1O ans Professeur Jean-Paul Soulillou, s ervice de transplantation, Hôtel-Dieu, Nantes La recherche en transplantation Interviewé par le Professeur ÉRIC THERVET* “Il y a dans le ciel plus de mystère que l’homme ne saurait concevoir.” W. Shakespeare Professeur Soulillou, quels sont pour vous les points importants d’avancée de la recherche fondamentale dans le domaine de la transplantation durant les 10 années qui viennent de s’écouler ? Professeur Jean-Paul Soulillou - Il convient probablement de replacer cette question dans une optique plus translationnelle pour évoquer les éléments de la recherche fondamentale qui ont pu être utilisés en recherche et en pratique clinique. Un bon modèle est celui des biomarqueurs. Cet axe s’est développé dans différentes directions et différents types de transplantation d’organes. •• Un premier exemple est celui de la détermination de marqueurs non invasifs du rejet cardiaque. Après des travaux provenant du laboratoire qui ont permis de déterminer une signature transcriptomique du rejet cardiaque sévère, le test AlloMap® a été approuvé par les autorités de régulation des États-Unis. Un article du New England Journal of Medicine vient de confirmer l’utilité de ce test dans une large population de transplantés cardiaques (étude IMAGINE). Cette étude a montré que l’utilisation de ce test sanguin permettait d’éviter la réalisation d’une biopsie myocardique non nécessaire. De plus, le fait que la publication soit, cette fois-ci, issue du monde clinique devrait apporter encore plus de force à cette information. *Service de néphrologie, hôpital européen GeorgesPompidou, Paris, et Inserm UMR S775, centre universitaire des Saints-Pères, Paris. 108 •• En transplantation hépatique, les travaux d’Alberto Sanchez-Fueyo sont bien sûr extrêmement importants, puisqu’il a mis en évidence des marqueurs transcriptomiques de signature de la tolérance opérationnelle, qu’il a validés dans une population indépendante. Cette tolérance est un véritable enjeu, puisqu’elle pourrait être présente chez plus de 50 % des patients transplantés hépatiques après 10 ans. Nous avons, de notre côté, avec Sophie Brouard, mené ce même type d’approche en transplantation rénale et mis en évidence un premier groupe de gènes surexprimés en cas de tolérance. Minnie Sarwall vient d’ailleurs de proposer un groupe de 3 gènes qui pourrait être intéressant pour définir cette population. Également en transplantation rénale, les travaux de l’équipe de M. Suthathiran portant sur la quantification des ARNm urinaires par RT-PCR urinaires quantitatifs sont à citer parmi les avancées majeures des 10 dernières années. Ces résultats viennent d’être confirmés lors d’une présentation au cours du congrès de la Société américaine de transplantation 2010 à San Diego sur une cohorte prospective de 450 patients. Toutes ces avancées devraient à présent déboucher sur des protocoles de sevrage (weaning) des traitements dans certaines populations sélectionnées. •• Un autre domaine, à la limite des biomarqueurs, porte sur tous les travaux de ces 10 dernières années sur les cellules T régulatrices. Même si l’intérêt direct en clinique humaine est un peu plus lointain, il est sûr que ces concepts ont permis des avancées cognitives dans le domaine de la recherche fondamentale en immunologie. •• Une autre avancée importante des 10 dernières années est l’assainissement consensuel des causes de perte du greffon. La mise en place et les constantes discussions et évolutions de la classification de Banff ont fait leur travail puisqu’elles ont clarifié la situation. Elles ont aussi rendu la scène évolutive avec une discussion constante et une réunion tous les 2 ans pendant laquelle les dogmes sont remis en cause. C’est un peu comme dit Mao Tsé-toung : “Tirez sur le quartier général.” Chaque fois qu’il y a un consensus de Banff, il est déjà dépassé ! Le Courrier de la Transplantation - Vol. X - n° 3 - juillet-août-septembre 2010 Les 10 ans du Courrier de la Transplantation Quelles sont les pistes pour les 10 prochaines années ? et probablement aussi de greffes neuronales, par exemple, pour traiter la maladie de Parkinson. Professeur Jean-Paul Soulillou - Je suis intimement persuadé que les anticorps anti-HLA dirigés contre le greffon pourraient n’être qu’un épiphénomène traduisant une très importante réponse immune dans tous les secteurs de la réponse immunitaire et en particulier de la réponse cellulaire. Je