D O S S I E R Utilisation du placebo au cours des essais cliniques dans la pathologie anxieuse The use of placebo in clinical trials for anxiety disorders ! J. Micallef*, A. Prosperi*, O. Blin* RÉSUMÉ. Avec la dernière révision de la Déclaration d’Helsinki et les dernières recommandations de la Conférence internationale d’harmonisation (ICH) sur le sujet, l’utilisation du placebo dans les essais cliniques semble à nouveau au cœur des débats tant éthiques que scientifiques. Après un rappel sur la définition du placebo et de ses déterminants, nous nous sommes attachés à l’étudier dans les essais cliniques portant sur la pathologie anxieuse. Plusieurs facteurs peuvent expliquer la très grande variabilité des taux de réponse dans le groupe placebo (difficultés liées à la nosologie, aux critères de sélection et de jugement). L’appréciation de l’efficacité d’un traitement à visée anxiolytique se heurte, en effet, aux difficultés méthodologiques de quantifier un phénomène par nature fluctuant, largement subjectif, influencé par l’état psycho-affectif du patient, mais aussi par la qualité de sa relation avec le médecin. Cela explique pourquoi, dans l’anxiété, malgré l’existence de molécules de référence, il est aussi recommandé de prévoir des essais cliniques contrôlés comportant un bras placebo. Mots-clés : Placebo - Effet placebo - Essais cliniques - Pathologie anxieuse - Méthodologie. ABSTRACT. With the last version of the Declaration of Helsinki and the report of the International Conference for Harmonization (ICH), there is ongoing debate regarding the ethical and scientific issues of using placebo in clinical trials. After a brief review of the definition of placebo and its related-factors, this article assesses its use in clinical studies for anxiety disorders. Several factors may have a significant impact on placebo responses rates (diagnostic criteria and classification, criteria defining clinical improvement). The assessment of anxiolytic activity is difficult due to the fluctuating evolution of the illness, the subjective evaluation, the influence of personality and psychological state of the patient, and finally the quality of the therapeutic relation between patients and physician. For these reasons, while several positive controls exist, it is useful to perform placebo-controlled clinical trials in anxiety. Key words : Placebo - Placebo effect - Clinical trials - Anxiety disorders - Methodology. L a dernière version de la Déclaration d’Helsinki de l’Association médicale mondiale précise que l’utilisation d’un placebo doit être limitée aux situations dans lesquelles les traitements ou méthodes ayant déjà fait leurs preuves sont absents. (“Les avantages, les risques, les contraintes et l’efficacité d’une nouvelle méthode doivent être évalués par comparaison avec les meilleures méthodes diagnostiques, thérapeutiques ou de prévention en usage. Cela n’exclut ni le recours au placebo, ni l’absence d’intervention dans les études pour lesquelles il n’existe pas de méthode diagnostique, thérapeutique ou de prévention prouvée”) (1). Cependant, un travail de synthèse réalisé par la Conférence internationale d’harmonisation (ICH) sur le choix du groupe témoin dans les essais cliniques considère * Centre de pharmacologie clinique et d’évaluations thérapeutiques (CPCET), pharmacologie clinique, hôpital de La Timone, 13385 Marseille Cedex 5. La Lettre du Pharmacologue - Volume 16 - n° 2 - mars-avril 2002 l’utilisation du placebo comme éthique, même si un traitement efficace est disponible, à condition que l’absence de ce traitement ne soit pas nuisible au patient et que celui-ci soit totalement informé sur les thérapeutiques disponibles et sur les conséquences d’un traitement différé (2). L’utilisation du placebo dans les essais cliniques semble à nouveau au cœur des débats tant éthiques que scientifiques. Même si l’effet placebo est retrouvé dans des pathologies organiques très diverses et qu’il n’est pas nécessairement plus important en psychiatrie, il semble que cet effet soit plus délicat à maîtriser, à contrôler dans le domaine de la psychopathologie et, en particulier, dans la pathologie anxieuse en raison, notamment, de la difficulté à évaluer les effets du traitement à partir de la perception subjective des patients, souvent utilisée comme critère principal de l’étude (3). Après un rappel sur la définition du placebo et des facteurs qui l’influencent, nous nous concentrerons plus précisément sur son utilisation au cours des essais cliniques dans la pathologie anxieuse. 