SOINS DE SUPPORT EN ONCOLOGIE Cancer et psychiatrie à la conférence annuelle de l’ASCO® 2011 W. Rhondali 1, 2, M. Filbet 2 L e congrès de l’ASCO® représente la plus importante réunion scientifique internationale en ce qui concerne le traitement du cancer. Cette année, la 47e édition s’est déroulée du 3 au 6 juin à Chicago, sur le thème “Patients, pathways, progress”. Pour la préparation de cette édition, plus de 4 900 résumés ont été soumis, et plus de 31 000 participants ont été enregistrés, dont 25 800 professionnels de la santé. Un peu moins de la moitié étaient des professionnels américains. La France arrivait en 4e position (après l’Allemagne et le Japon), avec un peu plus de 1 000 participants (mais seulement 189 résumés). Le congrès de l’ASCO® a pour but de favoriser la communication et la diffusion des travaux de recherche en oncologie. En raison du volume important de la littérature et des données disponibles concernant les standards de soin en oncologie, il est important pour les oncologues et les autres professionnels de la santé intervenant auprès de patients atteints de cancer d’avoir accès aux dernières informations applicables à leur pratique clinique ou à leurs projets de recherche. Une part importante des présentations de cette conférence est donc orientée vers les avancées des procédures diagnostiques ainsi que des nouveaux traitements disponibles (pharmacologiques, radiologiques). Néanmoins, depuis quelques années, les résumés soumis et retenus pour ce congrès montrent un intérêt croissant pour les soins de support et les soins palliatifs. Ceux-ci s’intéressent à la prise en charge symptomatique des patients atteints de cancer, et de nombreux oncologues ont pris le parti de les soutenir : en effet, reconnaître et traiter les symptômes comme la douleur, la dépression, la dénutrition ou la fatigue est capital pour optimiser le traitement spécifique du cancer. Ainsi, les progrès en matière de prise en charge du cancer ont permis d’augmenter la durée et la qualité de vie des personnes atteintes. Ces progrès se sont faits au prix d’une approche complexe nécessitant l’intervention de plusieurs spécialistes tout au long de la prise en charge. Cette avancée importante et l’apparition de thérapeutiques de plus en plus spécifiques impliquent de fait qu’un seul spécialiste ne puisse répondre à tous les besoins de la personne malade. Il est donc souvent nécessaire, pour le traitement de ces symptômes, d’établir une collaboration étroite entre différents spécialistes, on tire ainsi parti de leur expertise diverse et l’ensemble des intervenants consacre plus de temps à chaque patient que ne le pourrait un spécialiste seul. Cette évolution peut également s’expliquer par la demande et l’implication même de nombreux oncologues dans le développement des soins de support : de nombreuses publications viennent soutenir l’intérêt de ce type de prise en charge “collaborative” plutôt qu’isolée dès le début de la prise en charge du cancer (figure 1) [1-3]. Récemment, E. Bruera et D. Hui (1) ont proposé une comparaison entre un modèle de pratique “en solo” et un modèle de pratique en équipe au modèle de soins “intégrés” (figure 2, p. 470). 1 Department of palliative care and rehabilitation medicine, MD Anderson Cancer Center, Houston, États-Unis. 2 Centre hospitalier de Lyon-Sud, hospices civils de Lyon. Diagnostic Décès A B C Traitements spécifiques du cancer Soins de support/soins palliatifs Figure 1. Les différents modèles de continuité des soins entre traitements spécifiques du cancer et soins de support. La Lettre du Cancérologue ̐ Vol. XX - n° 7 - septembre 2011 | 469 SOINS DE SUPPORT EN ONCOLOGIE Douleur Confusion Détresse spirituelle Douleur Traitement symptomatique Occlusion intestinale Équipe mobile de soins de support et de soins palliatifs Problématique de fin de vie Traitement du cancer Fin de vie Traitement du cancer Dyspnée Traitement du cancer Troubles psychologiques A. Modèle de pratique en solo. Dyspnée Troubles psychologiques B. Modèle de pratique collaborative. Pose d’un stent par voie endoscopique Ponction pleurale Consultation Consultation de gastroentérologie de pneumologie Idées suicidaires Consultation de psychiatrie C. Modèle de soins intégrés. Figure 2. Modèle conceptuel pour l’intégration des soins palliatifs