DROIT MÉDICAL Information de la personne malade en ORL et en chirurgie cervico-faciale en France : pourquoi, quand et comment ? Information in otorhinolaryngology Head and Neck Surgery in France: when, why and how? O. Laccourreye1,2, A. Werner1, R. Cauchois1,3, L.M. Raingeard de la Blétière4, F. Lagemi5 E 1 Université Paris-Descartes, ­Sorbonne Paris-Cité, service d’ORL, HEGP, Paris. 2 Expert judiciaire près le tribunal de grande instance de Paris. 3 Expert près les assurances. 4 Magistrat, tribunal de grande ­instance de Paris. 5 Magistrat, cour d’appel de ­Versailles. n France, comme dans de nombreux pays occidentaux, le passage au xxie siècle a été marqué, dans le domaine de l’information médicale de la personne malade, par la disparition du concept aristotélicien qui régissait classiquement les rapports entre soignés et soignants. Ce très ancien concept faisait schématiquement du soignant un “sachant” empreint de bonté, de sagesse et d’humanisme, et du soigné un être qu’il convenait de protéger en le maintenant dans un certain degré d’ignorance car il était considéré comme incapable de comprendre les subtilités de la médecine et trop faible psychologiquement pour pouvoir participer à la décision médicale. Les scandales médicaux survenus au décours de la Seconde Guerre mondiale et dans la deuxième partie du xxe siècle, le développement des versants commerciaux et médiatiques de la médecine, l’accès aisé et rapide à l’information médicale (Internet), l’individualisme grandissant au sein des sociétés occidentales et l’apparition d’un droit au savoir combiné à la judiciarisation de la relation médicale sont les principaux éléments qui ont fait voler en éclat cette conception ancienne, qui a progressivement laissé place au partenariat. Dans cet article, les auteurs présentent et discutent les principaux éléments qui permettent au praticien de savoir pourquoi, quand et comment informer la personne malade atteinte d’une affection oto-rhinolaryngologique ou cervico-faciale. 28 | La Lettre d’ORL et de chirurgie cervico-faciale • n° 330 - juillet-août-septembre 2012 Pourquoi informer la personne malade ? L’information de la personne malade est une obligation qui s’impose à tout oto-rhino-laryngologiste. Cette obligation relève des obligations de conscience ou d’éthique médicale auxquelles le médecin est tenu. Avant la réalisation de tout traitement, le médecin doit, en effet, recueillir le consentement du patient, auquel il est reconnu le droit de savoir et de consentir librement aux soins qui lui sont proposés et, a contrario, de les refuser. Cette obligation de recueillir le consentement du patient est imposée “par le respect de la personne humaine”, et sa violation constitue “une atteinte grave aux droits du malade”, ainsi qu’en avait décidé la Cour de cassation dans un arrêt de la chambre des requêtes du 28 janvier 1942, dit arrêt Teyssier. L’information est aussi, et en premier lieu pour l’oto-rhino-laryngologiste comme pour tout médecin, un devoir déontologique prévu à l’article 35 du code de déontologie médicale, qui précise que “(…) le médecin doit à la personne qu’il examine, qu’il soigne, ou qu’il conseille, une information loyale, claire et appropriée sur son état, les investigations et les soins qu’il lui propose. Tout au long de la maladie, il tient compte de la personnalité du patient dans ses explications et veille sur leur compréhension (…)”. La jurisprudence avait fait de l’information une obligation contractuelle découlant du contrat Résumé À partir d’une revue de la littérature médicale publiée ces 30 dernières années et indexée (moteur de recherche : PubMed) ainsi que des principaux textes juridiques, les auteurs analysent l’évolution de la pratique de l’information médicale de la personne atteinte d’une affection dans le domaine de l’oto-rhinolaryngologie et de la chirurgie cervico-faciale en France. Mots-clés Information médicale Consentement éclairé conclu entre le médecin et le malade. L’article L1111-2 du code de la santé publique, issu de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, en fait une obligation légale intégrant la notion de droits, l’alinéa 1er du texte sus-cité posant le principe que “toute personne a le droit d’être informée sur son état de santé” (1). Il est intéressant de constater que l’analyse de la littérature médicale scientifique fait apparaître une concordance