La Lettre du Cardiologue - n° 353 - mars 2002
abaissement de la pression artérielle chez le sujet
hypertendu est une mesure efficace de la médecine
cardiovasculaire préventive. De nombreuses études
ont démontré que cet abaissement tensionnel était utile et ont tenté
de documenter plus précisément le type de patients chez lesquels
ce bénéfice pouvait être obtenu. Par ses conditions d’utilisation
chez des patients de tous âges, pour de très longues durées, en
association avec une grande variété d’autres médicaments – un
antihypertenseur doit faire preuve d'une innocuité quasi totale et
d’une tolérance subjective particulièrement marquée.
Quelques études récentes suggèrent qu’à baisse de pression iden-
tique, le bénéfice du traitement en termes de protection contre les
accidents cardiovasculaires peut différer selon le type de médi-
cament utilisé (1). Au cours de la dernière décennie, une contro-
verse s’est développée à propos des antagonistes calciques, à par-
tir d’une analyse rétrospective d’essais réalisés dans l’insuffisance
coronarienne (2) et d’une étude cas-contrôle basée sur la pres-
cription à titre antihypertenseur (hors recommandations officielles
d’ailleurs) de produits à courte durée d’action : nifédipine, dil-
tiazem et vérapamil (3). La controverse a persisté malgré la
conclusion “positive” de quelques grands essais prospectifs d’an-
tagonistes calciques réalisés dans l’insuffisance cardiaque
(PRAISE,V-HeFT III) et l’hypertension artérielle (STONE, HOT,
SYST-EUR, INSIGHT) (4). De fait, au cours de certaines études
prospectives menées sur l’hypertension artérielle, la survenue
d’accidents coronariens a semblé majorée dans les groupes rece-
vant un antagoniste calcique de type dihydropyridine par rapport
à ceux traités par diurétique (MIDAS, INSIGHT) ou par inhibi-
teur de l’enzyme de conversion de l’angiotensine, notamment
lorsqu’il existait un diabète sucré (FACET,ABCD). Divers méca-
nismes ont été invoqués pour expliquer cet effet délétère des dihy-
dropyridines : inotropisme négatif, atténuation des phénomènes
d'autorégulation en présence d’une baisse de pression, facilita-
tion des hémorragies ou des arythmies (2). Il a surtout été évo-
qué un effet pro-ischémique coronarien lié à l’association d’une
baisse de pression artérielle rapide et importante et d’une stimu-
lation des contrerégulations adrénergiques (5).
Au cours de ses quelque cinquante ans d’existence, un des pro-
grès indiscutables de la pharmacopée antihypertensive a consisté
en la mise au point de molécules bien tolérées par le patient. Cette
évolution semble culminer avec les antagonistes des récepteurs
de type I de l’angiotensine II, dont le bénéfice immédiatement
apparent par rapport aux inhibiteurs de l’enzyme de conversion
de l’angiotensine est une meilleure tolérance, pour une efficacité
qui semble quasi identique. Ainsi, une étude observationnelle
pragmatique suggère qu’un an après la prescription d’un médi-
cament antihypertenseur, deux tiers des patients persévèrent s’il
s’agit d’un antagoniste des récepteurs de l’angiotensine II, contre
un sur deux seulement si le traitement est un antagoniste calcique
(6). La mise sur le marché de la lercanidipine (7) donne l’occa-
sion de revenir sur quelques données concernant la tolérance de
cette classe de médicaments.
HÉTÉROGÉNÉITÉ DES ANTAGONISTES CALCIQUES
La découverte des antagonistes calciques par Fleckenstein est issue
de la recherche d’une alternative aux bêtabloquants comme anti-
angineux. Leur introduction dans le traitement de l’hypertension
artérielle s’est faite lentement, et les premiers essais contrôlés à
large échelle n’ont été réalisés qu’assez récemment. Trois groupes
de substances chimiquement dissemblables ont été utilisées dans
un but antihypertenseur, les phényalkylamines (vérapamil et
quelques autres non commercialisées en France), les benzothia-
zépines (diltiazem), et les dihydropyridines (nifédipine, puis de
nombreux dérivés). La classe pharmacologique des antagonistes
calciques comporte encore les tétralols, dont le chef de file (le
INFORMATION THÉRAPEUTIQUE
J. Ribstein*
Tolérance clinique des antagonistes calciques
*Service de médecine interne - Hypertension artérielle, CHU Lapeyronie,
34295 Montpellier Cedex 5.
13
Résumé
Les médicaments antihypertenseurs de la classe des antago-
nistes calciques forment un ensemble hétérogène réparti en
trois groupes inégaux : phénylalkylamines, benzothiazépines,
et surtout dihydropyridines. Leur utilisation est limitée par
la survenue d’effets indésirables, en règle rapidement per-
ceptibles par le patient, mais partiellement explicables par
le médecin. Des diverses molécules nouvelles étudiées ces
dernières années, peu ont été mises sur le marché. Le mibé-
fradil, une molécule originale n’appartenant pas à l’un des
trois groupes cités ci-dessus, a été rapidement retiré après la
survenue d’interactions médicamenteuses graves. La com-
mercialisation d’une nouvelle dihydropyridine, la lercanidi-
pine, est l’occasion d’un article sur la tolérance de cette
classe de médicaments.
