DOSSIER THÉMATIQUE Prolapsus rectal et rectocèle Prolapsus rectal et rectocèle : aspects cliniques classiques et plus trompeurs Rectal prolapse and rectocele: classical clinical features and misleading presentations Agnès Senéjoux* L e prolapsus rectal et la rectocèle font partie des troubles de la statique pelvienne, au même titre que les prolapsus génito-urinaires qui sont fréquemment associés chez la femme, cible principale de ces affections. Le diagnostic d’un prolapsus total du rectum est souvent très facile, mais certaines formes cliniques, moins évidentes, nécessitent un interrogatoire et un examen clinique soigneux pour arriver au diagnostic. De même, si une plainte clinique portant sur une boule vaginale amène facilement à rechercher une rectocèle, ce diagnostic n’est pas toujours si simplement suspecté. Prolapsus rectal Défini comme une invagination endoluminale de tout ou partie de la paroi rectale, le prolapsus rectal peut être limité à la cavité rectale (prolapsus rectal interne ou intussusception) ou s’engager dans le canal anal et s’extérioriser (prolapsus total du rectum). L’invagination naît le plus souvent à 8 cm de la marge anale à l’occasion d’un effort de poussée. Les contraintes mécaniques induites par le prolapsus sur la paroi rectale ellemême peuvent entraîner des lésions traumatiques et ischémiques se traduisant macroscopiquement par un aspect inflammatoire, par une ou plusieurs ulcérations. (9 à 78 % des cas), une dyschésie (12 à 78 %), des sensations d’évacuation incomplète (34 à 91 %), un syndrome rectal caractérisé par l’émission de glaires et de sang (27 à 67 %), des douleurs pelviennes périnéales et hypogastriques (22 à 78 %), et, enfin, par une incontinence fécale pour les selles liquides (25 à 48 %) associée à l’émission passive de glaires ou de mucus (1, 2). Le diagnostic de prolapsus rectal extériorisé est un diagnostic clinique imposant la participation active du patient (efforts de poussée). Lorsque le prolapsus est peu volumineux ou difficile à faire s’extérioriser, il est plus facilement diagnostiqué par l’examen du malade en position accroupie, en lui demandant de pousser et en s’aidant au besoin d’un miroir. Il faut bien distinguer le prolapsus rectal externe de la maladie hémorroïdaire. Le prolapsus rectal est un bourrelet cylindrique à base rectale, il est caractérisé par ses striations faites de plis circulaires concen- Le prolapsus rectal a plusieurs modes d’expression symptomatique *Centre hospitalier Privé, Rennes, Saint-Grégoire. Outre l’extériorisation intermittente, plus ou moins importante, à l’effort ou spontanément, d’une “boule”, il peut se manifester par une constipation 208 | La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue • Vol. XV - n° 5 - septembre-octobre 2012 Image 1. Prolapsus total du rectum. Points forts »» Le diagnostic d’un prolapsus total du rectum est souvent très facile, mais certaines formes cliniques, moins évidentes (constipation terminale, syndrome rectal, incontinence anale), nécessitent un interrogatoire et un examen clinique soigneux pour parvenir à le poser. »» De même, si une plainte clinique évoquant un type de boule vaginale conduit facilement à rechercher une rectocèle, ce diagnostic n’est pas toujours si simplement suspecté. »» L’examen clinique en position gynécologique et accroupie doit compléter l’examen en position genupectorale ou en décubitus latéral. triques de longueur variable (image 1). Le prolapsus hémorroïdaire se caractérise par une répartition en “paquets” congestifs de coloration rouge violacé recouverts d’une muqueuse avec des stries verticales et non horizontales (image 2). Le prolapsus rectal s’associe fréquemment, lorsqu’il est réduit, au moins à une hypotonie sphinctérienne de repos et un canal anal court au toucher rectal, sinon à une béance anale et à des suintements glaireux périanaux. Le toucher rectal peut, en cas de prolapsus non extériorisé, démasquer celui-ci, en faisant pousser le malade sur le doigt rectal introduit, et en accompagner l’extériorisation. L’anuscopie et la rectoscopie apprécient l’état de la muqueuse rectale et recherchent une invagination de la paroi rectale au retrait de l’appareil. Le prolapsus du rectum survient aux âges extrêmes de la vie et plus volontiers chez le jeune homme ou la femme âgée. Il est classique de retenir les facteurs de risque que sont un long passé de constipation, des antécédents de chirurgie périnéale, qu’elle soit gynéco-obstétricale ou proctologique (3). Certaines anomalies anatomiques favorisent l’apparition du prolapsus rectum : une faiblesse ou une élongation des moyens de fixation du rectum, un cul-de-sac de Douglas profond, une faiblesse des muscles périnéaux liée à une neuropathie d’étirement, à une amyotrophie ou un défaut de développement (dénutrition, anorexie mentale). D’autres troubles de la statique pelvienne sont fréquemment associés au prolapsus rectal (périnée descendant, rectocèle, entérocèle, prolapsus génito-urinaires). Ils doivent être recherchés, le traitement des prolapsus pelviens nécessitant une prise en charge globale, pluridisciplinaire. Les complications Image 2. Prolapsus