A C T U A L I T É Résultats d’un observatoire ORL des troubles de l’odorat, protocole AROME Olfactory disorders, results of AROME protocole ● C. Éloit1, D. Trotier2, P. Aubert3, J. Samson4, I. Chanal5, C. Arfi5, A. El Hasnaoui5, E. Serrano6 Résumé : L’olfaction de 436 adultes (âge médian : 47 ans) souffrant de troubles de l’odorat a été testée avec des capsules de cinq odeurs différentes. Les troubles de l’odorat avaient un impact négatif sur la qualité de vie de ces patients. Les étiologies les plus fréquentes des troubles de l’odorat étaient la polypose nasale, les rhinites, l’allergie et les sinusites aiguës. Les patients qui avaient une pathologie rhinosinusienne inflammatoire ont reçu une prescription de corticoïdes locaux ou généraux. Mots-clés : Odorat - Détection, identification des odeurs - Pathologie rhinosinusienne. Summary : A series of 436 adults with olfactory disorders is described (median age : 47 years). This disorder impaired the quality of life. The olfactory function was tested using five different odorants. The most frequent etiologies were nasal polyposis, rhinitis, allergy and acute sinusitis. The patients suffering from nasal inflammatory disease had a prescription based on local and general corticosteroids. Keywords : Olfactory disorders - Smell recognition - Rhinosinusal pathology. a place de l’odorat est très importante dans la vie quotidienne (1, 2). Les troubles de l’odorat affectent la qualité de vie des patients, avec en particulier une perte d’appétit entraînant un amaigrissement, mais parfois aussi un syndrome dépressif (3). L Certains troubles apparaissent à la suite d’un traumatisme crânien (8, 9) ou d’une intervention chirurgicale rhinosinusienne ou sur la base du crâne. Le tabac, certains médicaments et certaines substances toxiques peuvent déterminer des troubles de l’odorat plus ou moins réversibles (4, 10). Le trouble de l’odorat peut être quantitatif : il s’agit rarement d’une exaltation de l’odorat, ou hyperosmie, mais plus souvent d’une diminution de l’odorat, ou hyposmie, voire d’une anosmie, c’est-à-dire une perte complète de l’odorat. Le trouble de l’odorat peut aussi être qualitatif, avec perception d’une mauvaise odeur (cacosmie) ou distorsion de l’odeur (parosmie) (4). Les troubles de l’odorat peuvent résulter d’une dégradation du transport des molécules odorantes vers l’épithélium olfactif, d’une diminution du fonctionnement des neurones détecteurs ou bien d’une perturbation au sein du système nerveux central. Déterminer avec précision, pour chaque patient, la nature du trouble et son étendue nécessite une démarche expérimentale la plus rigoureuse possible. Elle doit tenir compte de la variabilité naturelle que l’on constate, pour les sujets sains, tant au niveau de la détection qu’au niveau de l’interprétation cognitive (par exemple, la reconnaissance des odeurs). À ce jour, il n’existe pas d’outil consensuel pour tester l’odorat en milieu clinique, ce qui explique que cet examen soit peu répandu en pratique clinique. Certains tests, par exemple celui conçu par C. Éloit et D. Trotier à l’hôpital Lariboisière, permettent d’estimer avec précision les seuils de perception et de reconnaissance de chaque patient et de les comparer aux valeurs de sujets sains (11), mais ils nécessitent une durée d’examen de l’ordre de 40 minutes. D’autres tests, comme Les étiologies des troubles de l’odorat sont dominées par les affections rhinologiques transitoires (rhinite aiguë) ou plus chroniques (polypose), qui représentent 35 à 67 % des causes (4-6). Les troubles de l’olfaction augmentent avec l’âge (7). 1. Service ORL, hôpital Lariboisière, Paris. 2. Laboratoire de neurobiologie sensorielle, Massy. 3. ORL, Garches. 4. ORL, Noisy-le-Grand. 