crois donc que nous allons vers une réévaluation du rejet secondaire aux anticorps avec la possibilité que l’anticorps n’arrive qu’au bout de la chaîne. Dans cette même dimension, j’inclus la définition de la nouvelle nosologie du rejet aigu qui commence à se faire jour dans d’autres domaines de la transplantation d’organes, en particulier pour les organes thoraciques. •• Un autre changement de modèle (paradigm shift) est la vision de la tolérance. Pour cela, l’expérience du blocage des signaux de costimulation est particulièrement intéressante, puisqu’elle démontre que l’idée d’une induction de tolérance “vraie” évolue petit à petit vers une vision plus intégrée à la dimension globale de l’état clinique du receveur : le concept de tolérance opérationnelle. Le blocage de B7 ne s’avère cependant pas suffisant. Imaginée d’abord comme la possibilité d’induire une tolérance, l’utilisation chronique du bélatacept permettra vraisemblablement cependant une minimalisation importante. •• Les 10 prochaines années devraient également être marquées par l’avènement d’une vraie médecine individualisée. Je sais que le sujet est un peu “tarte à la crème”, mais l‘utilisation intégrée de biomarqueurs pourrait permettre ces avancées. C’est le cas, par exemple, d’un score composite à la fois clinique, histologique et biologique que nous venons de décrire dans notre équipe et qui sera bientôt publié. L’utilisation de cette approche par une courbe de ROC composite devient un outil extrêmement puissant avec des résultats beaucoup plus probants que ceux obtenus avec une approche unique. •• Une autre avancée est l’avènement de la télémédecine dans le domaine de la transplantation, comme dans beaucoup d’autres domaines médicaux, qui dépend aussi de façon très étroite des biomarqueurs prédictifs évoqués plus haut car elle sous-tend une classification typologique du risque permettant d’imaginer de traiter des gens à domicile ou au contraire plus fréquemment à l’hôpital. Le temps économisé pour le patient, les équipes paramédicales et médicales devrait permettre de libérer de l’espace pour mener à bien d’autres projets. Ces progrès font intervenir de nombreux acteurs, outre les médecins et les patients, pour permettre cette approche. •• Une autre piste possible dans les 10 ans reste la xénogreffe. Même si les résultats pour des organes vascularisés sont peu encourageants et que leur utilisation est peu probable, la décennie à venir pourrait voir éclore des essais de greffes tissulaires xénogéniques. Je pense en particulier à l’utilisation d’îlots de Langerhans •• Enfin, une autre piste pour les 10 prochaines années, mais aussi peut-être à plus long terme, pourrait être une thérapie cellulaire et en particulier les cellules mésenchymateuses. L’utilisation de cellules souches ou des iPS est plus éloignée. Cela dit, je ne pense pas que cette thérapie cellulaire sera individualisée, c’està-dire que pour chaque individu serait proposée la formation de nouvelles cellules qui seraient utilisées dans un processus de médecine régénérative (diabète, maladies hépatiques, maladie de Parkinson, greffe de peau, etc.). Il semble difficile et très coûteux d’imaginer une véritable usine à gaz personnalisée pour le traitement d’un patient diabétique ou atteint d’une maladie de Parkinson, par exemple. En revanche, il existera quelques lignées cellulaires d’efficacité démontrée. L’immunologie reprendra alors vraisemblablement toute sa place, puisqu’il conviendra de lutter contre le rejet de ces cellules. En effet, même douées initialement de propriétés anti-inflammatoires, ces cellules se différencient in vivo et deviennent très certainement immunogènes. Il en est de même de la thérapie génique. Par exemple, dans un modèle animal de transduction intrahépatique de cellules, les hépatocytes transduits sont détruits si un contrôle de l’immunité n’est pas associé. Enfin, si, pour certains organes, la “reconstruction” à partir d’une matrice dévitalisée semble au moins théoriquement concevable mais probablement uniquement pour le cœur, d’autres organes, comme le foie ou le rein, présentent une diversité tissulaire trop grande pour imaginer une reconstruction tissulaire par des cellules souches. La peau pourrait d’ailleurs être une première étape importante pour l’utilisation de cellules souches dans certaines pathologies cutanées. ◾ Le Courrier de la Transplantation - Vol. X - n° 3 - juillet-août-septembre 2010 109