DOSSIER Les temps forts des JTA 2009 Traitement hormonal de la ménopause : fenêtre d’intervention thérapeutique et risque de cancer du sein Postmenopausal hormone therapy and risk of breast cancer E. Fanara*, P. Lopes* Traitement hormonal de la ménopause, cancer du sein et fenêtre d’intervention thérapeutique * Service de gynécologie, HME, quai Moncousu, 44000 Nantes. Prentice (4) a réalisé une étude combinée, clinique et observationnelle, concernant des femmes de 50 à 79 ans. L’étude clinique portait sur 16 608 femmes traitées par l’association de 0,625 mg d’estrogène conjugué équin et de 2,5 mg d’acétate de médroxyprogestérone. L’étude d’observation comportait 32 084 femmes non hystérectomisées dont 25 328 ne recevaient pas de traitement et 6 756 recevaient le traitement hormonal de la ménopause (THM) décrit ci-dessus. La durée moyenne de suivi était de 5,5 ans dans les deux cas. Le but de l’étude était de préciser l’incidence du gap time (délai entre la ménopause et l’initiation au THM) sur le risque de cancer du sein. En effet, la WHI (2002) a mis en évidence une augmentation du risque du cancer du sein chez les femmes qui étaient, avant l’inclusion dans l’étude, sous THM combiné (hazard- Figure 1. Incidence et mortalité des cancers du sein selon l’InVS (2008). 28 | La Lettre du Gynécologue • n° 343 - juin 2009 ratio [HR] = 1,85 [IC95 : 1,18-2,90]) mais pas chez celles sans THM. En revanche, des études d’observation portant sur des femmes issues de la même population montraient un risque de cancer du sein presque doublé en cas de traitement combiné qu’il y ait ou non un THM antérieur. Les participantes de l’essai clinique sans traitement antérieur étant considérablement plus âgées que celles de l’étude d’observation lors de la première utilisation du traitement, le gap time est apparu comme un facteur explicatif potentiel. L’analyse de la distribution du gap time dans les deux études montre que les femmes de l’étude clinique sans traitement antérieur ont tendance à avoir un gap time plus long ; en effet, 40 % d’entre elles ont un gap time supérieur à 15 ans alors que la plupart des femmes dans les autres groupes ont un gap time inférieur à 5 ans. Si on s’intéresse au HR estimé de cancer du sein, on constate que, dans l’étude clinique, celui-ci est de 1,77 (IC95 : 1,07-2,93) en cas de gap time inférieur à 5 ans sans traitement antérieur et de 2,06 (1,30-3,27) en cas de traitement antérieur, alors que le risque de cancer du sein n’est pas significativement augmenté dans ces deux groupes en cas de gap time supérieur à 5 ans. De plus, les HR estimés dépendent significativement (p = 0,02) du gap time après contrôle du statut de traitement antérieur, alors qu’ils ne dépendent pas significativement du statut de traitement antérieur après contrôle du gap time (p = 0,53). Une étude détaillée des essais combinés concernant les femmes ayant débuté le traitement à la ménopause (gap time = 0) met en évidence un doublement du risque de cancer du sein dès 2 ans de traitement, que ces femmes aient eu ou non un traitement avant l’inclusion dans les études (HR = 2,56 ; IC95 : 1,54-4,24 et HR = 2,01 ; IC95 : 1,41-2,86 respectivement). En cas de mise en route plus tardive du traitement (gap Résumé »» Le risque de cancer du sein varie en fonction de l’âge de la femme (1), passant de 270 cas pour 100 000 femmes entre 50 et 54 ans, à 340 entre 55 et 59 ans, à plus de 400 entre 60 et 70 ans (figure 1). Certains travaux ont évoqué l’augmentation de l’incidence des cancers chez les femmes recevant un traitement hormonal de la ménopause (THM), en particulier avec les hormones non bio-identiques, ce risque variant en fonction de la durée d’utilisation de ce THM (2). Plus récemment, Allemend et Séradour (3) ont évoqué un lien possible entre la diminution de l’incidence du cancer du sein et la