L
La Lettre du Cardiologue - n° 353 - mars 2002
14
mibéfradil) a été retiré de la pharmacopée, et divers autres com-
posés comme les diphénylpipérazines (la flunarizine par exemple),
qui ne sont pas utilisés comme médicaments antihypertenseurs.
Vérapamil, diltiazem et nifédipine se lient tous à la sous-unité α1
des canaux calciques de type L, protéine formant le principal
constituant du pore membranaire par lequel passe le calcium dans
ces canaux (8). Les canaux de type L ont été isolés dans le muscle
cardiaque puis identifiés dans les muscles lisses vasculaires (arté-
riolaire, veineux), mais aussi dans les muscles lisses non vascu-
laires (bronchique, gastro-intestinal, génito-urinaire) et divers tis-
sus non contractiles. L’inhibition de l’entrée de calcium associée
à la dépolarisation membranaire (voltage-operated channel) induit
la relaxation musculaire qui participe à l’effet thérapeutique anti-
hypertenseur, mais aussi à un effet indésirable comme la dépres-
sion myocardique. Une stimulation de l’adénylate-cyclase ou de
l’une des kinases dépendant de l’AMP cyclique active les canaux
myocardiques, mais a un effet variable dans les autres sites en
fonction des conditions expérimentales. Les canaux L peuvent
ainsi être activés par les catécholamines, l’angiotensine II, l’en-
dothéline, ou diverses hormones.
Les antagonistes calciques se lient à des sites spécifiques de la
sous-unité α1 de ce canal L.
La liaison à son site d’une dihydropyridine est augmentée en pré-
sence de diltiazem et diminuée en présence de vérapamil. Le véra-
pamil est particulièrement actif sur les canaux qui s’ouvrent et se
ferment avec une grande fréquence, lesquels prédominent dans
le tissu nodal ; il est donc bradycardisant (9). In vitro, les dihy-
dropyridines se lient plus aux canaux des vaisseaux périphériques
qu’aux canaux myocardiques. Le diltiazem a des propriétés inter-
médiaires.
La biodisponibilité des antagonistes calciques est relativement
variable en fonction d’un effet de premier passage au niveau de
la paroi intestinale et du foie, où ils sont métabolisés par voie
oxydative dépendant du cytochrome P-450 CYP3A4. Selon les
produits, la dégradation inactivatrice du vérapamil est diminuée
avec l’âge, et augmentée chez la femme ; celle de nombreux anta-
gonistes calciques varie avec l’alimentation.
ACCEPTABILITÉ DES ANTAGONISTES CALCIQUES
ET QUALITÉ DE VIE
Les effets indésirables subjectifs affectent négativement la qua-
lité de vie, et sont probablement responsables d’une moindre
observance du traitement. La spécificité des symptômes associés
aux médicaments antihypertenseurs en général n’est pas facile à
appréhender, et diverses échelles d’évaluation de qualité de vie
ou désagrément symptomatique ont été proposées avec des résul-
tats volontiers variables d’une étude à l’autre (10). Plusieurs effets
indésirables ont été attribués aux antagonistes calciques
(tableaux I et II). De fait, ces derniers sont associés avec de forts
taux de discontinuation du traitement (11).
Céphalées, palpitations et bouffées vasomotrices peuvent surve-
nir de façon conjointe ou séparée, le plus souvent dès les premières
prises. Elles ont tendance à s’atténuer avec le temps, mais de façon
inconstante. Les fluctuations observées sont en partie explicables
par les variations de biodisponibilité. Les effets indésirables sont
typiquement associés à la prise de dihydropyridines, mais peuvent
survenir avec tout antagoniste calcique. Il existe pour chaque médi-
cament une relation entre l’incidence de ces effets et la dose.