et des soins de support en oncologie (1). Dans le modèle de pratique en solo, l’oncologue seul prend en charge toutes les problématiques du patient (A) ; dans le modèle de pratique collaborative, l’oncologue se concentre sur l’évaluation et les traitements spécifiques du cancer, et adresse le patient à différents spécialistes en fonction des besoins (B) ; dans le modèle de soins intégrés, l’oncologue collabore étroitement avec l’équipe interdisciplinaire de soins de support ou de soins palliatifs pour procurer au patient une prise en charge globale (C). Avec l’aimable autorisation de l’université du Texas M.D. Anderson Cancer Center (États-Unis). Parmi les nombreux acteurs impliqués dans les soins de support, on s’intéressera particulièrement, dans cet article, aux psychologues et aux psychiatres ainsi qu’à leur champ d’action potentiel. En effet, ce dernier s’est élargi avec les progrès liés aux traitements spécifiques du cancer avec la prise en charge de problèmes psychologiques propres à la phase de diagnostic et de traitement mais également de rémission et de réhabilitation. Cet article a pour but de rapporter de façon synthétique les travaux présentés cette année à l’ASCO® traitant des problématiques psychologiques. de 30 ans ou plus (p = 0,02), et chez ceux présentant une symptomatologie douloureuse ou dépressive (p < 0,01). Enfin, le fait d’avoir besoin d’une aide à domicile ou de ne pouvoir prendre soin de soimême étaient également des facteurs associés à la présence d’idées suicidaires. Les résultats rapportés par ce travail sont très similaires à ce que l’on peut retrouver dans la littérature (5), avec cependant une information nouvelle : la perte d’autonomie est un facteur de risque suicidaire indépendant. Suicide et cancer S. Yennurajalingam et al. (6) ont présenté une étude rétrospective sur la fréquence et les facteurs associés des troubles du sommeil chez des patients ambulatoires atteints d’un cancer en phase avancée. Ils ont également observé la fréquence et les facteurs prédictifs de l’efficacité d’une prise en charge spécialisée sur ces troubles du sommeil (consultation par une équipe de soins de support). Cette étude reprenait les consultations de 442 patients consécutifs pris en charge en ambulatoire par leur équipe de soins de support. Les troubles du sommeil étaient évalués sur une échelle de 0 à 10 ; une diminution de 30 % du score entre la visite initiale et la visite de suivi était considérée comme significative. Trois cent trente patients (75 %) présentaient des troubles du sommeil. J.M. Randall et al. (4) ont présenté un travail de recherche étudiant la fréquence et les facteurs associés aux idées suicidaires chez des patients pris en charge en ambulatoire dans un centre équivalent à nos Centres de lutte contre le cancer (Comprehensive Cancer Center). Cette étude rétrospective s’est intéressée à la prévalence des idées suicidaires chez 1 473 patients consécutifs atteints de cancer. L’évaluation était effectuée de façon systématique (de même qu’une évaluation de symptômes comme la douleur et la dépression) lors de la visite initiale des patients. Quatre-vingt-six patients ont rapporté des pensées suicidaires, soit 5,84 %. L’expression d’idées suicidaires était plus fréquente chez les patients âgés 470 | La Lettre du Cancérologue ̐ Vol. XX - n° 7 - septembre 2011 Troubles du sommeil et cancer SOINS DE SUPPORT EN ONCOLOGIE L’utilisation de sédatifs (r 1 = 0,16 ; p = 0,002), la douleur (r = 0,31 ; p < 0,001), la fatigue (r = 0,31 ; p < 0,001), la dépression (r = 0,25 ; p < 0,001), l’anxiété (r = 0,28 ; p < 0,001) et la somnolence (r = 0,30 ; p < 0,001) étaient associées à la présence de troubles du sommeil lors de la visite initiale. La médiane de temps entre les 2 visites était de 15 jours. Une amélioration significative a pu être relevée chez 143 patients (43 %). L’utilisation de thérapeutiques hypnotiques, de stéroïdes, la dose d’opioïdes, la douleur, la dépression, la fatigue, l’anxiété et la confusion n’étaient pas des facteurs prédictifs de la réponse au traitement. Le seul facteur prédictif d’une amélioration retrouvé était un score d’évaluation numérique des troubles du sommeil élevé à la visite initiale (OR = 1,14 ; p = 0,01). Sexualité et cancer Une première étude a évalué l’efficacité