Prise en charge des effets secondaires dermatologiques des

Prise en charge
des effets secondaires
dermatologiques
des thérapeutiques ciblées
Management of skin toxicity
of molecular targeted drugs
Nathalie Marques, Stéphane Dalle,
Alice Phan, Luc Thomas
Service de dermatologie,
centre hospitalier Lyon Sud,
165, chemin du Grand-Revoyet,
69645 Pierre Bénite, France
Résumé
Les thérapeutiques ciblées, en particulier les anti-EGFRI, sont à la fois très
efficaces contre les tumeurs et ont peu deffets toxiques comparés à ceux
des chimiothérapies traditionnelles. Leffetsecondairelepluscommundes
EGFRI est une éruption acnéiforme concernant les régions séborrhéiques :
cette réaction est dose et individu dépendante. Plusieurs études ont
démontré que lintensité de léruption est corrélée à lefficacité du traite-
ment mais les effets secondaires contribuent à une moindre compliance
du traitement. Dautres effets secondaires cutanés peuvent apparaître tels
quune xérose pouvant évoluer vers un eczéma ou des fissures hyperalgi-
ques des extrémités, une paronychie, une modification des cheveux, ou
une hypertrichose des cils et des sourcils. Dans lavenir, lutilisation des
EGFRI devra permettre de minimiser ces effets secondaires tout en amélio-
rant la qualité de vie et lefficacité du traitement. A ce jour, les traitements
sont empiriques : des experts recommandent une approche multidiscipli-
naire, basée sur léducation du patient, et la stratification des traitements
selon le grade datteinte cutanée. Les progrès sur la diminution des effets
secondaires cutanés passeront par une meilleure connaissance de la biolo-
gie cutanée et des facteurs de variabilité individuelle.
nMots clés : inhibiteur du récepteur de lEGF, thérapeutique ciblée, inhibiteur de la
tyrosine kinase, anticorps, cancer gastro-intestinal
Abstract
Molecular targeted drugs, especially epithelial growth factor receptor inhi-
bitors (EGFRI) combine higher efficiency treatment against tumours and
less toxicity than traditional chemotherapeutics. Acneiform eruption in
sebaceous areas is the most common cutaneous reactions of EGFRI: its
intensity is dose and patient dependent. Severity of the skin rash is associa-
ted with EGFRI treatment efficiency but might be a drawback to treatment
compliance. Some other cutaneous toxicity reactions can be enhanced like
xerosis with scaly, painful fissures in hands and feet, paronychia, hair
abnormality, trichomegaly of eyelashes. Managing EGFRI treatments in
balance with skin toxicity is a promising way to minimise the detrimental
effects of the rash on patients, improve their quality of life without sacrifi-
ced the treatment efficiency. No evidence-based treatment guidelines
nowadays exist. However expert panels recommend a multidisciplinary
approach including patient education and use of a grade-based treatment
algorithm. Greater knowledge of skin biology and of individual variability
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n
GASTRO
et Oncologie digestive
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HEPATO-GASTRO et Oncologie digestive
Mini-revue
doi: 10.1684/hpg.2009.0370
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factors will lead to a better use of EGFRI treatment and consequently will
diminish the cutaneous toxicity.
nKey words: epidermal growth factor receptor inhibitor, EGFRI, molecular targeted
drugs, tyrosine kinase inhibitor, monoclonal antibodies, gastrointestinal cancer
Les thérapeutiques ciblées en cancérologie sont des
agents dirigés contre une ou plusieurs molécule(s) ou
contre une voie métabolique responsable(s) de linitiation ou
de la progression tumorale. Ces thérapeutiques ont récem-
ment ouvert de nouvelles perspectives et viennent étoffer
larsenal thérapeutique en monothérapie ou en complément
des chimiothérapies ou des radiothérapies traditionnelles [1].
Il existe différents types de thérapeutiques ciblées, classifiés
en fonction de la cible à atteindre :
les anticorps monoclonaux sont dirigés contre une cible
spécifique de la partie extracellulaire dune protéine trans-
membranaire (ex. cetuximab ciblant la partie extracellu-
laire du récepteur EGF
1
),
les inhibiteurs de tyrosine kinase (TKI), petites molécules
qui sintroduisent dans la cellule et qui ont une seule cible
unique sur la partie intracytoplasmique du récepteur ou
sur voie métabolique (ex : erlotinib contre la partie intra-
cellulaire du REGF) ou multicible (imatinib).