L’augmentation progressive de dose est associée à une moindre
incidence, et permet éventuellement de trouver le meilleur rap-
port entre efficacité et tolérance. La pharmacocinétique des pre-
miers antagonistes calciques était marquée par une irruption sys-
témique du produit actif et une courte demi-vie, et divers systèmes
de libération prolongée ont été proposés pour obtenir une instal-
lation progressive de l’effet et sa prolongation sur 24 heures (nifé-
dipine-GITS : GastroIntestinal Therapeutic System,vérapamil-
COER : Controlled Onset Extended Release). Une réduction
significative des effets indésirables subjectifs a suivi la modifica-
INFORMATION THÉRAPEUTIQUE
Tableau I. Effets indésirables communément rapportés aux antago-
nistes calciques (AC).
EffetProduit habituellement incriminé
Cardiovasculaire
Hypotension Tous AC
Insuffisance cardiaque Vérapamil, diltiazem [tous AC in vitro]
Bradycardie Vérapamil, diltiazem [tous AC in vitro]
Trouble de la conduction Vérapamil > diltiazem
Céphalées AC d’action rapide
Tachycardie, palpitations AC d’action rapide
Bouffées vasomotrices (flush) AC d’action rapide
Œdèmes périphériques Tous AC [DHP > diltiazem, vérapamil]
Digestif
Constipation Vérapamil (diltiazem)
Diarrhée Tous DHP
Hyperplasie gingivale Tous DHP
Autres
Pollakiurie (nocturne) Tous AC
DHP : dihydropyridines ; D : diltiazem ; V : vérapamil.
Tableau II. Interactions médicamenteuses : effets potentiels des anta-
gonistes calciques sur d’autres médicaments dont ils augmentent la
concentration et/ou l’activité (8).
Produit incriminé Effet clinique
Vérapamil
Digoxine Toxicité digitalique
Vérapamil et diltiazem
Théophylline Toxicité
Carbamazépine Toxicité (céphalée, instabilité, dysarthrie)
Terfénadine Torsade de pointes
Cisapride Torsade de pointes
Quinidine Torsade de pointes
Statines Myopathie, rhabdomyolyse
Ciclosporine, tacrolimus* Néphrotoxicité
Bêtabloqueur (propranolol, Effet chrono-, dromo-, inotrope
métoprolol) négatif**
Antiprotéases VIH (indinavir…) Inconnu
* Interaction pharmacocinétique avec certaines dihydropyridines.
** Interaction pharmacodynamique avec tous les bêtabloquants.
La Lettre du Cardiologue - n° 353 - mars 2002
15
tion de la galénique de ces produits (10,12),et plus encore la mise
au point de nouvelles molécules lipophiles (7, 13).
De façon générale, l’incidence des céphalées, palpitations et bouf-
fées vasomotrices est sous-tendue par l’activation du système ner-
veux sympathique, elle-même liée à l’importance et à la rapidité
de la vasodilatation et des variations de pression artérielle induites
par les antagonistes calciques. De fait, la nifédipine à effet immé-
diat (sous forme de capsule) induit une diminution de la pression
artérielle grossièrement proportionnelle au niveau initial de pres-
sion, et une augmentation marquée de la fréquence cardiaque, des
taux plasmatiques de catécholamines et de l’activité du système
nerveux sympathique estimée par l’enregistrement microneuro-
graphique cutané ou musculaire. L’absorption est variable après
administration sublinguale, mais l’effet peut être brutal et asso-
cié à divers effets indésirables sérieux (ischémie cérébrale notam-
ment), et cette voie d’administration est formellement décon-
seillée dans le contexte des urgences hypertensives (ou prétendues
telles). Une revue systématique de plus de soixante études incluant
plus de 1 200 patients hypertendus concluait que les antagonistes
calciques à longue durée d’action activaient peu (pour les dihy-
dropyridines) ou pas (pour les non-dihydropyridines) le système
nerveux sympathique (14). Des études plus récentes chez le sujet
hypertendu ont montré qu’il n’y avait pas de stimulation des caté-
cholamines plasmatiques après un traitement de quatre à
six semaines par la nifédipine GITS (15) ou une dihydropyridine
lipophile (16),contrairement à ce qui était observé avec l’amlo-
dipine ou la félodipine.