d’une thérapie multimodale sur les troubles de la sexualité chez les patientes atteintes d’un cancer du sein (7). Ce traitement associait une rééducation des muscles du plancher pelvien (exercice biquotidien), l’application bihebdomadaire d’une lotion hydratante pour réduire la sécheresse vaginale et, enfin, l’application d’huile d’olive comme lubrifiant lors des rapports sexuels. Cette étude prospective a été conduite auprès de 37 patientes : 26 ont pu être évaluées après 12 semaines, 18 après 26 semaines. Les résultats permettent de conclure à une amélioration de la fonction sexuelle à 12 (p < 0,001) et à 26 (p = 0,01) semaines, de la satisfaction des patientes à 12 (p = 0,005) et à 26 (p = 0,01) semaines et de la dyspareunie (p < 0,001). La majorité des patientes considérait que le traitement était acceptable (94 % pour la rééducation, 88 % pour la lotion hydratante et 78 % pour le lubrifiant). Une seconde étude s’est intéressée aux interventions thérapeutiques pour troubles de la sexualité chez les patientes en rémission après un cancer (8). L’équipe de K. Greven a étudié, lors d’un essai randomisé contre placebo, l’efficacité d’un traitement par un supplément nutritionnel à base de L-arginine et de ginseng coréen durant 12 semaines. Cent quatrevingt-six patientes ont été incluses sur une période de 3 ans, dont 58 % souffraient de troubles de la fonction sexuelle ; 67 % des patientes rapportaient un mécontentement modéré à important, 64 % un désintérêt modéré à important. Le supplément nutritionnel n’a pas été meilleur que le placebo pour la fonction sexuelle. Enfin, la troisième étude, prospective, explorait la prévalence des troubles de la sexualité chez les femmes atteintes d’un cancer du sein récemment diagnostiqué et leurs liens avec la fatigue liée à un cancer, les troubles de l’humeur et la qualité de vie (9). Les patientes ont été recrutées après les traitements chirurgicaux mais avant l’administration de traitements adjuvants ; elles ont été évaluées lors de l’inclusion puis à 6 et 12 mois. Sur les 218 patientes approchées, 92 ont participé à l’étude. Les résultats rapportent une fréquence de 40 % des troubles de la libido, et 60 % de troubles physiques de la fonction sexuelle. De plus, on retrouve une association significative des troubles de la sexualité avec la qualité de vie et les troubles de l’humeur (p = 0,005 lors de l’évaluation initiale ; p < 0,001 à 6 mois ; p = 0,036 à 12 mois). On ne retrouve pas d’association significative, notamment avec la fatigue ou d’autres caractéristiques démographiques. Cette recherche a donc permis d’observer une fréquence importante des troubles de la sexualité avec un impact réel sur la qualité de vie. Il semble donc nécessaire de disposer d’interventions efficaces avec, si nécessaire, une prise en charge associée des troubles de l’humeur. Troubles de l’humeur et cancer J.S. Smith et al. ont évalué la fréquence des troubles psychosociaux dans une population rurale des États-Unis (10). Ils ont conduit une étude prospective auprès de 268 patients en utilisant le Distress Thermometer du National Comprehensive Cancer Network (NCCN) et une liste de problèmes associés. Une intervention dite psychosociale était proposée aux patients dont le score était supérieur à 5, en fonction des problèmes rapportés (psychothérapie de soutien individuelle, yoga, etc.). Cent vingt-trois patients (46 %) présentaient un score supérieur à 5, mais seuls 10 % ont accepté la proposition de soutien. Les principaux motifs de refus étaient un problème de transport, l’idée qu’une intervention n’était pas nécessaire et le manque de temps. On retrouve donc une fréquence importante de troubles psychosociaux au sein de cette population rurale, avec des difficultés importantes de prise en charge en raison de limitations logistiques. La situation est probablement très similaire en France, et il est important de développer des réseaux de soins permettant de faciliter l’accès aux soins pour tous nos patients. 