31 D O S S I E R PLACEBO Le terme placebo apparaît à l’origine dans le psaume 116.9 des Vêpres des morts : “placebo domino in regione vivorum”, et signifie en latin “je plairai”. Par la suite, il prend le sens d’aller chanter les vêpres contre paiement de la famille du défunt, puis celui d’artifice pour réassurer, avant d’arriver au sens que nous lui donnons aujourd’hui (4). Même s’il n’existe pas, à l’heure actuelle, de définition consensuelle, on peut définir le placebo comme toute substance, forme pharmaceutique, tout médicament dépourvu d’activité pharmacologique spécifique, utilisé soit pour ses vertus psychologiques curatives, soit comme moyen de reproduire les effets non spécifiques des médicaments qui prennent part à l’efficacité thérapeutique. Un placebo peut ainsi être à l’origine d’une amélioration de l’état de santé ou de bien-être du patient (effet placebo) ou d’une manifestation indésirable (effet nocebo). Ces effets indésirables du placebo sont identiques à ceux des médicaments actifs lors des essais comparatifs (influencés par l’information apportée par la notice du consentement et par le clinicien lors de l’inclusion dans l’étude, ou encore liés à un phénomène de communication entre patients de l’étude lors des études de phase I), mais sont relativement stéréotypés par ailleurs : somnolence, céphalées, fatigue, pesanteur abdominale, faux vertiges, difficulté de concentration (5). En pratique, la simple soustraction de l’effet spécifique à l’effet thérapeutique global n’est toutefois pas suffisante pour identifier un effet placebo. En effet, Spriet et al. décrivent l’évaluation finale d’une prescription thérapeutique comme la somme de quatre facteurs, à savoir l’état initial, l’évolution spontanée de la maladie, les erreurs de mesure et l’effet thérapeutique, qui lui-même se compose de l’effet pharmacologique et de l’effet placebo (6). Il convient d’y ajouter, dans la réflexion qui nous occupe, un autre facteur appelé “effet Hawthorne”, désignant l’ensemble des effets non spécifiques observables lors de la conduite d’un essai thérapeutique liés aux conditions même de la réalisation de l’étude (meilleure surveillance, explorations, examens complémentaires, organisation et moyens différents de la prise en charge habituelle). Ainsi, les effets non spécifiques directement liés à la prescription sont le plus souvent mêlés à d’autres événements intercurrents, parmi lesquels l’évolution naturelle des troubles peut constituer le facteur confondant le plus important (6). MÉCANISMES ET FACTEURS INFLUENÇANT L’EFFET PLACEBO Les facteurs facilitant l’effet du placebo ou s’y opposant sont difficiles à cerner. Les plus fréquemment retrouvés dans la littérature sont ceux en relation avec les caractéristiques du médicament, le comportement des soignants, la maladie et le malade (7). 32 " L’apparence du produit, sa forme galénique, sa présentation, son goût et sa couleur semblent avoir un effet inducteur. Quelques études ont ainsi montré que la couleur bleue renforcerait la suggestion d’un effet sédatif, alors que le rouge ou le jaune favoriseraient la perception d’une activité psychostimulante (3). La voie d’administration semble jouer un rôle, et ce d’autant que la substance est utilisée par voie injectable, surtout si l’injection est douloureuse ou produit une impression de chaleur locale. Par ailleurs, des études ont pu montrer que quatre comprimés de placebo par jour sont plus efficaces qu’un seul (8). " La relation patient-médecin semble déterminante. La conviction, l’attitude chaleureuse, la réputation, le lieu d’exercice, la persuasion, les explications qui entourent la prescription, les attentes que le médecin a vis-à-vis de ce traitement sont autant d’arguments qui améliorent sans nul doute le potentiel initial du produit prescrit et la confiance que le patient a en son effet. Le personnel soignant, optimiste ou sceptique, chaleureux ou froid, peut accroître ou réduire l’effet. " Certains symptômes, certaines maladies répondent mieux que d’autres au placebo. Il semble ainsi que les troubles du sommeil, de l’humeur, les troubles digestifs et les douleurs y soient plus sensibles. L’effet placebo est d’autant plus important que la maladie a une composante psychosomatique, qu’elle peut guérir spontanément, qu’elle est d’apparition récente, que les traitements antérieurs sont peu nombreux. " Le profil psychologique particulier des patients ne permet pas de prédire la sensibilité au placebo, ni l’intensité de son effet. En revanche, il semble que le