La lettre de l’hépato-gastroentérologue - n° 3 - vol. VI - mai-juin 2003
DOSSIER THÉMATIQUE
87
le syndrome de Korsakoff. La vitamine B1 est indispensable au
métabolisme des glucides, un apport préférentiel en glucides
majore les effets de la carence. La carence en vitamine B6 est
plus rare, la carence en niacine (vitamine PP) doit être prévenue
car elle est responsable d’une confusion mentale, de troubles cuta-
nés et digestifs. La carence en acide folique (vitamine B9) est
pratiquement constante dans la cirrhose alcoolique. Elle est res-
ponsable d’une anémie macrocytaire, parfois d’une pancytopé-
nie et de troubles neurologiques. La carence en vitamines lipo-
solubles est favorisée par la cholestase conduisant à une
maldigestion et une malabsorption des graisses. La carence en
vitamine A est responsable de troubles oculaires, la carence en
vitamine D a été surtout décrite dans les cirrhoses biliaires, mais
elle est très fréquente, quelle que soit l’étiologie de la cirrhose.
Elle est responsable d’une décalcification, voire d’une véritable
ostéomalacie et expose à un risque accru de fractures osseuses.
La carence en vitamine K n’est observée qu’en cas de cholestase
sévère prolongée. La carence en vitamine E dans la cirrhose pour-
rait participer à la diminution des mécanismes de défense contre
les radicaux libres.
Pour les minéraux, il faut souligner la fréquence élevée de carence
en phosphore, surtout chez le patient alcoolique, dont les consé-
quences sont sévères pour le métabolisme énergétique. La carence
en magnésium peut être également observée chez les patients
recevant des diurétiques pendant longtemps. Cette carence peut
rendre compte d’hypokaliémie dont la correction par le seul
apport de potassium est difficile.
Pour les oligoéléments, il faut insister sur la carence en zinc d’une
très grande fréquence. L’hypoalbuminémie explique pour une part
l’hypozincémie car une partie du zinc circulant est liée à l’albu-
mine. Il existe, par ailleurs, une augmentation de l’élimination
urinaire du zinc. La carence en zinc a des conséquences multiples,
en particulier sur le plan cutané et sur les défenses immunitaires,
qui sont diminuées.
La prise en charge nutritionnelle
Une appréciation de l’état nutritionnel incluant l’évaluation des
ingesta est justifiée chez les patients cirrhotiques. Elle permet de
définir les moyens de la prise en charge nutritionnelle, qui repose
sur l’alimentation orale dans la grande majorité des cas mais peut
faire appel aux techniques de l’alimentation artificielle.
Les besoins énergétiques sont de l’ordre de 30 à 35kcal/kg de
poids sec. Ils peuvent être supérieurs en cas de dénutrition sévère.
Une alimentation orale apportant 40kcal/kg/j pendant un mois
permet une amélioration de l’état nutritionnel qui se fait cepen-
dant préférentiellement aux dépens de la masse grasse (14). Les
glucides doivent représenter 50 à 55% de la ration calorique, les
lipides 30 à 35%. Les besoins en protéines sont de 1g/kg/j de
poids sec ; il est possible de réaliser des apports de 1,5g/kg/j qui
sont bien tolérés. Le régime pauvre en protéines, longtemps pré-
conisé pour prévenir l’encéphalopathie, n’a pratiquement plus
d’indications. Un apport en protéines adapté aux besoins doit au
contraire être assuré. L’indication d’un régime pauvre en protides
(< 60g/j) est l’encéphalopathie chronique invalidante rebelle aux
traitements symptomatiques habituels et après exclusion des fac-
teurs déclenchants habituels. Ce type d’encéphalopathie est habi-
tuellement en rapport avec de gros shunts hépatiques et peut être
retenu comme critère d’indication à une transplantation hépa-
tique. Un apport spécifique en acides aminés ramifiés (valine,
isoleucine et surtout leucine) a été proposé en raison d’un défi-
cit spécifique en ces acides aminés. De nombreuses études ont
été réalisées et n’ont montré qu’un bénéfice modeste sur l’encé-
phalopathie hépatique et la balance azotée. Aujourd’hui, on ne
recommande donc plus une supplémentation spécifique en acides
aminés ramifiés, en revanche, on peut recommander les protéines
lactées comme source protéique car elles sont naturellement
riches en ce type d’acides aminés.
Les collations doivent être favorisées de façon à éviter les périodes
prolongées de jeûne. Les collations nocturnes permettent, de plus,
de positiver le bilan azoté. Lorsque la ration alimentaire reste
faible, il faut encourager la prise de suppléments diététiques, com-
posés de produits d’origine lactée. Le régime désodé apportant
au maximum 500mg de Na+par jour est indiqué en cas de réten-
tion hydrosodée. Cependant, le régime désodé longtemps pour-
suivi s’accompagne d’une diminution des ingesta et peut aggra-
ver la malnutrition; il est donc parfois nécessaire de l’élargir.
PLACE DE L’ALIMENTATION ARTIFICIELLE
L’alimentation entérale par sonde naso-gastrique est la technique
de choix d’alimentation artificielle. Elle n’expose pas à un risque
accru d’hémorragies digestives. Plusieurs études ont constaté
qu’elle entraîne une amélioration de paramètres biologiques, une
étude a montré une amélioration de la survie lorsqu’elle est pra-
tiquée durant quatre semaines (15). Son effet sur les paramètres
nutritionnels reste plus modeste. Dans l’hépatite alcoolique
aiguë, la nutrition entérale a une efficacité comparable sur la sur-
vie à la corticothérapie (16). Il n’existe pas de produits spéci-
fiques à l’insuffisance hépatocellulaire ; les produits hyperéner-
gétiques sont à privilégier car ils permettent un apport réduit en
eau en regard de l’apport calorique. L’intérêt d’un apport spéci-
fique en acides gras polyinsaturés mérite d’être discuté en rai-
son de leurs effets immunomodulateur et anti-inflammatoire. Les
indications de la nutrition entérale restent cependant à définir de
façon précise. Sa réalisation en pratique clinique courante n’ap-
porte, en effet, pas de bénéfice et paraît même entachée d’une
lourde mortalité, car elle est mise en œuvre tardivement chez des
malades présentant une maladie le plus souvent très sévère (6).
Sa faible acceptation par les patients et sa médiocre tolérance
sont également des facteurs limitants. En cas de gastroparésie et
de trouble de l’évacuation gastrique, la mise en place d’une sonde
naso-jéjunale est indiquée.