5. Laboratoire GSK, Marly-le-Roi. 6. Service ORL, hôpital Rangueil, Toulouse. La Lettre d’Oto-rhino-laryngologie et de chirurgie cervico-faciale - no 273 - mai 2002 11 A C T U A L le test UPSIT (12) de l’université de Pennsylvanie, d’un usage très répandu aux États-Unis, sont basés sur l’identification des odeurs présentées. Ces tests sont limités par la difficulté naturelle à nommer les odeurs et, de plus, ne permettent pas de quantifier avec précision une baisse de la sensibilité olfactive. L’objectif principal de cette étude était de mesurer la concordance entre les résultats d’un test rapide de détection et de reconnaissance de quelques odeurs et le trouble de l’odorat exprimé par les patients venus consulter en ORL. Les objectifs secondaires étaient d’étudier les différentes pathologies impliquées dans ces troubles de l’odorat et d’évaluer le retentissement de ces troubles sur la qualité de vie des patients. PATIENTS ET MÉTHODES I T É Les patients devaient aussi préciser depuis combien de temps ils présentaient ce trouble de l’odorat, si le trouble était massif ou sélectif, s’il était gênant dans la vie quotidienne, s’il affectait les loisirs, les activités sociales, l’activité sexuelle, l’alimentation, la préparation des repas et/ou l’activité professionnelle. Le médecin posait ensuite des questions plus précises et notait le motif de consultation, les antécédents médicaux ou chirurgicaux, les symptômes rhinologiques, les données de l’examen rhinologique. Il faisait préciser l’ancienneté des troubles de l’odorat, leur caractère permanent ou intermittent, s’il s’agissait d’une dysosmie, d’une hyperosmie, d’une anosmie, d’une hyposmie, d’une parosmie, d’une cacosmie ou d’hallucinations olfactives, les traitements antérieurs, l’existence ou non de troubles du goût, de modifications du poids et, enfin, l’étiologie possible du trouble de l’odorat et le traitement éventuellement prescrit. Patients Il s’agit d’une enquête multicentrique transversale portant sur des patients de plus de 18 ans venus consulter en ORL pour un trouble de l’odorat et acceptant de participer à l’étude. Étaient exclus les patients soumis à un litige juridique ou les opposant à une compagnie d’assurances au sujet de leurs troubles de l’odorat et les patients déclarant une “allergie” ou hypersensibilité aux odeurs, constituant le syndrome “MCS”, ou Multiple Chemical Sensitivities, des Anglo-Saxons. Tests de l’odorat Cinq odeurs différentes étaient utilisées : banane, à quatre concentrations croissantes, vanille, menthe, lavande et citron à concentration unique. Ces odeurs étaient présentées adsorbées sur un substrat inodore dans de petites capsules. Cinq cents médecins ORL ont été contactés. Ils ont été tirés au sort, avec une stratification sur l’âge, le sexe et la région d’exercice, sur la liste de médecins ORL CEGEDIM. Chaque investigateur devait inclure le premier patient vu en consultation et déclarant un trouble de l’odorat, ainsi qu’un patient vu en consultation déclarant ne pas avoir de trouble de l’odorat, constituant ainsi un nombre équivalent de sujets de référence. Ce groupe de témoins ne sera pas développé dans cet article et fera l’objet d’un travail ultérieur. Le test commençait avec les capsules “banane” présentées dans l’ordre croissant de concentration et se poursuivait avec les quatre autres capsules. À chaque présentation, le patient devait indiquer s’il sentait ou non une odeur et devait nommer l’odeur en choisissant parmi une liste de 10 descripteurs proposés (banane, citron, menthe, lavande, vanille, rose, noix de coco, cassis, fenouil, muguet). La proportion de patients déclarant des troubles de l’odorat et dépistés par un test olfactif varie de 50 à 90 %. Le calcul statistique fait apparaître que, pour obtenir une précision de 5 % sur un pourcentage de 50 %, hypothèse maximaliste, il faut disposer de 385 patients. Compte tenu des difficultés prévisibles de recueil et d’exploitation des données, il a été décidé de contacter 500 centres investigateurs. Données recueillies Après acceptation du principe du protocole, les patients étaient invités à remplir un questionnaire