caractère impressionnable de certains sujets et l’adhésion du sujet au traitement prescrit jouent un rôle. EFFET PLACEBO ET ESSAIS CLINIQUES DANS LES TROUBLES ANXIEUX Piercy et al. ont réalisé une revue de la littérature sur l’effet placebo dans les troubles anxieux à partir de données cliniques et épidémiologiques publiées, et ont retrouvé une très grande variabilité des taux de réponse au placebo selon les pathologies (9). Ainsi, des taux de réponse (évalués par rapport à l’évaluation faite au baseline) allant de 18 à 67 % sont rapportés pour les troubles anxieux généralisés. Pour le trouble panique, des taux de réponse encore plus importants sont signalés (allant de 20 à 134 %). Des taux plus modestes sont constatés dans la phobie sociale et les troubles obsessionnels compulsifs (7 à 43 % et 7 à 19 % respectivement). Plusieurs facteurs ont été évoqués pour expliquer ces différences d’effet placebo comme, par exemple, l’absence de traitement psychiatrique au préalable ou des taux importants de sorties d’essai (3, 9). Le caractère imprévisible de l’évolution des troubles psychiatriques et tant la fiabilité que la validité limitées de la nosologie (manque de signes pathognomoniques, hétérogénéité des symptômes fréquemment associée à une comorbidité) constituent des obstacles majeurs à la démonstration de l’efficacité d’un produit, et expliquent sans doute cette grande variabilité des taux de réponse (10, 11). Il est néanmoins indispensable, dans un essai clinique avec un bras placebo, de documenter ces La Lettre du Pharmacologue - Volume 16 - n° 2 - mars-avril 2002 D taux de réponse, puisque cela permet d’estimer la différence d’effet attendue, paramètre indispensable au calcul du nombre de sujets nécessaire. Le caractère fluctuant des troubles anxieux (ou plus précisément de leurs manifestations mesurables) nécessite de prendre en compte le phénomène d’évolution spontanée de la maladie, d’autant plus que certains critères d’inclusion couramment employés (score supérieur à 20 sur l’échelle de Hamilton-A) favorisent la régression à la moyenne (12). Un des moyens utilisés dans les essais cliniques pour maîtriser le caractère fluctuant du niveau d’anxiété des sujets est l’instauration d’une période de run-in entre l’inclusion et le début du traitement à l’essai, période censée permettre de vérifier la stabilité du niveau d’anxiété du patient. Une des solutions envisagées par d’autres équipes serait d’inclure des pathologies anxieuses sévères. Ainsi Coryell et al. ont montré qu’un score élevé à l’échelle de Hamilton à l’état basal était prédictible d’un faible taux de réponse au placebo (13). Cependant, aucun autre argument concernant la relation entre l’effet de la sévérité et un niveau faible de réponse au placebo n’a été retrouvé (11). L’expression clinique des troubles anxieux peut différer grandement selon plusieurs variables difficilement contrôlables et distinctes de l’effet placebo. L’inclusion dans un protocole d’étude peut être vécue par le patient comme une situation anxiogène ou, au contraire, rassurante. De la même façon, la survenue d’effets secondaires, quelle que soit leur intensité, peut aussi être anxiogène et expliquer que le groupe de sujets sous traitement à l’étude présente des scores d’anxiété supérieurs au groupe de sujets sous placebo. A contrario, la survenue d’effets indésirables, indicateur de l’effet pharmacodynamique du produit, peut être à l’origine d’une “majoration” de l’effet thérapeutique par le clinicien. En outre, l’outil d’évaluation utilisé soit au moment de la sélection des sujets, soit comme critère de jugement principal, peut, lui aussi, influencer l’importance de l’effet retrouvé dans le groupe placebo. Ainsi, l’échelle d’anxiété d’Hamilton, couramment utilisée dans l’évaluation du trouble anxieux généralisé, présente certaines limites. Composée d’items en relation avec l’anxiété psychologique et d’autres en relation avec les manifestations somatiques de l’anxiété (14), elle peut amener les médecins évaluateurs à appliquer la même cotation à des sujets rapportant des symptômes non spécifiques de l’anxiété (bouche sèche, céphalées par exemple). Ces symptômes, qui peuvent aussi bien être en rapport avec l’anxiété des sujets qu’avec les effets secondaires induits par la molécule à l’étude, peuvent ainsi expliquer comment des sujets (traités par placebo et par la molécule étudiée) obtiennent les mêmes scores. De plus, cette échelle est davantage axée sur les manifestations somatiques de l’anxiété, favorisant ainsi la mise en