BATTLE : une voie prometteuse vers des traitements ciblés personnalisés du cancer

424 | La Lettre du Cancérologue Vol. XIX - n° 7 - septembre 2010
MISE AU POINT
BATTLE : une voie prometteuse
vers des traitements ciblés
personnalisés du cancer
bronchique non à petites
cellules ?
The BATTLE trial (Biomarker-integrated Approaches
of Targeted Therapy for Lung Cancer Elimination):
personalized therapy for lung cancer
C. Daniel*, S. Scholl*, P. Beuzeboc*
* Département d’oncologie médicale,
institut Curie, Paris.
L
e cancer du poumon est un problème majeur
de santé publique puisqu’il représente plus de
1,3 million de décès à travers le monde. Il est
responsable, aux États-Unis, de davantage de décès
que les cancers du sein, de la prostate, du côlon, du
foie, du rein et le mélanome réunis. Dans plus de
80 % des cas, il s’agit de cancers bronchiques non à
petites cellules (CBNPC), dont plus de la moitié sont
au stade métastatique lors du diagnostic ou de la
rechute. La survie des patients atteints de CBNPC de
stade IV ou assimilé (le stade IIIB ne pouvant pas être
irradié) est de 2 % à 5 ans, la médiane de survie étant
de 6 mois et la survie à 1 an de l’ordre de 20 %, selon
les données de l’IASLC (International Association
for the Study of Lung Cancer) publiées en 2007. Il
existe de ce fait un besoin en études cliniques pour
améliorer la survie de ces patients et l’un des axes
de recherche actuelle est d’identifier des biomar-
queurs prédictifs de sensibilité ou de résistance à
un traitement spécifique.
Les 4 cibles spécifiques
identifiées
Lors de la conception de l’étude BATTLE, en 2004,
4 cibles spécifiques pour le traitement du cancer du
poumon avaient été identifiées : EGFR, KRAS/BRAF,
RXR/cycline D1 et VEGF/VEGFR. À cette époque,
les investigateurs avaient également sélectionné
4 traitements ciblés prometteurs (aucun n’avait
alors d’AMM) : erlotinib, vandétanib, erlotinib-
bexarotène et sorafénib. Lerlotinib est un inhibiteur
de l’EGFR, le vandétanib un inhibiteur de VEGFR et
de l’EGFR, le bexarotène un rétinoïde ciblant les
récepteurs X des rétinoïdes (RXR) et le sorafénib est
un pan-inhibiteur (VEGFR 2, VEGFR 3, RAF kinase,
PDGFR, c-KIT, etc.).
Les biomarqueurs
Cette étude de phase II présentée par E.S. Kim
(MD Anderson Cancer Center) et al. a inclus, de
novembre 2006 à octobre 2009, 341 patients
présentant un CBNPC lourdement prétraité par
chimiothérapie, un performance status (PS) ECOG ≤ 2
et une maladie tumorale pouvant faire l’objet d’une
biopsie. Deux biopsies récentes à l’aiguille étaient
nécessaires pour l’analyse des biomarqueurs. Les
patients avec des métastases cérébrales stables
pouvaient également être inclus.
Les biopsies étaient réalisées en radiologie inter-
ventionnelle et les tissus tumoraux étaient
La Lettre du Cancérologue Vol. XIX - n° 7 - septembre 2010 | 425
Résumé
BATTLE est une étude de phase II randomisée dont les résultats ont été présentés par son investigateur
principal, le Pr E.S. Kim, du MD Anderson Cancer Center, lors de la dernière réunion annuelle de l’American
Association for Cancer Research (AACR) à Washington. BATTLE représente une étape importante vers
une médecine personnalisée dans le cancer du poumon. L’approche traditionnelle consiste en l’analyse
rétrospective des biomarqueurs à partir des échantillons tumoraux de patients inclus dans les études
cliniques. La nouvelle voie, que proposent les investigateurs de cette étude, repose sur une attribution du
bras de traitement en fonction des résultats de l’analyse des biomarqueurs avec, comme critère principal
de jugement, le contrôle de la maladie à 8 semaines. Cette étude démontre également qu’une analyse du
profil tumoral en temps réel est réalisable. Ce nouveau concept pour des études cliniques est devenu une
approche incontournable pour une médecine personnalisée du CBNPC.