précisant les données démographiques, la catégorie professionnelle et le mode d’habitat. Les patients remplissaient aussi l’échelle de qualité de vie SF36. Cette échelle est un instrument générique fondé sur la psychométrie et permettant de mesurer la qualité de vie liée à la santé du point de vue du patient (13). Dans l’étude, le retentissement sur la qualité de vie a été évalué à l’aide de cette échelle en 36 items, qui décrivent 8 concepts de santé : capacité physique, état physique, douleurs physiques, santé générale, vitalité, fonctions sociales, rôle émotionnel et santé mentale. 12 Les capsules étaient ouvertes et présentées au patient une par une, en respectant un temps de repos d’une minute entre chaque présentation. Méthodes statistiques L’analyse des données a été réalisée avec le logiciel SAS version 8.2 (SAS Institute, Cary, Caroline du Nord, États-Unis). La moyenne, la médiane, l’écart-type et les extrêmes ont été déterminés pour les critères quantitatifs. Les critères qualitatifs ont été résumés par leur effectif et leur fréquence. Les tests statistiques ont été réalisés au seuil de signification alpha = 0,05. RÉSULTATS L’étude a commencé le 9 mai 2001 et les inclusions ont été closes le 24 juillet 2001 ; 500 médecins ORL métropolitains ont reçu le matériel d’étude, 496 ont donné leur accord de participation et 444 ont participé. Au total, 436 patients se plaignant de troubles de l’odorat ont été inclus, constituant le groupe considéré dans ce travail. Description du groupe de patients Les caractéristiques démographiques des patients sont indiquées dans le tableau I. L’âge médian était de 47 ans, avec 44 % de patients âgés de plus de 50 ans. Les antécédents médicaux et chirurgicaux sont indiqués dans le tableau II. Il y avait 25 % d’antécédents d’atopie et 15 % d’antécédents de chirurgie rhinosinusienne. La Lettre d’Oto-rhino-laryngologie et de chirurgie cervico-faciale - no 273 - mai 2002 Tableau I. Caractéristiques démographiques et antécédents médicaux des patients. N = 436 Âge (ans) N Moyenne Écart-type Médiane Minimum Maximum 433 48 15,4 47 17 95 Sexe N Masculin Féminin 435 205 (47 %) 230 (53 %) Mode d’habitat N Urbain Rural 430 295 (69 %) 135 (31 %) Catégorie socioprofessionnelle (en %) Agriculteurs Artisans Cadres supérieurs Professions intermédiaires Employés Ouvriers Retraités Chômeurs Femmes au foyer Étudiants Autres Tabac N Fumeurs Nbre moyen cigarettes/j Ancienneté du tabagisme (ans) 3 8 15 8 21 5 17 2 10 5 3 429 101 (24 %) 13,4 ± 9,2 16,1 ± 9,6 Tableau II. Antécédents médicaux et chirurgicaux des patients. N = 436 Antécédents médicaux Antécédents chirurgicaux Les patients se déclaraient hyposmiques dans 58 % des cas, anosmiques dans 42 % des cas, dysosmiques dans 8 % des cas et moins de 1 % se plaignaient d’hyperosmie. Vingt-sept patients (6 %) se plaignaient de cacosmie, 13 (3 %) de parosmie. Enfin, 4 patients (< 1 %) se plaignaient d’hallucinations olfactives (le total est supérieur à 100 % car certains patients ne sentent plus certaines odeurs, alors que, pour d’autres, la perception est affaiblie ou distordue). Par ailleurs, l’intensité du trouble était évaluée pour l’ensemble des patients, avec les résultats suivants : 8 % léger, 36 % modéré, 36 % intense et 17 % très intense. Les symptômes rhinologiques les plus fréquents étaient l’obstruction nasale (67 %), la rhinorrhée (59 %), les éternuements (44 %) et les douleurs faciales (31 %). À l’examen des cavités nasales, les anomalies les plus fréquentes étaient les polypes (29 %) et l’œdème de la pituitaire (69 %). Qualité de vie La comparaison des résultats du questionnaire SF36 des patients de l’étude présentant des troubles de l’odorat et de ceux de la population générale a mis en évidence un impact réel sur la qualité de vie de ces patients, toutes étiologies confondues. La figure 1, qui présente les résultats au sein de ces deux populations, montre que les résultats de la population