Act. Méd. Int. - Gastroentérologie (12), n° 9, novembre 1998
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Résumé de l’article
Le but de cette étude était de montrer que
des anticorps antiprotéine P53 (Ac anti-
P53) pouvaient être détectés avant que le
diagnostic de cancer de l’œsophage ne
soit posé.
Pour cela, Cawley et coll. ont étudié la pré-
sence d’Ac anti-P53, mais également les
mutations du gène TP53 et la surexpression
cellulaire de P53, au sein d’une population
de malades qui présentaient des symptômes
digestifs hauts et qui ont bénéficié d’une
endoscopie digestive haute avec biopsies.
Tous les patients ont eu un prélèvement san-
guin au moment de l’endoscopie initiale ;
certains en ont eu plusieurs au cours du
suivi de leur maladie. Au total, quatre-vingt-
huit malades, tous de sexe masculin, ont été
inclus : 36 malades porteurs d’un œsophage
de Barrett (muqueuse spécialisée avec ou
sans métaplasie intestinale, dont un avec
dysplasie sévère) sans cancer de l’œsopha-
ge, 11 porteurs d’un adénocarcinome de
l’œsophage, 22 d’un carcinome épidermoï-
de de l’œsophage. Les malades n’ont pas
été inclus de façon consécutive. Un premier
groupe “témoin” était constitué de 19
patients inclus dans la même période et
n’ayant aucune lésion œsophagite. Un
deuxième groupe “témoin” était constitué
de 30 volontaires fumeurs, porteurs d’une
pathologie pulmonaire bénigne (cohorte
issue d’une étude antérieure).
Les Ac anti-P53 ont été mis en évidence
par test immunologique (EIA), immuno-
blot et immunoprécipitation (PPTN). Les
mutations de P53 ont été étudiées par
PCR, immunoélectrophorèse puis séquen-
çage. La surexpression de P53 a été mise
en évidence par immunohistochimie.
Les Ac anti-P53 étudiés ont été détectés :
chez quatre patients du groupe
“Barrett” (11 %), dont un avec dysplasie
ayant ensuite progressé vers un adéno-
carcinome ;
chez dix malades (30 %) porteurs d’un
cancer (p = 0,002 par rapport au groupe
“Barrett”), huit patients du groupe “car-
cinome épidermoïde de l’œsophage”
(35 %) et deux patients du groupe “adé-
nocarcinome de l’œsophage” (20 %).
Un patient de chacun des groupes de
malades porteurs d’un cancer avait des Ac
anti-P53 avant la découverte du cancer. La
mutation du gène de P53 a été mise en
évidence chez six malades porteurs d’un
cancer avec Ac anti-P53. Une surexpres-
sion de P53 a été mise en évidence chez
deux patients avec cancer (un adénocarci-
nome et un carcinome épidermoïde) et un
patient avec œsophage de Barrett.
Les auteurs concluent que l’on peut voir
apparaître des Ac anti-P53 chez les
malades porteurs d’un œsophage de
Barrett ainsi que chez les malades por-
teurs d’un cancer de l’œsophage, et que
ces Ac anti-P53 peuvent précéder le dia-
gnostic de lésion maligne.
Commentaires
Le gène TP53 et la protéine P53, pour
laquelle il code, sont des “gardiens du
génome”. Ils agissent en stoppant la divi-
sion cellulaire en cas d’anomalie de
l’ADN, sans que le mode de reconnais-
sance de cette anomalie ne soit connu.
Plusieurs milliers de mutations du gène
TP53 ont été mises en évidence, dans la
plupart des cancers. La protéine P53 pro-
duite à partir du gène muté n’est pas
fonctionnelle, s’accumule (est “surexpri-
mée”) et pourrait avoir des propriétés
immunogènes aboutissant à la produc-
tion d’Ac anti-P53. C’est ce dernier pos-
tulat, conforté par les résultats obtenus
lors de récentes études conduites sur une
plus large échelle, qui guide les auteurs
de cet article. De nombreuses études
ayant trouvé une prévalence de mutations
et de surexpression de P53 de l’ordre de
50 % chez les malades porteurs d’un adé-
nocarcinome de l’œsophage, avec une
augmentation de cette prévalence lors de
la progression de l’œsophage de Barrett
vers la dysplasie puis le cancer, Cawley
et coll. ont choisi d’étudier la prévalence
d’Ac anti-P53 au sein de ce groupe de
malades, ainsi que l’intérêt de la
recherche de ces Ac lors du dépistage
précoce des lésions précancéreuses.
Positionner la recherche d’Ac anti-P53
au sein de la séquence maintenant bien
décrite “œsophage de Barrett / dysplasie
/ adénocarcinome” était tout à fait pas-
sionnant, toutefois, comme nous allons le
voir, les résultats obtenus ne sont pas vrai-
ment à la hauteur des espoirs soulevés.
Tout d’abord, les patients n’ont pas été
Analyse commentée
Gastroenterology 1998; 115: 19-27
Œsophage de Barrett : La détection
d’anticorps sérique anti-p53 peut pré-
céder le diagnostic d’adénocarcinome
Cawley H.M., Meltzer S.J., de Benedetti V.M. et coll.
Anti-p53 antibodies in patients with Barrett’s esophagus or esophageal carcinoma
can predate cancer diagnosis
inclus de façon consécutive, ce qui laisse
planer un doute sur les résultats statis-
tiques obtenus, mais également sur plu-
sieurs histoires cliniques comme nous le
verrons plus avant.
