithe®250 mg)
sont légèrement supérieures à celles de
l’adulte, car sa clairance est plus élevée
chez les sujets jeunes. La posologie ini-
tiale conseillée est de 150 à 300 mg/jour
(3 à 4 prises/jour) en augmentant gra-
duellement tous les 5 à 7 jours. Les effets
secondaires (nausées, tremblements fins
des extrémités, sensation de fatigue mus-
culaire, syndrome polyuro-polydipsique,
aggravation de l’acné, etc.) et les signes
43
Mise au point
Mise au point
Act. Méd. Int. - Psychiatrie (20), n° 2, mars 2003
d’intoxication aiguë (tremblement qui
devient ample et irrégulier, dysarthrie,
troubles de la vigilance, etc.) doivent être
expliqués au patient et à sa famille.
L’adolescente doit être informée des
risques en cas de grossesse sous lithium
(1er trimestre) et de la nécessité d’une
contraception.
Les thymorégulateurs anticonvulsi-
vants représentent une alternative
intéressante
En 2000, Kowatch et al. (cités par [16])
publient une étude randomisée en ouvert
comparant lithium, divalproate de
sodium (Dépakote®) et carbamazépine
(Tégrétol®) sur six semaines chez
42 enfants et adolescents (de 8 à 18 ans)
présentant un trouble bipolaire I ou II
(DSM IV) pendant un épisode maniaque
ou mixte. Les trois molécules sont bien
tolérées et ont une efficacité significa-
tive, même si plus de 50 % des sujets ne
répondent pas à une monothérapie. Les
taux de réponse significative sur la CGI
et la Y-MRS suggèrent que le divalproate
de sodium est plus efficace (46 %) que
le lithium (42 %) et la carbamazépine
(34 %), mais la taille des échantillons est
trop faible pour atteindre le seuil de
signification. Une explication pourrait
être que la manie chez le jeune s’accom-
pagne souvent de symptômes mixtes, or,
chez l’adulte, le lithium est également
moins efficace dans cette indication. En
France, le divalproate de sodium
(Dépakote®) est commercialisé depuis
peu, mais le valpromide (Dépamide®)
est utilisé depuis plusieurs années
comme thymorégulateur.
Conclusion
Comme nous l’avons vu, les ISRS sont
désormais le traitement pharmaco-
logique de première intention d’un EDM
de l’adolescent, et les thymorégulateurs
anticonvulsivants sont de plus en plus
utilisés dans les troubles bipolaires à cet
âge. Cependant, il ne faut jamais négli-
ger le rôle important de l’environnement
familial et scolaire sur les symptômes
observés à cet âge. Le traitement anti-
dépresseur doit donc être associé aux
interventions psychosociales et, en particulier,
aux psychothérapies individuelles et
familiales. Certains auteurs, comme
Birmaher (19), insistent sur la nécessité
d’une approche multimodale dans la
prise en charge de la dépression chez
l’adolescent. La décision de prescrire un
psychotrope doit donc toujours être par-
ticulièrement réfléchie et discutée avec
le patient et sa famille. Il est parfois
nécessaire d’attendre quelques consulta-
tions avant de prescrire pour obtenir une
véritable adhésion, car la durée d’un trai-
tement antidépresseur est de plusieurs
mois. Cependant, la littérature reste très
limitée en ce qui concerne l’efficacité
des antidépresseurs pour prévenir la
rechute ou la récidive chez l’adolescent
(3). Il n’y a donc, pour l’instant, pas de
données précises sur la durée du traite-
ment médicamenteux d’un premier épi-
sode dépressif dans cette population
(entre 4 et 12 mois). En cas de dépression
résistante à un traitement bien conduit,
les alternatives aux ISRS sont actuelle-
ment limitées aux IMAO et à la sismo-
thérapie. De nouvelles études sont néces-
saires pour déterminer les stratégies thé-
rapeutiques les plus efficaces dans ce cas
chez l’adolescent. Les besoins actuels en
termes de recherche concernent égale-
ment le traitement des dysthymies et des
troubles bipolaires ainsi que l’évaluation
des traitements médicamenteux combinés
avec des interventions psychosociales.
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44
Mise au point
Mise au point
Échelles
BDI :
Beck Depression Inventory
CAPS-CA :
Clinician Administered Post traumatic Stress
Disorder Scale-Child and Adolescent version
CBCL :
Child Behavior Checklist
CDRS-R :
Children’s Depression Rating Scale-Revised
CGAS :
Children’s Global Assesment Scale
CGI :
Clinical Global Impression (-S : severity of illness ;
-I : improvement)
CY-BOCS :
Children’s Yale-Brown Obsessive Compulsive Scale
HAM-A :
Hamilton Anxiety Rating Scale
HDRS (HAM-D) :
Hamilton Depression Rating Scale
K-SADS-L :
Schedule for Affective Disorders and
Schizophrenia for Adolescents Lifetime version
NIMH GOCS :
National Institute of Mental Health
Y-BOCS :
Yale-Brown Obsessive Compulsive Scale
Y-MRS :
Young Mania Rating Scale
1 / 7 100%