générale sont signi- Dont contemporains au trouble Terrain atopique Traumatisme crânien Endocrinopathie Antécédents psychiatriques Trouble cognitif Insuffisance hépatique Insuffisance rénale 106 (25 %) Anesthésie générale Anesthésie locale Chirurgie rhinosinusienne Chirurgie de l’étage moyen de la face Neurochirurgie 234 (54 %) 211 (51 %) 5 2 66 (15 %) 4 5 3 1 2 34 (8 %) 23 (5 %) Symptômes et signes rhinologiques Parmi les 436 patients, le trouble de l’odorat était le motif principal de la consultation ORL dans 36 % des cas. Il a été spontanément signalé dans 45 % des cas et a été découvert lors de l’interrogatoire dans 19 % des cas. Le trouble de l’odorat était permanent pour 68 % des patients et s’était installé progressivement dans 73 % des cas. L’ancienneté des troubles était en moyenne de 4 ans 4 mois (écart-type 7,5 ans). La moitié des patients souffraient de ce trouble depuis plusieurs années, et un tiers depuis quelques mois. 6 (1 %) 10 (2 %) 4 3 0 Figure 1. Résultats du questionnaire SF36. CP = capacité physique, EP = état physique, D = douleurs physiques, S = santé générale, V = vitalité, FS = fonction sociale, RE = rôle émotionnel, SM = santé mentale. La Lettre d’Oto-rhino-laryngologie et de chirurgie cervico-faciale - no 273 - mai 2002 13 A C T U A L Tableau III. Pourcentage de patients souffrant d’un trouble de l’odorat limités dans leurs activités. Peu ou pas du tout limités (%) Très limités (%) Loisirs 62 15 Activités sociales 64 12 Activité sexuelle 73 5 Alimentation 28 47 Préparation des repas 27 47 Activité professionnelle 54 9 14 I T É ficativement supérieurs à ceux de la population présentant des troubles de l’odorat, et ce dans chacune des 8 dimensions. Par ailleurs, la gêne occasionnée par les troubles de l’odorat dans la vie quotidienne était cotée en moyenne à 53,1 ± 26,8 mm sur une échelle visuelle analogique de 100 mm. Le tableau III indique les résultats de l’enquête sur le retentissement du trouble de l’odorat dans diverses circonstances de la vie quotidienne. Tests de l’odorat Les résultats des tests de perception et de reconnaissance des odeurs sont indiqués dans les figures 2, 3, 4 et 5. Dans tous les cas, les patients ont eu plus de difficulté à reconnaître l’odeur qu’à la détecter : 83 % des patients ont détecté une odeur sur au moins l’une des capsules à arôme banane, alors que seulement Figure 2. Résultats exprimés en pourcentages du test de détection des capsules banane à 0,1 % (n° 1), odeur la plus diluée, 1 % (n° 2), 10 % (n° 3) et 20 % (n° 4). Figure 3. Résultats exprimés en pourcentages du test d’identification des capsules banane à 0,1 % (n° 1), 1 % (n° 2), 10 % (n° 3) et 20 % (n° 4). Seuls les patients qui avaient perçu une odeur étaient invités à l’identifier. Figure 4. Résultats exprimés en pourcentages de la détection et de la reconnaissance de l’odeur des capsules de vanille, menthe, lavande et citron. Figure 5. Résultats exprimés en pourcentages de la reconnaissance de l’odeur des capsules de vanille, menthe, lavande et citron. Seuls les patients qui avaient perçu une odeur étaient invités à l’identifier. La Lettre d’Oto-rhino-laryngologie et de chirurgie cervico-faciale - no 273 - mai 2002 53 % des patients ont correctement identifié la banane sur au moins une des 4 capsules ; 88 % des patients détectent au moins une odeur parmi les 4 capsules à la vanille, la menthe, la lavande et le citron, et seulement 68 % des patients identifient correctement au moins l’une de ces odeurs. Étiologies des troubles de l’odorat Pour 87 % des patients, l’investigateur a relié le trouble de l’odorat à une étiologie (tableau IV). Ce diagnostic étiologique était basé essentiellement sur l’interrogatoire (80 %) et sur l’examen clinique (76 %). Le praticien a eu recours à un scanner des sinus dans 35 % des cas, à une radiographie standard des sinus dans 20 % des cas, à des tests allergologiques cutanés dans 20 % des cas et à des tests