Lactivation du récepteur EGF se fait par homo ou hétéro-
didémérisation activant plusieurs cascades enzymatiques
intracytoplasmiques telles que :
la voie RAS ;
la voie MAPK (mitogen activated protein kinase path-
way) ;
la voie PI3K (phosphatidylinositol 3 kinase) AKT path-
way ;
la voie STAT (signal transducer and activator of tran-
scription pathway);
linhibition de la voie C-KIT.
Ces cascades enzymatiques régulent des gènes impliqués
dans la prolifération cellulaire, lapoptose, langiogenèse
et la migration cellulaire [3].
Le récepteur EGF est surexprimé dans la cellule cancéreuse.
Cest un facteur de mauvais pronostic, marqueur dune chi-
miorésistance et dun potentiel métastatique.
Les effets secondaires
Ils sont essentiellement dermatologiques. On note parfois
quelques effets systémiques peu sévères tels que : fièvre,
asthénie, troubles digestifs, hématotoxicité et perturbation
du bilan hépatique. Les effets secondaires dermatologi-
ques, très fréquents, engagent rarement le pronostic vital
mais sont visibles et peuvent nuire à la qualité de vie des
patients. Or, la qualité de vie dans les indications palliatives
est un paramètre essentiel agissant sur la compliance des
patients au traitement.
La prise en charge de ces effets secondaires nest pas
consensuelle et na pas encore fait lobjet de réelles études
prospectives.
Les effets secondaires les plus précoces et les plus fréquem-
ment rencontrés sont décrits ci-dessous.
Érythème papuleux (ou papulopustuleux)
Cette éruption appelée à tort acnéiforme ou pseudo-
acnéiforme, détendue et dintensité variables, touche de
45 à 100 % des patients selon les études et apparaît entre
le 7
e
et le 21
e
jour suivant le début du traitement [4]. Tous
les anticorps monoclonaux et les TKI peuvent donner cet
effet secondaire.
Cette éruption se différencie de lacné commune principa-
lement par labsence de comédons et de séborrhée.
Description clinique
Il sagit dune dermatose amicrobienne, se manifestant par
des papules ou papulopustules folliculaires, monomorphes,
plus ou moins confluentes et prurigineuses [5]. Elle se
localise principalement au niveau des zones séborrhéiques
(zone centrofaciale, décolleté, nuque, dos, rétro-auriculaire,
épaule, cuir chevelu) (figures 1 et 2). Elle peut parfois être
diffuse dans les formes sévères [4]. Les paumes et plantes
sont moins souvent touchées car dépourvues de glandes
sébacées. Des télangiectasies peuvent apparaître souvent
associées à un érythème prédominant au niveau de la face,
des oreilles, du décolleté [6, 7].
Des études ont montré que le cetuximab était plus souvent
associé à des atteintes plus profuses et à lapparition de
croûtes hémorragiques [8, 9].
Lintensité de léruption est dose dépendante et connaît
une variabilité intra- et interindividuelle [8]. On note une
tendance à lamélioration spontanée dans près de 26 %
des cas après plusieurs semaines y compris lorsque le traite-
ment est maintenu à des doses identiques. Plusieurs études
ont mis en évidence une corrélation positive entre linten-
sité de la folliculite et la survie des patients [23] (tableau 1).
1
Le récepteur à lEGF est surexprimé [2] :
dans de nombreux cancers gastro-intestinaux ;
entre 72 à 82 % dans le cancer colorectal métastatique ;
entre 40 à 70 % dans le cancer oesophagien ;
entre 30 à 60 % dans le cancer gastrique ;
et dans près de 90 % des cancers pancréatiques.
Cette surexpression est souvent liée à un facteur de moins bon
pronostic.
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Physiopathologie
La physiopathologie est mal connue [10]. LEGFR est
exprimé par les kératinocytes, les cellules des muscles piloé-
recteurs, le média des artérioles dermiques, glandes séba-
cées, canal dermique, glande sudorale eccrine. Ils sont
davantage présents dans la gaine épithéliale externe du fol-
licule pileux, la couche basale de lépiderme.
Le blocage des récepteurs EGF entraînerait une rupture de
lhoméostasie. Il se produit alors une désorganisation des
kératinocytes infundibulaires, une stimulation des kératino-
cytes de la couche basale de lépiderme et une inhibition de
la différenciation terminale. Il en résulte une anomalie de la
croissance et de la migration kératinocytaire. La couche cor-
née devient fine et compacte et obstrue les follicules pileux
Figure 1. Érythème papuleux (ou papulopustuleux) facial.