entre l’esprit actuel de la loi et le désir de la très grande majorité des personnes malades qui consultent un praticien. Deux études anglo-saxonnes ont ainsi souligné que l’information sur les risques thérapeutiques est le premier des points que les malades souhaitent voir abordé par le chirurgien lors d’une consultation pré­opératoire (2, 3). En pathologie rhino-sinusienne, une étude nord-américaine récente souligne que le souhait de la personne malade d’être informée des risques inhérents à l’acte chirurgical envisagé augmente si celle-ci est d’origine caucasienne, jeune, ou a un niveau élevé d’éducation (4). La sévérité de la complication encourue et l’incidence de celle-ci sont des éléments qui interviennent dans la demande d’information (5). Ainsi, avant une chirurgie endoscopique des sinus de la face, le pourcentage de personnes malades qui souhaitent être informées du risque de survenue d’une complication passe de 43 % si l’incidence de la complication encourue est inférieure ou égale à 1/1 000, à 69 % si l’incidence est comprise entre 1/1 000 et 1/100, pour atteindre 90 % lorsque l’incidence est de 10/100 (5). Cette attente augmente avec la sévérité de la complication potentielle encourue, et ce sans que son incidence intervienne : 83 % des malades souhaitent être informés des risques de fuite de liquide céphalorachidien et d’atteinte orbitaire (5). L’évolution des motifs qui conduisent à la mise en cause médico-légale des soignants est enfin le dernier élément qui participe à la nécessité d’informer la personne malade. Ainsi en 2009, aux États-Unis, le défaut d’information sur les risques encourus en cas d’acte médical invasif, qu’il soit à visée diagnostique (ponction, biopsie, cathétérisme, injection de produit de contraste, etc.) ou à visée thérapeutique (prise médicamenteuse, manipulation, acte chirurgical, etc.), est devenu, avec les séquelles et le retard diagnostique, une des trois principales raisons de la mise en cause d’un soignant (6). En Allemagne, en 1999, une étude analysant plus de 21 000 complications a souligné l’augmentation exponentielle des mises en cause en rapport avec la chirurgie de la glande thyroïde au décours de la période 1975-1998, avec un défaut d’information identifié dans 11 % des cas (7). En France, en 2005, l’analyse des litiges portés devant la Cour de cassation entre 1990 et 2004 fait apparaître que la délivrance d’une information de qualité à la personne malade sur les risques encourus permet d’éviter 90 % des contentieux portés devant cette cour (8). Tous ces éléments donnent à penser que le souhait de la personne malade d’être informée est actuellement intense ; ils traduisent l’évolution de nos sociétés modernes, qui ont fait du “droit au savoir” un élément primordial de la relation soigné-soignant. Summary Based on a review of the legal and scientific medical litterature (PubMed analysis), the authors analyse and discuss the evolution of the medical information delivered in France to patients with an otorhinolaryngeal or head and neck disease. Keywords Medical information Informed consent Quand informer la personne malade ? L’information de la personne malade est un devoir constant qui s’intègre à tous les temps de la relation soigné-soignant. Et la loi du 4 mars 2002 (article L1111-2 du code de la santé publique) impose que le médecin informe la personne malade sur “(...) les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu’ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus (…)” (1). Les risques “normalement prévisibles” sont, comme l’a écrit le conseiller à la Cour de cassation Sargos : “(...) les risques de nature à avoir des conséquences mortelles, invalidantes, ou même esthétiques graves compte tenu de leurs répercussions psychologiques ou sociales (...)” (9). La jurisprudence a considéré que le praticien devait porter à la connaissance du patient tous les risques d’un acte médical, y compris les risques exceptionnels, étant toutefois précisé qu’il ne peut s’agir que des risques connus en l’état des données acquises de la science à la date de cet acte. Et la formulation de l’article L1111-2 du code La Lettre d’ORL et de chirurgie cervico-faciale • n° 330 - juillet-août-septembre 2012 | 29 DROIT MÉDICAL de la santé publique n’a pas modifié la jurisprudence antérieure puisque les travaux parlementaires ne révèlent pas la volonté du législateur