Larechercheentransplantation 1O ans Professeur

Le Courrier de la Transplantation - Vol. X - n° 3 - juillet-août-septembre 2010
108
1O ans
Professeur Jean-Paul Soulillou,
service de transplantation, Hôtel-Dieu, Nantes
La recherche en transplantation
Interviewé par le Professeur ÉRIC THERVET*
“Il y a dans le ciel plus de mystère
que l’homme ne saurait concevoir.
W. Shakespeare
*Service de néphrologie,
hôpital européen Georges-
Pompidou, Paris, et Inserm
UMR S775, centre universi-
taire des Saints-Pères, Paris.
Professeur Soulillou, quels sont pour vous
les points importants d’avancée
de la recherche fondamentale dans le domaine
de la transplantation durant les 10 années
qui viennent de s’écouler ?
Professeur Jean-Paul Soulillou - Il convient
probablement de replacer cette question dans une
optique plus translationnelle pour évoquer les élé-
ments de la recherche fondamentale qui ont pu être
utilisés en recherche et en pratique clinique. Un bon
modèle est celui des biomarqueurs. Cet axe sest déve-
loppé dans différentes directions et différents types
de transplantation d’organes.
Un premier exemple est celui de la détermina-
tion de marqueurs non invasifs du rejet cardiaque.
Après des travaux provenant du laboratoire qui ont
permis de déterminer une signature transcripto-
mique du rejet cardiaque sévère, le test AlloMap®
a é approuvé par les autorités de régulation des
États-Unis. Un article du New England Journal of
Medicine vient de confirmer l’utilité de ce test dans
une large population de transplantés cardiaques
(étude IMAGINE). Cette étude a montré que l’utili-
sation de ce test sanguin permettait d’éviter la réa-
lisation d’une biopsie myocardique non nécessaire.
De plus, le fait que la publication soit, cette fois-ci,
issue du monde clinique devrait apporter encore
plus de force à cette information.
En transplantation hépatique, les travaux d’Alberto
Sanchez-Fueyo sont bien sûr extrêmement impor-
tants, puisqu’il a mis en évidence des marqueurs
transcriptomiques de signature de la tolérance
opérationnelle, quil a validés dans une population
indépendante. Cette tolérance est un véritable enjeu,
puisqu’elle pourrait être présente chez plus de 50 %
des patients transplantés hépatiques après 10 ans.
Nous avons, de notre côté, avec Sophie Brouard,
mené ce même type d’approche en transplanta-
tion rénale et mis en évidence un premier groupe
de gènes surexprimés en cas de tolérance. Minnie
Sarwall vient d’ailleurs de proposer un groupe de
3 gènes qui pourrait être intéressant pour définir
cette population. Également en transplantation
rénale, les travaux de l’équipe de M.Suthathiran
portant sur la quantification des ARNm urinaires
par RT-PCR urinaires quantitatifs sont à citer parmi
les avancées majeures des 10 dernières années. Ces
résultats viennent d’être confirmés lors d’une présen-
tation au cours du congrès de la Société américaine
de transplantation 2010 à San Diego sur une cohorte
prospective de 450 patients. Toutes ces avancées
devraient à présent déboucher sur des protocoles
de sevrage (weaning) des traitements dans certaines
populations sélectionnées.
Un autre domaine, à la limite des biomarqueurs,
porte sur tous les travaux de ces 10 dernières années
sur les cellules T régulatrices. Même si l’intérêt direct
en clinique humaine est un peu plus lointain, il est sûr
que ces concepts ont permis des avancées cognitives
dans le domaine de la recherche fondamentale en
immunologie.
Une autre avancée importante des 10 dernières
années est l’assainissement consensuel des causes
de perte du greffon. La mise en place et les constantes
discussions et évolutions de la classification de Banff
ont fait leur travail puisqu’elles ont clarifié la situa-
tion. Elles ont aussi rendu la scène évolutive avec une
discussion constante et une réunion tous les 2 ans
pendant laquelle les dogmes sont remis en cause.
C’est un peu comme dit Mao T-toung : Tirez sur le
quartier général. Chaque fois qu’il y a un consensus
de Banff, il est déjà dépassé !
Le Courrier de la Transplantation - Vol. X - n° 3 - juillet-août-septembre 2010 109
Les 10 ans du Courrier de la Transplantation
Quelles sont les pistes pour les 10 prochaines années ?