allergologiques sériques dans 19 % des cas. Les étiologies les plus fréquentes étaient la polypose nasosinusienne : 95 cas (22 % des patients), la rhinite : 71 cas (16 %), l’allergie nasosinusienne : 70 cas (16 %) et la sinusite aiguë : 36 cas (8 %). Une virose (grippe, rhinite ou autre) a été invoquée dans 22 cas (6 %), un traumatisme crânien récent dans 6 cas. Il n’y a eu que quatre cas de cause possiblement toxique et trois cas rapportés à l’âge. Certaines affections, classées sous “divers” dans le tableau IV , ne sont représentées chacune qu’un petit nombre de fois : grossesse, diabète... Ces affections sont très nombreuses (70 patients), ce qui indique la grande variété des étiologies possibles des troubles de l’odorat. Les patients avec des pathologies aiguës (rhinite, sinusite, virose) et chroniques (polypose, obstruction nasale chronique, sinusite chronique...) détectaient et identifiaient moins bien les odeurs que les patients avec des étiologies de type allergie. Traitements Sur les 436 patients, 140 avaient déjà reçu un traitement. Il s’agissait essentiellement d’une corticothérapie locale (117 patients, 27 %) ou générale (52 patients, 12 %), ou d’un antihistaminique (45 cas, 10 %). Parmi les autres médications prescrites, citons les antibiotiques (24 cas), les oligo-éléments (5 cas), les vitamines (4 cas), un vasoconstricteur (14 cas). À l’issue de la consultation, un traitement a été proposé à 368 patients (85 %), essentiellement des corticoïdes locaux (326 fois, 75 % des patients) et/ou généraux (108 fois, 25 % des patients), des antihistaminiques (124 fois, 28 %), des antibio- Tableau IV. Étiologie des troubles de l’olfaction chez 376 patients (le total est supérieur au nombre de patients car plusieurs étiologies peuvent être évoquées chez un même patient). Rhinite allergique 71 Affection rhinosinusienne aiguë Rhinite Rhinosinusite aiguë 51 36 Affection rhinosinusienne chronique Polypose Autre cause d’obstruction nasale Sinusite chronique Tumeurs des fosses nasales et sinus Postopératoire 95 15 10 1 5 Virose 22 Traumatisme crânien 6 Exposition à des toxiques 4 Grossesse 1 Âge 3 Divers 70 tiques (62 fois, 14 %) ou des vasoconstricteurs (33 fois, 8 %). Les prescriptions d’oligo-éléments (11 fois) et de vitamines (13 fois) étaient plus rares (tableau V). COMMENTAIRES Le trouble de l’odorat est difficilement objectivable, et encore plus difficile à quantifier. Dans l’étude présentée ici, des patients se présentant comme anosmiques, c’est-à-dire disant à l’interrogatoire qu’ils ne percevaient plus aucune odeur, détectaient en fait l’odeur de certaines des capsules présentées. Pour confirmer un trouble de l’odorat, alors que l’interrogatoire est particulièrement difficile et pauvre dans ce domaine, il est donc indispensable de posséder un moyen de le quantifier, au moins globalement. Le kit utilisé dans ce travail permet une évaluation du seuil de détection avec les capsules contenant l’odeur de banane à différentes concentrations et une évaluation de la capacité d’identification du sujet, en lui proposant quelques odeurs bien connues : vanille, menthe, lavande et citron. Dans tous les cas, l’identification d’une odeur est plus difficile, en particulier s’il y a un Tableau V. Traitements les plus prescrits à la fin de la consultation, en fonction de l’étiologie des troubles de l’odorat. Affection rhinosinusienne aiguë N = 51 Affection rhinosinusienne chronique N = 178 Rhinite allergique N = 71 Autres N = 37 Corticoïdes locaux 65 % 82 % 87 % 43 % Corticoïdes généraux 24 % 37 % 10 % 5% 6% 25 % 6% 0 10 % 25 % 72 % 11 % Antibiotiques Antihistaminiques La Lettre d’Oto-rhino-laryngologie et de chirurgie cervico-faciale - no 273 - mai 2002 15 A C T U A L trouble de l’odorat, et donc plus discriminante que sa détection. Ce test, avec 8 capsules en tout, associant détection et reconnaissance, est un test plus rapide que ce qui a pu être proposé par d’autres auteurs. Il