baisse d’utilisation du THM (3) dont l’actualité a par ailleurs focalisé l’attention sur l’intérêt de le commencer précocement en début de ménopause pour protéger du risque d’athérosclérose, avec comme espoir de diminuer les risques cardio-vasculaires, cérébro-vasculaires et de la maladie d’Alzheimer. La question se pose donc de savoir si le THM en début de ménopause ne peut pas augmenter le risque mammaire. Cette donnée intégrant le gap time (période entre la ménopause et l’initiation du THM) vient d’être publiée dans l’étude de Prentice (4), dérivée de la WHI, qui associe une étude clinique à une étude observationnelle et dont l’objectif a été de préciser si la fenêtre d’intervention thérapeutique modifiait le risque de cancer du sein. time = 5 ans), le risque est diminué de façon significative puisque le HR passe à 0,81 (0,71-0,91) lorsqu’on combine les résultats des deux études. Une analyse complémentaire, excluant les femmes exposées à un traitement antérieur, a été réalisée pour préciser les rôles respectifs du gap time et de la durée de traitement (figure 2). Si on analyse la partie supérieure de la figure 2 : il est clair qu’un gap time inférieur à 5 ans augmente le risque de cancer du sein, même si cela n’est significatif que pour des durées de traitement supérieures à 5 ans (HR = 2,38). Alors qu’un gap time compris entre 5 et 15 ans correspond à un HR de 1,61 au-delà de 5 ans d’utilisation. Il est difficile d’interpréter les résultats concernant les gap times de plus de 15 ans en raison du faible nombre de cas. La partie basse de la figure 2 présente les estimations des HR avec un arrêt des suivis six mois après un éventuel changement de statut de traitement. Les données issues de l’étude d’observation sont inchangées car l’âge moyen des femmes était de 63 ans et les initiations de traitement en cours d’étude ont été rares. On note alors une réelle augmentation du risque en cas de gap time de moins de 5 ans pour des durées de traitement inférieures à 5 ans (HR = 1,85) et on confirme l’augmentation du risque après 5 ans de traitement (HR = 2,75). Pour un gap time compris entre 5 et 15 ans, l’augmentation du HR est plus nette que dans l’analyse précédente avec un HR de 1,61 pour 2 à 5 ans de traitement et de 2 au-delà de 5 ans de traitement. Les femmes qui commencent leur traitement dans les 5 ans suivant la ménopause ont donc un HR élevé (p < 0,001) et qui augmente avec la durée d’utilisation (p < 0,001). Le HR pour 5 ans d’utilisation du traitement est de 1,64 (1-2,68) et il passe à 2,19 (1,56-3,08) pour 10 ans de traitement. Analyse des résultats et discussion Ces résultats semblent expliquer les résultats de l’étude clinique qui montraient un HR faible parmi les femmes sans traitement antérieur, puisqu’elles avaient un gap time bien plus long. Si l’on se fonde sur ces analyses, on prévoit un risque attribuable de 39 % pour une utilisation de 5 ans du traitement et de 54 % pour 10 ans de traitement avec un gap time de moins de 5 ans. L’auteur explique qu’après une carence estrogénique correspondant au gap Mots-clés THM Cancer du sein Keywords Postmenopausal hormone therapy Breast cancer Figure 2. Influence de la durée de la fenêtre thérapeutique sur le risque de cancer du sein (les chiffres entre parenthèses correspondent au nombre de cas de cancers du sein dans les études clinique/d’observation). time, les cellules mammaires épithéliales sont moins sensibles aux estrogènes, ce qui pourrait expliquer la diminution de l’HR avec l’augmentation du gap time. Il précise néanmoins que cette hypothèse est limitée par l’influence des hormones sur l’interprétation mammographique et la détection des cancers du sein. Les résultats de cette étude doivent-ils entraîner une modification des pratiques en matière de THM ? Ses conclusions semblent intéressantes, mais elles doivent être discutées avant d’entraîner une modification radicale de nos pratiques. Les résultats présentés par Prentice concernent des petits nombres de cas par rapport à la population Références bibliographiques 1. Belot A, Grosclaude P, Bossard N et al. Cancer incidence and mortality in France over the period 19802005.Rev Epidemiol Sante Publique. 