hémorroïdaire. Mots-clés Prolapsus rectal Rectocèle Ulcère solitaire du rectum Highlights »» Diagnostic of rectal prolapse is very often easy but some clinical presentations are misleading (terminal constipation, rectal syndrome, fecal incontinence) and require careful interrogatory and physical examination to reach diagnosis. »» Similarly, when a vaginal mass is described by the patient, it is easy to evoke rectocele but this diagnosis is sometimes more difficult to suspect. »» Physical examination in gynecologic position and squatting are necessary to complete genupectoralis and lateral position. Keywords Rectal prolapse Rectocele Solitary rectal ulcer Les complications du prolapsus rectal sont, outre la gêne et l’incontinence fécale : ➤➤ l’étranglement, qui constitue une urgence thérapeutique rare (2 à 4 %), marquée par des douleurs vives, le caractère irréductible et très œdémateux du prolapsus, qui prend une teinte violacée ; ➤➤ le saignement par ulcérations muqueuses, le plus souvent peu abondant mais répété. Rectocèle Image 3. Rectocèle. La rectocèle survient quasi exclusivement chez la femme. C’est une protrusion de la paroi rectale antérieure refoulant la paroi vaginale postérieure ; elle se manifeste par une tuméfaction faisant saillie à la vulve (image 3). La constatation d’une rectocèle de petite taille (moins de 2,5 cm) est fréquente chez les femmes ne présentant aucune gêne fonctionnelle (4) ; elle peut être considérée comme physiologique. La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue • Vol. XV - n° 5 - septembre-octobre 2012 | 209 DOSSIER THÉMATIQUE Prolapsus rectal et rectocèle Prolapsus rectal et rectocèle : aspects cliniques classiques et plus trompeurs Les manifestations cliniques de la rectocèle sont de deux types : ➤➤ gynécologique, avec la perception d’une boule vaginale avec une pesanteur périnéale gênante (surtout en fin de journée), une irritation vulvaire et un frottement désagréable dans les sous-vêtements ; ➤➤ anorectale, avec une dyschésie, une sensation d’évacuation incomplète (nécessité de recourir à des manœuvres digitales endovaginales pour réduire la rectocèle facilitant ainsi l’évacuation), voire un suintement fécal responsable de souillures (“incontinence par débordement”). Le diagnostic de rectocèle repose sur un examen clinique dynamique qui consiste à demander à la personne examinée de pousser. Pour le diagnostic des affections anorectales, la position gynécologique est préférable à celle genupectorale fréquemment utilisée, qui sous-estime l’importance de la rectocèle. L’examen constate un déroulement de la paroi vaginale postérieure (dénommé colpocèle postérieure) qui peut être plus ou moins prononcé (spontané, à l’effort plus ou moins extériorisé par rapport à la vulve) et un allongement de la distance anovulvaire. L'on notera qu’une colpocèle postérieure peut contenir d’autres éléments qu’une rectocèle (une entérocèle ou une sigmoïdocèle, par exemple). L’examen clinique recherche aussi d’autres troubles de la statique pelvienne : cystocèle ou descente de vessie dépistée par une saillie anormale de la paroi vaginale antérieure (ou colpocèle antérieure), prolapsus utérin, etc. Les facteurs favorisants des rectocèles sont les efforts chroniques de poussée défécatoire (liés à une constipation de transit ou à un anisme), l’âge (5), les accouchements par voie vaginale (6), la surcharge pondérale (7), l’hystérectomie par voie basse ou la cure d’un prolapsus urinaire. Conclusion Les diagnostics de prolapsus rectal et de rectocèle sont cliniques. Certains symptômes doivent les faire rechercher par un examen attentif, si nécessaire en utilisant des positions d’examen auxquelles le gastroentérologue est moins habitué (position gynécologique ou accroupie). Les examens paracliniques, in fine, ont surtout pour rôle d’apprécier l’intrication des troubles des différents étages (génito-urinaire et anorectal) et de rechercher des anomalies de diagnostic clinique moins aisé, telles qu'une entéro­cèle. ■ Références bibliographiques 1. Mellgren A, Bremmer S, Johansson C et al. Defecography. Results of investigations in 2,816 patients. Dis Colon Rectum 1994;37(11):1133-41. 2. Gourgiotis S, Baratsis S. Rectal prolapse. Int J Colorectal Dis 2007;22(3):231-43. 3. Felt-Bersma RJ, Tiersma ES, Cuesta MA. Rectal prolapse, rectal intussusception, rectocele, solitary rectal ulcer syndrome, and enterocele. Gastroenterol Clin North Am 2008;37(3):645-68, ix. 4. Shorvon PJ, McHugh S, Diamant NE, Somers S, Stevenson GW. Defecography in normal volunteers: results and implications. Gut 1989;30(12):1737-49. 5. Murad-Regadas S, Peterson TV, Pinto RA, Regadas FS, Sands DR, Wexner SD. Defecographic pelvic floor abnorma- 210 | La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue • Vol. XV - n° 5 - septembre-octobre 2012 lities in constipated patients: does mode of delivery matter? Tech Coloproctol 2009;13(4):279-83. 6. Dietz HP, Steensma AB. The role of childbirth in the aetiology of rectocele. BJOG 2006;113(3):264-7. 7. Kudish BI, Iglesia CB, Sokol RJ et al. Effect of weight change on natural history of pelvic organ prolapse. Obstet Gynecol 2009;113(1):81-8.