Figure 2. Érythème papuleux (ou papulopustuleux) dorsal et du torse.
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[11-14]. Cela favoriserait une réaction inflammatoire par
laction de chémokines, la fuite de sébum dans le derme,
ou laction directe du fragment FC de lanticorps
monoclonal [5].
Il apparaît alors une folliculite mettant en jeu un infiltrat
lymphohistiocytaire autour du follicule pileux, puis des poly-
nucléaires neutrophiles formant une pustule folliculaire.
Quant aux télangiectasies retrouvées parfois, elles seraient
expliquées par le blocage des R-EGF au niveau du média
des artérioles dermiques.
Histologie
En premier lieu les monocytes, les macrophages et les éosi-
nophiles affluent vers lépiderme.
Linfandibulum est obstrué par un bouchon de kératine.
Puis un infiltrat de lymphocytes T vient entourer linfundi-
bulum folliculaire. Enfin, se forme une folliculite neutrophi-
lique suppurative, formant des pustules stériles [5, 15]
(figure 3).
Les rares bactéries retrouvées dans certaines études (Malla-
sezia Furfur, Propionobacter Acnes, Staphylocoque Aureus)
sont de probables contaminants [5, 15].
Traitements
Il nexiste à ce jour aucun traitement préventif des effets
secondaires cutanés même si lutilisation de doxycycline
dans cette indication est à létude [16]. Les traitements
sont donc essentiellement symptomatiques et empiriques :
ils agissent principalement sur la composante inflamma-
toire [17]. Il faut donc, en premier lieu, informer le patient
des risques probables avant de débuter le traitement.
La thérapeutique dépend du grade de latteinte cutanée
(tableau 1) et de la tolérance du patient qui est un critère
majeur conditionnant lobservance du traitement. Initiale-
ment lévaluation doit se faire régulièrement toutes les
deux semaines.
Dans tous les cas, on conseillera au patient [1, 17-19] :
déviter lexposition au soleil ;
de préférer les douches tièdes aux bains chauds ;
dutiliser du savon ou une lotion douce et des émol-
lients sans alcool ;
de ne pas utiliser de topiques occlusifs ou comé-
dogènes. Néanmoins, lutilisation de méthodes de camou-
flage tel le maquillage non comédogène peut être dans
les formes mineures dune bonne aide.
On utilisera dès les formes mineures [8, 20] :
les dermocorticoïdes dactivité modérée (type bêta-
méthasone) pour les formes érythémateuses et œdémateuses
sont régulièrement efficaces si utilisées précocement et sur
des durées courtes (5 jours par semaine pendant 3 à 4 semai-
nes) ;
dautres traitements ont été proposés par fausse
analogie aux traitements de lacné :
des antibiotiques locaux : érythromycine, clindamycine,
métrodinazole ;
le peroxyde de benzoyle ;
les alpha-hydroxydes acides ;
Ces traitements savèrent donc le plus souvent inefficaces
ou inappropriés.
Si le traitement local de première intention est insuf-
fisant. Il peut être proposé une intensification de ce traite-
ment ou lutilisation de traitements systémiques [21, 22] :
Figure 3. Coupe histologique dune folliculite suppurative neu-
trophilique.
Tableau 1. Classification de létendue et la sévérité de latteinte selon NCI-CTC version 3
a
.
Description Fréquence [23]
Grade 1 Éruption maculopapuleuse à disposition séborrhéique peu, ou pas symptomatique. > 50 % des cas.
Grade 2 Éruption papulopustuleuse prurigineuse, interférant peu sur lactivité quotidienne et touchant moins
de 50 % de la surface corporelle. 33 % des cas.
Grade 3 Éruption papulopustuleuse douloureuse confluente atteignant plus de 50 % de la surface corporelle,
ayant un impact sur lactivité quotidienne 3 à 4 % des cas
Grade 4 Sévère. Se caractérise par une toxidermie desquamative, ulcérée avec un pronostic vital engagé. Rare
a
National Cancer Institut, Common Terminology Criterial for Adverse Events v3.0 (CTCAE), http://ctep.cancer.gov/protocolDevelopment/elec-
tronic_applications/docs/ctcaev3.pdf.
