Manifestations cutanées associées aux inhibiteurs Mise au point

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Mise au point
Manifestations cutanées associées aux inhibiteurs
des récepteurs de l’EGF utilisés en cancérologie
Dermatological manifestations of epidermal growth factors receptor
inhibitors used in oncology
V. Descamps (Service de dermatologie, hôpital Bichat-Claude-Bernard, Paris)
Mots-clés : Inhibiteurs des récepteurs de l’EGF • Toxicité
cutanée • Cancérologie
Keywords: Inhibitors of Receptor Epidermal Growth Factor •
Adverse skin reaction • Oncology
L
es nouvelles thérapies ciblées utilisées en cancérologie
ont amélioré le pronostic de nombreux cancers.
Le dermatologue est confronté à de nouvelles
manifestations cutanées qui deviennent maintenant, pour
certaines, classiques, et pour lesquelles une prise en charge
adaptée est requise.
Parmi ces nouvelles biothérapies ciblées, les inhibiteurs des
récepteurs de l’Epidermal Growth Factor (EGF) sont les plus
utilisés ; ils sont responsables de manifestations cutanées
invalidantes auxquelles le dermatologue se trouve de plus en
plus souvent confronté (1).
Les inhibiteurs de l’EGFR sont divisés en 2 catégories
(tableau I) : les anticorps monoclonaux (cétuximab, panitumumab, etc.) qui se lient au domaine extracellulaire du récepteur, et les inhibiteurs de la tyrosine kinase intracellulaire, de
bas poids moléculaire (géfitinib, erlotinib,etc.). Ces derniers
interfèrent avec le domaine d’activité enzymatique de la tyrosine kinase en entrant en compétition avec l’ARP ; ils peuvent
inhiber plusieurs récepteurs et avoir une activité plus large,
interagissant aussi avec HER2 (Human Epidermal growth factor
Receptor 2) [lapatinib]. Leur nom découle d’une terminologie
reposant sur une nomenclature internationale (tableau II).
Éruption papulopustuleuse
La toxicité cutanée la plus fréquente est un rash papulopustuleux assez caractéristique (figure 1) [2-4]. Son incidence dépend
du type d’inhibiteur et de la posologie. Il est très fréquent avec
le cétuximab (89 % dans les études cliniques, dont 12 % de sévérité 3 ou 4) [3]. Il est moins fréquent avec le lapatinib (47 % dont
3 % de sévérité 3 ou 4). Son incidence est intermédiaire avec
le panitumumab et l’erlotinib (respectivement 57 et 75 %) [3].
Tableau I. Principales thérapies ciblées anti-EGFR utilisées en cancérologie.
Cibles
Molécules
Nom commercial
Principales indications
EGFR
Erlotinib
Tarceva®
• Cancer bronchique non à petites cellules
• Cancer du pancréas
EGFR
Géfitinib
Iressa®
Cancer bronchique non à petites cellules
EGFR + HER2
Lapatinib
Tyverb®
Cancer du sein
EGFR + HER2
Canertinib
CI-1033®
Nombreuses indications en cours
EGFR + HER2
Vandetanib
Zactima®
• Cancer bronchique non à petites cellules
• Cancer médullaire de la thyroïde
EGFR
Cetuximab
Erbitux®
• Cancer colorectal
• Carcinome épidermoïde cutané et ORL
EGFR
Panitumumab
Vectibix®
Cancer colorectal
EGFR + HER2
Pertuzumab
Cancer du sein
EGFR
Nimotuzumab
• Gliome
• Carcinome épidermoïde
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Tableau II. Rappel de la nomenclature des suffixes des thérapies
ciblées.
Cible
Suffixe
Anticorps monoclonal
-omab* : de souris
-amab* : de rat
-emab* : de hamster
-imab* : de primate
-ximab* : source chimérique
-zumab* : source humanisée
-umab* : source complètement
humaine
Récepteurs solubles
-ercept
Antagonistes compétitifs récepteur
-inra
Inhibiteurs d’activité tyrosine kinase
d’un ou de plusieurs récepteurs
membranaires
-inib et -enib
Inhibiteurs de protéasomes
-zomib
* La cible peut être indiquée par la syllabe précédente “-tu” ou “-tum” pour tumeur.
