“ L Prise en charge de l’hépatite C en 2014 :

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ÉDITORIAL
Prise en charge de l’hépatite C en 2014 :
le point de vue de l’hépatologue
Management of the hepatitis C according to the liver
physician
“
L
Lawrence Serfaty
(Service d’hépato-gastroentérologie,
hôpital Saint-Antoine, Paris).
1. Leroy V, Serfaty L, Bourlière
M et al. Protease inhibitorbased triple therapy in chronic
hepatitis C: guidelines by the
French Association for the
Study of the Liver. Liver Intern
2012;32:1477-92.
2. Jacobson IM, Dore GJ,
Foster GR et al. Simeprevir
with peginterferon/ribavirin
for chronic HCV genotype-1
infection in treatment
naive patients: results from
QUEST-1, a phase III trial.
J Hepatol 2013;58:S574.
3. Lawiitz E, Mangia A, Wyles D
et al. Sofosbuvir for previously
untreated chronic hepatitis
C infection. N Engl J Med
2013;368:1878-87.
a prise en charge thérapeutique des patients atteints d’hépatite C est en pleine
mutation avec actuellement plus d’une centaine de molécules en cours
de développement. Depuis le début des années 2000, la caractérisation
des protéines du virus de l’hépatite C (VHC) a permis de développer des antiviraux
directs comme les premiers inhibiteurs de protéase NS3/4A de type télaprévir
ou bocéprévir, commercialisés en France depuis 2011. Ces 2 molécules ont permis
d’améliorer l’efficacité antivirale de la bithérapie pégylée chez les patients infectés
par le génotype 1 avec un gain de réponse virologique soutenue (RVS) d’environ 30 %
et une diminution de la durée de traitement à 24-28 semaines chez près de 1 patient
sur 2, mais au prix d’une moins bonne tolérance, d’interactions médicamenteuses
et de survenue de variants résistants chez les patients en échec (1). Ces trithérapies
étant peu ou pas efficaces chez les patients infectés par un autre génotype,
la bithérapie pégylée reste le traitement de référence chez ces derniers,
qui représentent environ 40 % des patients VHC. L’autorisation de mise sur le marché
(AMM), en 2014, de 2 nouveaux inhibiteurs spécifiques pangénomiques,
le siméprévir, inhibiteur de seconde vague de la protéase NS3/4A du VHC
et le sofosbuvir, inhibiteur nucléosidique de la polymérase NS5B, devrait encore
améliorer la prise en charge des patients en termes de RVS (respectivement 80 et 90 %
chez les patients de génotype 1 naïfs de traitement), de durée de traitement
(12 semaines avec le sofosbuvir) et de tolérance (une seule prise par jour avec peu
ou pas d’effets secondaires propres) [2, 3]. Ces 2 inhibiteurs devront encore être
utilisés en association à la bithérapie pégylée chez la majorité des patients.
Seuls les patients infectés par les génotypes 2 ou 3 devraient bénéficier
d’un traitement sans interféron dans le cadre de l’AMM, à savoir la combinaison
sofosbuvir/ribavirine qui a montré une efficacité au moins similaire à celle
de la bithérapie pégylée et une meilleure tolérance (3). Cependant, des études ont
suggéré que cette combinaison était également efficace chez les patients infectés
par le génotype 4 et prévenait la récidive du VHC sur le greffon chez les patients
en attente de greffe. Les études chez les patients ayant une cirrhose décompensée
ou greffés hépatiques sont en cours. Le siméprévir et le sofosbuvir sont actuellement
délivrés dans le cadre d’une autorisation temporaire d’utilisation (ATU) de cohorte
avec des indications restreintes1. Cet accès restreint devrait persister au-delà
des AMM en attendant le prix de remboursement du traitement qui pourrait
ne pas être fixé avant fin 2014. Un élargissement des indications est en cours
de discussion entre les différents protagonistes que sont l’Association française pour
l’étude du foie (AFEF), l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits
de santé (ANSM) et les laboratoires concernés. Le daclatasvir, inhibiteur de NS5A,
devrait également obtenir une ATU de cohorte, avec toujours une indication
1 le siméprévir est indiqué dans le traitement de l’hépatite chronique C due au virus de génotype 4, en association avec
le peg-interféron et la ribavirine, chez les adultes ayant une maladie hépatique avec un stade de fibrose F4 (cirrhose),
avec ou sans co-infection par le virus de l’immunodéficience humaine (VIH), en échec après traitement par interféron
(pégylé ou non) avec ou sans ribavirine ; le sofosbuvir est indiqué chez les patients atteints d’hépatite chronique C
présentant une maladie à un stade avancé pour lesquels il n’existe pas d’alternatives thérapeutiques appropriées ou
inscrits sur liste de transplantation hépatique ou avec une récidive agressive après transplantation hépatique.
198 | La Lettre de l’Infectiologue • Tome XXVIII - no 6 - novembre-décembre 2013
ÉDITORIAL
4. Sulkowski MS, Gardiner D,
Rodriguez-Torres M et al.
Sustained virological response
with daclatasvir + sofosbuvir
± ribavirin in chronic HCV
genotype-1 infected patients
who previously failed
telaprevir or boceprevir.
J Hepatol 2013;58:S570.