de revenir sur celle-ci, que la notion de risque normalement prévisible renvoie à celle de risque connu, et qu’un risque exceptionnel reste normalement prévisible pour un professionnel de santé. Cette obligation d’information est aussi à “exécution successive”, ce qu’illustre la nécessité d’informer la personne malade non seulement sur ce dont elle souffre (les résultats d’examens complémentaires en font partie), mais aussi sur l’évolution possible de sa pathologie (en particulier au cours de la phase postopératoire). Pour le législateur et le magistrat, moins la nécessité de l’acte médical – qu’il soit à visée diagnostique ou thérapeutique – s’impose, plus l’obligation et l’étendue de l’information se trouvent renforcées. Ce concept s’applique tout particulièrement au domaine de l’ORL qui, sans générer des actes médicaux diagnostiques ou thérapeutiques dits de “confort”, est une spécialité médicale où les situations cliniques d’urgence sont exceptionnelles, alors que très nombreuses sont les situations cliniques où plusieurs options peuvent être proposées à la personne malade. Et si les soins délivrés font partie d’une action de recherche, qu’elle soit clinique ou fondamentale, l’obligation d’informer se trouve encore plus renforcée (10). Le législateur considère ainsi que le médecin permet à la personne malade de comprendre et d’intégrer les soins proposés, afin de l’aider à prendre la décision la plus conforme à ses intérêts. Et à ses yeux, la mise en place d’un tel partenariat contribue à la recherche d’une médecine de qualité optimale. En France, l’information de la personne malade a pris un relief particulier aux yeux de l’oto-rhinolaryngologiste depuis que 2 décisions majeures ont été prises par la Cour de cassation. La première a trait à la preuve de l’exécution de l’obligation d’information. Depuis l’arrêt du 25 février 1997 dit Hedreul, le patient est dispensé de rapporter la preuve de l’inexécution de cette obligation. Il lui suffit d’affirmer qu’il n’a pas été informé pour que le médecin soit tenu d’apporter la preuve contraire, et ce par tous moyens. Cet arrêt a donc renversé la charge de la preuve en matière d’information médicale. La seconde décision est relative au préjudice lié au non-respect de l’obligation d’information. En effet, il était traditionnellement admis que la responsabilité du praticien ne pouvait être engagée sur ce fondement que si le patient démontrait l’existence d’un préjudice que lui avait causé l’absence d’infor- 30 | La Lettre d’ORL et de chirurgie cervico-faciale • n° 330 - juillet-août-septembre 2012 mation ; ce préjudice s’analysait comme une perte de chance d’avoir pu refuser le traitement proposé et, donc, d’éviter le risque réalisé, et faisait l’objet d’une indemnisation proportionnelle à la chance perdue, à condition toutefois que celle-ci soit réelle et sérieuse, la preuve de cette chance perdue incombant au patient. Or, dans un arrêt du 3 juin 2010, la Cour de cassation a rappelé au visa des articles 16, 16-3 et 1382 du code civil, que “(...) toute personne a le droit d’être informée préalablement aux investigations, traitements ou actions de prévention proposés, des risques inhérents à ceux-ci et que son consentement doit être recueilli par le praticien, hors le cas où son état rend nécessaire une intervention thérapeu­ tique à laquelle elle n’est pas à même de consentir” et précisé en outre que “le non-respect du devoir d’information qui en découle cause à celui auquel l’information était légalement due un préjudice que le juge ne peut laisser sans réparation (...)”. Cet arrêt permet de considérer que, d’une part, l’obligation d’information a acquis une véritable autonomie puisqu’elle est sortie du champ contractuel et que, d’autre part, sa non-exécution génère automatiquement un préjudice susceptible d’être qualifié de “préjudice moral”, que le juge sera en tout état de cause tenu d’indemniser, ce même si la réalisation de l’acte technique de soin n’a entraîné aucun dommage et/ou s’il apparaît que, dûment informé, le patient n’aurait pas opté pour une autre solution thérapeutique que celle réalisée (par exemple, en ORL : un appareillage au lieu d’une stapédectomie dans le cas d’une otospongiose, un traitement local au lieu d’une ethmoïdectomie devant une polypose nasale ou une cordectomie laser au lieu d’une radiothérapie en présence d’un cancer de la corde