Cancer de la vessie chez le sujet âgé dossier thématique Chimiothérapie chez le sujet âgé atteint d’une tumeur urothéliale Chemotherapy to elderly people with urothelial carcinoma » Rares et hétérogènes sont les données dont nous disposons dans la littérature sur les sujets âgés atteints d’une tumeur urothéliale. » Le patient âgé peut être éligible à une chimiothérapie à base de cisplatine. » S’il ne l’est pas, l’alternative est : gemcitabine + carboplatine ou gemcitabine seule. » L’évaluation doit être faite au cas par cas, avec l’aide d’un oncogériatre et d’outils d’évaluation gériatrique. » Il est nécessaire de réaliser des essais prospectifs pour ce groupe highlights P o i nt s f o rt s G. Roubaud*, P. Beuzeboc** We can only find poor and heterogenous data related to the elderly patient with urothelial carcinoma in the litterature. Elderly people could be fit for a cisplatin-based chemotherapy. For unfit patient, the alternative treatment will be: gemcitabine + carboplatine or gemcitabine. Individual evaluation is required, with geriatric assessments. de patients en les stratifiant selon des scores d’autonomie et de comorbidités. Prospective trials are to be developed with elderly patients stratified according to geriatric scores. Mots-clés : Chimiothérapie – Tumeur urothéliale – Patient âgé – Oncogériatrie – Non éligible pour le cisplatine. Keywords: Chemotherapy – Bladder cancer – Elderly people – Geriatry – Unfit for cisplatin. Généralités Avec le vieillissement de la population, le problème de la prise en charge des tumeurs va devenir de plus en plus crucial. La projection aux États-Unis de l’incidence des cancers entre 2010 et 2030 prévoit une augmentation de 67 % du nombre de cas chez les sujets âgés de plus de 65 ans (1). Sommes-nous préparés à prendre en charge de façon optimale cette population en forte augmentation ? Les sujets âgés sont sous-représentés dans les essais thérapeutiques et peu d’études leur sont spécifiquement dédiées, comme le montre très clairement l’analyse de L. Talarico et al., à partir des données de 55 essais enregistrés ayant inclus 28 766 patients (2). Parmi celles que nous sommes en droit de poser figurent celles-ci : faut-il traiter le cancer de ces patients âgés ? Quels sont ceux qui vont mourir ? En cas de traitement, lesquels sont vulnérables à des toxicités ? Comment modifier le traitement en fonction de leur état organique, de leur statut fonctionnel, de leur état cognitif, de leur situation sociale ? Comment les changements physiologiques et les comorbidités liés à l’âge affectent-ils les choix de chimiothérapie, la toxicité et la réponse thérapeutique ? De façon générale, peut-on prédire la toxicité d’une chimiothérapie ? A. Hurria et al. (3) ont publié un score prédictif de toxicités de grades 3 à 5, fondé sur l’addition de points attribués à différents facteurs cliniques, biologiques, et variables gériatriques (tableau I, p. 32). La somme des points attribués à chaque facteur pronostique permet d’identifier les patients âgés à bas risque (0 à 5 points : 30 %), à risque intermédiaire (6 à 9 points : 52 %) ou à haut risque (10 à 19 points : 83 %) de toxicité de grades 3 à 5 liée à la chimiothérapie (figure 1, p. 32). De façon plus spécifique, comment déterminer une éligibilité au cisplatine ? Une définition des patients “unfit” à une chimiothérapie à base de cisplatine a fait l’objet récemment d’un consensus se fondant sur une revue de la littérature Correspondances en Onco-Urologie - Vol. III - no 1 - janvier-février-mars 2012 * Institut Bergonié, Bordeaux. ** Institut Curie, Paris. 