est bien sûr moins précis que le test proposé par C. Éloit et D. Trotier (11) ou que le test UPSIT proposé par l’université de Pennsylvanie (12), mais il se révèle suffisant pour une estimation de la perte de l’odorat, et pourrait permettre un suivi quantifiable de l’évolution éventuelle de cette baisse d’acuité. La répartition des étiologies observées dans cette étude est analogue à celle d’autres séries présentées par des ORL, avec une majorité d’affections nasosinusiennes, aiguës ou chroniques. Cowart et al. (14) notent que 23 % des patients souffrant d’une rhinite allergique présentent une hyposmie, contre 2,5 % des sujets témoins. Ces mêmes auteurs évaluent à 43 % la proportion de ces patients souffrant de sinusite ou de polypes, contre 14 % des sujets témoins. Apter et al. (15) suggèrent que les troubles de l’odorat sont favorisés par les processus allergiques : 71 % des patients consultant pour troubles de l’odorat ont des tests cutanés positifs. Didier et al. (16) rapportent que 37 % des patients atteints de rhinite allergique saisonnière ou perannuelle signalent des troubles de l’odorat. Dans notre série, 25 % des patients qui avaient un trouble de l’odorat avaient une atopie confirmée. Enfin, pour Bonfils et al. (17), l’anosmie est présente chez 58 % des patients ayant une pansinusite bilatérale. Dans notre série, chez 36 patients (8 %), le trouble de l’odorat était contemporain d’une sinusite aiguë et, chez 10 autres, le trouble était rapporté à une rhinosinusite chronique. Dans notre série, nous avions 6 cas de troubles de l’odorat rapportés à un traumatisme crânien (1 %) ; ce chiffre peut atteindre 19 % dans des séries présentées par des neurologues, dont les circuits de recrutement sont différents (4). De même, les causes toxiques ne sont pratiquement retrouvées que dans certaines séries émanant de consultations de médecine générale ou de médecine du travail (4, 10). Il est vraisemblable que ce trouble n’est pas recherché de façon systématique par l’interrogatoire dans bon nombre de travaux. Il s’agirait de toute façon d’un diagnostic d’exclusion, faute de preuves. Les endocrinopathies (5 %, n = 23 dans notre groupe) constituent également des causes possibles de troubles de l’odorat, surtout lorsque l’installation est progressive. Le classique syndrome de Kallmannde Morsier associe un hypogonadisme et, en principe, une anosmie. En fait, la plupart des patients souffrent d’une hyposmie plus ou moins prononcée, mais ancienne. Une hypothyroïdie ou un diabète peuvent également s’accompagner de dysosmies progressives. Les troubles de l’odorat ont un retentissement négatif sur la qualité de vie (1, 2). Ils limitent certaines activités, en particulier l’alimentation personnelle et familiale dans près de 50 % des cas (et plus particulièrement l’alimentation et la préparation des repas). Cela peut avoir des répercussions sur l’appétit. Pour 9 % de patients, il s’agissait d’un trouble ayant des conséquences professionnelles dans des métiers en relation avec les parfums et 16 I T É l’industrie agro-alimentaire. Dans notre série, il y avait 4 % d’anorexiques et 11 % de dépressifs. Le traitement privilégie les corticoïdes locaux, que ce soit dans les rhinosinusites aiguës ou chroniques et dans les rhinites allergiques. CONCLUSION Un kit de détection et d’identification des odeurs utilisant seulement 8 capsules, donc rapide, permet une première approche quantitative des troubles de l’odorat. Les étiologies des troubles de l’odorat chez des patients venus consulter un ORL sont dominées par les affections rhinologiques. Les troubles de l’odorat ont un retentissement sur la qualité de vie de ces patients. ■ R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S 1. Nallet P, Vacher de la Pouge D, Baudry M. Rôle et importance des odeurs dans le comportement de l’homme. Parfums, cosmétiques, arômes 1985 ; 65 : 51-60. 2. 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