Manifestations cutanées associées aux inhibiteurs Mise au point

Images en Dermatologie Vol. IV 6 novembre-décembre 2011
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Mise au point
Manifestations cutanées associées aux inhibiteurs
des récepteurs de l’EGF utilisés en cancérologie
Dermatological manifestations of epidermal growth factors receptor
inhibitors used in oncology
V. Descamps (Service de dermatologie, hôpital Bichat-Claude-Bernard, Paris)
Mots-clés : Inhibiteurs des récepteurs de l’EGF • Toxicité
cutanée • Cancérologie
Keywords: Inhibitors of Receptor Epidermal Growth Factor •
Adverse skin reaction • Oncology
Les nouvelles thérapies ciblées utilisées en cancérologie
ont amélioré le pronostic de nombreux cancers.
Le dermatologue est confronté à de nouvelles
manifestations cutanées qui deviennent maintenant, pour
certaines, classiques, et pour lesquelles une prise en charge
adaptée est requise.
Parmi ces nouvelles biothérapies ciblées, les inhibiteurs des
récepteurs de l
Epidermal Growth Factor
(EGF) sont les plus
utilisés ; ils sont responsables de manifestations cutanées
invalidantes auxquelles le dermatologue se trouve de plus en
plus souvent confronté
(1)
.
Les inhibiteurs de l’EGFR sont divisés en 2 catégories
(tableauI)
: les anticorps monoclonaux (cétuximab, panitu-
mumab, etc.) qui se lient au domaine extracellulaire du récep-
teur, et les inhibiteurs de la tyrosine kinase intracellulaire, de
bas poids moléculaire (géfitinib, erlotinib,etc.). Ces derniers
interfèrent avec le domaine d’activité enzymatique de la tyro-
sine kinase en entrant en compétition avec lARP ; ils peuvent
inhiber plusieurs récepteurs et avoir une activité plus large,
interagissant aussi avec HER2
(Human Epidermal growth factor
Receptor2)
[lapatinib]. Leur nom découle d’une terminologie
reposant sur une nomenclature internationale
(tableauII)
.
Éruption papulopustuleuse
La toxicité cutanée la plus fréquente est un rash papulopustu-
leux assez caractéristique
(figure 1)
[2-4]
. Son incidence dépend
du type d’inhibiteur et de la posologie. Il est très fréquent avec
le cétuximab(89 % dans les études cliniques, dont 12 % de sévé-
rité 3 ou 4)
[3]
. Il est moins fréquent avec le lapatinib (47 % dont
3 % de sévérité 3 ou 4). Son incidence est intermédiaire avec
le panitumumab et l’erlotinib (respectivement 57 et 75 %)
[3]
.
Tableau I. Principales thérapies ciblées anti-EGFR utilisées en cancérologie.
Cibles Molécules Nom commercial Principales indications
EGFR Erlotinib Tarceva® • Cancer bronchique non à petites cellules
• Cancer du pancréas
EGFR Géfitinib Iressa® Cancer bronchique non à petites cellules
EGFR + HER2 Lapatinib Tyverb® Cancer du sein
EGFR + HER2 Canertinib CI-1033® Nombreuses indications en cours
EGFR + HER2 Vandetanib Zactima® • Cancer bronchique non à petites cellules
• Cancer médullaire de la thyroïde
EGFR Cetuximab Erbitux® • Cancer colorectal
• Carcinome épidermoïde cutané et ORL
EGFR Panitumumab Vectibix® Cancer colorectal
EGFR + HER2 Pertuzumab Cancer du sein
EGFR Nimotuzumab • Gliome
• Carcinome épidermoïde
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rait faire discuter une nature “acnéiforme” des lésions. En fait,
leur physiopathologie est différente. L’éruption des papulopus-
tules est souvent précédée d’une sensation de dysesthésie qui
peut laisser place à un aspect croûteux purulent
(figure1)
.
Un érythème parsemé de télangiectasies est généralement
observé à la phase finale.
Dans la majorité des cas, le grade de sévérité est de 1 (<10 %
sans retentissement psychologique) à 2(10 à 30 %). Les rashs
sont plus fréquents et plus sévères avec les anticorps monoclo-
naux qu’au cours des traitements par inhibiteurs des tyrosine
kinases.
L’évolution est souvent favorable, avec une stabilisation et une
régression partielle des lésions malgré la poursuite du trai-
tement. L’éruption régresse totalement dans les 4semaines
suivant l’arrêt du traitement.
Cette éruption peut altérer de façon importante la qualité de
vie des patients et motiver le désir d’arrêter le traitement. Les
symptômes les plus invalidants sont les sensations de douleurs
et de brûlures. Ainsi, jusqu’à 32 % des patients arrêtent défi-
nitivement leur traitement, et 76 % l’interrompent de façon
transitoire pendant 2 à 3 semaines. Mais dans ces études, seuls
8 % des patients étaient adressés à des dermatologues. Une
collaboration plus étroite entre cancérologues et dermatolo-
gues devrait donc permettre de limiter les interruptions de
traitement
(3)
.
Figure 1. Éruption papulopustuleuse, trichomégalie sous erlotinib.
Tableau II. Rappel de la nomenclature des suxes des thérapies
ciblées.
Cible Suffixe
Anticorps monoclonal -omab* : de souris
-amab* : de rat
-emab* : de hamster
-imab* : de primate
-ximab* : source chimérique
-zumab* : source humanisée
-umab* : source complètement
humaine
Récepteurs solubles -ercept
Antagonistes compétitifs récepteur -inra
Inhibiteurs d’activité tyrosine kinase
d’un ou de plusieurs récepteurs
membranaires
-inib et -enib
Inhibiteurs de protéasomes -zomib
* La cible peut être indiquée par la syllabe précédente “-tu” ou “-tum” pour tumeur.