31 Cancer de la vessie chez le sujet âgé dossier thématique Tableau I. Facteurs prédictifs de toxicité. Facteurs de risque pour des toxicités de grades 3-5 (stratification par points). Facteurs Scores Catégories Âge > 72 ans 2 Âge Cancer génito-urinaire 2 Tumeur Dose standard 2 Traitement Polychimiothérapie 2 Hémoglobine (homme < 11 g/dl, femme < 10 g/dl) 3 Clairance de la créatinine < 34 3 Chutes dans les 6 mois 3 Variables Perte auditive 2 Évaluation Limité dans son périmètre de marche à un bloc 2 Gériatrique Assistance requise pour prise des médicaments 1 Diminution de l’activité sociale 1 Biologie Toxicités de grades 3-5 (%) Intermédiaire (52 %) 77 % 20 50 % 25 % 32 % 0-3 4-5 89 % 54 % 0 6-7 8-9 Score prédictif 10-11 40 14 79 50 14 71 60 14 63 70 14 55 80 14 47 90 14 39 100 14 32 La fonction rénale diminue avec l’âge et la créatinine n’est pas une mesure adéquate de la fonction rénale Le risque de neuropathie 12-19 Le risque de neuropathie est lié au cumul des doses des sels de platine. Il s’aggrave dans 30 % des cas après arrêt du traitement. Figure 1. Prévalence de la toxicité de grades 3 à 5 selon un score prédictif permettant de distinguer les patients à faible risque, à risque intermédiaire et à haut risque. et les recommandations de 120 oncologues spécialisés dans les tumeurs urologiques (4) : ✓ OMS/ECOG PS 2 ; ✓ clairance de la créatinine < 60 ml/mn ; ✓ perte d’acuité auditive ≥ 2 (environ 25 db) ; ✓ neuropathie périphérique de grade ≥ 2 ; ✓ insuffisance cardiaque NYHA (New York Heart Association) de classe III. En revanche, l’âge seul n’est pas utilisé pour classer le patient inéligible au cisplatine. 32 Clairance de la créatinine (ml/mn) L’hypertension artérielle est la plus fréquente des comorbidités dans la population âgée (prévalence de 50 à 70 % à 65 ans). L’insuffisance cardiaque est la cause d’hospitalisation la plus commune à 65 ans. Il faut évaluer la fraction d’éjection, éviter les surcharges hydro-sodées et assurer une surveillance étroite. Bas (30 %) 40 Créatinine (mg/l) Les pathologies cardiovasculaires associées sont fréquentes 100 60 Âge (ans) La formule de Cockroft et Gault (CG) pour calculer la clairance de la créatinine n’est pas validée chez les patients âgés (5). Il faut utiliser la formule MDRD (Modification of the Diet in Renal Disease) [tableau II] (6). Haut (83 %) 80 Tableau II. Variation de la clairance de la créatinine à créatininémie identique en fonction de l’âge. L’ototoxicité L’ototoxicité est évaluée par un audiogramme (figure 2). L’utilisation de facteurs de croissance En ce qui concerne le risque médullaire, il existe des recommandations internationales portant sur l’utilisation de facteurs de croissance. Correspondances en Onco-Urologie - Vol. III - no 1 - janvier-février-mars 2012 Chimiothérapie chez le sujet âgé atteint d’une tumeur urothéliale La chimiothérapie des cancers urothéliaux des sujets âgés (tableau III) 45 La chimiothérapie peut être proposée dans 2 situations : péri-opératoire et métastatique La chimiothérapie péri-opératoire : a-t-on des données exploitables en clinique ? Les études randomisées n’ont pas établi de sousgroupe chez les plus de 75 ans (voire n’ont pas inclus de patients âgés) nous permettant de démontrer le bénéfice d’un tel traitement dans les tumeurs 40 35 Presbyacousie (%) Proposer une chimiothérapie à un patient atteint d’une tumeur urothéliale reste souvent une décision délicate pour 2 raisons. ✓ Les molécules administrées : la chimiothérapie standard en péri-opératoire et en phase métastatique (première ligne) reste une polychimiothérapie à base de cisplatine qui nécessite un état général correct, une bonne fonction cardiaque pour tolérer l’hyperhydratation de cette molécule et une bonne fonction rénale. ✓ Le patient : la médiane d’âge au diagnostic des tumeurs urothéliales est de 70 ans environ et touche une population ayant des comorbidités cardiovasculaires dans le spectre des pathologies liées au tabac (cardiopathie ischémique et/ou hypertensive, néphropathie vasculaire). Lorsqu’un patient est considéré unfit, l’alternative est une polychimiothérapie à base de carboplatine, moins efficace notamment en termes de survie (13), voire une monochimiothérapie par gemcitabine. La réflexion portant sur les patients âgés (> 75 ans) recoupe souvent celle menée sur le cas du patient unfit. 