Mots-clés
Essai BATTLE
Cancer bronchique
non à petites cellules
Erlotinib
Vandétanib
Bexarotène
Sorafénib
Highlights
BATTLE, a phase II randomized
trial in NSCLC, was presented
by E.S. Kim from the MD
Anderson Cancer Center at this
year’s AACR meeting. BATTLE
represents an important step
towards personalized medicine
in lung cancer. Traditionally,
biomarkers have been assessed
retrospectively from tumor
samples of patients included
in clinical trials. In the present
study the author propose an
innovative approach which
determine the allocation to
each treatment arm according
to initial biomarker testing.
The main endpoint is disease
control at 8 weeks. This study
demonstrates the feasibility
of upfront biomarker testing.
This approach should become
the standard in individualized
non-small cell cancer patient
treatment.
Keywords
BATTLE trial
Non-small cell lung cancer
Erlotinib
Vandetanib
Bexarotene
Sorafenib
immédiatement collectés par l’équipe d’anatomo-
pathologistes. L’analyse des biomarqueurs était
effecte en 2 semaines par l’équipe de biologie
moléculaire du laboratoire de recherche en patho-
logie thoracique. En 2005, aucun biomarqueur
prédominant n’existait dans le CBNPC. Aussi, les
investigateurs ont sélectionné ceux apparaissant
comme les plus prometteurs puis ils les ont classés
par ordre d’importance selon les données de la
littérature :
le premier groupe était constitué par les
marqueurs de l’EGFR incluant les mutations
(exons 18 à 21), le nombre de copies du gène et
l’amplification avec une polysomie élevée ;
le deuxième groupe comprenait le groupe des
marqueurs KRAS/BRAF, incluant les mutations de
ces gènes ;
le troisième groupe s’articulait autour du VEGF,
incluant l’étude de l’expression de VEGF et VEGFR-2
en immunohistochimie ;
le quatrième groupe était composé des
marqueurs RXR/cycline D1, incluant l’expression
de RXR (α, β, γ) et l’expression et/ou l’amplification
de cycline D1 ;
le cinquième groupe regroupait les patients
pour lesquels il n’y avait pas de tissu adéquat pour
l’analyse des biomarqueurs ou ceux pour lesquels
aucun des biomarqueurs sélectionnés n’avait pu
être identifié.
Les groupes d’étude
La hiérarchie des groupes était fondée sur les
données disponibles en 2005. En conséquence,
les patients dont les tumeurs présentaient des
marqueurs multiples ont été réunis dans un seul
groupe, sur la base du biomarqueur positif classé
dans le rang le plus élevé.
À la suite de l’analyse des biomarqueurs, les patients
étaient randomisés dans un premier temps de
manière égale puis, dans un second temps, de
manière adaptée aux résultats de l’analyse dans
l’un des 4 bras de traitement : erlotinib 150 mg/j ;
sorafénib 400 mg × 2/j ; vandétanib 300 mg/j ;
erlotinib 150 mg/j + bexarotène 400 mg/m2/j.
Le critère de jugement principal de cette étude
était le contrôle de la maladie à 8 semaines,
celui-ci incluant la réponse complète, la réponse
partielle ou la stabilisation selon les critères RECIST
(Response Evaluation Criteria in Solid Tumors). Les
critères secondaires étaient la survie globale, la
survie sans progression, le taux de réponse et la
toxicité.
Dans cette étude, un traitement a été défini comme
efficace lorsque le taux de contrôle de la maladie
était supérieur à 30 %.
Les patients ont été équitablement répartis entre
les 4 différents groupes de traitement lors de la
première phase de randomisation. En revanche,
lors de la seconde phase de randomisation
– dite “adaptive” aux résultats de l’analyse des
biomarqueurs –, le nombre de patients inclus dans
chacun des groupes de traitement était très inégal
(figure 1).