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la doxycycline à 100 mg/j pendant une période dun à
trois mois et des auteurs préconisent même datteindre
200 mg/j si latteinte cutanée est prononcée (grade 3).
Lutilisation de minocycline à 100 mg, 2 fois par jour, est
controversée en raison de ses effets secondaires (risque
notamment de pigmentation du visage ou toxidermies
sévères) ;
les dermocorticoïdes dactivité forte ;
les anticalcineurines topiques : pimécrolimus et tracoli-
mus. Des traitements moins consensuels sont lutilisation
de rétinoides (en raison des effets de xérose cutanée),
Adapalene
®
, Colloïdal sulfure
®
, Triamcinolome crème
®
;
les corticoïdes per os (tels la méthylpredisolone ou
prednisone) durant une période courte de 7 à 10 jours
avec diminution des doses EGFRI ou larrêt temporaire si
les traitements sus-cités sont insuffisants. La reprise est
possible dès lamélioration des symptômes.
Concernant les formes très sévères mettant en jeu le
pronostic vital, larrêt immédiat et définitif des EGFRI
simpose : un avis spécialisé doit être obtenu et un transfert
en unité de soins intensifs ou réanimation peut savérer
nécessaire (dans de rares cas).
Traitements associés [17, 22, 23]
Soutien psychologique des patients
Traitement antalgique (50 % des formes seraient dou-
loureuses).
Traitements antihistaminiques des formes prurigineuses
(80 % cas sont prurigineux).
Particularités de latteinte du scalp : une association de
topiques avec de la clindamycine 2 %, de la triamcinolone
acétonique à 0,1 % et du propylène glycol peut être uti-
lisée en plus du kétoconazole crème, du ciclopirox crème
à 1 %, des shampoings de fluocinonide à 0,05 % et des
dermocorticoïdes.
Evolution à long terme [13, 25-27]
Cette évolution est très variable. Il existe pour certains
patients une amélioration progressive malgré la poursuite
du traitement à lidentique. Toutefois, pour dautres
patients, latteinte cutanée saggrave progressivement
devant faire considérer une réduction ou larrêt du traite-
ment causal. Léruption saméliore souvent avec le temps
même sans modification des doses.
Lors de larrêt éventuel des anti-EGFRI, la guérison est la
règle ne laissant habituellement pas de cicatrice. Dans envi-
ron 10 % des cas, il demeure une hyperpigmentation post-
inflammatoire aggravée surtout sur les peaux de phototype
foncé. Cette hyperpigmentation peut être prévenue par
une protection solaire pendant et après le traitement.
Lhyperpigmentation saméliore progressivement. Lutilisa-
tion de crèmes dépigmentantes nest pas recommandée.
Xérose et éruption eczématiforme
La xérose cutanée se localise essentiellement sur les zones
touchées par léruption folliculaire, les membres, les extré-
mités et les muqueuses.
Elle touche 10 à 35 % des patients dans les 2 à 4 semaines
suivant le début du traitement [13, 17, 28, 29].
Description clinique
La xérose donne une peau sèche, squameuse et très pruri-
gineuse. Elle se manifeste au niveau des extrémités sous la
forme de pulpites sèches des doigts et des talons avec des
fissurations douloureuses et au niveau des muqueuses sous
forme dulcérations. Elle est plus fréquente chez le sujet
âgé, les patients ayant déjà reçu plusieurs lignes de chimio-
thérapies ainsi que chez les patients aux antécédents dato-
pie [5, 28].
Elle évolue parfois vers une éruption eczématiforme. Cet
eczéma se caractérise par des plaques érythématosqua-
meuses parfois vésiculeuses débutant au visage ou sur les
membres avec une tendance à lextension et la chronicisa-
tion, ayant parfois un caractère photodistribué.
Dans des formes chroniques, on peut voir apparaître un
eczéma craquelé [30, 31] (figure 4).
Physiopathologie
La xérose serait due à laction paradoxale du traitement qui
augmente la différenciation terminale des kératinocytes
tout en inhibant la prolifération kératocytaire. Cela donne
lieu à la formation dune cornée fine et compacte créant
une parakératose.
Traitement
La xérose et leczéma sont réversibles à larrêt du traitement.
Le traitement est préventif (éviction solaire, écran total à fort
indice) et symptomatique (émollients, antihistaminiques).
Figure 4. Eczéma craquelé.
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