2008;56(3):159-75. Epub 2008 Jun 10. http://www.invs.sante.fr/ surveillance/cancers/estimations_ cancers/default.htm. 2. Fournier A, Berrino F, ClavelChapelon F et al. Unequal risks for breast cancer associated with different hormone replacement therapies: results from the E3N cohort study. Breast Cancer Res Treat 2008;107:103-11. La Lettre du Gynécologue • n° 343 - juin 2009 | 29 DOSSIER Les temps forts des JTA 2009 Références bibliographiques 3. Allemend H, Séradour B, Weill A, Ricordeau P. Decline in breast cancer incidence in 2005 and 2006 in France: a paradoxical trend. Bull Cancer 2008;95:11-5. 4. Prentice RL, Chlebowski RT, Stefanick ML et al. Estrogen plus progestin therapy and breast cancer in recently postmenopausal women. Am J Epidemiol 2008;167: 1207-16. 5. Scarabin PY, Oger E, Plu-Bureau G. EStrogen and THromboEmbolism Risk Study Group. Differential association of oral and transdermal estrogen-replacement therapy with venous thromboembolism risk. Lancet 2003;362(9382):428-32. 6. Writing group for the Women’s Health Initiative investigators. Risks and benefits of estrogen plus progestin in healthy postmenopausal women. JAMA 2002; 288:321-33. 7. Clavel-Chapelon F. THM et risques d’accidents coronariens graves : des résultats préliminaires rassurants. Profession gynécologue 2008:14. 8. Rossouw JE, Prentice RL, Manson JE et al. Postmenopausal hormone therapy and risk of cardiovascular disease by age and years since menopause. JAMA 2007;297:1465-77. 9. Manson JE, Allison MA, Rossouw JE et al. WHI and WHI-CACS Investigators. Estrogen therapy and coronary-artery calcification. N Engl J Med 2007;356:2591-602. 10. Gompel A, le bureau de la Société de médecine de la reproduction (SMR). Recommandations sur les traitements de la ménopause. Médecine de la reproduction, Gynécologie Endocrinologie 2008; 10(3):212-5. initiale et surtout des cas de l’étude d’observation qui, rappelons-le, n’est pas randomisée (figure 2). Par ailleurs, la population américaine étudiée est différente de la population française. L’étude de Prentice, en complément de la WHI, s’intéresse toujours à une population de 63 ans en moyenne, donc à distance de la ménopause et avec une incidence de l’obésité, et donc de cancer du sein, non négligeable. Les traitements utilisés dans ces études, l’association de 0,625 mg d’estrogène conjugué équin et de 2,5 mg d’acétate de médroxyprogestérone, ne sont pas les mêmes que ceux utilisés couramment en France. Les résultats des études E3N (2) et ESTHER (5) ont en effet nettement influencé les prescriptions en privilégiant l’association des estrogènes par voie percutanée et de la progestérone micronisée ou de la dydrogestérone. Il semble que cette association n’augmente ni le risque de cancer du sein ni le risque thrombogène. Ensuite, le risque de cancer du sein n’est pas le seul à prendre en compte lorsqu’on envisage la prescription d’un THM. Il faut tenir compte des autres effets potentiels du THM. En effet, la WHI (6) a souligné les effets délétères du traitement sur les maladies coronariennes et les risques de thromboses veineuses profondes, mais a confirmé son intérêt sur la prévention des fractures ostéoporotiques (RR = 0,76 [0,69-0,85]) et sur la survenue des cancers du côlon (RR = 0,63 [0,43-0,92]). Si l’on s’intéresse à la fenêtre d’intervention thérapeutique (FINT), il semble que les estrogènes administrés tôt après la ménopause aient un effet protecteur sur les coronaropathies, en prévenant l’athérosclérose, mais