LES ŒDÈMES ASSOCIÉS AUX ANTAGONISTES CALCIQUES
Il a été bien démontré que l’administration de vasodilatateurs
comme l’hydralazine (Nepressol®) ou le minoxidil (Lonoten®)
était associée à une tachycardie (par stimulation baroréflexe du
système sympathique) et à une rétention hydrosodée avec œdème
(par activation des systèmes adrénergiques et rénine). Par
contraste, il est apparu que les œdèmes associés à la prise d’an-
tagonistes calciques ne pouvaient être expliqués ni par leur effet
inotrope négatif éventuel, ni par une rétention sodée. De fait, l’ad-
ministration de tous les antagonistes calciques induit, de façon
plus ou moins marquée, un effet natriurétique, et, à l’inverse, l’ar-
rêt d’un traitement chronique peut être associé à un rebond anti-
natriurétique avec prise de poids, comme cela est observé pour
les diurétiques (17). Plusieurs travaux expérimentaux ont suggéré
un mécanisme direct au niveau de la microcirculation. Ainsi la
nicardipine et, à un moindre degré, le diltiazem induisent chez le
rat anéphrique un transfert transcapillaire de liquide et d’albu-
mine, un effet direct, qui est atténué par le blocage préalable de
l’action de l’angiotensine II (18). Diverses méthodes morpholo-
giques montreront ultérieurement que la nifédipine augmente la
fuite de liquide et d’albumine au niveau des veinules post-capil-
laires, le site même de l’œdème inflammatoire (19). La félodi-
pine entraîne chez le chat (et chez l’homme) une vasodilatation
plus importante en pré- qu’en post-capillaire, et par conséquent
une augmentation de la pression hydrostatique capillaire et un
flux net de liquide vers les tissus (20),une explication qui ne rend
cependant pas compte de la différence entre les molécules.
Quelques observations complémentaires ont été faites chez
l’homme. Différents antagonistes calciques diminuent la vaso-
constriction cutanée réflexe observée lors de l’orthostatisme au
niveau du pied (21),et l’altération de ce réflexe veino-artériel pour-
rait
être plus importante chez les patients qui développent un
œdème clinique.
Les œdèmes associés au traitement par antagoniste calcique, par
ailleurs peu prévisibles, sont donc probablement multifactoriels.
Leur incidence varie avec la molécule, et elle semble particuliè-
rement faible avec la lercanidipine. Sur la base d’une quarantaine
d’essais, l’incidence globale des effets indésirables imputés à
l’amlodipine, dihydropyridine de référence pour la tolérance car-
diovasculaire, est d’environ 30 %, dont environ 10 % d’œdèmes ;
dans les mêmes conditions, la fréquence des œdèmes périphé-
riques est évaluée à 14 % pour la nifédipine sous sa forme à libé-
ration prolongée, et 7 % pour la lacidipine, une dihydropyridine
lipophile (22). À partir d’une vingtaine d’études contrôlées, l’in-
cidence des œdèmes des chevilles est évaluée à moins de 1 %
pour la lercanidipine à la dose de 10 mg par jour (23). Dans l’étude
ELYPSE, dont le principe est de structurer la surveillance d’un
traitement par lercanidipine (10 à 20 mg) en pratique clinique
quotidienne, et qui porte sur près de 7 500 patients à six mois
(24),l’incidence des œdèmes malléolaires est de 1,1 %. La figure
illustre une étude préliminaire portant sur 115 patients dont le
traitement par dihydropyridine (amlodipine, nifédipine GITS,
nitrendipine, félodipine) était associé à un effet indésirable ; l’ad-
ministration de lercanidipine pendant quatre semaines est suivie
d’une réduction de moitié des effets indésirables spécifiques, les-
quels reprenaient dans les quatre semaines du retour au traite-
ment initial (25). Dans un autre essai incluant 60 patients hyper-
tendus suivis pendant douze semaines, le volume du pied et la
pression tissulaire sous-cutanée prétibiale (des index quantifiables
de l’effet pro-œdémateux) ont moins augmenté sous lercanidi-
pine (10 à 20 mg) que sous nifédipine GITS (30 à 60 mg) (26).
INFORMATION THÉRAPEUTIQUE
100
80
60
40
20
0Œdème
du mollet
Maux
de tête
Rougeurs
du visage
Effets indésirables
non spécifiques
Prévalence
État basal: amlodipine, nifédipine GITS,
nitrendipine, félodipine
Lercanidipine 10-20 mg pendant 4 semaines
Reprise du traitement
par la dihydropyridine initiale
Figure. La tolérance individuelle des dihydropyridines peut être amélio-
rée ; effet de la substitution d’une dihydropyridine par la lercanidipine
chez 115 sujets ayant au moins un effet secondaire lié au traitement anti-
hypertenseur par dihydropyridine (d’après Borghi 2000).
La Lettre du Cardiologue - n° 353 - mars 2002
16
CONCLUSION
La lercanidipine est un antagoniste calcique de type dihydropy-
ridine que certaines propriétés pharmacologiques, notamment sa
lipophilie et les conséquences cinétiques/dynamiques qui en
découlent, pourraient singulariser à l’intérieur d’un groupe thé-
rapeutique fourni, mais qui n’est pas sans poser problème. Si elle
se confirme, une tolérance remarquable pour ce groupe de médi-
caments pourrait conférer à la lercanidipine un atout particulier
sur le plan de l’observance.
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INFORMATION THÉRAPEUTIQUE
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© mai 1983 - EDIMARK S.A.
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