Laissons donc de côté le deuxième grou-
pe témoin : aucun des 30 malades de ce
groupe n’avait d’Ac anti-P53, ce qui vali-
de partiellement l’intérêt des Ac choisis
pour l’étude des phénomènes de progres-
sion vers une lésion cancéreuse, à partir
d’une lésion reconnue pour son potentiel
de dégénérescence. En ce qui concerne
ensuite le premier groupe témoin, des Ac
anti-P53 ont été mis en évidence chez un
malade sur 19, sans mutation de TP53 et
sans surexpression de P53. Ce résultat n’est
pas discuté par les auteurs.
Les Ac anti-P53 ont plus souvent
(p = 0,002) été détectés chez les malades
porteurs d’un cancer que chez ceux porteurs
d’un œsophage de Barrett (et donc proba-
blement parmi ceux du premier groupe
témoin) : respectivement 11/33 et 3/36, et
non pas 10/33 et 4/36 comme cela est sug-
géré dans le résumé de l’article. Cette dis-
cordance vient du fait que le patient porteur
d’une dysplasie sur œsophage de Barrett a
été inclus soit dans le groupe “Barrett”
(résumé), soit dans le groupe “adénocarci-
nome” (texte), sans que le nombre de sujets
de chaque groupe n’ait été modifié. Au-delà
de cette erreur minime dans la présentation
des résultats, il paraît indéniable que le clas-
sement de ce patient dans l’un des deux
groupes a posé quelques problèmes aux
auteurs.
Huit des vingt-deux malades du groupe
carcinome épidermoïde (36 %) avaient
des Ac anti-P53 mis en évidence par au
moins l’une des trois techniques utilisées.
Un de ces patients a eu des Ac anti-P53
détectés deux mois avant que le diagnos-
tic de carcinome épidermoïde ne soit
posé. Les prélèvements sanguins ayant
été effectués en même temps qu’une
endoscopie initiale, cela sous-entend que
cette dernière n’a pas permis d’en établir
le diagnostic, car il est peu probable que
le cancer épidermoïde soit apparu pen-
dant ce court délai. L’absence de descrip-
tion de l’histoire clinique en question ne
permet pas d’en savoir davantage.
Les problèmes de présentation des résul-
tats et de données manquantes font que
cette étude se prête plutôt à une analyse au
cas par cas, en se concentrant sur les résul-
tats obtenus dans les groupes “Barrett” et
“adénocarcinome”, tout d’abord en raison
du titre de l’article, mais également de
l’intérêt que peut faire naître l’éventuelle
mise au point d’un test de dépistage san-
guin des lésions précancéreuses.
Trois patients porteurs d’un œsophage de
Barrett avaient des Ac anti-P53 révélés
par un test dans deux cas (EIA dans l’un,
immunoprécipitation dans l’autre) et par
deux tests dans un autre cas (immublot et
immunoprécipitation). Dans les deux cas
avec deux tests positifs, après un suivi de
17 et 18 mois, il n’est pas observé d’adé-
nocarcinome. Dans l’un de ces deux cas,
les Ac anti-P53 ont disparu.
Chez les trois patients porteurs d’un œso-
phage de Barrett avec Ac anti-P53, une
mutation de TP53 n’a été mise en évidence
que dans un des trois cas (exon 5, codon ?),
où il existait également une surexpression
de P53 (seul cas sur trois où cette derniè-
re a été recherchée). Cette positivité des
Ac anti-P53 n’est donc expliquée à partir
de l’hypothèse formulée initialement
(mutation / surexpression / antigénicité)
que dans un cas sur trois.
Au sein de la population de malades por-
teurs d’un adénocarcinome, trois patients
sur dix avaient des Ac anti-P53 positifs
(33 %) : avec deux tests dans deux cas
(immunoblot et immunoprécipitation :
un cas ; EIA et immunoblot : un cas),
avec les trois tests dans un cas. Chez ces
trois patients, une mutation de TP53 a été
mise en évidence dans le seul cas où elle
a été recherchée (exon 7, codon 258 ;
“missense”). Une surexpression de P53
n’a été recherchée dans aucun de ces cas.
Dans un cas d’adénocarcinome avec Ac
anti-P53, la positivité a été mise en évi-
dence un mois avant que le diagnostic
d’adénocarcinome n’ait été posé, mais la
même remarque que précédemment doit
être faite concernant le résultat de l’en-
doscopie initiale, en l’absence de préci-
sions sur l’histoire clinique du patient.
Le patient porteur d’un œsophage de
Barrett avec dysplasie initiale avait des
Ac anti-P53 positifs avec deux tests (EIA
et immunoblot) un mois avant que le dia-
gnostic de dégénérescence ne soit posé.
Ces Ac anti-P53 sont restés positifs au
moment du diagnostic (avec les trois
tests), puis encore un mois plus tard,
mais avec un seul test (immunoprécipita-
tion). La conclusion de ce travail ne
semble reposer finalement de façon
rigoureuse que sur ce dernier cas.
Conclusion
Il semble que les Ac anti-P53 étudiés
soient plus fréquemment rencontrés chez
les malades porteurs de lésions cancé-
reuses de l’œsophage que chez ceux por-
teurs d’un œsophage de Barrett ; que la
prévalence de ces Ac chez les malades por-
teurs d’un adénocarcinome de l’œsophage
soit faible (33 %), difficilement compa-
tible avec l’utilisation de la recherche de
ces Ac anti-P53 au sein d’une population à
risque ; qu’un malade avec dysplasie sur
œsophage de Barrett puisse présenter des
Ac anti-P53 positifs, avant que le diagnos-
tic de dégénérescence ne soit posé.
L’étude de Cawley et coll. est donc une
étude pilote de recherche. D’autres études
devront venir confirmer l’espoir des clini-
ciens de voir mettre au point un test sanguin
permettant de mieux appréhender la ciné-
tique de la séquence œsophage de Barrett /
dysplasie / adénocarcinome de l’œsophage.
J.M. Cayla (Provins)
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