J.-F. Le Gall, Mouvement brownien, martingales et calcul stochastique,
71, DOI: 10.1007/978-3-642-31898-6_2,
ÓSpringer-Verlag Berlin Heidelberg 2013
Chapitre 2
Le mouvement brownien
R´
esum´
eCe chapitre est consacr´
e`
a la construction du mouvement brownien et `
a
l’´
etude de certaines de ses propri´
et´
es. Nous introduisons d’abord le pr´
e-mouvement
brownien (terminologie non canonique!) qu’on d´
efinit facilement `
a partir d’une
mesure gaussienne sur R+. Le passage du pr´
e-mouvement brownien au mouvement
brownien exige la propri´
et´
e additionnelle de continuit´
e des trajectoires, ici obtenue
via le lemme classique de Kolmogorov. La fin du chapitre discute quelques pro-
pri´
et´
es importantes des trajectoires browniennes, et ´
etablit la propri´
et´
e de Markov
forte, avec son application classique au principe de r´
eflexion.
2.1 Le pr´
e-mouvement brownien
Dans ce chapitre, on se place `
a nouveau sur un espace de probabilit´
e(,F,P).
D´
efinition 2.1. Soit Gune mesure gaussienne sur R+d’intensit´
e la mesure de
Lebesgue. Le processus (Bt)tR+d´
efini par
Bt=G(1[0,t])
est appel´
e pr´
e-mouvement brownien.
Proposition 2.1. Le processus (Bt)t0est un processus gaussien (centr´
e) de fonc-
tion de covariance
K(s,t) = min{s,t}(not.)
=st.
D´
emonstration. Par d´
efinition d’une mesure gaussienne, les variables Btappar-
tiennent `
a un mˆ
eme espace gaussien, et (Bt)t0est donc un processus gaussien. De
plus, pour tous s,t0,
E[BsBt] = E[G([0,s])G([0,t])] = Z
0
dr1[0,s](r)1[0,t](r) = st.ut
15
Math¯matiques et Applications
16 2 Le mouvement brownien
Proposition 2.2. Soit (Xt)t0un processus al´
eatoire `
a valeurs r´
eelles. Il y a ´
equiva-
lence entre les propri´
et´
es suivantes :
(i) (Xt)t0est un pr´
e-mouvement brownien;
(ii) (Xt)t0est un processus gaussien centr´
e de covariance K(s,t) = st;
(iii) X0=0p.s. et pour tous 0s<t, la variable XtXsest ind´
ependante de
σ(Xr,rs)et suit la loi N(0,ts);
(iv) X0=0p.s. et pour tout choix de 0=t0<t1<···<tp, les variables XtiXti1,
1ip sont ind´
ependantes, la variable XtiXti1suivant la loi N(0,titi1).
D´
emonstration. L’implication (i)(ii) est la Proposition 2.1. Montrons l’implica-
tion (ii)(iii). On suppose que (Xt)t0est un processus gaussien centr´
e de covari-
ance K(s,t) = st, et on note Hl’espace gaussien engendr´
e par (Xt)t0. Alors
X0suit une loi N(0,0)et donc X0=0 p.s. Ensuite, fixons s>0 et notons Hs
l’espace vectoriel engendr´
e par (Xr,0rs),˜
Hsl’espace vectoriel engendr´
e par
(Xs+uXs,u0). Alors Hset ˜
Hssont orthogonaux puisque, pour r[0,s]et u0,
E[Xr(Xs+uXs)] = r(s+u)rs=rr=0.
Comme Hset ˜
Hssont aussi contenus dans le mˆ
eme espace gaussien H, on d´
eduit du
Th´
eor`
eme 1.2 que σ(Hs)et σ(˜
Hs)sont ind´
ependantes. En particulier, si on fixe t>s,
la variable XtXsest ind´
ependante de σ(Hs) = σ(Xr,rs). Enfin, en utilisant la
forme de la fonction de covariance, on voit ais´
ement que XtXssuit la loi N(0,t
s).
L’implication (iii)(iv) est facile : en prenant s=tp1et t=tpon obtient
d’abord que XtpXtp1est ind´
ependante de (Xt1,...,Xtp1)et on continue par
r´
ecurrence.
Montrons l’implication (iv)(i). Il d´
ecoule facilement de (iv) que Xest un pro-
cessus gaussien. Ensuite, si fest une fonction en escalier sur R+de la forme
f=n
i=1λi1]ti1,ti], on pose
G(f) =
n
i=1
λi(XtiXti1)
(observer que cette d´
efinition ne d´
epend pas de l’´
ecriture choisie pour f). On v´
erifie
imm´
ediatement que si gest une autre fonction en escalier du mˆ
eme type on a
E[G(f)G(g)] = ZR+
f(t)g(t)dt.