vocale classé T1). Ces 2 arrêts imposent de bien connaître les éléments qui permettront au magistrat, lors de la mise en cause d’un praticien, de décider si l’information délivrée avant les soins a bien été réalisée par le soignant de manière loyale, claire et adaptée. Dans ce domaine, le point clé est de savoir qu’il n’existe pas d’élément formel de preuve et que la décision du magistrat repose toujours sur un faisceau d’indices devant constituer des présomptions suffisamment précises, graves et concordantes dont la recherche s’impose à l’expert mandaté. Le premier de ces éléments de preuve, et sans conteste le plus important aux yeux de la loi, est la parole de la personne malade qui peut, lors de la réunion expertale, reconnaître qu’elle a été correctement informée par le soignant. Ce dernier doit cependant comprendre que cette situation DROIT MÉDICAL est rarement rencontrée, et ce principalement en raison d’un défaut de mémorisation par la personne malade de l’information qui lui a été délivrée. Ainsi, dans notre spécialité, le taux moyen de mémorisation des risques chirurgicaux encourus, avant un acte chirurgical programmé, varie de 37 % en chirurgie plastique esthétique à 39,1 % en chirurgie des glandes thyroïde et parotides, pour atteindre à peine 54 % en chirurgie otologique (11-13). En 2005, dans le cadre de la chirurgie de la glande thyroïde, en France, il a été indiqué que 24 heures après l’intervention, respectivement 14,5 %, 58,9 % et 78,9 % des patients ne se souvenaient pas d’avoir été informés en pré­opératoire par le chirurgien du risque de dysphonie par immobilité laryngée unilatérale, du risque de décès et du risque d’immobilité laryngée bilatérale pouvant conduire à la réalisation d’une trachéotomie, alors que seulement 0,9 % des malades mémorisaient la totalité des risques chirurgicaux détaillés lors de la consultation préopératoire, et 20,4 %, aucun (14). Par ailleurs, les études scientifiques consacrées à l’analyse des facteurs qui influent sur la mémorisation par la personne malade des risques chirurgicaux encourus au décours de la chirurgie des glandes thyroïde et parotides soulignent que l’information délivrée est d’autant moins mémorisée que le malade est âgé, que son niveau d’éducation est faible, que des fiches d’information ou des schémas explicatifs n’ont pas été distribués lors de la réalisation de l’information orale et/ou que le moment de la recherche de la réalité de l’information délivrée est éloignée du moment de la réalisation de cette information, sans que le nombre de consultations réalisées en préopératoire semble améliorer le degré de mémorisation. Le praticien doit aussi savoir que les complications les plus graves ne sont pas celles qui sont le plus mémorisées par la personne malade (14-16). Aussi, le praticien, s’il souhaite disposer d’éléments de preuve en cas de mise en cause, se doit d’anticiper le défaut de mémorisation de la personne malade et d’éviter plusieurs erreurs. La première est de laisser la charge de l’information à un autre collègue (interne) ou soignant (infirmière), voire à la structure de soin (administration) [17]. Il convient de rappeler que l’obligation d’information incombe personnellement au médecin et, en cas d’intervention de plusieurs praticiens, à chacun des médecins intervenant au cours d’un même acte ou devant prendre en charge le patient à un titre quelconque. La seconde est de ne réaliser une information que sur les risques encourus, en omettant d’informer sur la maladie, sur les diffé- rentes options thérapeutiques, et sans conseiller la personne malade sur la conduite la plus adaptée à son état. La troisième est de ne pas s’assurer de la compréhension par la personne malade de l’information délivrée. La quatrième est la non-disponibilité et le défaut d’explications de la part du soignant après la survenue d’une complication. L’analyse de dossiers et de plaintes démontre que l’absence d’information des patients après une complication, quelle qu’en soit la cause, est à l’origine de nombreux contentieux, le patient recherchant à travers une procédure judiciaire civile ou pénale les explications qu’il n’a pu obtenir ; cette information postopératoire qui n’a pas été assumée par le praticien aurait souvent permis d’éviter une action en recherche de responsabilité. Enfin, la dernière erreur à éviter a trait au dossier médical. Sa