Professeur Jean-Paul Soulillou - Je suis inti-
mement persuadé que les anticorps anti-HLA dirigés
contre le greffon pourraient n’être qu’un épiphéno-
mène traduisant une ts importante réponse immune
dans tous les secteurs de la réponse immunitaire et
en particulier de la réponse cellulaire. Je crois donc
que nous allons vers une réévaluation du rejet secon-
daire aux anticorps avec la possibilité que l’anticorps
n’arrive qu’au bout de la chaîne. Dans cette même
dimension, j’inclus la définition de la nouvelle noso-
logie du rejet aigu qui commence à se faire jour dans
d’autres domaines de la transplantation d’organes, en
particulier pour les organes thoraciques.
Les 10 prochaines années devraient également
être marquées par l’avènement d’une vraie méde-
cine individualisée. Je sais que le sujet est un peu
“tarte à la crème, mais l‘utilisation intégrée de bio-
marqueurs pourrait permettre ces avancées. C’est
le cas, par exemple, d’un score composite à la fois
clinique, histologique et biologique que nous venons
de décrire dans notre équipe et qui sera bient publ.
L’utilisation de cette approche par une courbe de ROC
composite devient un outil extrêmement puissant
avec des résultats beaucoup plus probants que ceux
obtenus avec une approche unique.
Une autre avancée est lavènement de la téléméde-
cine dans le domaine de la transplantation, comme
dans beaucoup d’autres domaines médicaux, qui
dépend aussi de façon très étroite des biomarqueurs
prédictifs évoqués plus haut car elle sous-tend une
classification typologique du risque permettant d’ima-
giner de traiter des gens à domicile ou au contraire plus
fréquemment à l’hôpital. Le temps économisé pour
le patient, les équipes paramédicales et médicales
devrait permettre de libérer de lespace pour mener
à bien d’autres projets. Ces progrès font intervenir de
nombreux acteurs, outre les médecins et les patients,
pour permettre cette approche.
Une autre piste possible dans les 10 ans reste la
xénogreffe. Même si les résultats pour des organes
vascularisés sont peu encourageants et que leur utilisa-
tion est peu probable, la décennie à venir pourrait voir
éclore des essais de greffes tissulaires xénogéniques. Je
pense en particulier à l’utilisation d’îlots de Langerhans
et probablement aussi de greffes neuronales, par
exemple, pour traiter la maladie de Parkinson.
Un autre changement de modèle (paradigm shift)
est la vision de la tolérance. Pour cela, l’expérience du
blocage des signaux de costimulation est particuliè-
rement intéressante, puisquelle démontre que l’idée
d’une induction de torance “vraie évolue petit à petit
vers une vision plus intégrée à la dimension globale
de l’état clinique du receveur : le concept de tolérance
opérationnelle. Le blocage de B7 ne s’avère cependant
pas suffisant. Imaginée d’abord comme la possibilité
d’induire une tolérance, l’utilisation chronique du béla-
tacept permettra vraisemblablement cependant une
minimalisation importante.
Enfin, une autre piste pour les 10 prochaines années,
mais aussi peut-être à plus long terme, pourrait être
une thérapie cellulaire et en particulier les cellules
mésenchymateuses. L’utilisation de cellules souches
ou des iPS est plus éloignée. Cela dit, je ne pense pas
que cette thérapie cellulaire sera individualisée, c’est-
à-dire que pour chaque individu serait proposée la
formation de nouvelles cellules qui seraient utilisées
dans un processus de médecine générative (diabète,
maladies hépatiques, maladie de Parkinson, greffe de
peau, etc.). Il semble difficile et très coûteux d’imagi-
ner une véritable usine à gaz personnalisée pour le
traitement d’un patient diabétique ou atteint d’une
maladie de Parkinson, par exemple. En revanche,
il existera quelques lignées cellulaires defficacité
démontrée. L’immunologie reprendra alors vraisem-
blablement toute sa place, puisqu’il conviendra de
lutter contre le rejet de ces cellules. En effet, même
douées initialement de propriétés anti-inflammatoires,
ces cellules se différencient in vivo et deviennent très
certainement immunogènes. Il en est de même de
la thérapie génique. Par exemple, dans un modèle
animal de transduction intrahépatique de cellules,
les hépatocytes transduits sont détruits si un contrôle
de l’immunité nest pas associé. Enfin, si, pour certains
organes, la reconstruction à partir d’une matrice dévi-
talisée semble au moins théoriquement concevable
mais probablement uniquement pour le ur, d’autres
organes, comme le foie ou le rein, présentent une
diversité tissulaire trop grande pour imaginer une
reconstruction tissulaire par des cellules souches.
La peau pourrait d’ailleurs être une première étape
importante pour l’utilisation de cellules souches dans
certaines pathologies cutanées.
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