Les caractéristiques des patients inclus dans
cette étude reflètent typiquement le profil des
malades présentant un CBNPC réfractaire. Sur
les 341 patients inclus dans l’étude, 255 ont été
randomisés. La moyenne d’âge des patients rando-
misés était de 62 ans ; 86 % des patients avaient un
PS ECOG < 2. Le sous-type histologique était un
adénocarcinome dans 63 % des cas et un carcinome
épidermoïde dans 18 % des cas. Au moment de
la randomisation, 33 % des patients avaient des
métastases cérébrales. Les 45 % de patients qui
avaient été traités par erlotinib avant l’entrée dans
l’étude étaient randomisés en deux bras, sorafénib
et vandétanib.
Le tableau I reprend les résultats de l’analyse des
biomarqueurs à l’inclusion.
Les biopsies pulmonaires ont été compliquées d’un
pneumothorax dans 11,5 % des cas (16 biopsies
pulmonaires sur 139).
Les traitements testés dans cette étude ont été en
général bien tolérés, en accord avec les données
de toxicité connues à partir des études cliniques
antérieures. Une compliance supérieure à 90 % a
été observée pour chaque groupe de traitement.
100
80
60
Survie globale (%)
Mois
40
20
0
0 5
7,5 mois
11,3 mois
10 15
Contrôle de la maladie à 8 semaines (n = 104)
Absence de contrôle de la maladie à 8 semaines (n = 112)
p = 0,02
Le contrôle de la maladie (CM) à 8 semaines est prédictif de la survie globale.
20 25 30
Figure 2. Courbes de survie en fonction du contrôle de la maladie à 8 semaines.
Figure 1. Données des inclusions et de la randomisation des patients.
Raisons de non-randomisation (n = 86)
– Comorbidité/mauvais PS (n = 51)
– Non biopsiés/autre (n = 21)
Autre traitement/pas de traitement (n = 14)
Total de patients inclus (n = 341)
Total de patients randomisés (n = 255)
Randomisation équilibrée (n = 97, 38 %)
Randomisation “adaptative” (n = 158, 62 %)
Erlotinib
Équilibrée (n = 25)
Adaptive (n = 33)
Vandétanib
Équilibrée (n = 23)
Adaptive (n = 29)
Sorafénib
Équilibrée (n = 26)
Adaptive (n = 72)
Erlotinib + bexarotène
Équilibrée (n = 21)
Adaptive (n = 15)
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BATTLE : une voie prometteuse vers des traitements ciblés personnalisés
du cancer bronchique non à petites cellules ?
MISE AU POINT
La survie globale médiane pour l’ensemble des
patients de l’étude était de 9 mois et le taux de survie
à 1 an était de 38 %. Cependant, la survie globale
médiane des patients bénéficiant d’un contrôle de
leur maladie à 8 semaines étaient meilleure que pour
ceux qui ne l’obtenaient pas (11,3 versus 7,5 mois)
[figure 2].
Le tableau II reprend les taux de contrôle de la
maladie à 8 semaines pour chaque groupe de
biomarqueur en fonction du type de traitement.
Le taux global de contrôle de la maladie à 8 semaines
dans le groupe EGFR traité par erlotinib était
seulement de 35 %. Cependant, si on distingue les
différents biomarqueurs du groupe EGFR des patients
traités par erlotinib, on observe que ceux présentant
une mutation d’EGFR avaient un taux de contrôle de
la maladie de 71 % et que ceux ayant une amplifi-
cation du gène EGFR avaient un taux de contrôle de
la maladie de 56 %. En revanche, chez les patients
ayant une polysomie d’EGFR, le taux de contrôle de
la maladie est seulement de 27 %.
À l’inverse, les patients ayant une mutation de l’EGFR
traités par sorafénib avaient un taux de contrôle de
la maladie de seulement 23 %, alors que ceux ayant
Tableau I. Résultats de l’analyse des biomarqueurs.