bonne tenue et la mention de la réalisation de l’information sur la maladie, les options thérapeutiques et les risques en divers endroits de celui-ci (observation clinique, lettre au médecin traitant, compte-rendu opératoire) sont des éléments clés car ils permettent de rappeler à la personne malade, s’il survient une complication ou un conflit, ce qui a été dit et décidé, tout en fournissant à l’expert, si le soignant est mis en cause, des éléments qui permettent d’évaluer de façon objective la réalité de l’information réalisée. Dans ce cadre, il nous semble que la remise à la personne malade de la copie de la lettre adressée au médecin référent (offrant ainsi à la personne malade la possibilité de re-contacter le soignant pour un complément d’explication avant la réalisation de l’acte à visée diagnostique ou thérapeutique), au mieux dictée en sa présence, est un élément de preuve particulièrement élevé. Rappelons aussi que la loi, là encore, a évolué et impose maintenant : ➤ ➤ que le dossier médical comprenne l’observation clinique, les comptes rendus des examens complémentaires (radiologiques, anatomo-pathologiques, etc.) réalisés, le compte-rendu de la réunion de concertation pluridisciplinaire (en cas de pathologie tumorale maligne), le compte-rendu opératoire, le compte-rendu d’hospitalisation et les lettres au médecin traitant ; ➤ ➤ qu’en cas de complication, une note écrite retraçant l’évolution, obligatoire au plan légal, soit inscrite dans l’observation médicale (18). Enfin, bien qu’il ait été montré que le fait d’avoir été mis en cause est le principal élément qui conduit les soignants à modifier leur attitude en termes d’information médicale (19), il nous semble qu’il convient La Lettre d’ORL et de chirurgie cervico-faciale • n° 330 - juillet-août-septembre 2012 | 31 DROIT MÉDICAL de ne pas attendre une telle expérience pour faire évoluer sa pratique dans le sens souhaité par les personnes malades, et maintenant très clairement prévu par la loi. Comment “bien” informer la personne malade ? Aucun texte de loi ni aucune étude médicale scientifique ne précise avec certitude les modalités à suivre pour réaliser une “bonne information” de la personne malade, et la réponse à cette question est extrêmement difficile car la définition claire et précise d’une “bonne information” est sujette à de nombreuses interprétations, qui varient en fonction du point de vue de l’interlocuteur (personne malade, médecin, magistrat, avocat, expert, responsable politique, journaliste, enseignant, philosophe, consommateur, etc.), du niveau de connaissances et du degré d’inquiétude de la personne malade que l’on doit informer, ainsi que de la gravité de l’affection dont elle est atteinte. Le problème est d’autant plus complexe que l’analyse des études scientifiques consacrées à la perception par la personne malade de l’information délivrée en suivant les termes de la loi souligne que celle-ci n’est pas toujours positive. Toutes les études publiées soulignent en effet l’intensité du stress, de l’angoisse, voire de la peur, que déclenche l’information sur les risques, qu’ils soient inhérents à un geste à visée diagnostique ou à visée thérapeutique. En France, 2 travaux consacrés à la perception de l’information médicale sur les risques chirurgicaux encourus lors de la chirurgie de la glande thyroïde ont noté que, même si plus de 80 % des personnes malades étaient satisfaites de l’information délivrée en préopératoire sur les risques chirurgicaux, 30 à 50 % d’entre elles étaient atteintes par ce phénomène (14-16). L’angoisse peut être telle que certaines personnes malades refusent le geste thérapeutique proposé, avec un taux qui varie de 10 % dans le cadre de la chirurgie des sinus de la face à 14,6 % dans le cadre de la chirurgie de la glande thyroïde (16, 20). Cette information sur les risques chirurgicaux encourus est aussi parfois perçue par la personne malade comme une décharge de la part du médecin ou de la structure de soins de leurs responsabilités, voire comme un acte défensif de la part du médecin (16, 21, 22). L’effet collatéral possible des difficultés que les médecins rencontrent actuellement lorsqu’ils doivent informer leurs malades 32 | La Lettre d’ORL et de chirurgie cervico-faciale • n° 330 - juillet-août-septembre 2012 est le développement d’une médecine “défensive”. Une étude nord-américaine publiée en 2006, dans