Grˆ
ace `
a la densit´
e des fonctions en escalier dans L2(R+,B(R+),dt), on en d´
eduit
que l’application f7→ G(f)s’´
etend en une isom´
etrie de L2(R+,B(R+),dt)dans
l’espace gaussien engendr´
e par X. Enfin, par construction, G([0,t]) = XtX0=Xt.
ut
Remarque. La propri´
et´
e (iii) (avec seulement le fait que la loi de XtXsne d´
epend
que de ts) est souvent appel´
ee propri´
et´
e d’ind´
ependance et de stationnarit´
e des
2.1 Le pr´
e-mouvement brownien 17
accroissements. Le pr´
e-mouvement brownien est un cas particulier de la classe des
processus `
a accroissements ind´
ependants et stationnaires.
Corollaire 2.1. Soit (Bt)t0un pr´
e-mouvement brownien. Alors, pour tout choix de
0=t0<t1<··· <tn, la loi du vecteur (Bt1,Bt2,...,Btn)a pour densit´
e
p(x1,...,xn) = 1
(2π)n/2pt1(t2t1).. .(tntn1)exp
n
i=1
(xixi1)2
2(titi1),
o`
u par convention x0=0.
D´
emonstration. Les variables Bt1,Bt2Bt1,...,BtnBtn1´
etant ind´
ependantes et
de lois respectives N(0,t1),N(0,t2t1),...,N(0,tntn1), le vecteur (Bt1,Bt2
Bt1,...,BtnBtn1)a pour densit´
e
q(y1,...,yn) = 1
(2π)n/2pt1(t2t1).. .(tntn1)exp
n
i=1
y2
i
2(titi1),
et il suffit de faire le changement de variables xi=y1+···+yipour i∈ {1,...,n}.
ut
Remarque. Le Corollaire 2.1, avec la propri´
et´
eB0=0, d´
etermine les lois marginales
de dimension finie du pr´
e-mouvement brownien (rappelons qu’il s’agit de la donn´
ee,
pour tout choix de t1,...,tpR+, de la loi de (Bt1,...,Btp)). La propri´
et´
e (iv) de
la Proposition 2.2 montre qu’un processus ayant les mˆ
emes lois marginales qu’un
pr´
e-mouvement brownien doit aussi ˆ
etre un pr´
e-mouvement brownien.
Proposition 2.3. Soit B un pr´
e-mouvement brownien. Alors,
(i) B est aussi un pr´
e-mouvement brownien;
(ii) pour tout λ>0, le processus Bλ
t=1
λBλ2test aussi un pr´
e-mouvement brown-
ien (invariance par changement d’´
echelle);
(iii) pour tout s 0, le processus B(s)
t=Bs+tBsest un pr´
e-mouvement brownien
ind´
ependant de σ(Br,rs)(propri´
et´
e de Markov simple).
D´
emonstration. (i) et (ii) sont tr`
es faciles. D´
emontrons (iii). Avec les notations
de la preuve de la Proposition 2.2, la tribu engendr´
ee par B(s)est σ(˜
Hs), qui est
ind´
ependante de σ(Hs) = σ(Br,rs). Pour voir que B(s)est un pr´
e-mouvement
brownien, il suffit de v´
erifier la propri´
et´
e (iv) de la Proposition 2.2, ce qui est
imm´
ediat puisque B(s)
tiB(s)
ti1=Bs+tiBs+ti1.ut
fL2(R+,B(R+),dt),
G(f) = Z
0
f(s)dBs
et de mˆ
eme
Si Best un pré-mouvement brownien et Gest la mesure gaussienne associée, on
note souvent pour
18 2 Le mouvement brownien
G(f1[0,t]) = Zt
0
f(s)dBs,G(f1]s,t]) = Zt
s
f(r)dBr.
Cette notation est justifi´
ee par le fait que si u<v,
Zv
u
dBs=G(]u,v]) = BvBu.
L’application f7→ R
0f(s)dBs(c’est-`
a-dire la mesure gaussienne G) est alors ap-
pel´
ee int´
egrale de Wiener par rapport au pr´
e-mouvement brownien B. Rappelons
que R
0f(s)dBssuit une loi gaussienne N(0,R
0f(s)2ds).
Comme les mesures gaussiennes ne sont pas de “vraies” mesures, la notation
R
0f(s)dBsne correspond pas `
a une “vraie” int´
egrale d´
ependant de ω. Une partie
importante de la suite de ce cours est consacr´
ee `
a´
etendre la d´
efinition de R
0f(s)dBs
`
a des fonctions fqui peuvent d´
ependre de ω.
2.2 La continuit´
e des trajectoires
D´
efinition 2.2. Si (Xt)tTest un processus al´
eatoire `
a valeurs dans un espace E,
les trajectoires de Xsont les applications T3t7→ Xt(ω)obtenues en fixant ω. Les
trajectoires constituent donc une famille, index´
ee par ω, d’applications de T
dans E.