5. Lawitz E, Poordad FF,
Pang PS et al. Sofosbuvir
and ledipasvir fixed-dose
combination with and without
ribavirin in treatment-naive
and previously treated patients
with genotype 1 hepatitis C
virus infection (LONESTAR):
an open-label, randomised,
phase 2 trial. Lancet 2013
Nov 1 [Epub ahead of print].
6. Wiese M, Fischer J,
Löbermann M et al. Evaluation
of liver disease progression in
the German hepatitis C virus
(1b)-contaminated anti-D
cohort at 35 years after
infection. Hepatology 2013
Aug 8 [Epub ahead of print].
7. Heeren M, Sojref F,
Schuppner R et al. Active at
night, sleepy all day - sleep
disturbances in patients with
hepatitis C virus infection.
J Hepatol 2013 Dec 2
[Epub ahead of print].
8. Galbraith JW, Franco RA,
Rodgers JS et al. Screening
in Emergency Department
identifies a large cohort
of unrecognized chronic
hepatitis C virus infection
among baby boomers. 64th
Annual Meeting of the
American Association for
the Study of Liver Diseases
(AASLD 2013). Washington,
DC, November 1-5, 2013.
Abstract LB-6.
9. Poynard T, Moussalli J,
Munteanu M et al. Slow
regression of liver fibrosis
presumed by repeated
biomarkers after virological
cure in patients with chronic
hepatitis C.
J Hepatol 2013;59:675-83.
restreinte. Le sofosbuvir en association avec le siméprévir ou le daclatasvir, avec
ou sans ribavirine, a fait l’objet de plusieurs études montrant des taux de RVS
de l’ordre de 95 %, y compris chez des patients en échec de trithérapie bocéprévir
ou télaprévir, et une excellente tolérance (4). Le cadre de prescription
de ces combinaisons reste à déterminer.
Dans un futur proche, les combinaisons sans interféron associant plusieurs
antiviraux directs (Combo), pangénotypiques le plus souvent, devraient à nouveau
bouleverser le paysage thérapeutique de l’hépatite C. Les études de phase II suggèrent
que ces combos associant 2, voire 3, antiviraux directs de différentes classes
(anti-NS3/N4A, anti-NS5A, anti-NS5B nucléosidique ou non nucléosidique), avec
ou sans ribavirine, permettent d’obtenir des taux de RVS supérieurs à 90 %, y compris
chez des patients cirrhotiques en échec de trithérapie porteurs de variants résistants
au télaprévir ou au bocéprévir (5). Chez les patients faciles à traiter, les durées
de traitement pourraient être raccourcies à 8, voire 6 semaines. Les résultats
des premières études de phase III devraient être présentés lors du prochain congrès
de l’European Asssociation for the Study of the Liver (EASL). Ainsi, il est probable
que, dans un futur proche, l’interféron n’aura plus sa place dans le traitement
de l’hépatite C. Bien que les études de phase II suggèrent que l’association
de la ribavirine aux combos ne modifie pas de façon significative le taux de RVS,
la place de cette dernière reste encore à déterminer.
Le coût élevé des nouvelles molécules (prix ATU du sofosbuvir : 19 000 €/mois,
du siméprévir 11 000 €/mois) soulève le problème de leur coût-efficacité,
en particulier chez les patients ayant une hépatite minime. La progression
de la fibrose est très lente dans cette population, comme cela a été suggéré dans
la cohorte de jeunes femmes allemandes contaminées dans les années 1970 et suivies
plus de 30 ans (6). Les comorbidités sont probablement à prendre en compte,
le risque de cirrhose étant fortement associé à l’existence d’une obésité dans
cette étude. Les manifestations extrahépatiques, comme la survenue d’un diabète
ou d’une cryoglobulinémie, mais également le retentissement fonctionnel
de l’infection VHC comme la fatigue ou les troubles du sommeil, devraient être pris
en compte dans l’indication du traitement (7). L’accès, pour le plus grand nombre
de patients, à ces nouveaux traitements très efficaces, soulève également le problème
du dépistage de l’infection du VHC en France. En effet, la politique de dépistage
dans les groupes à risque a montré ses limites avec un taux stagnant autour de 60 %.
Aux États-Unis, le dépistage chez les “baby-boomer” nés entre 1945 et 1965 devrait
leur permettre de rattraper leur retard. Les premières études indiquent
une séroprévalence supérieure à 10 % dans cette population (8).
Bien que l’épidémiologie du VHC soit probablement différente en France,
ces résultats devraient nous amener à réfléchir sur de nouvelles approches
dans le dépistage. L’utilisation de tests rapides (salivaire ou sang au doigt) pourraient
également optimiser le dépistage, en particulier dans les populations défavorisées.
Enfin, RVS ne signifie pas “guérison” de la maladie hépatique. Chez les patients
cirrhotiques, la poursuite de la surveillance pour le dépistage du CHC est clairement
recommandée. Chez les patients ayant une RVS, une étude récente suggère
une régression très lente de la fibrose évaluée par le Fibrotest après 10 ans
d’évolution et la persistance d’un risque de CHC (9). Une explication pourrait être
la persistance de lésions de stéatose, voire de stéatohépatite, après éradication
du VHC, probablement en raison du syndrome métabolique associé à la sévérité de la
fibrose chez les patients infectés par le VHC. Ces données suggèrent que l’hépatite C
reste avant tout une maladie hépatique, nécessitant une surveillance spécifique
et rapprochée, même après éradication du virus.
®
L’auteur n’a pas précisé
ses éventuels liens d’intérêts.
”
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