30 25 20 15 10 5 0 21-34 35-44 45-54 Âge 55-64 65-84 Figure 2. Presbyacousie : perte de l’acuité auditive avec l’âge. urothéliales à haut risque métastatique. Toutefois, l’étude de H.B. Grossmann et al. (14) comparant la chimiothérapie M-VAC (méthotrexate, vinblastine, doxorubicine, cisplatine en néo-adjuvant) + cystectomie à la cystectomie seule a retrouvé, dans le bras M-VAC, une survie inférieure dans le sous-groupe des plus de 65 ans comparativement à celle des moins de 65 ans (61 mois versus 104 mois). L’étude du MRC en phase néo-adjuvante a inclus environ 40 % de patients de plus de 65 ans sans en dégager des données précises (15). La chimiothérapie en phase métastatique A. Bamias et al. (8) se sont intéressés à la population des plus de 75 ans sous l’angle des patients unfit Tableau III. Résultats d’essais portant sur la chimiothérapie chez des patients atteints d’une tumeur urothéliale métastatique et étant âgés et/ou unfit pour le cisplatine. Essais n (caractéristique de la population) Protocole Toxicité de grades 3-4 Outil gériatrique d’évaluation 12 (> 80 ans) Gemcitabine + cisplatine 40,5 14 Hématologique Non A. Bamias et al. 2004 (8) 56 (unfit) Gemcitabine + carboplatine 36 7,2 16 à 28 % 2 décès toxiques Non A. Bamias et al. 2007 (9) 34 (unfit) Gemcitabine + carboplatine 24 9,8 NR Oui B. Castagneto et al. 2004 (10) 25 (71-87 ans) Gemcitabine 45,5 8 6% Oui M. De Santis et al. 2012 (11) 238 (unfit) Gemcitabine + carboplatine M-CAVI 41,2 30,3 9,3 8,1 9,3 % 21,2 % ND S. Culine et al. 2011 (12) 44 (unfit) Gemcitabine N. Tanji et al. 2010 (7) Correspondances en Onco-Urologie - Vol. III - no 1 - janvier-février-mars 2012 Taux Médiane de survie de réponse (%) (mois) Non 33 Cancer de la vessie chez le sujet âgé dossier thématique pour le cisplatine. Une première étude de phase II a testé l’efficacité d’une chimiothérapie par gemcitabine 1 000 mg/m2 + carboplatine, ASC (aire sous la courbe) 4, administrée tous les 21 jours, dans une population (n = 56) définie par un Performance Status (PS) supérieur ou égal à 2, et/ou un âge supérieur à 75 ans et/ou une clairance de la créatinine inférieure à 50 ml/mn : la médiane de survie globale était de 7,2 mois, 2 décès toxiques ayant été constatés ; les principales toxicités de grades 3-4 étaient l’anémie (18 %), la thrombopénie (16 %) et la neutropénie (27 %). Les auteurs de l’étude concluaient à un choix raisonnable pour ce type de protocole. La même équipe (9) a testé, dans une nouvelle phase II, l’association gemcitabine 1 250 mg/m2 + carboplatine, ASC 2,5, tous les 15 jours (n = 38). Une évaluation gériatrique était incluse pour les plus de 70 ans. L’étude stratifiait les patients en 3 groupes selon les scores d’évaluation gériatrique ADL (Activity of Daily Living) et IADL (Instrumental Activity of Daily Living) et le score de comorbidités (groupe 1 : absence de dépendance ou de comorbidité ; groupe 2 : dépendant sur le score IADL, ou 1 ou 2 comorbidités ; groupe 3 : dépendant sur le score ADL et au moins 2 comorbidités). Une meilleure survie sans progression était retrouvée dans les groupes 1 et 2 (6,9 mois) que dans le groupe 3 (1,9 mois). B. Castagneto et al. (10) ont testé, dans une phase II, la gemcitabine en monochimiothérapie chez 25 patients âgés de 71 à 87 ans, non sélectionnés : le taux de réponse était de 45,5 %, la médiane de survie étant de 8 mois et 4 toxicités de grades 3-4 (1 digestive et 3 neutropénies) ayant été constatées. Il n’y avait pas de modification du statut fonctionnel de la personne âgée. À l’inverse, N. Tanji et al. (7) ont évalué la faisabilité d’une association par gemcitabine + cisplatine chez 12 patients de plus de 80 ans ; les résultats sont comparables avec ceux des patients de moins de 75 ans, la médiane de survie étant