Le Courrier de la Transplantation - Vol. X - n° 3 - juillet-août-septembre 2010 109
Les 10 ans du Courrier de la Transplantation
Quelles sont les pistes pour les 10 prochaines années ?
Professeur Jean-Paul Soulillou - Je suis inti-
mement persuadé que les anticorps anti-HLA dirigés
contre le greffon pourraient n’être qu’un épiphéno-
mène traduisant une très importante réponse immune
dans tous les secteurs de la réponse immunitaire et
en particulier de la réponse cellulaire. Je crois donc
que nous allons vers une réévaluation du rejet secon-
daire aux anticorps avec la possibilité que l’anticorps
n’arrive qu’au bout de la chaîne. Dans cette même
dimension, j’inclus la définition de la nouvelle noso-
logie du rejet aigu qui commence à se faire jour dans
d’autres domaines de la transplantation d’organes, en
particulier pour les organes thoraciques.
•
Les 10 prochaines années devraient également
être marquées par l’avènement d’une vraie méde-
cine individualisée. Je sais que le sujet est un peu
“tarte à la crème”, mais l‘utilisation intégrée de bio-
marqueurs pourrait permettre ces avancées. C’est
le cas, par exemple, d’un score composite à la fois
clinique, histologique et biologique que nous venons
de décrire dans notre équipe et qui sera bientôt publié.
L’utilisation de cette approche par une courbe de ROC
composite devient un outil extrêmement puissant
avec des résultats beaucoup plus probants que ceux
obtenus avec une approche unique.
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Une autre avancée est l’avènement de la téléméde-
cine dans le domaine de la transplantation, comme
dans beaucoup d’autres domaines médicaux, qui
dépend aussi de façon très étroite des biomarqueurs
prédictifs évoqués plus haut car elle sous-tend une
classification typologique du risque permettant d’ima-
giner de traiter des gens à domicile ou au contraire plus
fréquemment à l’hôpital. Le temps économisé pour
le patient, les équipes paramédicales et médicales
devrait permettre de libérer de l’espace pour mener
à bien d’autres projets. Ces progrès font intervenir de
nombreux acteurs, outre les médecins et les patients,
pour permettre cette approche.
•
Une autre piste possible dans les 10 ans reste la
xénogreffe. Même si les résultats pour des organes
vascularisés sont peu encourageants et que leur utilisa-
tion est peu probable, la décennie à venir pourrait voir
éclore des essais de greffes tissulaires xénogéniques. Je
pense en particulier à l’utilisation d’îlots de Langerhans
et probablement aussi de greffes neuronales, par
exemple, pour traiter la maladie de Parkinson.
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Un autre changement de modèle (paradigm shift)
est la vision de la tolérance. Pour cela, l’expérience du
blocage des signaux de costimulation est particuliè-
rement intéressante, puisqu’elle démontre que l’idée
d’une induction de tolérance “vraie” évolue petit à petit
vers une vision plus intégrée à la dimension globale
de l’état clinique du receveur : le concept de tolérance
opérationnelle. Le blocage de B7 ne s’avère cependant
pas suffisant. Imaginée d’abord comme la possibilité
d’induire une tolérance, l’utilisation chronique du béla-
tacept permettra vraisemblablement cependant une
minimalisation importante.
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Enfin, une autre piste pour les 10 prochaines années,
mais aussi peut-être à plus long terme, pourrait être
une thérapie cellulaire et en particulier les cellules
mésenchymateuses. L’utilisation de cellules souches
ou des iPS est plus éloignée. Cela dit, je ne pense pas
que cette thérapie cellulaire sera individualisée, c’est-
à-dire que pour chaque individu serait proposée la
formation de nouvelles cellules qui seraient utilisées
dans un processus de médecine régénérative (diabète,
maladies hépatiques, maladie de Parkinson, greffe de
peau, etc.). Il semble difficile et très coûteux d’imagi-
ner une véritable usine à gaz personnalisée pour le
traitement d’un patient diabétique ou atteint d’une
maladie de Parkinson, par exemple. En revanche,
il existera quelques lignées cellulaires d’efficacité
démontrée. L’immunologie reprendra alors vraisem-
blablement toute sa place, puisqu’il conviendra de
lutter contre le rejet de ces cellules. En effet, même
douées initialement de propriétés anti-inflammatoires,
ces cellules se différencient in vivo et deviennent très
certainement immunogènes. Il en est de même de
la thérapie génique. Par exemple, dans un modèle
animal de transduction intrahépatique de cellules,
les hépatocytes transduits sont détruits si un contrôle
de l’immunité n’est pas associé. Enfin, si, pour certains
organes, la “reconstruction” à partir d’une matrice dévi-
talisée semble au moins théoriquement concevable
mais probablement uniquement pour le cœur, d’autres
organes, comme le foie ou le rein, présentent une
diversité tissulaire trop grande pour imaginer une
reconstruction tissulaire par des cellules souches.
La peau pourrait d’ailleurs être une première étape
importante pour l’utilisation de cellules souches dans
certaines pathologies cutanées. ◾