qu’initiés à distance de la ménopause, ils aient un effet aggravant en entraînant un décollement des plaques instables et un effet procoagulant, surtout chez les femmes présentant des facteurs de risque cardio-vasculaires (7). Mais ces données sont fondées sur des études de faible puissance (8) ou sur des données plus radiographiques que cliniques (9). Dans tous les cas, les effets du THM, protecteurs et délétères, disparaissent dans les années qui suivent son arrêt (5). Doit-on alors initier un THM dès la ménopause pour diminuer le risque cardio-vasculaire au risque d’augmenter celui de cancer du sein ? Ou doit-on respecter une période de carence estrogénique pour ne pas augmenter le risque de cancer mammaire au risque d’entraîner des complications cardio-vasculaires ? Les résultats des études doivent être analysés et adaptés à chaque cas. Il paraît bon de rappeler que le THM est avant tout le traitement des troubles climatériques qui touchent les femmes immédiatement après la ménopause. Sa prescription doit être réfléchie pour chaque femme, après un interrogatoire s’intéressant aux facteurs de risque personnels et familiaux de pathologies cardio-vasculaires, de cancer du sein, d’ostéoporose ainsi qu’aux symptômes de chaque patiente. La Société de médecine de la reproduction (SMR) [10] rappelle que le THM est de loin le traitement le plus efficace contre les troubles climatériques, qu’il a également un effet bénéfique sur la prévention de l’ostéopénie et de l’ostéoporose postménopausique en diminuant le risque fracturaire, mais qu’il ne doit pas être instauré systématiquement pour prévenir les risques osseux. Elle considère que la balance bénéfice/risque du THM est favorable pour les femmes ayant un syndrome climatérique ou un risque d’ostéoporose. Elle souligne que le surrisque de cancer du sein est faible, surtout pour des durées d’utilisation inférieures à dix ans. Au total, le risque d’augmentation de l’incidence du cancer du sein, souligné par Prentice, si l’initiation du THM débute rapidement après la ménopause, doit être mis en balance avec les bénéfices exposés ci-dessus. De plus, l’utilisation d’hormones bio-identiques et la voie transcutanée pour l’estradiol sont de nature à remettre en question ce risque mammaire. ■ Quiz La ménopause face à ses risques I. THM et cancer du sein : 1 seule réponse est fausse ➊ Les risques de cancer du sein liés au THM ont été évalués à 6 cas pour 1 000 femmes traitées pendant 10 ans. ➋ Les risques sont plus liés aux progestatifs qu’aux estrogènes. ➌ L’association estradiol 17ß et progestérone micronisée n’est pas associée à une augmentation du risque de cancer du sein dans l’étude épidémiologique de l’éducation nationale. ➍ La rétrogestérone n’augmente pas de façon significative dans l’étude E3N le risque de cancer du sein. ➎ L’absence d’intervalle libre entre le début du THM et le début de ménopause réduit le risque de cancer du sein. La métaanalyse d’Oxford rend compte du risque absolu de cancer du sein après intégration de 52 études concernant les THM à 2 cas supplémentaires pour 1 000 femmes traitées pendant 5 ans, 6 pour 10 ans de traitement et 12 pour 1 000 femmes traitées pendant 15 ans. Il est très clairement établi que les progestatifs ont la plus grande responsabilité dans l’augmentation de ce risque (WHI ECE + MPA versus ECE seuls, MWS et de nombreuses études dont E3N). Parmi ces progestatifs, la progestérone micronisée et la rétrogestérone n’augmentent pas le risque de façon significative. Les travaux de Prentice évoque le rôle joué par la fenêtre d’intervention thérapeutique. Un délai dans l’instauration du THM après la ménopause diminue le risque de cancer du sein. Mais cela va contre les effets bénéfiques, cardio-vasculaires en particulier. Réponses : I :5. 30 | La Lettre du Gynécologue • n° 343 - juin 2009