1 r : facteur de corrélation. La Lettre du Cancérologue ̐ Vol. XX - n° 7 - septembre 2011 | 471 SOINS DE SUPPORT EN ONCOLOGIE Enfin, l’équipe du Massachusetts General Hospital (États-Unis) a repris les données de l’étude de J.S. Temel et al., publiée dans le New England Journal of Medicine en 2010 (2), pour savoir si l’amélioration de la survie des patients ayant bénéficié d’une prise en charge palliative précoce pouvait s’expliquer par le traitement de la dépression (11). Sur les 151 patients inclus dans l’étude, 41 ont présenté un probable épisode dépressif (évalué par le PHQ-9 [Patient Health Questionnaire 9]). Ces derniers étaient répartis de façon similaire dans les 2 bras de l’essai, mais les patients bénéficiant d’une prise en charge précoce ont montré une amélioration de la dépression significativement plus importante que ceux du groupe témoin (37,5 versus 9,5 % ; p = 0,05). Néanmoins, les auteurs n’ont pas retrouvé d’association significative entre la prise en charge palliative précoce et l’augmentation de la survie des patients dépressifs. La prise en charge palliative précoce améliore la symptomatologie des patients atteints de dépression mais n’augmente pas leur durée de vie, contrairement aux patients ne présentant pas de dépression. Conclusion Ces différentes études montrent bien l’importance de renforcer la collaboration entre les différentes disciplines, et de nombreux centres en France peuvent déjà faire appel à des psychiatres et à des psychologues permettant ce type d’approche. Comme le montrent ces quelques travaux de recherche, le besoin existe, et pas seulement dans le champ de la psychiatrie, mais aussi dans le champ de l’oncologie pour un certain nombre de symptômes intriqués, comme la dépression, la douleur, la fatigue mais également dans celui des situations complexes comme la prise en charge des familles et le soutien des équipes. Cette collaboration nécessite des adaptations car les différents intervenants ne parlent pas toujours le même langage et n’ont pas toujours les mêmes objectifs de soins. Il est donc nécessaire de pouvoir continuer à établir une collaboration entre les différents partenaires du soin pour améliorer la prise en charge de nos patients ; la recherche et les conférences comme celle de l’ASCO® auront certainement un rôle à jouer dans ces changements. ■ Références bibliographiques 1. Bruera E, Hui D. Integrating supportive and palliative care in the trajectory of cancer: establishing goals and models of care. J Clin Oncol 2010;28(25):4013-7. 2. Temel JS, Greer JA, Muzikansky A et al. Early palliative care for patients with metastatic non-small-cell lung cancer. N Engl J Med 2010;363(8):733-42. 3. Morrison RS, Penrod JD, Cassel JB et al. Cost savings associated with US hospital palliative care consultation programs. Arch Intern Med 2008;168(16):1783-90. 4. Randall JM, Bazhenova L, White M et al. Prevalence and correlates of suicidal ideation among outpatients at a comprehensive cancer center. ASCO® 2011: abstr. 9044. 5. Walker J, Waters RA, Murray G et al. Better off dead: suicidal thoughts in cancer patients. J Clin Oncol 2008; 26(29):4725-30. 6. Yennurajalingam S, Chisholm G, Palla SL, Bruera E. Sleep disturbance in patients with advanced cancer: Frequency and factors associated with response to specialist-based outpatient supportive care. ASCO® 2011: abstr. 9069. 7. Juraskova I, Jarvis S, Mok K et al. OVERcome: an intervention study to improve sexual function in women with breast cancer. ASCO® 2011: abstr. 9066. 8. Greven K, Case LD, Nycum LR et al. Does L-arginine/ Korean ginseng/gingko biloba/damiana-based supplement improve the sexual function and quality of life of female cancer survivors: a randomized trial. ASCO® 2011: abstr. 9016. 9. Webber K, Mok K, Bennett BK et al. Cancer-related fatigue and sexual functioning in women with early breast cancer: is there a link? ASCO® 2011: abstr. 9072. 10. Smith JS, Limesand DL, Alikhan MA. Prevalence of psychosocial distress in a rural community oncology practice and impact of interventions. ASCO® 2011: abstr. 9114. 11. Pirl WF, Greer JA, Gallagher ER et al. Early palliative care, depression, and survival in metastatic NSCLC. ASCO® 2011: abstr. 6024. ERRATUM Dans l’article “Évolution de la classification histologique des cancers broncho-pulmonaires non à petites cellules”, paru dans La Lettre du Cancérologue n° 6 en juin 2011 et rédigé par Sylvie Lantuéjoul et al., il fallait lire “< 10 % pour les adénocarcinomes à invasion minime“ et non “> 10 %” dans le tableau I (p. 378). 472 | La Lettre du Cancérologue ̐ Vol. XX - n° 7 - septembre 2011