Soit B= (Bt)t0un pr´
e-mouvement brownien. Au stade o`
u nous en sommes, on
ne peut rien affirmer au sujet des trajectoires de B: il n’est mˆ
eme pas ´
evident (ni vrai
en g´
en´
eral) que ces applications soient mesurables. Le but de ce paragraphe est de
montrer que, quitte `
a modifier “un peu” B, on peut faire en sorte que ses trajectoires
soient continues.
D´
efinition 2.3. Soient (Xt)tTet (˜
Xt)tTdeux processus al´
eatoires index´
es par le
mˆ
eme ensemble Tet `
a valeurs dans le mˆ
eme espace E. On dit que ˜
Xest une modi-
fication de Xsi
tT,P[˜
Xt=Xt] = 1.
Remarquons que le processus ˜
Xa alors mˆ
emes lois marginales de dimension
finie que X. En particulier, si Xest un pr´
e–mouvement brownien, ˜
Xest aussi un
pr´
e-mouvement brownien. En revanche, les trajectoires de ˜
Xpeuvent avoir un com-
portement tr`
es diff´
erent de celles de X. Il peut arriver par exemple que les trajectoires
de ˜
Xsoient toutes continues alors que celles de Xsont toutes discontinues.
D´
efinition 2.4. Les deux processus Xet ˜
Xsont dits indistinguables s’il existe un
sous-ensemble n´
egligeable Nde tel que
ω\N,tT,Xt(ω) = X0
t(ω).
Dit de mani`
ere un peu diff´
erente, les processus Xet ˜
Xsont indistinguables si
2.2 La continuit´
e des trajectoires 19
P(tT,Xt=˜
Xt) = 1.
(Cette formulation est l´
eg`
erement abusive car l’´
ev´
enement {∀tT,Xt=˜
Xt}n’est
pas forc´
ement mesurable.)
Si deux processus sont indistinguables, l’un est une modification de l’autre. La
notion d’indistinguabilit´
e est cependant (beaucoup) plus forte : deux processus in-
distinguables ont p.s. les mˆ
emes trajectoires. Dans la suite on identifiera deux pro-
cessus indistinguables. Une assertion de la forme “il existe un unique processus tel
que ...” doit toujours ˆ
etre comprise “`
a indistinguabilit´
e pr`
es”, mˆ
eme si cela n’est pas
dit explicitement.
Si T=Iest un intervalle de R, et si Xet ˜
Xsont deux processus dont les trajec-
toires sont p.s. continues, alors ˜
Xest une modification de Xsi et seulement si Xet
˜
Xsont indistinguables. En effet, si ˜
Xest une modification de Xon a p.s. tIQ,
Xt=˜
Xt(on ´
ecarte une r´
eunion d´
enombrable d’ensembles de probabilit´
e nulle) d’o`
u
p.s. tI,Xt=˜
Xtpar continuit´
e. Le mˆ
eme argument marche si on suppose seule-
ment les trajectoires continues `
a droite, ou `
a gauche.
Th´
eor`
eme 2.1 (lemme de Kolmogorov). Soit X = (Xt)tIun processus al´
eatoire
index´
e par un intervalle born´
e I de R,`
a valeurs dans un espace m´
etrique complet
(E,d). Supposons qu’il existe trois r´
eels q,ε,C>0tels que, pour tous s,tI,
E[d(Xs,Xt)q]C|ts|1+ε.
d(˜
Xs(ω),˜
Xt(ω)) Cα(ω)|ts|α.
En particulier, ˜
X est une modification continue de X (unique `
a indistinguabilit´
e pr`
es
d’apr`
es ci-dessus).
Remarques. (i) Si Iest non born´
e, par exemple si I=R+, on peut appliquer le
Th´
eor`
eme 2.1 `
aI= [0,1],[1,2],[2,3],etc. et on trouve encore que Xa une modifi-
cation continue, qui est localement h¨
old´
erienne d’exposant αpour tout α]0,ε/q[.
(ii) Il suffit de montrer que pour α]0,ε/q[fix´
e, Xa une modification dont
les trajectoires sont h¨
old´
eriennes d’exposant α. En effet, on applique ce r´
esultat `
a
une suite αkε/qen observant que les processus obtenus sont alors tous indistin-
guables, d’apr`
es la remarque pr´
ec´
edant le th´
eor`
eme.
D´
emonstration. Pour simplifier l’´
ecriture, on prend I= [0,1], mais la preuve est la
mˆ
eme pour un intervalle born´
e quelconque. On note Dl’ensemble (d´
enombrable)
des nombres dyadiques de l’intervalle [0,1[, c’est-`
a-dire des r´
eels t[0,1]qui
s’´
ecrivent
t=
p
k=1
εk2k
o`
up1 est un entier et εk=0 ou 1, pour tout k∈ {1,...,p}.
Alors, il existe une modification ˜
X de X dont les trajectoires sont höldériennes
d’exposant
α
pour tout
ω
Ω
et tout
α
]0,
ε
q[: cela signifie que, pour tout
α
]0,
ε
q[,il existe une constante C
α
(
ω
)telle que, pour tous s,tI,
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