Figure 2. Éruption papuleuse sur les zones photoexposées avec
limites nettes au niveau de la région cervicale.
L’éruption est caractérisée par des lésions papulopustu-
leuses parfois prurigineuses, prédominant au niveau des
zones séborrhéiques du visage (nez, joues, front, menton,
régions péri-oculaires, sillons nasogéniens) et le cuir chevelu
(figures1et2)
. Une atteinte de la partie supérieure du tronc
dessinant un V est classique ; une atteinte plus diffuse est
possible. Généralement, les lésions apparaissent dès les
2premières semaines de traitement. L’aspect clinique pour-
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Il n’a pas été mis en évidence de facteurs de risque tels
qu’un antécédent d’acné ou de rosacée ou tels que l’origine
ethnique
(4)
. Les patients atteints de carcinome bronchique
et n’ayant pas renoncé au tabac seraient moins exposés que
les patients ayant arrêté de fumer. L’exposition aux ultraviolets
serait aggravante
(4)
. La photoprotection serait donc à recom-
mander chez les patients à phototype clair
(figure2, p.179)
.
Sur le plan physiopathologique, il est évident que cet effet
indésirable est en lien avec la classe médicamenteuse. Les
récepteurs de l’EGF sont exprimés au niveau des kératinocytes
des couches basales et suprabasales de l’épiderme et dans la
gaine externe du follicule pileux. L’interruption de la voie de
signalisation de l’EGF est à l’origine d’un arrêt de la proliféra-
tion et d’une augmentation de la différenciation des kératino-
cytes de façon prématurée. Il existe de plus une augmentation
de la synthèse et de la production par les kératinocytes de
cytokines pro-inflammatoires. Histologiquement, un aspect
de folliculite suppurée est observé, avec une inflammation
riche en polynucléaires.
Prise en charge thérapeutique
des rashs papulopustuleux
La sévérité des effets indésirables cutanés se mesure le plus
souvent à l’aide de la classification CTCAE
(Common Termi-
nology Criteria for Adverse Events)
, qui propose 5 stades de
mesure pour les paramètres suivants : sécheresse cutanée,
atteinte unguéale, alopécie, trouble de la pigmentation, photo-
sensibilité, prurit, éruption cutanée
(5)
. En parallèle est mesuré
le retentissement sur la qualité de vie. Une classification spéci-
fique des effets indésirables des inhibiteurs des EGFR est en
cours d’élaboration
(6)
. L’approche de leur prise en charge
associe un traitement préventif et un traitement de l’éruption
en fonction de sa sévérité.
Les mesures préventives comprennent la photoprotection, la
restriction des douches trop chaudes (pour limiter la xérose
cutanée) et des produits topiques alcooliques.
Les traitements disponibles qui ont pu être évalués au cours
de ces dernières années dans des études randomisées – mais
le plus souvent dans des études limitées ou de simples cas
cliniques – associent : antibiotiques topiques et systémiques,
antiseptiques, dermocorticoïdes et corticothérapie générale,
pimécrolimus et rétinoïdes topiques ou systémiques
(3)
.
Actuellement, les rétinoïdes topiques et le peroxyde de benzoyle
sont déconseillés car ils majorent la sécheresse cutanée sans
apporter de bénéfice thérapeutique. Une étude randomisée
avec le tazarotène n’a pas montré de bénéfice
(3)
. De même,
des études randomisées avec le pimécrolimus n’ont pas montré
de réduction des réactions cutanées au cétuximab
(7)
. Les trai-
tements recommandés pour les rashs modérés à sévères sont
dominés par les tétracyclines par voie générale (doxycycline
ou minocycline). Du fait du risque de DRESS
(Drug Rash with
Eosinophilia and Systemic Symptoms)
associé à la minocy-
cline, nous aurions tendance à préférer en première intention la
doxycycline (recommandations personnelles). D’autres options
Figure 3. Modification de la nature des cheveux devenant bouclés et plus fins sous erlotinib.
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thérapeutiques recommandées associent des dermocorticoïdes
à des antibiotiques locaux
(3)
.
Une étude récente confirme une haute fréquence(38 %)
des infections à staphylocoque doré chez les patients sous
cétuximab, panitumumab, lapatinib et erlotinib
(8)
. L’utilisa-
tion de mupirocine intranasale a été proposée pour réduire le
portage staphylococcique.
En fonction de la sévérité de la réponse au traitement et du reten-
tissement sur la qualité de vie, une diminution de la posologie
voire un arrêt transitoire du traitement peut être nécessaire
(9)
.
Autres effets indésirables associés
auxinhibiteurs de l’EGFR
De nombreux autres effets indésirables cutanés sont
rapportés : sécheresse cutanée pouvant être à l’origine de
lésions hyperkératosiques fissuraires des pulpes, prurit, modi-
fications des muqueuses (mucite, stomatite, aphtes, ulcéra-
tions génitales), télangiectasies, alopécie, modification de la
texture des cheveux qui deviennent plus fins et plus brillants
(figure3)
, hypertrichose, trichomégalie, paronychie avec surin-
fection due aux bacilles à Gram négatif (éviter les chaussures
trop serrées et les traumatismes), botrio mycome
(10,11)
.
II
Références bibliographiques
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