évidence de l’effet connu des benzodiazépines sur ces symptômes. Les anxiolytiques de type non benzodiazépines ou les antidépresseurs connus pour agir davantage sur les symptômes psychiques de l’anxiété La Lettre du Pharmacologue - Volume 16 - n° 2 - mars-avril 2002 O S S I E R peuvent ainsi être défavorisés, expliquant alors l’absence de différence significative entre le groupe placebo et le groupe traitement (10, 12). Ces deux aspects illustrent la difficulté dans la pathologie anxieuse à fixer des critères définissant une amélioration clinique, et posent donc le problème des outils de mesures disponibles, notamment en termes de sensibilité et de spécificité. La nature de l’investigateur (statut, empathie…) peut également jouer un rôle. Dans une analyse de quatre études portant sur le trouble anxieux généralisé, un taux de réponse dans le groupe placebo d’environ 30 % a été noté lorsque le placebo était délivré par un médecin généraliste, et d’environ 50 % en cas de délivrance par un psychiatre (10). La mesure de l’effet placebo étant difficile, les rapports entre anxiété et placebo sont étudiés essentiellement par les taux de réponse au placebo, ce qui aboutit parfois à des confusions comme “50 % d’amélioration par effet placebo” au lieu de “50 % d’amélioration dans le groupe traité par placebo” (15). Dans le domaine de l’anxiété, de nombreuses études réalisées avec des produits considérés aujourd’hui comme produits de référence ont pu donner des résultats négatifs. En effet, même si le repérage de telles études n’est pas aisé (du fait de leur rare publication), il est probable que l’environnement dans lequel elles ont été conduites semblait plus propice pour mettre en évidence (à tort) les bénéfices d’un produit (manque de fiabilité intercotateur, critères de sélection des patients inappropriés) (10). Dans le développement de nouvelles molécules, l’utilisation d’un bras placebo en plus d’un bras traité par substance de référence est utile. Cela permet d’avoir des informations pour l’interprétation des résultats, en d’autres termes, de déterminer si l’étude est positive. En effet, si la substance “de référence” n’a pas donné des résultats supérieurs à ceux du placebo, il y a alors peu de chances qu’une nouvelle substance, même efficace, s’en distingue. CONCLUSION L’utilisation du placebo dans les essais cliniques permet d’évaluer l’importance des effets induits par la prescription, son environnement ou le fait de participer à une recherche. On dispose ainsi d’une référence optimale pour mettre en évidence la validité intrinsèque du produit (16). Dans les essais cliniques sur les troubles anxieux, l’appréciation de l’efficacité d’un traitement à visée anxiolytique se heurte aux difficultés méthodologiques de quantifier un phénomène par nature fluctuant, largement subjectif, influencé par l’état psycho-affectif du patient, mais aussi par la qualité de sa relation avec le médecin. Cela explique pourquoi dans l’anxiété, malgré l’existence de molécules de référence, il est aussi recommandé de prévoir des essais cliniques contrôlés comportant un bras placebo (12). # 33 D R O S S I E R É F É R E N C E S 8. Eastman CI. What the placebo literature can tell us about light therapy for SAD. Psychopharmacol Bull 1990 ; 26 : 495-504. B I B L I O G R A P H I Q U E S 9. Piercy MA, Sramek JJ, Kurtz NM, Cutler NR. Placebo response in anxiety disorders. Ann Pharmacother 1996 ; 30 : 1013-9. 1. Declaration of Helsinki. 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INSERM-Nathan edition, Paris, 1993. % O À découper ou à photocopier UI, JE M’ABONNE AU BIMESTRIEL La Merci d’écrire nom et adresse en lettres majuscules $ Collectivité ................................................................................. Lettre & & & 74 € collectivités 59 € particuliers 37 € étudiants* *joindre la photocopie de la carte + M., Mme, Mlle ................................................................................ $ libérale ET POUR 10 € DE PLUS ! 10 €, accès illimité aux 26 revues de notre groupe de presse disponibles sur notre & site vivactis-media.com (adresse e-mail gratuite) + $ autre.......................... Adresse e-mail ............................................................................... QU’EUROPE) 94 € collectivités 79 € particuliers 57 € étudiants* & & & *joindre la photocopie de la carte $ Particulier ou étudiant Prénom .......................................................................................... 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