Résultats des biomarqueurs à l’inclusion
Biomarqueurs Cas positifs, n (%)
Mutation EGFR (exons 18, 21) 33 (15)
Augmentation
du nombre de copies EGFR (FISH)
- amplification du gène
- polysomie élevée
34 (16)
60 (28)
Mutation KRAS (codons 12, 13 et 61) 42 (20)
Mutations BRAF (exons 11 et 15) 5 (2)
VEGF (IHC) 191 (89)
VEGFR-2 (IHC) 85 (40)
RXR α (nuc) [IHC] 173 (80)
RXR α (cyt) [IHC] 3 (1)
RXR β (cyt) [IHC] 12 (6)
RXR γ (cyt) [IHC] 23 (11)
Cycline D1 [IHC] 114 (54)
Cycline D1
(amplification montrée par FISH)
27 (13)
Prélèvements inadéquats: 39 patients
Marqueurs tous négatifs: 2 patients
Tableau II. Taux de contrôle de la maladie (CM) pour chaque groupe de biomarqueur en fonction
du type de traitement.
Résultats de BATTLE: contrôle de la maladie (%) [probabilité de CM > 30 %]
Groupe de biomarqueur
EGFR KRAS VEGF RXR/Cyc D1 Aucun Total
Traitement
Erlotinib 35 %
(0,66)
14 %
(0,14)
40 %
(0,85)
0% 38 %
(0,67)
34 %
Vandétanib 41 %
(0,92)
0 %
(0)
38 %
(0,75)
NA 0 %
(0)
33 %
Erlotinib + bexarotène 55 %
(0,99)
33 %
(0,54)
0 %
(0)
100 % 56 %
(0,92)
50 %
Sorafénib 39 %
(0,76)
79 %
(1,00)
64 %
(1,00)
25 % 61 %
(1,00)
58 %
Total 43 % 48 % 49 % 33 % 46 % 46 %
100
80
60
Contrôle de la maladie à 8 semaines (%)
40
20
0
n =
+
Mutation de l’EGFR
71 %
64 %
23 %
29 %
+ – + – + –
7 45
Erlotinib Vandétanib SorafénibErlotinib + bexarotène
13 67
100
80
60
Contrôle de la maladie à 8 semaines (%)
40
20
0
n =
+
Mutation de KRAS
22 %
61 %
37 %
56 %
+ – + – + –
9 43 18 62
Figure 3. Taux de contrôle de la maladie en fonction des statuts d’EGFR et de KRAS.
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27
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ème
La Lettre du Cancérologue Vol. XIX - n° 7 - septembre 2010 | 427
MISE AU POINT
un EGFR de type sauvage et traités par sorafénib
avaient un taux de contrôle de la maladie de 64 %.
Dans le groupe de patients avec mutation de KRAS
et traités par erlotinib, seuls 22 % présentaient un
contrôle de la maladie. En revanche, ceux ayant une
mutation de KRAS et traités par sorafénib avaient un
contrôle de la maladie de 61 %, et ceux présentant
un KRAS sauvage avaient un contrôle de la maladie
de 56 % (figure 3).
Conclusion
Les conclusions de cette étude sont les suivantes :
un traitement par erlotinib chez les patients
présentant une mutation de l’EGFR permet un taux
de contrôle de la maladie comparable aux données
publiées dans la littérature ;
le vandétanib n’a pas fait la preuve qu’il amélio-
rait le contrôle de la maladie chez les patients
présentant une expression élevée de VEGFR-2 ;
l’association erlotinib-bexarotène améliore le
contrôle de la maladie chez les patients présentant
une expression élevée de cycline D1 et chez ceux
présentant une amplification en FISH d’EGFR ;
à l’inverse, les patients présentant une mutation
d’EGFR et une polysomie élevée d’EGFR et traités par
sorafénib ont le plus mauvais contrôle de la maladie.
Lintérêt de cette étude est lié non pas tant à
ses résultats qu’à sa démarche thérapeutique
innovante, qui consiste à choisir des thérapies
ciblées en fonction de l’analyse de biomarqueurs
avec une évaluation tumorale rapide à 8 semaines.
La deuxième nouveauté est d’ordre méthodologique,
dans la mesure où l’étude développe une stratégie
de randomisation adaptée aux nouvelles données
biologiques disponibles en temps réel, permettant
ainsi d’enrichir les groupes de répondeurs. Avec le
démantèlement génomique des cancers bronchiques
en sous-groupes – démantèlement qui risque de
rendre caduques les grands essais randomisés
incluant des milliers de patients , BATTLE offre
l’exemple d’une démarche mieux adaptée dans
l’avenir à l’évaluation des thérapies ciblées.
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