Figure 2. Éruption papuleuse sur les zones photoexposées avec
limites nettes au niveau de la région cervicale.
rait faire discuter une nature “acnéiforme” des lésions. En fait,
leur physiopathologie est différente. L’éruption des papulopustules est souvent précédée d’une sensation de dysesthésie qui
peut laisser place à un aspect croûteux purulent (figure 1).
Un érythème parsemé de télangiectasies est généralement
observé à la phase finale.
Dans la majorité des cas, le grade de sévérité est de 1 (< 10 %
sans retentissement psychologique) à 2 (10 à 30 %). Les rashs
sont plus fréquents et plus sévères avec les anticorps monoclonaux qu’au cours des traitements par inhibiteurs des tyrosine
kinases.
Figure 1. Éruption papulopustuleuse, trichomégalie sous erlotinib.
L’évolution est souvent favorable, avec une stabilisation et une
régression partielle des lésions malgré la poursuite du traitement. L’éruption régresse totalement dans les 4 semaines
suivant l’arrêt du traitement.
L’éruption est caractérisée par des lésions papulopustuleuses parfois prurigineuses, prédominant au niveau des
zones séborrhéiques du visage (nez, joues, front, menton,
régions péri-oculaires, sillons nasogéniens) et le cuir chevelu
(figures 1 et 2). Une atteinte de la partie supérieure du tronc
dessinant un V est classique ; une atteinte plus diffuse est
possible. Généralement, les lésions apparaissent dès les
2 premières semaines de traitement. L’aspect clinique pour-
Cette éruption peut altérer de façon importante la qualité de
vie des patients et motiver le désir d’arrêter le traitement. Les
symptômes les plus invalidants sont les sensations de douleurs
et de brûlures. Ainsi, jusqu’à 32 % des patients arrêtent définitivement leur traitement, et 76 % l’interrompent de façon
transitoire pendant 2 à 3 semaines. Mais dans ces études, seuls
8 % des patients étaient adressés à des dermatologues. Une
collaboration plus étroite entre cancérologues et dermatologues devrait donc permettre de limiter les interruptions de
traitement (3).
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Il n’a pas été mis en évidence de facteurs de risque tels
qu’un antécédent d’acné ou de rosacée ou tels que l’origine
ethnique (4). Les patients atteints de carcinome bronchique
et n’ayant pas renoncé au tabac seraient moins exposés que
les patients ayant arrêté de fumer. L’exposition aux ultraviolets
serait aggravante (4). La photoprotection serait donc à recommander chez les patients à phototype clair (figure 2, p. 179).
Sur le plan physiopathologique, il est évident que cet effet
indésirable est en lien avec la classe médicamenteuse. Les
récepteurs de l’EGF sont exprimés au niveau des kératinocytes
des couches basales et suprabasales de l’épiderme et dans la
gaine externe du follicule pileux. L’interruption de la voie de
signalisation de l’EGF est à l’origine d’un arrêt de la prolifération et d’une augmentation de la différenciation des kératinocytes de façon prématurée. Il existe de plus une augmentation
de la synthèse et de la production par les kératinocytes de
cytokines pro-inflammatoires. Histologiquement, un aspect
de folliculite suppurée est observé, avec une inflammation
riche en polynucléaires.
Prise en charge thérapeutique
des rashs papulopustuleux
La sévérité des effets indésirables cutanés se mesure le plus
souvent à l’aide de la classification CTCAE (Common Terminology Criteria for Adverse Events), qui propose 5 stades de
mesure pour les paramètres suivants : sécheresse cutanée,
atteinte unguéale, alopécie, trouble de la pigmentation, photo-
sensibilité, prurit, éruption cutanée (5). En parallèle est mesuré
le retentissement sur la qualité de vie. Une classification spécifique des effets indésirables des inhibiteurs des EGFR est en
cours d’élaboration (6). L’approche de leur prise en charge
associe un traitement préventif et un traitement de l’éruption
en fonction de sa sévérité.
Les mesures préventives comprennent la photoprotection, la
restriction des douches trop chaudes (pour limiter la xérose
cutanée) et des produits topiques alcooliques.