The Journal of the American Medical Association, souligne que 93 % des médecins qui exercent une spécialité dite “à risque légal” (oto-rhino-laryngologie, ophtalmologie, chirurgie esthétique, gynécologie, neurochirurgie, etc.) reconnaissent pratiquer parfois la médecine de façon défensive, en éliminant de leur activité les interventions susceptibles d’entraîner des complications, et en évitant de prendre en charge les malades sujets à des problèmes médicaux complexes ou bien perçus comme procéduriers (23). En 2001, la philosophe Jacqueline de Romilly écrivait : “(…) Il existe un art de la parole qui n’est ni mensonge, ni flatterie mais qui sert la vérité. Il y a une façon d’exposer la vérité, de l’expliquer, de la commenter, qui est le prolongement même de la connaissance la plus rigoureuse. Et cela est plus vrai que pour tout pour la médecine qui est finalement une science de l’homme qui doit connaître la nature de l’homme (…)” (24). Les principes dégagés par la jurisprudence et la loi du 4 mars 2002 sont en adéquation avec cette vision philosophique puisque l’information délivrée à la personne malade par son praticien doit être “adaptée”, ce qui signifie qu’elle ne peut être délivrée sans discernement, ni humanisme (1). Et la primauté de l’information orale a été et est constamment et régulièrement rappelée dans de nombreux écrits et décisions de justice. Dans ce cadre, pour la Haute Autorité de santé : “(…) Lorsque des documents écrits existent, il est souhaitable qu’ils soient remis au patient pour lui permettre de s’y reporter et/ou d’en discuter avec toute personne de son choix, notamment les médecins qui lui dispensent des soins (…)” (25). Ces fiches ne sont cependant que des compléments de l’information orale que doit réaliser le soignant car plusieurs éléments en limitent l’apport réel, lesquels sont liés aux défauts qualitatifs de certaines fiches d’information écrite, au défaut de compréhension des données médicales écrites par un pourcentage non négligeable de malades (26, 27), au pourcentage élevé de ceux-ci qui considèrent que l’information écrite n’est pas adaptée à leur état (28) ou qui n’ont pas acquis une maîtrise grammaticale suffisante pour comprendre l’information écrite délivrée (29) et, enfin, au grand nombre de patients qui considèrent que la principale fonction de la fiche d’information écrite est de protéger l’hôpital ou les droits des praticiens en cas de conflit ultérieur (21, 30). Enfin, s’agissant des mineurs, leurs droits sont, par principe, exercés DROIT MÉDICAL par les titulaires de l’autorité parentale, lesquels reçoivent l’information conformément à l’article L 1111-2 du code de la santé publique, sous réserve toutefois des dispositions de l’article L 1111-5 du même code qui vise le cas où la personne mineure s’oppose expressément à la consultation du ou des titulaires de l’autorité parentale afin de garder le secret sur son état. En tout état de cause, une information doit être donnée aux mineurs de manière adaptée à leur degré de maturité, ainsi que le prévoit l’article L 1111-2 précité, qui leur reconnaît le droit d’être informés et de participer à la prise de décision les concernant (1). Conclusion Au terme de cette analyse, la loi et les articles médicaux scientifiques publiés peuvent apparaître extrêmement contraignants aux yeux de l’oto-rhinolaryngologiste qui doit informer son malade. Cependant, il apparaît aussi que ces textes partagent le même point de vue quant au rôle primordial de l’échange verbal constant avec la personne malade tout au long de sa prise en charge. Et en cela, la loi et la littérature rejoignent l’essence de la médecine, qui se résume toujours à : “Guérir parfois, soigner souvent, accompagner toujours”. ■ Références bibliographiques 1. Loi n° 2002-203 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé. Journal Officiel de la République Française, 05/03/2002, 4118-158. 2. Courtney MJ. Information about surgery: what does the public want to know? ANZ J Surg 2001;71:24-6. 3. Newton-Howes PA, Bedford ND, Dobbs BR, Frizelle FA. Informed consent: what do patients want to know? N Z Med J 1998;111:340-2. 4. Taylor RJ, Chiu AG, Palmer JN, Schofield K, O’Malley BW Jr., Wolf JS. Informed consent in sinus surgery: link between demographics and patient desires. Laryngo­ scope 2005;115:826-31. 5. 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