de 14 mois et le taux de réponse objective supérieur à 40 %. Les toxicités de grades 3-4 étaient seulement hématologiques et il n’a pas été rapporté de décès toxique. M. de Santis et al. (11) viennent de publier les résultats de la première étude randomisée de phase II/III de l’EORTC comparant 2 combinaisons de chimiothérapie à base de carboplatine chez 238 patients métastatiques unfit au cisplatine. Il n’a pas été retrouvé de différence significative en termes de médiane de survie globale entre l’association gemcitabine, carboplatine (9,3 mois) et le M-CAVI (méthotrexate, carboplatine, vinblastine ; 8,1 mois) [p = 0,64]. L’incidence des toxicités aiguës sévères était plus importante avec le M-CAVI. 34 L’oxaliplatine a-t-il une place ? L’étude V01 du GETUG (12), comparant la gemcitabine seule au GEMOX (gemcitabine, oxaliplatine) chez des patients unfit, a été arrêtée après 44 patients : le GEMOX n’avait pas atteint l’objectif fixé de 7 réponses à la première étape du protocole (plan de Fleming). L’âge moyen était de 76 ans. Discussion Les données de la littérature concernant les personnes âgées restent peu concluantes sur l’indication périopératoire et se confondent avec celles des patients unfit pour l’indication métastatique. Cependant, l’âge seul ne suffit pas à définir un patient unfit au cisplatine et il est important en pratique de traiter à leur juste mesure ces sujets non nécessairement fragiles. Il nous faut donc considérer chaque personne âgée sous l’angle d’une évaluation oncogériatrique en ayant recours à des outils efficaces standardisés. Cette évaluation permet de faire la part entre l’âge et les comorbidités, inconstamment associés. Car l’âge n’est ni un facteur pronostique de survie ni un facteur prédictif de réponse à une chimiothérapie dans les études portant sur les tumeurs urothéliales, tout âge confondu. Plus précisément, dans le sous-groupe de patients de plus de 75 ans, C. Bolenz et al. (16) ont montré de manière rétrospective (n = 206), que l’état général (indice de Karnofsky, PS < 80 %, p = 0,001), le diagnostic à un stade plus avancé du carcinome urothélial (p = 0,019) et un score de comorbidités (score de Charlson) plus élevé (p = 0,007) constituaient 3 facteurs pronostiques indépendants de survie. L’analyse en sous-groupes, voire la stratification de grandes études randomisées pour une population d’au moins 75 ans, nous permettraient de disposer de données plus robustes. À l’image de la pathologie prostatique, il pourrait se construire des essais prospectifs posant clairement la question des modalités de la chimiothérapie chez les plus de 75 ans en définissant l’objectif principal le plus approprié (survie globale, survie spécifique, survie sans progression ou qualité de vie avec autonomie ?) et en stratifiant selon des scores d’évaluation gériatrique comme l’a instauré en 2004 l’étude de A. Bamias (8). ■ Correspondances en Onco-Urologie - Vol. III - no 1 - janvier-février-mars 2012 Chimiothérapie chez le sujet âgé atteint d’une tumeur urothéliale R é f é r e n c e s (suite de la p. 34) 1. Smith BD, Smith GL, Hurria A, Hortobagyi GN, Buchholz TA. Future of cancer incidence in the United States: burdens upon an aging, changing nation. J Clin Oncol 2009;27(17):2758-65. 2. Talarico L, Chen G, Pazdur R. Enrollment of elderly patients in clinical trials for cancer drug registration: a 7-year experience by the US Food and Drug Administration. J Clin Oncol 2004; 22(22):4626-31. 3. Hurria A, Togawa K, Mohile SG et al. Predicting chemotherapy toxicity in older adults with cancer: a prospective multicenter study. J Clin Oncol 2011;29(25):3457-65. 4. Galsky MD, Hahn NM, Rosenberg J et al. Treatment of patients with metastatic urothelial cancer "unfit" for cisplatinbased chemotherapy. J Clin Oncol 2011;29(17):2432-8. 5. Launay-Vacher V, Zimner-Rapuch S, Moranne O. 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