Les traitements disponibles qui ont pu être évalués au cours
de ces dernières années dans des études randomisées – mais
le plus souvent dans des études limitées ou de simples cas
cliniques – associent : antibiotiques topiques et systémiques,
antiseptiques, dermocorticoïdes et corticothérapie générale,
pimécrolimus et rétinoïdes topiques ou systémiques (3).
Actuellement, les rétinoïdes topiques et le peroxyde de benzoyle
sont déconseillés car ils majorent la sécheresse cutanée sans
apporter de bénéfice thérapeutique. Une étude randomisée
avec le tazarotène n’a pas montré de bénéfice (3). De même,
des études randomisées avec le pimécrolimus n’ont pas montré
de réduction des réactions cutanées au cétuximab (7). Les traitements recommandés pour les rashs modérés à sévères sont
dominés par les tétracyclines par voie générale (doxycycline
ou minocycline). Du fait du risque de DRESS (Drug Rash with
Eosinophilia and Systemic Symptoms) associé à la minocycline, nous aurions tendance à préférer en première intention la
doxycycline (recommandations personnelles). D’autres options
Figure 3. Modification de la nature des cheveux devenant bouclés et plus fins sous erlotinib.
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thérapeutiques recommandées associent des dermocorticoïdes
à des antibiotiques locaux (3).
Autres effets indésirables associés
aux inhibiteurs de l’EGFR
Une étude récente confirme une haute fréquence (38 %)
des infections à staphylocoque doré chez les patients sous
cétuximab, panitumumab, lapatinib et erlotinib (8). L’utilisation de mupirocine intranasale a été proposée pour réduire le
portage staphylococcique.
De nombreux autres effets indésirables cutanés sont
rapportés : sécheresse cutanée pouvant être à l’origine de
lésions hyperkératosiques fissuraires des pulpes, prurit, modifications des muqueuses (mucite, stomatite, aphtes, ulcérations génitales), télangiectasies, alopécie, modification de la
texture des cheveux qui deviennent plus fins et plus brillants
(figure 3), hypertrichose, trichomégalie, paronychie avec surinfection due aux bacilles à Gram négatif (éviter les chaussures
trop serrées et les traumatismes), botrio­mycome (10, 11). II
En fonction de la sévérité de la réponse au traitement et du retentissement sur la qualité de vie, une diminution de la posologie
voire un arrêt transitoire du traitement peut être nécessaire (9).
Références bibliographiques
dermatologic adverse event-specific grading scale from the MASCC skin toxicity study group. Support Care Cancer 2010;18:509-22.
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Dermatol 2009;61:614-20.
8. Eilers RE Jr, Gandhi M, Patel JD et al. Dermatologic infections in cancer
patients treated with epidermal growth factor receptor inhibitor therapy.
J Natl Cancer Inst 2010;102:47-53.
9. Joshi SS, Ortiz S, Witherspoon JN et al. Effects of epidermal growth factor
receptor inhibitor-induced dermatologic toxicities on quality of life. Cancer
2010;116:3916-23.
10. Lane K, Goldstein SM. Erlotinib-associated trichomegaly. Ophthal Plast
Reconstr Surg 2007;23:65-6.
11. Fox LP. Nail toxicity associated with epidermal growth factor receptor
inhibitor therapy. J Am Acad Dermatol 2007;56:460-5.
1. Ciardiello F, Tortora G. EGFR antagonists in cancer treatment. N Engl
J Med 2008;358:1160-74.
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3. Balagula Y, Garbe C, Myskowski PL et al. Clinical presentation and management of dermatological toxicities of epidermal growth factor receptor inhibitors. Int J Dermatol 2011;50:129-46.
4. Jatoi A, Green EM, Rowland KM Jr, Sargent DJ, Alberts SR. Clinical predictors of severe cetuximab-induced rash: observations from 933 patients
enrolled in north central cancer treatment group study N0147. Oncology
2009;77:120-3.
5. Common Terminology Criteria for Adverse Events (CTCAE) Version 4.0. htp://
evs.nci.nih.gov/ftp1/CTCAE/CTCAE_4.02_2009-09-15_QuickReference_5x7.
pdf: [accessed 2010 February 28].
6. Lacouture ME, Maitland ML, Segaert S et al. A proposed EGFR inhibitor
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